NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.

RESTREINTE*

CAT/C/39/D/264/2005

9 novembre 2007

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente - neuvième session

(5 – 23 novembre 2007)

DÉCISION

Communication No. 264 /2005

Présentée par:A. B. A. O. (représenté par un conseil)

Au nom de:Le requérant

État partie:France

Date de la requête:24 janvier 2005 (lettre initiale)

Date de la présente décision8 novembre 2007

Objet: Risque de déportation du requérant vers la Tunisie

Question de fond: Risque de torture après éloignement

Question de procédure: Qualité de victime

Articles de la Convention: 3 et 22

GE.07-45126[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

Trente - neuvième session

Concernant la

Communication No. 264/2005

Présentée par :A. B. A. O. (représenté par un conseil)

Au nom de :Le requérant

État partie :France

Date de la requête :24 janvier 2005 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 8 novembre 2007,

Ayant achevé l’examen de la requête No. 264/2005, présentée au nom de A. B. A. O. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

Le requérant, A. B. A. O., né le 4 avril 1957 et de nationalité tunisienne, était détenu dans un Centre de rétention à Paris en vue de son éloignement au moment de l’introduction de la requête. Il affirme que son rapatriement forcé vers la Tunisie constituerait une violation par la France de l'article 3 de la Convention contre la Torture. Le requérant est représenté par un conseil, le Centre d’information et de documentation sur la torture CIDT-Tunisie et le Collectif de la Communauté Tunisienne en Europe, des organisations non-gouvernementales.

Conformément au paragraphe 3 de l’Article 22 de la Convention, le Comite a porté la requête à l’attention de l’Etat partie par une note verbale en date du 25 janvier 2005 priant le Gouvernement de fournir ses renseignements et observations rapportant à la question de la recevabilité et sur le fond des allégations. Agissant en vertu du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement interne, la Comité a également prié l’Etat partie de ne pas renvoyer le requérant vers la Tunisie tant que sa requête est à l’examen. Le Comité a réitéré cette demande par note verbale du 19 janvier 2007.

Dans ses observations du 25 mars 2005, l’Etat partie a informé la Comité que par décision du 4 février 2005, l’Office français de protection des refugiés et apatrides (OFPRA) avait accordé protection subsidiaire au requérant. Le 15 avril 2005, s’agissant en vertu du paragraphe 3 de la règle 109 de son règlement intérieur, le Comité a décidé d’examiner la question de la recevabilité séparément de celle du fond de la requête.

Rappel des faits présentés par le requérant 

Le 26 juin 2003, un arrête de reconduite à la frontière a été prononcé à l’encontre du requérant par le Préfet de police, prévoyant son éloignement à destination de la Tunisie. Par décision du 28 juin 2003 le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrête dans la mesure où il fixait la Tunisie comme pays de destination.

Le 17 janvier 2005 le requérant a été arrêté lors d’un contrôle de routine et a été placé en rétention administrative, en vue de son éloignement vers la Tunisie. Le requérant allègue qu’il était en négociation avec OFPRA au moment de son arrestation.

Le 19 janvier 2005 le préfet de police a pris a son encontre un nouveau arrêté de reconduite à la frontière. L’appel contre l’arrêté a été rejeté le 22 janvier 2003 par le Tribunal administratif de Paris.

Teneur de la plainte 

Le requérant allègue que son renvoi en Tunisie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Il fait valoir qu’il est reconnu comme opposant notoire au gouvernement de son pays d’origine qui le poursuit depuis de nombreuses années. En outre, son épouse a été contrainte de divorcer, sous la menace de violence.

Le requérant fait référence à la décision du 28 juin 2003 du Tribunal administratif de Paris, où le Tribunal note que le requérant fait l’objet de pressions et de menaces de la part des autorités tunisiennes. Selon cette décision, le préfet de police a méconnu les dispositions de l’article 27 de l’Ordonnance du 2 novembre 1945 selon lequel « un étranger ne peut être éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu’il est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales… ». Sur cette base, le Tribunal a annulé l’arrête pris par le préfet de police dans la mesure où il fixait la Tunisie comme destination de renvoi.

Le requérant fait également valoir que lors de la discussion publique du deuxième rapport périodique de la Tunisie devant le Comité contre la torture, le Comité avait noté que la Tunisie est un pays avec « une culture de torture».

Observations de l’État partie sur la recevabilité

L’Etat partie conteste la recevabilité de la requête dans ses Observations du 25 mars 2005. Sur les faits il fait valoir que le requérant est entré irrégulièrement en France à plusieurs reprises depuis 1986, sous différentes identités. Le 19 mars 1996, après sa troisième entrée irrégulière, il a demandé le statut de refugié auprès l’OFPRA, ce qui a été rejeté le 3 décembre 1999. Le 19 février 2001, la Commission des recours des refugiés a confirmé le rejet.

Selon l’Etat partie, le requérant avait été interpellé le 24 avril 1996 dans le cadre du démantèlement d’un trafic de faux documents et qu’il avait été établi au cours de l’enquête que le requérant se livrait au trafic de faux documents, et qu’il entretenait des relations étroits avec la mouvance islamiste radicale. Le 28 janvier 1997, le requérant a été condamné à deux ans de prison dont un an avec sursis et trois ans d’interdiction du territoire. Il a été incarcéré du 26 avril 1996 au 8 février 1997.

Le requérant a été interpellé de nouveau le 24 juin 2003, en application d’une commission rogatoire délivrée par le Tribunal de Grande Instance de Paris, pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Le 17 janvier 2005, le requérant a de nouveau été interpellé lors d’un contrôle et a fait l’objet d’un nouveau arrêté de reconduite à la frontière le 19 janvier 2005. Placé en rétention administrative, il a saisi le Comité contre la torture le 24 janvier 2005.

Concernant la situation actuelle du requérant en France, l’Etat partie note que le 25 janvier 2005 le requérant a présenté auprès de l’OFPRA une demande de réexamen de sa demande d’asile.

L’Etat partie note que dans sa décision du 4 février 2005, l’OFPRA a estimé que le requérant ne tombait pas sous champ de l’application de la Convention de 1951. L’OFPRA a conclut que l’activisme du requérant n’avait pas été motivé par des considérations politiques, mais plutôt par le souci de créer les conditions nécessaires pour présenter une mesure de protection et faire obstacle à son éloignement.

Cependant, et tenant compte de la situation de fait créée par le requérant et son activisme, quelle que soit la motivation de celui-ci, l’OFPRA a admis dans la même décision le requérant au bénéfice de la protection subsidiaire pour une période d’un an renouvelable, en application de l’article 2.II.2 de la loi numéro 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile, telle que modifiée par la loi du 11 décembre 2003.

Le 11 février 2005, une décision de refus de délivrance de titre de séjour a été pris à l’encontre du requérant, fondée sur la menace à l’ordre public que constitue sa présence en France. Le même jour, l’arrêté de la reconduite à la frontière du 19 janvier a été abrogé pour tenir compte des changements de circonstances. En même temps un nouveau arrêté à la reconduite à la frontière a été pris par le Préfet de Police. Simultanément, un arrêté d’assignation à résidence a été pris par le Préfet de Police, fondé sur l’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement à destination de la Tunisie, compte tenu de la décision de l’OFPRA reconnaissant le bénéfice de la protection subsidiaire au requérant.

Le même jour, le requérant fait appel devant le tribunal administratif de Paris de l’arrête de reconduite à la frontière. Dans son jugement du 4 mars 2005, le tribunal administratif a écarté les conclusions du requérant formées aux fins d’annulation de la décision fixant le pays de destination et fondées sur les risques encourus en cas de retour dans son pays d’origine. L’Etat partie fait valoir que le tribunal a considéré que le requérant ne pouvait pas être reconduit en Tunisie en raison de la protection subsidiaire dont il bénéficie et de l’arrêté d’assignation à la résidence pris à son égard le 11 février 2005.

L’Etat partie souligne que même si le requérant est sous le coup d’une décision d’éloignement prise en raison de la gravité de son comportement pour l’ordre public, cette décision est aujourd’hui privée de tout effet juridique. Selon l’Etat parti, du fait de la protection subsidiaire dont le requérant bénéficie et de l’arrêté d’assignation à résidence, il est protégé contre toute exécution d’une mesure d’éloignement vers la Tunisie.

L’Etat partie précise que dans l’hypothèse où l’OFPRA cesserait de lui accorder le bénéfice de protection subsidiaire, le requérant disposerait de la possibilité de contester cette décision devant la Commission des recours des réfugiés. Une éventuelle décision administrative d’abrogation de l’arrêté d’assignation à résidence est susceptible de recours devant une juridiction administrative.

L’Etat partie invoque deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (42216/98 du 14 novembre 2000 et 65730/01 du 18 janvier 2005), dans lesquels la Cour a estimé que du fait de l’intervention d’une mesure d’assignation à la résidence, le requérant ne courait actuellement plus de risque direct d’éloignement. La Cour a déclaré ces requêtes irrecevables. Il invoque deux autres cas similaires décidés la Cour européenne (30930/96 du 7 septembre 1998 et 53470/99 du 10 avril 2003). L’Etat partie conclut que mutatis mutandis, les mêmes principes peuvent être appliqués à la présente requête.

L’Etat partie conclut que le requérant est protégé de manière certaine et durable contre tout risque de traitement contraire à l’article 3 de la Convention, qui résulterait de la mise en exécution d’une mesure d’expulsion et qu’il ne peut donc se prévaloir de la qualité de victime au sens de l’article 22 de la Convention.

Observations du requérant sur les observations de l’Etat partie

Le 10 mai 2006, le conseil concède que son client ne court plus de risque de déportation en Tunisie étant donné qu’il lui a été accordé protection subsidiaire. Ce protection avait été accordée le 4 février 2005 pour un an, et est renouvelée tant que l’OFPRA ne décide pas de la lever.

Le 7 août 2006, le requérant a informe la Comité qu’il souhaite maintenir sa requête. Le 6 octobre 2006, le requérant apporte des précisions sur la version des faits présentée par l’Etat partie. Il souligne qu’il ne figure nulle part dans le jugement du 28 janvier 1997 qu’il aurait eu de « relations étroites avec la mouvance islamiste radicale », que ces accusations sont infondées et que les allégations d’appartenance à une « association des malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » n’ont pas été confirmées par le Tribunal.

Il fait valoir que le refus d’octroi de titre de séjour du 11 février 2005 était justifié par la  menace à l’ordre public que constitue sa présence en France, malgré le fait que dans sa décision du 4 février 2005, l’OFPRA avait noté que « ses liens avec la mouvance islamiste radicale n’avaient pas été motivés par des considérations politiques, mais par le souci de crées les conditions nécessaires pour présenter une mesure de protection». Ces éléments démontrent une reconnaissance implicite, de la parte de l’Etat partie, que la menace qu’il pose à l’ordre public n’est pas réelle, et qu’en conséquence l’Etat partie n’aurait pas du refuser sa régularisation administrative.

Sur la recevabilité de la requête, le requérant fait valoir que la protection accordée par la France est illusoire et que contrairement aux conclusions de l’Etat parti, il court un risque réel d’être renvoyé en Tunisie. L’abrogation de l’arrête concernant son assignement à résidence n’est qu’une formalité qui peut intervenir à tout moment, et que le recours devant la Cour administrative contre cette décision n’a pas d’effet suspensif.En outre, même s’il dispose de la possibilité de contester une éventuelle décision de l’OFPRA de cesser lui accorder la protection subsidiaire devant la Commission des recours des réfugiées, ce recours est dépourvu de l’effet suspensif.

Le 9 janvier 2007, le requérant ajoute qu’il doit régulièrement se présenter à la préfecture de Saint Denis. Ceci démontre que les autorités françaises se préparent de le renvoyer dès que la période de validité de la protection subsidiaire prendra fin, soit le 4 février 2007.

Observations supplémentaires de l’Etat partie 

Le 23 mars 2007, l’Etat partie informe la Comité que la protection subsidiaire dont bénéficie le requérant a été instituée par le législateur en décembre 2003, et mise en œuvre à partir du 1er janvier 2004. Elle correspond aux dispositions de l’article L. 721-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CSEDA), lesquelles peuvent être caractérisées comme une transposition par anticipation de la directive 2004/83/CE du Conseil de l’Union Européenne du 29 avril 2004 relative à statut des réfugiés et à la protection subsidiaire.

L’Etat partie rappelle que cette protection est accordée par l’OFPRA qui, sous contrôle de la Commission de recours des réfugiés, peut y mettre fin par décision formelle, sur la base d’éléments permettant de considérer que les menaces qui la justifiaient n’existent plus. Cette protection donne lieu, sous la seule réserve de considérations relatives à l’ordre public, à la délivrance de plain droit d’une carte de séjour temporaire d’un an. Elle est renouvelable tant que s’exerce la protection de l’OFPRA.

Par conséquent, le placement sous le régime de la protection subsidiaire ne saurait être assimilé à une mesure conservatoire prise en vertu de l’article 108 du règlement du Comité contre la torture. Selon l’Etat partie il s’agit, au contraire, d’une mesure prise après l’examen du bien fondé de la demande du requérant.

L’Etat partie souligne que dans cas l’espèce, il ne dispose pas d’éléments à nature à lui permettre d’estimer que les considérations retenues pour accorder au requérant la protection subsidiaire fassent maintenant défaut. Pour ces motifs, l’Etat partie réitère que le requérant ne saurait se prévaloir de sa qualité de victime, dans la mesure où il ne court aucun risque d’éloignement du territoire français.

Observations supplémentaires du requérant 

Le 2 mai 2007, le requérant réitère que l’annulation de la protection subsidiaire n’est qu’une simple formalité. Il fait valoir que l’octroi de la protection subsidiaire n’a pas résolu la question de son séjour en France, car les autorités françaises ont refusé de lui délivrer un titre de séjour à cause de la menace présumée que sa présence constitue à l’ordre public. Il s’ensuit qu’il n’a ni droit de travailler ni de se bénéficier aux prestations sociales, et que ce vide juridique équivaut en soi à un traitement inhumain.

Le requérant a présenté à son appui des lettres écrit par les ONG’s datées du 1 juillet 1999 et du 25 janvier 2005, une lettre datée du 8 janvier 2007 de la part de l’assistante sociale des Hôpitaux de Paris, une attestation de non paiement de la caisse d’allocations familiales du 23 février 2007 ainsi que d’autre documents concernant sa situation sociale. Il présente aussi un extrait de son casier judiciaire.

Délibérations du Comité 

Avant d'examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l'article 22 de la Convention.

Le Comité note que l’Etat partie affirme que le requérant bénéficie de la protection subsidiaire, et qu’il ne dispose actuellement aucun d’élément lui permettant d’estimer que les menaces retenues pour accorder au requérant la protection subsidiaire aient disparus. Il note également que dans les renseignements fournis par le requérant il se borne à examiner la possibilité d’un renvoi et sa situation actuelle en France, mais qu’il ne conteste pas qu’il bénéficie de la protection susmentionnée et qu’aucune procédure judiciaire n’a été engagée contre lui.

Compte tenu du fait que la décision de l’OFPRA reconnait le bénéfice de la protection subsidiaire au requérant, qu’un arrêté d’assignation à résidence a été pris par le Préfet de Police le 11 février 2005, et que pour ces raisons l’arrêté de reconduite à la frontière de la même date n’est pas exécutoire, le Comité constate que le requérant n’est pas exposé à un risque immédiat d’expulsion et n'encourt pas de risque imminent, direct et réel d’être soumis à la torture.

Le Comité estime dès lors que le requérant n’est pas exposé à un risque immédiat d’expulsion et qu’en conséquence, il déclare la requête irrecevable au regard du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention, comme étant incompatible avec les dispositions de la Convention.Cette conclusion n’empêchera pas le requérant de ressaisir le Comité avec de nouvelles informations sur sa situation, si l’arrêté d’assignation à résidence et la décision de l’OFPRA sur la protection subsidiaire lui permettant de séjourner en France sont modifiés.

Le Comité décide en conséquence:

(a)Que la requête est irrecevable;

(b) Que la présente décision pourra être reconsidérée en application de l’article 109 de son règlement intérieur, s’il reçoit du requérant ou en son nom une demande contenant des renseignements d’où il ressort que les motifs d’irrecevabilité ne sont plus valables;

(c) Que la présente décision sera communiquée à l’Etat parti, au requérant et à son conseil.

[Adopté en anglais, en espagnol, en français (version originale) et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

-----