NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.RESTREINTE*

CAT/C/39/D/304/200615 novembre 2007

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente‑neuvième session5‑23 novembre 2007

DÉCISION

Communication n o 304/2006

Présentée par:

L. Z. B., en son nom et au nom de sa fille J. F. Z. (représentées par un conseil)

Au nom de:

L. Z. B. et J. F. Z.

État partie:

Canada

Date de la requête:

6 octobre 2006

Date de la présente décision:

8 novembre 2007

Objet: Risque d’expulsion des requérantes vers le Mexique

Questions de fond: Risque de torture après renvoi

Questions de procédure: Épuisement des recours internes

Articles de la Convention: 3 et 22

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

Trente ‑neuvième session

concernant la

Communication n o 304/2006

Présentée par:

L. Z. B., en son nom et au nom de sa fille J. F. Z. (représentées par un conseil)

Au nom de:

L. Z. B. et J. F. Z.

État partie:

Canada

Date de la requête:

6 octobre 2006

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 8 novembre 2007,

Ayant achevé l’examen de la requête no 304/2006présentée au nom de L. Z. B. et de sa fille J. F. Z. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérantes et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Les requérantes sont L. Z. B. (la requérante), et sa fille J., ressortissantes mexicaines nées respectivement en 1961 et 1992. Leur demande d’asile politique au Canada a été rejetée en 2006. Selon elles, leur retour forcé au Mexique les exposerait à un risque de torture ou de mort. Elles sont représentées par un conseil.

1.2Le 10 octobre 2006, le Comité, agissant au titre de l’article 108 de son Règlement intérieur par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a refusé de donner suite à la demande des requérantes à inviter l’État partie de surseoir à leur renvoi.

Rappel des faits présentés par les requérantes

2.1Le 11 septembre 2002, le compagnon de la requérante aurait été torturé et assassiné à Chilpancingo (Mexique) par des membres présumés de la police, alors qu’il travaillait comme camionneur. Les raisons du meurtre sont restées incertaines pour la requérante, mais selon elle, son conjoint a eu accès à des informations compromettantes sur son employeur B., membre d’un clan puissant et candidat aux élections locales.

2.2Selon la requérante, les assassins de son compagnon la croient en possession d’une enveloppe contenant des informations compromettantes. Elle aurait reçu des menaces de mort anonymes et a dû déménager à Mexico avec sa fille. Le 12 août 2003, elle y aurait été interpellée par trois individus prétendant être des agents du Gouvernement. Ils l’auraient insultée, auraient requis l’enveloppe, et auraient menacé de tuer sa fille. Elle a alors décidé de quitter le pays et, le 26 novembre 2003, les requérantes sont arrivées au Canada, où elles ont déposé une demande d’asile le 22 décembre 2003.

2.3Le 26 octobre 2004, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté leur demande. Selon la requérante, cette décision était erronée et non-équitable, parce que la SPR aurait procédé à une analyse sélective des preuves. Les requérantes ont demandé une autorisation de contrôle judiciaire par la Cour fédérale de la décision de la SPR qui a été rejetée le 10 mai 2005. Le 15 juin 2006, elles ont demandé une évaluation des risques avant renvoi (ERAR), ce qui a été rejeté le 14 août 2004. Entre‑temps, le 2 février 2006, elles avaient demandé à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) de reconsidérer leur situation pour des raisons humanitaires, avec une demande de surseoir à leur renvoi. Le sursis étant rejeté le 5 octobre 2006, les requérantes avaient été informées qu’elles seraient renvoyées au Mexique. L’ASFC a rejeté leur demande pour considérations humanitaires le 6 décembre 2006.

2.4Les requérantes s’estiment victimes de plusieurs erreurs de la part des commissaires (juges), agents d’immigration, et même de leurs avocats qui n’auraient pas étudié correctement leur dossier. En particulier, le tribunal (SPR) a noté qu’il existait des divergences quant au lieu du décès de son conjoint, mais selon la requérante, ceci était la conséquence d’une erreur de traduction. Selon elle, c’était une erreur importante, car l’original de l’acte de décès indiquait Chipancingo comme lieu du décès. Le traducteur avait mentionné Chimalhuacan, mais comme lieu de destination de la dépouille. Malgré ce fait, la juge a conclu que le lieu mentionné par la requérante était incorrect. Selon la requérante, ceci démontre que cette preuve a été appréciée de façon manifestement arbitraire. Selon elle, la SPR aurait dû vérifier non seulement l’authenticité, mais également la traduction de l’acte.

2.5La juge a également douté de l’âge réel du conjoint de la requérante, et n’a pas retenu les explications de la requérante que la police mexicaine aurait mal lu les inscriptions sur sa carte d’électeur. La juge aurait également relevé que, selon la requérante, B. était candidat au poste de gouverneur de l’État de Mexico. Or, la requérante aurait toujours affirmé que B. était candidat au poste de gouverneur de Netzhualcoyotl. De cette manière, la SPR aurait de nouveau procédé à une appréciation arbitraire des éléments de preuve.

2.6Les requérantes présentent la copie de leur demande de contrôle judiciaire adressée à la Cour fédérale contre le rejet de la SPR à leur sujet. Elles estiment que cette demande est très brève et ne mentionne pas l’erreur de traduction citée, et que ni leur avocate de l’époque ni la juge n’ont pris le temps nécessaire pour analyser leur dossier.

2.7 Selon les requérantes, les erreurs de manque d’analyse approfondie, de traduction, etc., leur ont été fatales, alors même qu’elles ne peuvent leur être imputables vu qu’elles étaient dues aux faits de tiers. De plus, la famille B. est puissante et entretient des relations avec des politiciens puissants et corrompus au Mexique. La vie des requérantes y serait en danger.

Teneur de la plainte

3.Les requérantes affirment que leur renvoi forcé vers le Mexique constituerait une violation par le Canada de leurs droits au titre de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie

4.1L’État partie a présenté ses observations le 17 avril 2007. Il rappelle que le Comité a constamment observé qu’il ne lui appartient pas de remettre en cause l’appréciation de faits et de preuve au niveau national, sauf si celle-ci était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice, ou que les décideurs ont agi de manière partiale, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il note que la communication porte sur des faits strictement identiques à ceux examinés par les autorités canadiennes, qui ont conclu que les requérantes n’étaient pas crédibles.

4.2 L’État partie fournit une description détaillée des procédures d’asile au Canada. Les requérantes sont arrivées au Canada le 26 novembre 2003, en tant que visiteuses. Le 22 décembre 2003, la requérante a informé le Bureau de la citoyenneté et Immigration Canada (CIC) qu’elle souhaitait faire une demande d’asile en leur nom. Le 9 janvier 2004, sa demande a été déférée à la Section de la protection des réfugiés SPR/CISR. L’audience devant la SPR a eu lieu le 26 octobre 2004, en présence de l’avocat des requérantes. Leur demande a été rejetée le 6 janvier 2005. Le tribunal a conclu que les requérantes n’étaient ni des réfugiées ni des personnes à protéger, vu le manque général de crédibilité de leur demande, et parce qu’elles n’ont pas établi clairement qu’il y avait un risque sérieux pour leur vie, des risques de torture ou de traitement cruel, ou une possibilité raisonnable de persécution au Mexique.

4.3Selon le tribunal, les réponses de la requérante «étaient confuses», et des différences considérables existaient entre les faits allégués dans certains documents soumis au tribunal et son témoignage. Les explications fournies n’ont pas permis d’éclaircir certains éléments contradictoires.

4.4Le tribunal a noté que selon la requérante et les journaux, le décès de son conjoint a eu lieu à Chilpancigo (État de Guerrero), mais la traduction de l’acte de décès fournie indiquait Chimalhuacan (État de Mexico, et lieu de résidence allégué du conjoint). En réponse, la requérante a affirmé qu’elle avait identifié le corps à Chilpancigo. Après l’audience, elle a envoyé au tribunal un document concernant le transfert du défunt, mais ceci n’a pas expliqué pourquoi l’acte de décès indiquait Chimalhuacan comme lieu de décès.

4.5 De plus, la requérante avait indiqué dans son FPR qu’elle résidait à Mexico depuis janvier 2002, alors que, selon les journaux, son mari habitait à Chimalhuacan. Confrontée à ce fait à l’audience, elle a répondu qu’elle avait fait une erreur. Le tribunal a relevé que ce genre de rectifications et erreurs nuisent à la crédibilité de la requérante.

4.6 Selon les articles de presse, le conjoint de la requérante aurait été victime d’une bande de criminels prétendant être de la police judiciaire, qui lui auraient tout volé à l’exception des papiers d’identité. La requérante a expliqué qu’il s’agissait d’un complot pour cacher le rôle joué par la police. Le tribunal a retenu la version des journaux et non celle de la requérante, vu son manque général de crédibilité. Le tribunal s’est demandé pourquoi les persécuteurs présumés avaient attendu trois mois pour réclamer une enveloppe aussi importante, et pourquoi, une fois que les requérantes ont déménagé en février 2003, la fille a continué à fréquenter la même école. Une «telle imprudence de la part d’une mère n’est pas», selon le tribunal, «compatible avec [le comportement] d’un individu qui craint réellement pour la sécurité de sa famille».

4.7La requérante aurait décidé de fuir déjà en août 2003, mais ne l’a fait que trois mois plus tard. Le tribunal a conclu que ce délai était trop important, surtout si des menaces de mort pèsent contre un individu et sa famille et que, par présomption, un individu dans cette situation part à la première occasion.

4.8Les requérantes ont saisi la Cour fédérale avec une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la SPR; la demande a été rejetée le 10 mai 2005.

4.9Elles ont soumis ensuite une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) le 15 juin 2006, invoquant les mêmes risques que ceux soumis à la SPR. Elles ont plaidé que même si elles s’installaient dans une autre localité du Mexique, elles y seraient retrouvées. Elles ont ajouté que le fait d’avoir présenté une demande d’asile au Canada les placerait dans une situation encore plus dangereuse au Mexique.

4.10L’agent ERAR a conclu que la situation au Mexique était similaire à celle prévalant au moment du rejet de la demande par la SPR. Après avoir étudié le dossier d’asile, les autres preuves, et les informations sur la situation actuelle au Mexique, l’agent a conclu, le 14 août 2006, qu’il n’existe pas de motifs sérieux de croire que les requérantes y risqueraient la torture ou que leur vie y serait menacée.

4.11L’agent ERAR a noté que le reste de la famille des requérantes continue de vivre au Mexique, alors même qu’il soit raisonnable de présumer que leurs persécuteurs auraient intérêt à s’en prendre à leurs proches vu la supposée teneur de la lettre compromettante.

4.12Risquant le retour forcé au Mexique, les requérantes ont introduit une demande de sursis à leur renvoi, le 3 octobre 2006, jusqu’à ce qu’une décision soit rendue par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) sur leur demande en raison de considérations humanitaires. L’ASFC a refusé d’accorder le sursis le 5 octobre 2006 et a rejeté la demande pour des considérations humanitaires le 6 décembre 2006. L’État partie explique que vu que les requérantes avaient invoqué des risques pour leur vie et leur sécurité au Mexique, c’est un agent d’immigration spécialement formé pour examiner les risques de retour, un agent ERAR, qui a évalué leur demande.

4.13L’État partie observe que les requérantes avaient saisi l’ASFC avec les mêmes risques que ceux invoqués dans leur demande d’asile et ERAR. La requérante a ajouté qu’elle se trouverait dans une situation précaire en tant que mère monoparentale au Mexique, ce qui l’empêcherait de présenter une demande de résidence permanente (au Canada). L’ASFC a constaté que les requérantes ont de la famille proche au Mexique, et qu’en ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, la fille de la requérante, au Canada depuis trois ans, n’avait pas tissé des liens avec les gens locaux d’une nature telle que d’être séparée de ces derniers causerait des difficultés injustifiées ou excessives. À défaut d’indication contraire, le bien-être d’un enfant est de vivre avec ses parents.

4.14L’ASFC a tenu compte de l’ensemble des risques allégués par la requérante ainsi que la situation au Mexique. Elle a examiné la traduction de l’acte de décès présentée qui indique Chilpancingo comme lieu de décès, contrairement à la traduction fournie à la SPR, mais a estimé être dans l’impossibilité de lui accorder une grande force probante. L’ASFC a noté qu’en tout état de cause, même si le certificat était retenu, son contenu ne démontrait pas que l’assassinat était le fait de la police. L’ASFC n’a pas pu accorder une dispense de cette exigence pour des motifs humanitaires.

4.15L’État partie affirme ensuite, en référence à la jurisprudence du Comité où ce dernier a reconnu l’utilité des demandes d’autorisation d’introduire un contrôle judiciaire assorties d’une demande de sursis, que les requérantes n’ont pas épuisé les voies de recours internes et utiles. Elles auraient pu demander à la Cour fédérale l’autorisation d’introduire un contrôle judiciaire de la décision rendue sur leur demande ERAR, et demander le sursis de la mesure d’expulsion jusqu’à ce qu’une décision soit rendue. Elles auraient pu faire la même demande d’autorisation, assortie elle aussi d’une demande de sursis, en ce qui a trait à la décision prise par l’ASFC de refuser d’accorder un sursis administratifde la mesure de renvoi pendant l’examen de la demande sur considérations d’ordre humanitaire. Enfin, elles auraient pu demander l’autorisation d’introduire un contrôle judiciaire du rejet de l’ASFC de leur demande pour considérations humanitaires. Ces recours n’étant pas épuisés, la communication est donc irrecevable.

4.16Selon l’État partie, la communication est également irrecevable comme étant manifestement dénuée de fondement. Les requérantes n’ont pas présenté de preuves susceptibles de corroborer leurs allégations qu’elles risquaient la torture au Mexique. Tous les décideurs canadiens ont conclu au manque général de crédibilité des requérantes. En ce qui concerne la décision de la SPR, l’État partie rappelle que la Cour fédérale n’a pas jugé nécessaire d’intervenir et a refusé l’autorisation de faire contrôler judiciairement cette décision.

4.17L’État partie note que dans le cadre de la présente requête, les requérantes ont affirmé qu’elles avaient été victimes d’erreurs commises par les avocats dont elles ont retenu les services. L’État partie rappelle que le Comité a énoncé que «les erreurs qu’aurait faites un avocat dont [l’auteur] s’est attaché les services à titre privé ne peuvent normalement être attribuées à l’État partie». Selon l’État partie, la communication ne contient pas d’éléments expliquant les incohérences et contradictions relevées par les décideurs canadiens.

4.18L’État partie observe qu’en examinant le cas des requérantes, les autorités canadiennes ont consulté de nombreux documents sur la situation générale au Mexique, y compris les observations du Comité adoptées au terme de l’examen du dernier rapport périodique du Mexique. Il en ressort que la torture demeure un problème au sein du système pénal mexicain.

4.19De l’avis de l’État partie, le fait que les requérantes n’ont pas démontré l’existence prima facie de motifs sérieux de croire qu’elles courent personnellement un risque prévisible et réel de torture, rend leur requête irrecevable. Elles n’ont pas pu établir que les individus qui les rechercheraient sont en effet des agents de la fonction publique, agiraient à titre officiel, ou à l’instigation ou avec le consentement exprès ou tacite des autorités mexicaines, une condition essentielle pour conclure au risque de torture.

4.20L’État partie conclut que les requérantes n’ont pas établi de violation prima facie de l’article 3 de la Convention, et que la communication devrait être déclarée irrecevable. À titre subsidiaire, l’État partie soutient que cette dernière est dénuée de fondement.

Commentaires des requérantes

5.1Les requérantes ont présenté des commentaires sur les observations de l’État partie le 17 juin 2007. Elles réitèrent leurs allégations précédentes, et ajoutent, au sujet de la compétence du Comité pour évaluer des faits et des preuves, que dans leur cas, les instances canadiennes ont apprécié d’une façon manifestement arbitraire les éléments de preuve présentés, ce qui a résulté en un déni de justice.

5.2En ce qui concerne l’observation de l’État partie au sujet de leurs affirmations d’avoir été victimes d’erreurs commises par des avocats (et interprètes) dont elles avaient retenu les services, les requérantes notent qu’elles se sont également plaintes d’erreurs commises par les décideurs canadiens. En particulier, la juge de la SPR avait décidé que le lieu du décès du partenaire de la requérante, selon les journaux et ses dires, était différent de celui figurant sur l’acte de décès.

5.3La requérante affirme qu’elle a bien épuisé tous les recours utiles existants: elle a demandé l’asile avec sa fille, sa demande a été rejetée. Elle a demandé le contrôle judiciaire de ce rejet auprès de la Cour fédérale; elle a présenté une demande ERAR, et a introduit un cas pour des considérations humanitaires. Elle a déposé des demandes de sursis administratif pour arrêter leur expulsion. Toutes ces demandes étant rejetées, il n’existe pas, selon elle, d’autres recours disponibles.

5.4En ce qui est de l’absence de fondement de la communication et l’existence d’un risque personnel de persécution, la requérante indique que la preuve clef dans son cas – l’acte de décès de son conjoint – a été appréciée de façon arbitraire et injuste. Or, cette preuve démontre clairement qu’il existe un risque personnel et direct pour elle et sa fille au Mexique.

5.5Les requérantes réitèrent que ces erreurs de manque d’analyse approfondie ont eu un impact négatif, et ont rendu possible leur retour vers un endroit où elles pourraient subir des tortures, la disparition, voire la mort.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, conformément à l’alinéa a du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité doit s’assurer que les requérantes ont épuisé tous les recours internes disponibles, cette règle ne s’appliquant pas lorsque les procédures de recours ont excédé des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elles donneraient satisfaction à la victime.

6.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la requête pour non-épuisement des recours internes. Les requérantes ont répondu qu’elles avaient épuisé tous les recours internes utiles: elles avaient déposé une demande d’asile, et à la suite du rejet de leur demande,elles ont introduit une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, qui l’a rejetée. Elles ont par la suite présenté une demande au titre de l’ERAR, et ont introduit une demande de résidence pour des raisons humanitaires, qui ont été également rejetées. En outre, elles ont demandé un sursis pour empêcher leur renvoi.

6.4En premier lieu, en ce qui concerne le rejet de la demande des requérantes en reconsidération de leur situation pour des considérations d’ordre humanitaire, le Comité rappelle que lors de sa vingt-cinquième session, dans ses observations finales sur le rapport de l’État partie, il a examiné la question de la demande de «dispense ministérielle pour raisons d’ordre humanitaire». Il s’était dit alors particulièrement préoccupé par le manque d’indépendance dont feraient preuve les fonctionnaires chargés d’examiner ce «recours», ainsi que par le fait qu’une personne puisse être expulsée alors que ledit recours est en cours d’examen. Il avait conclu que cela pouvait amoindrir l’efficacité de la protection des droits énoncés au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. Le Comité avait noté que bien que le droit de bénéficier d’une assistance humanitaire puisse fonder un recours prévu par la loi, cette assistance est accordée par un ministre sur la base de critères purement humanitaires, et non sur une base légale, et constitue ainsi plutôt une faveur. Le Comité avait également observé que lorsqu’une demande de contrôle juridictionnel était acceptée, la Cour fédérale renvoie le dossier à l’instance qui a pris la décision initiale ou à une autre instance compétente, de sorte qu’elle ne procède pas elle-même au réexamen de l’affaire et ne rend pas de décision. La décision relève plutôt du pouvoir discrétionnaire d’un ministre et donc du pouvoir exécutif. Le Comité avait ajouté que si le recours fondé sur des raisons humanitaires n’était pas de ceux qui doivent avoir été épuisés pour satisfaire à la règle de l’épuisement des recours internes, alors la question du recours contre une telle décision ne se pose pas.

6.5En outre, le Comité rappelle sa jurisprudenceselon laquelle, conformément au principe de l’épuisement des recours internes, le requérant est tenu d’engager des recours qui soient directement en rapport avec le risque d’être soumis à la torture dans le pays où il serait envoyé et non pas des recours qui pourraient lui permettre de rester dans le pays où il se trouve.

6.6En second lieu, le Comité note que les requérantes n’ont présenté aucune explication sur les raisons pour lesquelles elles n’ont pas estimé nécessaire de saisir la Cour fédérale d’une demande d’autorisation d’un contrôle judiciaire de la décision négative prise contre elles dans le cadre de l’ERAR. Il rappelle qu’il a déjà considéré que ce type de recours ne constitue pas une simple formalité et que la Cour fédérale peut, le cas échéant, examiner le fond de l’affaire. Dans le cas présent, les requérantes n’ont en effet pas contesté l’utilité du recours en question, et n’ont pas affirmé que l’épuisement de ce dernier résulterait dans un délai déraisonnable. Le Comité note aussi qu’alors même que les requérantes considèrent que la version correcte de l’acte de décès du conjoint de la requérante constituait un élément de preuve «crucial» dans leur cas, elles ne l’ont toutefois pas portée à l’attention des autorités judiciaires. Dans ces circonstances, le Comité considère que les conditions de l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22 ne sont pas remplies en l’espèce et que la requête est dès lors irrecevable.

6.7En conséquence, le Comité contre la torture décide:

a)Que la communication est irrecevable;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux requérantes.

[Adopté en anglais, en espagnol, en français (version originale) et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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