CERD

Convention internationale

sur l’élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.RESTREINTE*

CERD/C/66/D/31/200310 mars 2005

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LADISCRIMINATION RACIALE

Soixante‑sixième session21 février‑11 mars 2005

OPINION

Communication n o  31/2003

Présentée par:Mme L. R. et consorts (représentés par le Centre européen pour les droits des Roms et la League of Human Rights Advocates)

Au nom de:La requérante

État partie:République slovaque

Date de la communication:5 août 2003

Date de la présente décision:7 mars 2005

[Annexe]

ANNEXE

OPINION ADOPTÉE PAR LE COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EN APPLICATION DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION DE

TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE

− Soixante ‑sixième session −

concernant la

Communication n o 31/2003

Présentée par:Mme L. R. et consorts (représentés par le Centre européen pour les droits des Roms et la League of Human Rights Advocates)

Au nom de:La requérante

État partie:République slovaque

Date de la communication:5 août 2003

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, créé en application de l’article 8 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Réuni le 7 mars 2005,

Adopte ce qui suit:

Opinion

1.Les requérants sont Mme L. R.et 26 autres citoyens slovaques de souche rom résidant à Dobšiná (République slovaque). Ils affirment être victimes d’une violation par la République slovaque des alinéas a, c et d du paragraphe 1 de l’article 2, du paragraphe a) de l’article 4, de l’alinéa iii du paragraphe e) de l’article 5 et de l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Ils sont représentés par un conseil, agissant pour le Centre européen pour les droits des Roms, Budapest (Hongrie) et la League of Human Rights Advocates, Bratislava (République slovaque).

Rappel des faits tels qu’ils ont été exposés

2.1Le 20 mars 2002, les conseillers de la municipalité de Dobšiná ont adopté la résolution no 251‑20/III‑2002‑MsZ, par laquelle ils ont approuvé ce que les requérants décrivent comme un plan pour la construction de logements bon marché pour les habitants roms de la ville. Environ 1 800 Roms vivent dans la localité dans des conditions qualifiées d’«épouvantables», la plupart des habitations consistant en des huttes couvertes de chaume ou des maisons en carton, sans eau potable ni toilettes ni système d’évacuation des eaux usées. Les conseillers ont demandé au maire d’élaborer un projet en vue d’obtenir les ressources nécessaires auprès d’un fonds public mis spécialement en place pour répondre aux problèmes de logement rencontrés par les Roms dans l’État partie.

2.2Certains habitants de Dobšiná et de villages voisins ont alors créé, sous l’égide du Président de la section de Dobšiná du Vrai parti national slovaque, un comité qui a fait circuler la pétition suivante:

«Je ne suis pas d’accord avec le projet visant à construire des maisons bon marché pour les personnes d’origine tzigane sur le territoire de Dobšiná dans la mesure où cela conduirait à un afflux des villages voisins et même d’autres districts et régions de citoyens d’origine tzigane impossibles à intégrer.».

La pétition a été signée par quelque 2 700 habitants de Dobšiná et déposée auprès du conseil municipal le 30 juillet 2002. Le 5 août 2002, le conseil a examiné la pétition et voté à l’unanimité, «après avoir examiné les éléments de fait», l’annulation de la résolution précédente au moyen d’une seconde résolution qui mentionnait expressément la pétition.

2.3Le 16 septembre 2002, conformément à la législation applicable en la matière, le conseil des requérants a demandé au Procureur du district de Rožňava d’ouvrir une enquête sur la pétition discriminatoire, de poursuivre ses auteurs et d’annuler la seconde résolution de la municipalité au motif qu’elle était fondée sur une pétition discriminatoire. Le 7 novembre 2002, le Procureur de district a rejeté la demande invoquant une absence de compétence en la matière: «… la résolution en question a été adoptée par le conseil de la ville de Dobšiná dans l’exercice de ses pouvoirs autonomes; elle ne constitue pas un acte administratif émanant d’une administration publique et le Procureur n’est donc pas compétent pour contrôler la légalité de cet acte ou pour prendre des mesures de supervision en matière non pénale [sic].».

2.4Le 18 septembre 2002, le conseil des requérants a demandé à la Cour constitutionnelle de dire si les articles 12 et 33 de la Constitution, la loi sur le droit de pétition et la Convention‑cadre pour la protection des minorités nationales (Conseil de l’Europe) ont été violés, d’annuler la seconde résolution du conseil municipal et de contrôler la légalité de la pétition. Des informations complémentaires ont été fournies à deux reprises à la demande de la Cour. Le 5 février 2003, la Cour, siégeant à huis clos, a estimé que les requérants n’avaient apporté aucune preuve attestant qu’un droit fondamental avait été violé par la pétition ou par la seconde résolution du conseil municipal. Elle a jugé que ni la pétition ni la seconde résolution ne constituant des actes juridiques, elles étaient légitimes au regard du droit interne. Elle a également estimé que les citoyens avaient le droit de formuler des pétitions quel qu’en soit le contenu.

Teneur de la plainte

3.1Les requérants affirment que l’État partie a violé l’alinéa a du paragraphe 1 de l’article 2 en ne faisant pas en sorte que «toutes les autorités publiques et institutions publiques nationales et locales se conforment à cette obligation» [de ne se livrer à aucun acte ou pratique de discrimination raciale]. Se fondant sur la jurisprudence du Comité, ils font valoir qu’un conseil municipal est une autorité publique locale et que le conseil municipal de Dobšiná s’est livré à un acte de discrimination raciale en approuvant à l’unanimité la pétition et en annulant sa précédente résolution tendant à construire des logements bon marché mais décents pour la population rom locale.

3.2Les requérants affirment qu’il y a eu violation de l’alinéa c du paragraphe 1 de l’article 2 dans la mesure où l’État partie n’a pas «annulé toute loi ou règlement ayant pour effet d’instaurer la discrimination raciale ou de la perpétuer». Ni le Procureur de district ni la Cour constitutionnelle n’ont pris de mesure pour annuler la seconde résolution du conseil qui était fondée elle‑même sur une pétition discriminatoire. Les requérants font valoir également qu’il y a eu violation de l’alinéa d du paragraphe 1 de l’article 2 ainsi que du paragraphe a) de l’article 4 puisque l’État partie n’a pas pris de mesure pour «interdire la discrimination raciale pratiquée par des personnes, des groupes ou des organisations, et pour y mettre fin», s’étant abstenu d’enquêter sérieusement sur les faits de la cause et de poursuivre les auteurs de la pétition. Ils affirment que le libellé de la pétition peut être considéré comme «une incitation à la discrimination raciale» et se réfèrent à la décision du Comité dans l’affaire L. K. c. Pays ‑Bas dans laquelle il a été jugé que l’État partie n’avait pas suffisamment enquêté sur une pétition et des menaces verbales destinées à empêcher un immigrant de s’installer dans un logement subventionné.

3.3Les requérants affirment que l’alinéa iii du paragraphe e) de l’article 5 a été violé dans la mesure où l’État partie n’a pas sauvegardé le droit des requérants à un logement adéquat. Aux yeux des requérants, les conditions locales, décrites ci‑dessus, sont bien en deçà de ce qui est requis en matière de logement et des conditions de vie dans l’État partie, et auraient été améliorées par le maintien de la décision initiale du Conseil qui avait été annulée, sans possibilité de recours, à la suite d’une pétition discriminatoire.

3.4Enfin, les requérants estiment qu’il y a eu violation de l’article 6 dans la mesure où l’État partie ne leur a pas assuré une voie de recours effective contre des actes de discrimination commis à leur encontre à la fois par les auteurs de la pétition et par la seconde résolution du conseil, qui était motivée par cette discrimination et fondée sur elle. Ils font valoir qu’aucune mesure n’a été prise pour i) annuler la seconde résolution, ii) punir les auteurs de la pétition ou iii) faire en sorte qu’une telle discrimination ne se reproduise pas.

3.5Pour ce qui est de la recevabilité de la requête, les requérants déclarent que la décision de la Cour constitutionnelle est sans appel et qu’aucune autre procédure internationale d’enquête ou de règlement n’a été engagée.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la requête

4.1Dans ses observations du 26 novembre 2003, l’État partie conteste la recevabilité de la requête au motif que les requérants n’ont pas épuisé les recours internes. Tout d’abord, il fait valoir qu’ils ne se sont pas prévalus de la possibilité de contester la décision du Procureur de district, comme le permet l’article 34 de la loi sur les poursuites.

4.2Deuxièmement, pour ce qui est du recours constitutionnel, l’État partie affirme que, bien que la Cour constitutionnelle les y ait exhortés, les requérants n’ont pas «précisé [en ce qui concerne la seconde résolution du conseil municipal] quelle liberté fondamentale ou droit fondamental garanti par la Constitution, d’autres lois ou d’autres instruments internationaux par lesquels la République slovaque est liée aurait été violé». En conséquence, la Cour a statué que:

«Les dispositions des paragraphes 1 et 4 de l’article 12, des paragraphes 1 et 4 de l’article 13 et de l’article 35 de la Constitution interdisent, en termes généraux, la discrimination à l’égard des personnes physiques ou morales; toutefois, elles ne peuvent être invoquées sans que soient explicitement indiqués les effets d’une procédure discriminatoire appliquée par une autorité publique ou un organe administratif de l’État sur un droit fondamental ou une liberté fondamentale d’une personne physique ou morale. Un raisonnement analogue peut être suivi en ce qui concerne l’article 33 de la Constitution qui vise à prévenir tout préjudice (discrimination ou persécution) qui serait la conséquence directe de l’appartenance à une minorité nationale ou à un groupe ethnique … Aucun des droits des citoyens appartenant à une minorité et jouissant d’une protection constitutionnelle n’implique pour une municipalité une obligation correspondante d’adopter certaines décisions, c’est‑à‑dire des décisions sur des questions précises, telles que la construction de logements bon marché.».

4.3De l’avis de l’État partie, en rejetant la plainte «comme manifestement infondée sur le plan de la procédure», la Cour ne s’est pas prononcée sur le fond en raison d’un vice de forme imputable aux requérants. Il appartient donc à ces derniers d’adresser une nouvelle plainte «sur le fond» à la Cour constitutionnelle. Enfin, l’État partie affirme que les requérants n’ont pas invoqué une violation de la Convention devant la Cour bien que les instruments internationaux soient directement applicables et que la Cour puisse accorder une réparation en cas de violation de ces instruments.

Commentaires des requérants

5.1Dans leurs commentaires du 12 janvier 2004, les requérants ont répondu aux observations de l’État partie. Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle ils n’ont pas déposé de requête aux fins du contrôle de légalité de la décision du Procureur de district, ils affirment que ce dernier était la seule autorité habilitée à engager des poursuites pénales. Sa décision ne donnait aucune indication quant à la possibilité d’introduire un nouveau recours. Qui plus est, rien ne garantit qu’un procureur d’un niveau supérieur aurait eu une autre position que celle du Procureur de district qui avait estimé que le conseil d’une ville ou d’une municipalité n’était pas un «organe de l’administration publique» dont les décisions pouvaient faire l’objet d’un contrôle de légalité. Cette position a été adoptée bien que le Comité ait rejeté un tel argument dans l’affaire Koptova. En l’absence de tout revirement dans une jurisprudence interne «fermement établie» en la matière et en l’absence de faits nouveaux, les requérants estiment que l’État partie n’a pas démontré qu’un procureur d’un rang plus élevé adopterait une position différente si la plainte était déposée à nouveau. Le Comité était arrivé à la même conclusion dans les affaires Koptova et Lacko c. Slovaquie sur la question de l’épuisement du recours proposé.

5.2Pour ce qui est de l’argument selon lequel une nouvelle requête devrait être déposée auprès de la Cour constitutionnelle, les requérants signalent que, dans le jugement, la décision est qualifiée de définitive et que dans l’affaire Koptova, le Comité avait d’ailleurs rejeté un tel argument. En conséquence, comme il y a peu de chances que de nouvelles requêtes adressées à l’un ou l’autre des deux organes aboutissent, les requérants estiment qu’ils ont épuisé tous les recours internes utiles. Ils ajoutent que les arguments de l’État partie devraient être envisagés dans le contexte de l’absence d’une loi générale contre la discrimination; les seuls comportements actuellement interdits sont l’incitation à la haine, la violence à motivation raciale et la discrimination dans le domaine de l’emploi.

5.3Aux arguments selon lesquels les conseils municipaux ne sont pas des organes de l’État, les requérants répondent en se référant à la Recommandation générale XV du Comité concernant l’article 4 de la Convention qui dit le contraire. La loi de 1990 sur le système slovaque des municipalités établit un «lien direct» entre les municipalités et l’État, dans la mesure où ces dernières sont subordonnées aux pouvoirs publics sur le plan du financement, du fonctionnement et de l’organisation. Enfin, dans son opinion sur l’affaire Koptova, le Comité a jugé que les municipalités étaient des autorités publiques aux fins de la Convention. En conséquence, les requérants font valoir que la légalité de la résolution du conseil aurait dû être contrôlée par le Procureur de district et que la responsabilité internationale de l’État partie est engagée.

5.4Les requérants contestent l’argument de l’État partie selon lequel ils n’ont pas précisé dans la requête qu’ils ont introduite auprès de la Cour constitutionnelle les droits et les libertés fondamentaux qui, selon eux, avaient été violés. Ils affirment qu’ils l’avaient fait à la fois dans la plainte initiale et dans leurs mémoires ultérieurs. Ils s’étaient plaints i) de violations du droit à l’égalité de traitement et à la dignité quelle que soit l’origine ethnique (art. 12), ii) de violation de leur droit de ne pas subir de préjudice en tant que membres d’un groupe ethnique ou d’une minorité nationale, (art. 33), iii) de violations de leur droit au logement fondées sur l’origine ethnique et iv) de discrimination à l’égard d’un groupe ethnique, les Roms. Ils signalent qu’ils continuent de vivre dans des conditions «épouvantables» qui sont loin de répondre aux normes. Ils affirment que les articles 12 et 33 de la Constitution ne sont pas de simples dispositions accessoires qui, prises séparément, n’ont aucune substance, mais qu’elles confèrent au contraire des droits substantiels. Ils font également observer que, même si la Constitution slovaque ne protège pas le droit au logement, elle accorde la primauté à des instruments internationaux tels que, outre la Convention, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui protège le droit au logement et interdit la discrimination. Les requérants se sont également expressément référés dans leur requête à la Convention‑cadre du Conseil de l’Europe. En tout état de cause, ils affirment qu’ils se sont acquittés de l’obligation qui leur incombe en vertu de la jurisprudence applicable en la matière, en soulevant des questions de fond.

5.5Les requérants font également valoir que la discrimination raciale dont ils ont été victimes représente un traitement dégradant, interdit par l’article 12 de la Constitution. Ils se réfèrent à la jurisprudence de la Commission européenne des droits de l’homme dans l’affaire des Asiatiques de l’Afrique de l’Est, selon laquelle le refus de l’accès à des immigrants du fait de la couleur de leur peau et de leur race constituait une violation de l’article 3 de la Convention européenne et une atteinte à la dignité humaine. Ils affirment en outre que, selon des principes bien établis, si un État partie décide d’octroyer un avantage particulier (qu’il n’était pas nécessairement tenu d’octroyer au départ), cet avantage ne peut être conféré de manière discriminatoire. Ainsi, même si les requérants ne jouissaient pas dès le départ d’un droit au logement (ce qu’ils contestent), ce droit ne peut être annulé, pour des motifs discriminatoires, après leur avoir été reconnu.

5.6Enfin, les requérants contestent toute conclusion selon laquelle ils ne seraient pas «des victimes» au motif que la Cour constitutionnelle a estimé qu’aucune violation de la Constitution slovaque n’avait été commise. Ils font valoir qu’ils font partie d’un groupe particulier de personnes auquel certains droits ont été octroyés puis retirés. En effet, dès lors qu’ils sont «directement lésés par les résolutions», pour utiliser les termes employés par le Comité dans son avis dans l’affaire Koptova, ils peuvent être considérés comme «des victimes». En outre, étant donné que la plainte déposée auprès du Procureur du district n’a pas débouché sur un examen quant au fond de la légalité de la résolution du conseil municipal de Dobšiná ou sur une enquête pénale sur l’incitation à la discrimination raciale, ils estiment qu’ils ont été privés de recours. Les requérants se réfèrent à cet égard aux observations finales que le Comité a adoptées à l’issue de l’examen du rapport périodique de l’État partie, au sujet de la discrimination dans l’accès au logement.

Décision du Comité concernant la recevabilité de la requête

6.1À sa soixante‑quatrième session, le 27 février 2004, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la requête. Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les requérants n’ont pas soumis de nouveau leur plainte à un autre procureur après qu’elle eut été rejetée par le Procureur de district, le Comité a noté que le Procureur de district avait rejeté la plainte pour incompétence pour statuer sur un acte émanant du conseil municipal. De l’avis du Comité, en ce qui concerne la décision d’incompétence, l’État partie n’avait pas démontré en quoi le fait de présenter de nouveau la plainte offrirait un recours utile s’agissant de la violation alléguée de la Convention. Par conséquent, une telle démarche n’était pas nécessaire pour l’épuisement des recours internes. À cet égard le Comité rappelle sa propre jurisprudence, ainsi que celle du Comité des droits de l’homme.

6.2Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle les requérants devraient soumettre à nouveau leur plainte à la Cour constitutionnelle, le Comité a rappelé que, selon sa jurisprudence, dès lors que la Cour a rejeté une requête constitutionnelle dûment argumentée dénonçant une discrimination raciale parce que les requérants n’avaient pas prouvé l’existence à première vue d’une violation des droits en question, il ne saurait être exigé d’un requérant qu’il présente à nouveau sa requête à la Cour. En l’espèce, le Comité a noté que les requérants avaient aussi invoqué plusieurs droits constitutionnels qui auraient été violés, notamment les droits à l’égalité et à la non‑discrimination. Dans ces circonstances, l’État partie n’avait pas démontré en quoi le fait de soumettre à nouveau la requête à la Cour constitutionnelle après qu’elle l’eut rejetée permettrait d’aboutir à un résultat différent. Il s’ensuivait que les requérants avaient épuisé les recours utiles et disponibles auprès de la Cour constitutionnelle.

6.3Par ailleurs le Comité a rappelé sa jurisprudence selon laquelle les actes d’un conseil municipal, y compris l’adoption de résolutions publiques à caractère juridique comme celle qui était adoptée en l’espèce, étaient des actes émanant d’autorités publiques au sens des dispositions de la Convention. Il s’ensuivait qu’ayant été directement et personnellement affectés par l’adoption de la résolution, ainsi que par son annulation ultérieure après la présentation de la pétition, les requérants pouvaient revendiquer à juste titre le statut de «victimes» pour la présentation de leur requête au Comité.

6.4Le Comité a considéré aussi que les allégations dont faisaient état les requérants étaient suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. En l’absence de tout autre obstacle à cet égard, il a donc déclaré la plainte recevable.

Demande de l’État partie visant au réexamen de la recevabilité et de ses observations sur le fond

7.1Dans une lettre du 4 juin 2004, l’État partie a présenté une demande de réexamen de la recevabilité et des observations qu’il avait présentées sur le fond de la requête. Il a fait valoir que les requérants n’avaient pas épuisé les recours internes, puisqu’ils auraient pu se prévaloir d’un recours utile en présentant une requête conformément à l’article 27 de la Constitution et à la loi sur le droit de pétition, pour attaquer la seconde résolution du conseil municipal et/ou la pétition présentée contre la résolution initiale. La présentation d’une telle requête aurait obligé la municipalité à accepter la plainte en révision et à examiner la situation sur le plan des faits. Cette voie de recours n’est soumise à aucun délai et elle est toujours ouverte aux requérants.

7.2L’État partie fait valoir que le fait que les requérants n’ont pas obtenu satisfaction auprès des autorités de poursuite et des tribunaux ne peut, à lui seul, représenter un déni de recours utile. Il rappelle la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Lacko et consorts c. République slovaqueselon laquelle un recours, au sens de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, «ne signifie pas un recours qui aboutira nécessairement, mais simplement un recours accessible devant une autorité compétente pour examiner le bien‑fondé d’une plainte». Ce sont les requérants qui devraient être tenus pour responsables de l’échec de leur plainte devant la Cour constitutionnelle, parce qu’ils n’ont pas spécifié le droit fondamental dont ils alléguaient la violation par la résolution du conseil municipal, mais se sont bornés à invoquer la disposition générale relative à l’égalité figurant à l’article 12 de la Constitution.

7.3L’État partie rejette l’avis exprimé par le Comité selon lequel il suffisait aux requérants d’invoquer certains articles pertinents de la Constitution, sans faire valoir un dommage concret comme l’exige en règle générale la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et comme la Cour l’a expressément demandé aux requérants en l’espèce. L’État partie considère que l’obligation de caractériser l’atteinte, c’est-à-dire d’invoquer la violation d’une garantie générale relative à l’égalité ou à la non‑discrimination en liaison avec un droit précis est pleinement compatible avec l’esprit de la Convention.

7.4Concernant les recours effectivement utilisés par les requérants, l’État partie fait valoir que la requête qu’ils ont adressée le 16 septembre 2002 au Procureur du district de Rožňava se bornait à affirmer que la pétition adressée au conseil municipal constituait un abus du droit de présenter une pétition aux termes de la loi sur le droit de pétition, selon laquelle une pétition ne peut ni inciter à une violation de la Constitution ni dénier ou restreindre les droits individuels, politiques ou autres d’une personne en raison de sa nationalité, de son sexe, de sa race, de son origine, de ses opinions politiques ou autres, de ses croyances religieuses ou de son statut social, et ne doit pas être une incitation à la haine et à l’intolérance pour les motifs indiqués plus haut, ni à la violence ou à un outrage aux bonnes mœurs. Les requérants n’ont pas exposé en quoi les circonstances concrètes ont constitué un abus du droit de pétition, ni mentionné la question de la discrimination raciale, de l’appartenance au groupe ethnique rom ni d’autres circonstances mettant en jeu la Convention.

7.5Dans leur plainte à la Cour constitutionnelle, les requérants ont demandé une décision selon laquelle la résolution du conseil municipal portait atteinte au «droit fondamental des requérants ce que leurs droits fondamentaux et libertés fondamentales leur soient garantis sans distinction de sexe, de race, de couleur, de langue, d’origine nationale, de nationalité ou d’origine ethnique en vertu de l’article 12 de la Constitution» et au «droit fondamental du pétitionnaire de ne subir aucun préjudice en raison de son appartenance à une minorité nationale ou à un groupe ethnique garanti à l’article 33 de la Constitution». L’État partie observe que la Cour constitutionnelle a demandé notamment aux requérants de compléter leur plainte en précisant «les droits fondamentaux ou les libertés fondamentales qui ont été violés, les actes et/ou les décisions qui ont été à la source de la violation, [et] les décisions du conseil municipal qu’ils considèrent comme ayant des motivations ethniques ou raciales». Or, les requérants ont omis de spécifier les droits dont ils alléguaient la violation et la Cour constitutionnelle a donc rejeté la plainte comme étant dénuée de fondement. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie demande le réexamen de la recevabilité de la requête.

7.6Quant au fond, l’État partie fait valoir que les requérants n’ont pas démontré l’existence d’un acte de discrimination raciale au sens de la Convention. Premièrement, il avance que les requérants ont dénaturé les faits sur des points importants. Il n’est pas exact que la résolution initiale adoptée par le conseil municipal approuvait un plan de construction de logements à bon marché; en revanche, cette résolution «approuvait l’idée de construire des logements à bon marché − maisons individuelles et/ou immeubles d’habitation», sans préciser quels en seraient les futurs occupants, Roms ou autres. Il est inexact aussi d’affirmer que le conseil a ordonné au maire de la ville d’élaborer un projet pour obtenir un financement auprès d’un fonds public mis en place spécialement pour répondre aux problèmes de logement des Roms; la résolution se bornait à recommander que le maire, pour reprendre les termes de l’État partie, «envisage de préparer les descriptifs de projet et d’obtenir des subventions publiques pour financer le projet».

7.7L’État partie souligne que ces résolutions, qui sont simplement des règles d’organisation internes, ne constituent pas des ordonnances à caractère obligatoire et ne confèrent aucun droit objectif ou subjectif pouvant être invoqué devant les tribunaux ou d’autres autorités. Il s’ensuit que ni les Roms ni les autres habitants de Dobšiná ne peuvent prétendre à une violation de leur «droit à un logement convenable» ni invoquer une discrimination découlant desdites résolutions. De même, la Cour constitutionnelle a jugé que «aucun des droits des citoyens appartenant à une minorité et jouissant d’une protection constitutionnelle n’implique pour une municipalité une obligation correspondante d’adopter certaines décisions ou d’accomplir certaines activités, telles que la construction de logements à bon marché». Les résolutions des conseils municipaux, qui sont des documents de politique générale sur la question du logement dans ladite municipalité, ne mentionnent pas les Roms et les requérants en déduisent à tort un lien de causalité. Le caractère facultatif de la résolution ressort également de l’absence de tout calendrier des travaux de construction, étant donné que ceux‑ci dépendent nécessairement du financement public.

7.8L’État partie fait observer que la seconde résolution, après avoir annulé la première, donnait pour instruction au conseil municipal, selon les termes employés par l’État partie, «d’élaborer une proposition sur la question de la présence de citoyens non intégrables dans la ville de Dobšiná et de soumettre cette proposition à un débat dans les organes de la municipalité et lors d’une séance publique ouverte aux citoyens». Cela indique clairement que la résolution fait partie d’un effort permanent pour trouver une solution de principe à la présence de «citoyens non intégrables» dans la ville. Il s’ensuit que les mesures d’orientation prises par le conseil municipal pour proposer un logement aux catégories de population ayant de faibles revenus ne relèvent pas du champ d’application de la Convention. Au contraire, les activités du conseil municipal peuvent être considérées comme une tentative positive pour offrir à ce groupe de citoyens, indépendamment de l’origine ethnique, des conditions plus favorables. L’État partie relève que ces mesures prises par la municipalité dans le domaine du logement s’inscrivaient dans le cadre plus général de la résolution no 335/2001 du Gouvernement slovaque approuvant un programme de construction d’appartements municipaux à louer destinés aux locataires à faibles revenus et qu’elles doivent être interprétées dans ce contexte.

7.9L’État partie invoque la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans laquelle cette dernière a refusé de donner suite à des plaintes pour discrimination présentées par les gens du voyage parce que des permis de séjour leur étaient refusés au nom de l’intérêt général, à savoir la protection de l’environnement, les projets de construction de la municipalité et d’autres raisons analogues. L’État partie fait valoir que, en l’espèce, les habitants de la ville, résolus à améliorer l’image de leur ville ainsi que leurs biens, avaient des craintes légitimes concernant certains risques liés à un afflux massif de personnes venant habiter dans des logements à bon marché, avec les répercussions sociales négatives que cela pourrait avoir. On note qu’un certain nombre de Roms ont également signé la pétition en question.

7.10L’État partie fait valoir que les références à d’autres affaires examinées par le Comité, comme les affaires Lacko et Koptova, sont déplacées car l’affaire à l’examen est différente sur le plan des faits et du droit. En particulier, dans l’affaire Koptova, il n’y avait pas de programme politique touchant la construction de logements. L’État partie observe aussi que, le 20 mai 2004, le Parlement a adopté une nouvelle loi antidiscriminatoire énonçant les critères à respecter pour l’application du principe de l’égalité de traitement et prévoyant des recours en justice pour les cas de violation. L’État partie rejette également la référence aux arrêts de la Cour européenne dans les affaires Asiatiques d’Afrique de l’Est et Linguistique belge. Il souligne que la seconde résolution n’a pas annulé un projet existant (supprimant ainsi des avantages ou des droits existants), mais a reformulé les principes devant guider la politique du logement dans la municipalité.

7.11Au sujet de l’article 6, l’État partie reprend les arguments déjà exposés au sujet de la recevabilité de la requête, à savoir que ses tribunaux et autres instances examinent intégralement et conformément à la loi, en respectant toutes les garanties de procédure, toute plainte pour discrimination raciale. En ce qui concerne les poursuites pénales visant les auteurs de la pétition au motif qu’elle diffuse la haine raciale, l’État partie fait valoir que les requérants n’ont pas apporté la preuve que les autorités de l’État ont pris des mesures contraires à la loi ou que la pétition ou sa teneur étaient illégales. Par conséquent, aucune violation du droit à une voie de recours effective protégé par l’article 6 n’a été établie.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie

8.1En réponse à l’argument de l’État partie touchant le recours disponible sous forme de requête, les requérants font valoir que la seule obligation établie par la loi est que cette dernière soit reçue par l’autorité compétente. La Cour constitutionnelle a considéré qu’il n’existe aucune obligation d’examiner et de donner suite à la requête; selon les termes utilisés par la Cour, «ni la Constitution ni la loi sur les pétitions ne donnent de garanties concrètes quant à l’acceptation ou aux conséquences du rejet des requêtes». Il en résulte qu’un recours extraordinaire de ce type ne peut être considéré comme un recours effectif qui doit être épuisé aux fins de la recevabilité d’une communication devant le Comité.

8.2En ce qui concerne le fond, les requérants rejettent la qualification donnée par l’État partie aux résolutions du conseil municipal, qui seraient selon lui dénuées d’effet juridique, et ils font référence à la décision du Comité concernant la recevabilité dans laquelle ce dernier a décidé que les «résolutions publiques à caractère juridique comme celle … adoptée en l’espèce» constituaient des actes émanant des autorités publiques. Les requérants contestent également que des Roms aient signé la pétition contre la première résolution du conseil municipal, et indiquent que cette affirmation repose sur une déclaration figurant dans une lettre datée du 28 avril 2004, adressée au Ministère slovaque des affaires étrangères par le maire de Dobšiná, sans aucun élément de preuve à l’appui. En tout état de cause, les requérants font valoir que l’origine ethnique des signataires de la pétition n’entre pas en ligne de compte, étant donné que la teneur, l’objectif et l’effet de cette pétition sont discriminatoires. Les requérants font également valoir que l’usage répété du terme «citoyens non intégrables» par l’État partie est révélateur des préjugés des institutions à l’égard des Roms.

8.3Les requérants font valoir que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, il existe bien un lien de causalité irréfutable entre les résolutions du conseil municipal, la pétition et la discrimination dans l’accès au logement dont souffrent les requérants. Ils font valoir que la réalisation du projet de construction de logements sociaux se serait traduite pour eux par une vie plus digne et une santé mieux protégée. Toutefois, à ce jour, les autorités de l’État partie n’ont pris aucune mesure pour remédier aux difficultés de logement des requérants. Ils font valoir que leur situation s’inscrit dans un contexte plus large de discrimination dans l’accès au logement qui fait débat dans l’État partie et ils joignent, à l’appui de leur affirmation, plusieurs rapports d’organes de surveillance internationaux.

8.4Les requérants rejettent l’argument selon lequel les autorités de l’État partie n’avaient aucune obligation, en premier lieu, de fournir un logement, et invoquent les obligations énoncées à l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (droit à «un niveau de vie suffisant … y compris … un logement»). En tout état de cause, ils font valoir que le principe formulé dans l’affaire linguistique belge vaut non seulement pour le principe selon lequel, lorsqu’un État partie décide d’accorder un avantage, il doit le faire sans discrimination, mais aussi pour le principe selon lequel, ayant décidé d’appliquer une certaine mesure − en l’espèce, réaliser le programme de logement −, un État partie ne peut décider ultérieurement de ne pas l’appliquer en se fondant sur des considérations discriminatoires.

Délibérations du Comité

Réexamen de la question de la recevabilité

9.1L’État partie a demandé au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, en vertu du paragraphe 6 de l’article 94 du Règlement intérieur, de reconsidérer sa décision concernant la recevabilité. Le Comité doit par conséquent décider si la requête demeure recevable à la lumière des nouveaux renseignements communiqués par les parties.

9.2Le Comité note que, dans sa demande de réexamen, l’État partie soulève la question du recours possible constitué par une requête adressée à l’autorité municipale, en invoquant les affaires actuellement à l’examen. Le Comité observe, toutefois, qu’en vertu du droit de l’État partie les autorités municipales ont pour seule obligation de recevoir la requête, mais non de l’examiner ou de se prononcer sur la suite à lui donner. De surcroît, le Comité observe qu’il est capital, pour qu’un recours soit utile, que la procédure soit indépendante de l’autorité dont la décision est attaquée. Or, en l’espèce, la procédure consisterait à présenter de nouveau la plainte à l’organe même qui s’était initialement prononcé à son sujet, à savoir le conseil municipal. Dans ces conditions, le Comité ne peut considérer le droit de pétition (requête) comme un recours interne qui doit être épuisé aux fins du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention.

9.3Quant aux autres arguments de l’État partie, le Comité considère qu’ils reprennent d’une manière générale les arguments déjà avancés au cours de l’examen initial de la recevabilité de la communication. Le Comité a déjà résolu ces questions lors du premier examen de la communication; par conséquent, il serait déplacé que le Comité réexamine ses conclusions au stade actuel de ses délibérations.

9.4En conclusion, par conséquent, le Comité rejette la demande de l’État partie en faveur d’un réexamen de la recevabilité de la communication et procède à son examen quant au fond.

Examen quant au fond

10.1Agissant en application du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le Comité a examiné les renseignements fournis par le requérant et l’État partie.

10.2Le Comité observe, d’emblée, qu’il doit établir qu’un acte de discrimination raciale, au sens de l’article premier de la Convention, s’est produit avant de pouvoir déterminer quelles sont, le cas échéant, les obligations de fond de la Convention, à savoir prévenir de tels actes et offrir une protection et des voies de recours contre eux, qui ont été violées par l’État partie.

10.3Le Comité rappelle que, sous réserve de certaines limitations qui ne sont pas applicables en l’espèce, l’article premier de la Convention définit la discrimination raciale comme suit: «toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique».

10.4L’État partie fait valoir, premièrement, que les résolutions du conseil municipal qui sont attaquées ne font pas mention des Roms, et doivent donc être distinguées des résolutions visées, par exemple, dans l’affaire Koptova, affaire où la discrimination raciale était a priori en cause. Le Comité rappelle que la définition de la discrimination raciale donnée à l’article premier n’englobe pas seulement les mesures qui sont explicitement discriminatoires, mais aussi les mesures qui ne sont pas discriminatoires à première vue mais le sont dans les faits et dans leurs effets, c’est-à-dire des mesures qui représentent une discrimination indirecte. Pour évaluer l’existence d’une discrimination indirecte, le Comité doit prendre pleinement en compte les circonstances et le contexte particuliers entourant la requête, puisque, par définition, la discrimination indirecte ne peut être démontrée que par des preuves indirectes.

10.5En l’espèce, les circonstances ayant entouré l’adoption des deux résolutions par le conseil municipal de Dobšiná et la pétition qui a été présentée dans l’intervalle au conseil municipal après sa première résolution montrent à l’évidence que cette pétition était sous‑tendue par des considérations ethniques et qu’elle a été interprétée dans ce sens par le conseil, qui en a fait la première considération sinon la seule pour annuler sa première résolution. En conséquence, le Comité considère que les requérants ont établi l’existence d’une distinction, d’une exclusion ou d’une restriction fondée sur l’origine ethnique, et il rejette cet aspect de l’objection de l’État partie.

10.6L’État partie fait valoir, en deuxième lieu, que la résolution du conseil municipal ne conférait pas un droit direct et/ou opposable à un logement, mais constituait plutôt une étape dans un processus complexe d’élaboration d’une politique en matière de logement. Ce raisonnement implique que la seconde résolution du conseil municipal, même si elle avait des motivations ethniques, ne constituait pas une mesure «ayant pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique», au sens du paragraphe 1 de l’article premier (fin du paragraphe). Le Comité fait observer que, dans les sociétés contemporaines complexes, l’exercice concret de nombreux droits économiques, sociaux et culturels, notamment ceux qui concernent le logement, dépend tout d’abord d’une série de mesures administratives et politiques que doivent prendre les autorités compétentes de l’État partie. En l’espèce, la résolution du conseil municipal définissait clairement une politique positive de construction de logements et chargeait le maire de prendre ensuite les mesures nécessaires pour la mettre en œuvre.

10.7De l’avis du Comité, ce serait aller à l’encontre du but de la Convention et faire preuve d’un formalisme excessif que de considérer que la dernière étape de l’application concrète d’un droit ou d’une liberté doit se dérouler d’une manière non discriminatoire, tandis que les éléments préalables et nécessaires (la prise de décisions) directement liés à cette application en seraient dissociés et échapperaient à tout examen. Par conséquent, le Comité considère que les résolutions du conseil municipal, qui définissaient au départ une importante mesure d’orientation et d’application concrète visant la réalisation du droit au logement pour ensuite l’annuler et la remplacer par une mesure plus faible, si elles sont prises ensemble, ont effectivement pour effet de compromettre la reconnaissance ou l’exercice dans des conditions d’égalité du droit au logement, droit de l’homme protégé par l’article 5 c) de la Convention ainsi que par l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le Comité rejette par conséquent l’objection de l’État partie sur ce point.

10.8Ayant ainsi constaté l’existence d’un acte de discrimination raciale, le Comité rappelle sa jurisprudence, exposée au paragraphe 6.3 ci‑dessus, concernant l’examen de la recevabilité de la requête, à savoir que les actes des conseils municipaux, y compris l’adoption de résolutions publiques à caractère juridique comme c’est le cas en l’espèce, constituaient des actes émanant d’autorités publiques au sens des dispositions de la Convention. Il s’ensuit que la discrimination raciale en question est imputable à l’État partie.

10.9En conséquence, le Comité constate que l’État partie a violé l’obligation qui lui incombe, en vertu du paragraphe 1 a) de l’article 2 de la Convention, de ne se livrer à aucun acte ou pratique de discrimination raciale et de faire en sorte que toutes les autorités publiques se conforment à cette obligation. Le Comité constate aussi que l’État partie a violé son obligation de garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi dans la jouissance du droit au logement, contrevenant ainsi au paragraphe d) iii) de l’article 5 de la Convention.

10.10Quant à la plainte formulée au titre de l’article 6, le Comité observe que cette obligation exige, au minimum, que le système juridique de l’État partie offre une voie de recours dans les cas où un acte de discrimination raciale au sens de la Convention a été démontré, que ce soit devant les tribunaux nationaux ou, en l’espèce, devant le Comité. Le Comité ayant établi l’existence d’un acte de discrimination raciale, il s’ensuit nécessairement que le défaut de voies de recours effectives devant les tribunaux de l’État partie révèle une violation de l’article 6 de la Convention.

10.11Le Comité considère que les autres allégations des requérants n’ajoutent pas d’éléments de fond aux conclusions exposées ci‑dessus et n’en poursuivra donc pas l’examen.

11.Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, agissant en application du paragraphe 7 de l’article 14 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, estime que les faits dont il est saisi font apparaître des violations du paragraphe 1 a) de l’article 2, du paragraphe d) iii) de l’article 5 et de l’article 6 de la Convention.

12.Conformément à l’article 6 de la Convention, l’État partie est tenu d’assurer aux requérants une voie de recours effective. L’État partie devrait prendre en particulier des mesures pour que les requérants soient placés dans la même situation qu’après l’adoption de la première résolution du conseil municipal. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent plus.

13.Le Comité souhaite recevoir de la République slovaque, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à l’opinion du Comité. L’État partie est prié également de diffuser largement l’opinion du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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