Nations Unies

CAT/C/61/D/687/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

8 septembre 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22de la Convention, concernant la communicationno 687/2015*,**

Communication présentée par :

Z. A. H. (représenté par un conseil, Rajwinder S. Bhambi)

Au nom de :

Z. A. H.

État partie :

Canada

Date de la requête :

22 juin 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la décision :

11 août 2017

Objet :

Expulsion vers le Pakistan

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; griefs insuffisamment étayés ; incompatibilité ratione materiae

Question(s) de fond :

Non-refoulement

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est Z. A. H., un musulman sunnite de nationalité pakistanaise, né le 3 novembre 1969. Il se trouve actuellement au Canada, sous le coup d’une expulsion vers le Pakistan après le rejet de sa demande d’asile le 11 décembre 2013. Il affirme que son expulsion vers le Pakistan constituerait une violation par le Canada de l’article 3 de la Convention contre la torture et autre peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil, Rajwinder S. Bhambi.

1.2Le 23 juin 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection et en application du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.6), a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que sa requête serait à l’examen. Le 30 juin 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire du même Rapporteur, n’a pas fait droit à la demande de levée des mesures provisoires présentée par l’État partie le 7 janvier 2016.

Exposé des faits

2.1Le requérant est marié et père de quatre enfants. À Gulberg (Pakistan), il dirigeait un magasin de matériel de climatisation et de réfrigération. Il avait trois employés dont l’un, W. B., était chrétien. Il se décrit lui‑même comme un musulman modéré qui respecte toutes les religions.

2.2Le requérant explique qu’il y avait dans son quartier une mosquée où se réunissaient les membres du groupe extrémiste sunnite interdit Sipah‑e‑Sahaba. En mai 2010, ce groupe a lancé une campagne contre les chrétiens, en forçant ces derniers à se convertir à l’islam ou à s’acquitter de la « jizya ». W. B. est devenu la cible de ce groupe. Le 15 mai 2010, des membres de ce groupe se sont rendus au domicile de W.B. Après avoir roué de coups tous les membres de la famille, ils ont détruit la maison et les biens qui s’y trouvaient et ont menacé de mort W. B. Le même jour, à 20 h 30, W. B. est venu chercher refuge auprès du requérant. Celui-ci lui a conseillé de signaler les faits à la police, mais W.B. a eu peur de le faire. La même nuit, le requérant, accompagné de certains de ses employés, s’est rendu au domicile de W. B., quand les membres du groupe Sipah‑e‑Sahaba avaient quitté les lieux.

2.3Le 16 mai 2010, le requérant s’est rendu à la mosquée et a demandé aux membres de Sipah‑e‑Sahaba de cesser les agressions contre W. B. Mais le groupe s’est retourné contre le requérant, l’a accusé de trahison envers l’islam et a menacé de le dénoncer.

2.4Le 8 août 2010, 15 membres du groupe Sipah-e-Sahaba sont arrivés au magasin du requérant munis de barres de fer et de battes, ainsi que d’autres armes, et ont passé à tabac W. B. Ayant tenté en vain de venir en aide à celui-ci, le requérant a été accusé de blasphème pour avoir prêté assistance à des chrétiens et a été roué de coups. Le groupe a proféré des menaces de mort contre le requérant. Les deux hommes ont été hospitalisés. Le requérant est sorti de l’hôpital le jour même et W. B. est resté hospitalisé un mois.

2.5Le 9 août 2010, le requérant a signalé les agressions au commissariat de police de Gulberg. Le sous‑inspecteur de police a tenu des propos désobligeants envers les chrétiens et a dit au requérant qu’il s’était mis en fâcheuse posture puisque selon la charia il avait blasphémé contre la religion, ce qui était punissable de la peine de mort. Il l’a averti de se tenir à l’écart des médias car toute évocation de son affaire lui causerait encore davantage de problèmes. Le 16 août 2010, le requérant a de nouveau porté plainte devant le Directeur de la police de Lahore, qui n’a pris aucune mesure. Le requérant informe le Comité que la police a refusé d’enregistrer sa plainte contre le groupe, qui jouit au Pakistan de l’appui total des Taliban et de la police.

2.6À la suite de ces faits, W. B. a quitté le magasin du requérant et est parti vivre ailleurs. À la mi‑septembre 2010, W. B. a rendu visite au requérant à son domicile. Alors qu’ils dînaient, quatre individus coiffés de turbans verts ont fait irruption pour enlever et tuer W. B. Les deux hommes ont réussi à s’échapper et à se réfugier en un lieu sûr.

2.7Après cet épisode, le requérant a été déclaré blasphémateur et kafir (infidèle) par le groupe Sipah‑e‑Sahaba pour avoir abrité et employé un chrétien. Lui et sa famille ont été menacés de mort.

2.8Le requérant a transféré sa famille en un lieu sûr chez des parents et a demandé un visa pour le Canada, qui lui a été délivré le 8 octobre 2010. Le 10 février 2011, il est arrivé au Canada et a demandé l’asile à Toronto en mai 2011. Après le rejet de sa demande le 9 août 2013 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, le requérant a présenté une demande de contrôle judiciaire qui a été rejetée par la Cour fédérale le 11 décembre 2013. Le 8 décembre 2014, la demande d’examen des risques avant renvoi présentée par le requérant a été elle aussi rejetée.

2.9Le 4 juin 2015, l’Agence des services frontaliers du Canada a informé le requérant que son expulsion était prévue pour le 23 juin 2015. Le 18 juin 2015, le requérant a demandé à l’Agence le report de son expulsion, qui lui a été refusé le 22 juin 2015.

2.10Le requérant informe le Comité que le groupe Sipah‑e‑Sahaba a continué de le menacer après son départ du Pakistan. En juin 2014, le groupe a émis contre lui une « fatwa de mort » qui a été apposée sur la porte d’entrée principale de son domicile au Pakistan. Le 3 août 2014, Sipah‑e‑Sahaba a émis une deuxième fatwa de mort reprenant le même texte. À une date non précisée, il a menacé de mort les voisins du requérant à Gulberg (Pakistan) s’ils ne donnaient pas d’informations sur le lieu où se trouvait le requérant. Le 2 juin 2015, des membres du groupe sont venus au domicile du requérant à Gulberg pour demander où ce dernier se trouvait. Ils ont menacé de tuer le requérant dès qu’ils le verraient car il était « wajib-ul-qatal » (« il pouvait légitimement être tué »).

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son renvoi vers le Pakistan constituerait une violation par les autorités canadiennes de l’article 3 de la Convention.

3.2Le requérant craint pour sa vie au Pakistan parce qu’il a été déclaré kafir (infidèle) et que le groupe Sipah‑e‑Sahaba a émis deux fatwas de mort contre lui. Il affirme que s’il est renvoyé au Pakistan, sa vie sera en danger, et il risquera d’être soumis à la torture et à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par les services pakistanais de sécurité et de renseignement et des organisations terroristes sunnites. Il soutient en outre qu’il risquera d’être arrêté, détenu ou enlevé par les services de sécurité sous des chefs d’accusation fabriqués de toutes pièces sur la base de la loi relative au blasphème ou de la charia et d’être enlevé, séquestré, assassiné, décapité ou lapidé à mort publiquement.

3.3Le requérant fait valoir que sa vie serait en danger dans toutes les régions du Pakistan, vu qu’il ne trouverait nulle part dans le pays un lieu sûr où se réinstaller. Il explique qu’au Pakistan, toute personne qui déménage dans une autre partie du pays doit se faire enregistrer auprès de la police locale. Par conséquent, sa vie sera gravement menacée et il risquera très probablement d’être torturé par des groupes extrémistes sunnites. Enfin, le requérant affirme que la police soutient ces groupes et ne prendra donc aucune mesure pour le protéger.

3.4Le requérant ajoute qu’en tant que demandeur d’asile débouté, il risquerait d’être la cible de « torture étatique » et d’être soumis à une détention illégale par les autorités pakistanaises.

3.5Le requérant fait également valoir que la situation des minorités religieuses au Pakistan est préoccupante, en raison de la guerre que les extrémistes sunnites ont déclarée à ces minorités, notamment chrétiennes et chiites. Il renvoie en particulier à un rapport où il est dit que « l’intolérance est un phénomène persistant dans la société, et se manifeste notamment par des lynchages et des attaques lancées par des groupes d’extrémistes violents. Dans certaines parties du pays, des extrémistes violents exigent que tous les citoyens suivent leur interprétation autoritaire de l’islam et menacent ceux qui ne le font pas de conséquences brutales. Ils prennent aussi pour cibles les musulmans qui prônent la tolérance et le pluralisme. On ne compte plus les attaques lancées contre des rassemblements et des sites religieux soufis, hindous, ahmadis, chiites et chrétiens qui ont fait de nombreux morts et causé des dommages considérables ».

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 7 janvier 2016, l’État partie a soumis ses observations sur la requête. Il affirme que celle-ci est irrecevable au regard des paragraphes 2 et 5 b) de l’article 22 de la Convention et des alinéas b), c) et e) de l’article 113 du règlement intérieur du Comité.

4.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’État partie soutient que le requérant n’a pas saisi la Cour fédérale d’une demande d’autorisation aux fins de requête en contrôle judiciaire de la décision concernant l’examen des risques avant renvoi et de la décision par laquelle l’Agence des services frontaliers du Canada a rejeté sa demande de report administratif de son expulsion. Il fait valoir que si la demande de contrôle judiciaire était acceptée, un réexamen de la décision contestée serait ordonné.

4.3L’État partie explique que si la Cour fédérale décide qu’il y a une erreur de droit ou une conclusion déraisonnable concernant les faits dans la décision examinée, elle accorde l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire, et a compétence pour infirmer la décision et la renvoyer aux fins de réexamen par un autre agent, conformément aux instructions qu’elle estime appropriées. Par ailleurs, l’État partie n’accepte pas la position générale selon laquelle son système de contrôle judiciaire, en particulier devant la Cour fédérale, n’offre pas de recours utile contre une décision de renvoi lorsqu’il existe des raisons sérieuses de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture. À cet égard, l’État partie estime que dans ses récentes décisions, le Comité semble avoir mal compris la nature du contrôle judiciaire par la Cour fédérale, puisque le système actuel prévoit bien un contrôle au fond.

4.4L’État partie soutient également que le requérant n’a pas présenté de demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire. Selon lui, cette procédure constitue un recours interne utile qui est ouvert au requérant et que celui-ci devrait être tenu d’épuiser avant de soumettre une communication au Comité. En outre, si une demande pour considérations d’ordre humanitaire n’entraîne pas automatiquement une suspension du renvoi, dans les cas où l’existence de motifs d’ordre humanitaire impérieux peut être démontrée, un sursis peut être accordé jusqu’à ce qu’une décision définitive soit prise sur la demande de résidence permanente. Le requérant peut aussi soumettre à l’Agence des services frontaliers du Canada une demande de report administratif de l’exécution du renvoi. En cas de rejet d’une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire, il est possible de saisir la Cour fédérale d’une demande d’autorisation aux fins de requête en contrôle judiciaire de la décision, et de soumettre à la Cour une demande de sursis au renvoi jusqu’à l’issue de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

4.5L’État partie soutient ensuite que la communication est irrecevable pour incompatibilité avec les dispositions de la Convention parce que les allégations du requérant concernent des menaces émanant de Sipah‑e‑Sahaba, une entité non étatique qui a été interdite par le Gouvernement pakistanais en tant qu’organisation terroriste. Le requérant n’a produit aucun élément prouvant qu’il a été ou sera soumis à la torture par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel, ou que l’État a donné son consentement exprès ou tacite à de tels actes. À cet égard, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité qui considère régulièrement comme irrecevables les communications concernant des acteurs non étatiques parce qu’elles ne relèvent pas du champ de l’article 3 de la Convention.

4.6L’État partie affirme en outre que le requérant n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses allégations selon lesquelles il court un risque réel et personnel d’être torturé au Pakistan tel que son renvoi vers ce pays constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Il explique que les décideurs au plan interne ont estimé que le requérant n’était pas crédible. En s’appuyant sur des motifs précis, la Section de la protection des réfugiés a exprimé des doutes quant à la vraisemblance des allégations du requérant, et a finalement conclu que celui-ci n’était pas crédible. En particulier, la Section a estimé que plusieurs éléments déterminants de la demande du requérant n’étaient pas vraisemblables et a relevé plusieurs incohérences. Ainsi, le requérant s’est contredit lorsqu’il a expliqué pourquoi il serait dénoncé pour blasphème alors que ce ne serait pas le cas des trois autres personnes qui l’avaient accompagné au commissariat de police dans le même but de protéger W. B. contre le groupe Sipah‑e‑Sahaba. La Section a aussi considéré comme dépourvues de crédibilité et de vraisemblance les déclarations du requérant concernant les circonstances dans lesquelles W. B. avait tenté de chercher protection et assistance auprès de lui.

4.7.La Section de la protection des réfugiés a rejeté l’affirmation du requérant selon laquelle son opposition au groupe Sipah‑e‑Sahaba après l’agression contre W. B. traduisait ses opinions politiques supposées, au motif qu’un individu qui invoque ses opinions politiques pour demander une protection doit prouver qu’il craint d’être persécuté pour avoir des opinions différentes de celles d’un gouvernement qui a démontré qu’il ne tolérerait pas de telles opinions. La Section a noté que l’opposition aux idées et aux actions de groupes extrémistes comme Sipah‑e‑Sahaba était très répandue dans toute la population pakistanaise, et que le Gouvernement pakistanais avait pris des mesures de répression contre ce groupe. Selon l’État partie, cela prouve que le Gouvernement pakistanais est opposé au groupe. La Section a relevé que le requérant avait dit avoir connaissance de précédentes descentes de police contre les bureaux et la mosquée de Sipah‑e‑Sahaba, et en a donc conclu que l’État assurait une protection contre les actions de ce groupe. Elle a en outre estimé que rien ne permettait de penser que le requérant devrait craindre les autorités pakistanaises ou risquerait d’être poursuivi par celles-ci parce qu’il est un musulman sunnite ou parce qu’il s’est opposé aux actions menées par Sipah-e-Sahaba contre W. B.

4.8La Section de la protection des réfugiés et l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi ont aussi considéré qu’il était possible pour le requérant de trouver refuge au Pakistan même, étant donné que les membres de sa famille avaient initialement déménagé à Sialkot et que rien ne permettait d’expliquer pourquoi le requérant ne s’était pas joint à eux, ni de penser qu’ils y étaient en danger. La Section a noté que les membres de la famille du requérant étaient ensuite revenus à Lahore et que rien ne démontrait qu’ils étaient menacés par Sipah-e-Sahaba depuis leur retour. De son côté, W. B. s’était réinstallé à Karachi. Interrogé sur le point de savoir pourquoi il ne pouvait pas s’installer à Karachi ou Islamabad, le requérant a répondu que sa famille vivait à Lahore. La Section a estimé que s’il ne se sentait pas en sécurité à Lahore, le requérant pourrait vivre sans risque à Karachi ou Islamabad.

4.9Vu que l’analyse que la Section de la protection des réfugiés avait faite des éléments de preuve et les conclusions qu’elle en avait tirées étaient appropriées et justifiées, la Cour fédérale a refusé d’intervenir dans la décision qu’elle avait prise. En l’espèce, l’État partie soutient qu’il a été procédé à un examen approfondi des allégations du requérant par tous les décideurs qui ont été saisis de ses demandes au plan interne.

4.10L’État partie fait en outre valoir que les allégations du requérant comportent des contradictions importantes, ce qui devrait conduire le Comité à examiner rigoureusement la communication. Il considère en particulier que le Comité ne devrait pas croire ce que dit le requérant à propos de la fatwa dont il ferait l’objet de la part de Sipah-e-Sahaba, en raison de l’incohérence des informations qu’il a fournies à ce sujet : a) dans sa communication, le requérant prétend que Sipah‑e‑Sahaba a apposé des fatwas sur la porte de sa maison au Pakistan, successivement en juin 2014 et le 3 août 2014. Or, les documents sur lesquels il s’appuie pour étayer cette affirmation manquent de cohérence. Ni la lettre de son avocat ni les déclarations de son frère ou de son voisin ne mentionnent une quelconque fatwa. En outre, dans les attestations sous serment de sa femme, de son beau-frère et de son frère, il est dit que la fatwa a été prononcée en juin 2011 ; b) dans la demande qu’il a soumise à l’Agence des services frontaliers du Canada le 18 juin 2015 pour obtenir un report administratif de l’exécution du renvoi, le requérant affirme que Sipah‑e‑Sahaba a émis une fatwa « dans la localité pakistanaise où [il] résidait et gérait son affaire en juin 2010 », tandis que dans sa demande d’examen des risques avant renvoi, le requérant a affirmé que Sipah‑e‑Sahaba avait apposé une fatwa sur la porte de son magasin en juin 2014 ; c) le requérant n’a mentionné aucune fatwa dans le formulaire de renseignements personnels le concernant daté du 15 juin 2011, ni lors de sa déposition devant la Section de la protection des réfugiés le 4 juillet 2013.

4.11L’État partie estime aussi que le Comité ne devrait pas accorder crédit au requérant lorsqu’il prétend que Sipah‑e‑Sahaba l’a déclaré « blasphémateur et kafir », étant donné que cet argument ne figurait pas dans son formulaire de renseignements personnels, ni dans sa demande d’examen des risques avant renvoi, ni dans la demande de report d’exécution du renvoi qu’il a soumise à l’Agence des services frontaliers du Canada. De plus, le requérant soutient que Sipah‑e‑Sahaba bénéficie de l’entier soutien de la police pakistanaise, alors que dans sa demande de report du renvoi soumise à l’Agence des services frontaliers, il a dit au contraire que Sipah‑e‑Sahaba était une « organisation terroriste sunnite interdite ». L’État partie fait aussi observer que le requérant ne mentionne pas ce point dans son formulaire de renseignements personnels ni dans sa demande d’examen des risques avant renvoi.

4.12L’État partie fait en outre valoir que le requérant décrit de manière contradictoire son appartenance religieuse : il se qualifie parfois de musulman sunnite, mais affirme en d’autres occasions qu’il appartient à la branche minoritaire chiite de l’islam et risque d’être tué par des membres radicaux de la branche sunnite de l’islam.

4.13Enfin, l’État partie soutient que le requérant n’a produit aucun élément crédible prouvant qu’il a été torturé dans le passé au sens de la Convention. Les faits que décrit le requérant n’ont pas le degré de gravité requis pour répondre à la définition de la torture figurant à l’article premier de la Convention : le requérant aurait été agressé le 8 août 2010 alors qu’il portait secours à son employé W. B. Bien qu’il prétende avoir subi des blessures pour lesquelles il a dû recevoir des soins, il n’a produit aucun rapport d’expertise médicale indiquant en quoi ces blessures seraient constitutives de torture. Même si l’agression décrite par le requérant avait le caractère d’une peine ou d’un traitement cruel, inhumain ou dégradant, qui contreviendrait aux obligations imposées au Pakistan par l’article 16, l’État partie fait observer que l’obligation de non‑refoulement énoncée à l’article 3 ne s’applique que dans le cas d’un risque réel pour l’intéressé d’être soumis à la torture.

4.14En outre, le requérant n’a fourni aucun élément démontrant que Sipah‑e‑Sahaba agissait à titre officiel, pour le compte de responsables pakistanais ou avec le consentement exprès ou tacite de responsables pakistanais. Le requérant affirme qu’il a tenté de porter plainte auprès de la police à propos des faits survenus le 8 août 2010 et que la police n’a pas enregistré la plainte et n’a pris aucune mesure contre les individus concernés. Bien que selon des rapports objectifs sur le pays, la police pakistanaise soit parfois inefficace pour réagir à des allégations de violence sectaire, le requérant n’a pas apporté la preuve que l’inaction de la police en l’espèce équivalait à un consentement exprès ou tacite. L’État partie considère que dans la présente espèce, à la différence de l’affaire Dzemajl et consorts c. Yougoslavie, rien ne prouve, et le requérant ne le prétend pas, que les policiers avaient été informés des menaces précises auxquelles était exposé le requérant ni qu’ils étaient présents sur les lieux mais n’étaient pas intervenus. L’inaction de la police à l’égard des faits allégués par le requérant ne suffit pas à étayer l’allégation selon laquelle la police a consenti expressément ou tacitement aux actions menées par Sipah-e-Sahaba contre W. B. ou le requérant. En réalité, le requérant a déclaré devant la Section de la protection des réfugiés qu’il savait que la police avait précédemment fait une descente dans les bureaux et la mosquée de Sipah‑e‑Sahaba.

4.15L’État partie considère que bien qu’il déclare être venu au Canada pour sauver sa vie, le requérant dément par ses propres actes cette affirmation. Il informe le Comité qu’il a délivré le 8 octobre 2010 un visa de visiteur au requérant, lequel n’a cependant quitté le Pakistan que le 10 février 2011. Le requérant n’a pas demandé l’asile dès son arrivée au Canada, mais a au contraire attendu l’expiration de son visa le 9 avril 2011 pour présenter une demande de protection le 20 mai 2011. L’État partie considère que ce comportement n’est pas celui de quelqu’un qui craint pour sa vie.

4.16L’État partie fait aussi valoir que tous les décideurs au plan interne ont établi que le requérant ne serait pas exposé personnellement à un risque de torture en cas de renvoi au Pakistan. Le requérant allègue qu’ayant été déclaré blasphémateur et kafir, il sera tué s’il rentre au Pakistan. À l’appui de cette allégation, il affirme que « la majorité » des universitaires et religieux musulmans soutient ouvertement la guerre contre les infidèles. À cet égard, il invoque des propos tenus par Abu Hamza al‑Masri, un ancien imam qui a prêché le fondamentalisme islamique et l’islamisme militant. Il s’appuie aussi sur un article relatant l’assassinat du Gouverneur du Punjab le 4 janvier 2011 et déclare que si un responsable de haut rang a pu être assassiné, lui aussi pourrait connaître le même sort. Or, l’État partie considère que les actions menées par le Gouvernement pakistanais, telles qu’elles sont relatées dans l’article, montrent clairement que le Gouvernement « ne tolère pas la violence incontrôlée exercée par des extrémistes sunnites ».

4.17Le requérant n’a pas non plus fourni d’éléments objectifs et crédibles démontrant qu’il est personnellement exposé au risque de se voir infliger une douleur ou des souffrances aiguës par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel, ou avec son consentement exprès ou tacite. Bien qu’il affirme être exposé à un risque grave d’être torturé par la police, les organes de la sécurité et du renseignement ou les services d’immigration pakistanais, le requérant n’a fourni aucune preuve pour étayer cette allégation. Dans le passé, il n’a pas été soumis à la torture par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ses inquiétudes quant à la possibilité de subir des tortures à l’avenir concernent des membres locaux du groupe Sipah‑e‑Sahaba. Il n’est pas non plus démontré que le requérant a eu une activité politique ou autre à l’intérieur ou en dehors du Pakistan qui l’exposerait particulièrement à un risque de torture.

4.18Dans l’éventualité où le Comité estimerait nécessaire d’examiner la situation générale des droits de l’homme au Pakistan en dépit du fait que le requérant n’a pas établi qu’il courrait le risque d’être torturé en cas de renvoi au Pakistan, l’État partie fait observer que même si de récents rapports critiquent le Gouvernement pakistanais au motif qu’il ne réagit pas de façon efficace à la violence sectaire, les pouvoirs publics se sont efforcés de dénoncer les groupes extrémistes sectaires et de contrôler et réprimer pénalement leurs activités. Ainsi, en 2009 et 2010, le Ministre de l’intérieur de l’époque, Rehman Malik, a affirmé que Sipah‑e‑Sahaba était impliqué dans des activités terroristes au Pakistan et a averti que le Gouvernement adopterait des mesures strictes contre le groupe, consistant notamment à contrôler ses activités et à ouvrir des enquêtes et engager des poursuites en présence de faits imputables au groupe. En outre, depuis septembre 2008, le Gouvernement a pris des mesures pour garantir la liberté et la tolérance religieuses, notamment en établissant une permanence téléphonique fonctionnant 24 heures sur 24 pour signaler des actes de violence perpétrés contre des groupes religieux. Il a aussi appliqué de nouvelles lois visant à instituer une structure à compétence fédérale comportant des juridictions spéciales, des procureurs, des commissariats de police et des équipes d’enquêteurs, pour appuyer les enquêtes et les poursuites en cas d’infractions terroristes.

4.19L’État partie note que le requérant s’appuie sur un certain nombre de rapports relatifs à la situation des minorités religieuses au Pakistan pour affirmer que les extrémistes sunnites ont déclaré la guerre aux minorités religieuses, en particulier chrétiennes et chiites. Or, il fait de nouveau observer que, à cette seule exception près, le requérant s’est toujours qualifié de musulman sunnite, appartenant donc au groupe religieux majoritaire, d’où il résulte que les rapports relatifs aux violences perpétrées contre les minorités religieuses sont dépourvus de pertinence pour ses allégations.

4.20L’État partie soutient que le requérant n’a pas étayé son allégation selon laquelle, en tant que demandeur d’asile débouté, il risquerait d’être torturé à son retour au Pakistan. Dans sa communication, le requérant affirme qu’il « pourrait être » victime de tortures policières et de détention illégale. L’État partie fait valoir que les autorités nationales n’ont pu trouver aucune information faisant état d’interrogatoires, de mises en détention ou de disparitions de demandeurs d’asile pakistanais déboutés à leur retour au Pakistan, depuis 2005.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans sa lettre du 18 mars 2016, le requérant rappelle ses griefs initiaux. À propos de l’argument avancé par l’État partie qui soutient qu’il n’est pas menacé par les autorités ou les agents de l’État pakistanais, il affirme que les pouvoirs publics sont indirectement impliqués dans sa persécution. Il réaffirme que lorsqu’il s’est adressé à eux pour demander justice, il n’a reçu aucun soutien et a donc été contraint de quitter le Pakistan. Il ajoute que la police et les autorités pakistanaises hésitent à prendre des mesures contre les organisations terroristes sunnites car celles-ci sont appuyées par le Gouvernement à majorité sunnite par l’intermédiaire de son agence de renseignement, l’ISI. Le requérant soutient par ailleurs qu’il est « un témoin de la lutte contre l’impunité absolue des organisations terroristes sunnites et des meurtres brutaux perpétrés par celles-ci au Pakistan » et que « sa famille est contrainte de subir les mêmes actes de torture et de harcèlement » de la part du groupe au Pakistan.

5.2Le requérant fait valoir que la situation est pire que jamais au Pakistan car les organisations sunnites, en particulier les Taliban, tuent quotidiennement des innocents : a) du 8 au 10 juin 2014, des hommes armés appartenant au Mouvement des Taliban du Pakistan (Tehrik‑e‑Taliban) ont assiégé l’aéroport international Jinnah à Karachi, faisant des morts et des blessés ; b) en décembre 2014, les Taliban ont tué plus de 145 écoliers dans le district de Peshawar ; c) en janvier 2015, les Taliban ont fait sauter une mosquée chiite et ont tué 40 chiites ; d) le 13 février 2015, les Taliban ont fait sauter une mosquée chiite, provoquant la mort de 20 chiites et en blessant des dizaines d’autres. À cet égard, le requérant informe le Comité que le Gouvernement canadien, par l’intermédiaire de son Département des affaires étrangères et du commerce international, a émis un avertissement aux voyageurs se rendant au Pakistan et a mis en garde contre tout voyage non essentiel au Pakistan en raison de graves menaces.

5.3Le requérant explique que sous l’angle de la sécurité, la situation reste fragile et imprévisible et que la menace terroriste reste très élevée. Il ajoute que des mesures de sécurité renforcées sont actuellement en place dans tout le pays et que des postes de contrôle peuvent être établis sans préavis. Il renvoie au rapport de 2015 du Département d’État des États-Unis sur la liberté religieuse au Pakistan dans lequel il est dit que la violence sectaire et la discrimination contre les minorités religieuses se poursuivent. Il affirme que le respect et la protection par les autorités du droit à la liberté religieuse laissent toujours à désirer et que le climat d’impunité persiste, le Gouvernement n’ayant qu’une capacité et une volonté limitées d’enquêter sur les attaques menées contre les minorités religieuses et d’en poursuivre les auteurs, ce qui signifie que la menace pesant sur sa vie au Pakistan est réelle et sérieuse. Il affirme également que les tribunaux internes de l’État partie ont reconnu le type de violence qui continue de sévir au Pakistan et les raisons de cette violence. Il renvoie à la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Kaur c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), et affirme que les faits sont très comparables à ceux de la présente espèce.

5.4Le requérant ajoute que la position générale du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés sur la question de la possibilité de fuite ou de réinstallation interne est que cette possibilité est exclue lorsque la persécution émane d’agents étatiques. Très souvent, les victimes de torture assistent à la disparition forcée de membres immédiats de leur famille, et elles courent un risque partout au Pakistan. Le requérant affirme que la possibilité de fuite interne n’est pas une solution sûre pour lui puisque les radicaux sunnites le recherchent activement et qu’ils sont répartis sur tout le territoire du Pakistan.

5.5Le requérant soutient que l’État partie affirme à tort que les procédures juridiques canadiennes offrent une réelle garantie contre toute violation de l’article 3 de la Convention. Il réaffirme qu’il existe incontestablement un risque sérieux qu’il soit torturé, et fait valoir que son corps porte encore clairement des marques de torture et que des lettres de médecins pakistanais confirment qu’il a subi des tortures au Pakistan. Selon lui, la présente espèce montre à l’évidence que les procédures canadiennes en vigueur sont insuffisantes pour éviter une violation des droits fondamentaux des victimes de torture. Il a produit des preuves solides, comme des rapports médicaux, des attestations sous serment et des photographies, concernant les tortures, mauvais traitements et menaces de mort que lui-même et les membres de sa famille ont subis au Pakistan.

5.6Le requérant estime que l’efficacité des procédures en vigueur dans l’État partie est clairement problématique. À propos de l’argument de l’État partie selon lequel il lui est encore possible de présenter une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire, il précise que la procédure ne prévoit un sursis au renvoi que si la demande est acceptée, ce qui peut prendre trois ou quatre ans. Il affirme qu’il a établi que sa demande est à première vue fondée et que la façon dont l’État partie a analysé les éléments de preuve qu’il a produits est clairement arbitraire et constitue un déni de justice.

Observations de l’État partie sur les commentaires du requérant

6.1Par une note verbale du 17 janvier 2017, l’État partie a présenté ses observations sur les commentaires du requérant. Il y répète ses arguments concernant l’irrecevabilité de la communication et fait valoir que le requérant dispose de la protection de l’État et d’une possibilité de fuite ou de réinstallation interne et que ses allégations sont par conséquent dépourvues de fondement.

6.2L’État partie estime que certaines allégations figurant dans les commentaires du requérant sont inexactes et trompeuses, ou qu’elles contredisent ses allégations précédentes. À cet égard, il relève que le requérant prétend maintenant avoir été victime de torture parce qu’il a cherché à obtenir justice contre des terroristes et qu’il est un témoin de la lutte contre l’impunité absolue des organisations terroristes sunnites et des meurtres brutaux perpétrés par celles-ci au Pakistan, mais qu’il n’a produit aucun élément de preuve pour étayer cette allégation. L’État partie fait en outre remarquer que cette allégation diffère considérablement de ce que le requérant avait dit dans sa lettre initiale au Comité, et s’écarte également de ce qu’il avait déclaré devant la Section de la protection des réfugiés et écrit dans sa demande d’examen des risques avant renvoi. Le requérant n’a jamais dit avoir été témoin de meurtres brutaux, et encore moins de meurtres brutaux commis par des organisations terroristes sunnites au Pakistan. En outre, il a affirmé précédemment qu’il n’avait été en contact qu’avec une organisation sunnite au Pakistan, une branche locale du groupe Sipah‑e‑Sahaba, et qu’il avait été agressé par les membres de ce groupe local parce qu’il était intervenu lors d’une rixe entre son employé chrétien et certains membres de ce groupe.

6.3Concernant l’argument du requérant selon lequel sa famille « est contrainte de subir les mêmes actes de torture et de harcèlement » de la part du groupe au Pakistan, l’État partie soutient que le requérant ne fournit aucun élément pour étayer cette affirmation, qui diffère des allégations figurant dans sa lettre initiale selon lesquelles il avait transféré sa famille en un lieu sûr chez des parents avant de partir au Canada. L’État partie fait valoir que ces nouveaux arguments avancés par le requérant devraient conduire le Comité à douter sérieusement de la crédibilité de la communication dans son ensemble.

6.4L’État partie ajoute que le requérant a fait de nombreuses déclarations inexactes ou trompeuses dans le but, apparemment, d’étoffer sa requête. Il considère par exemple que le requérant déforme les faits et les conclusions de l’affaire Kaur c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) (voir plus haut, par. 5.3) lorsqu’il affirme que cette affaire montre que les tribunaux internes canadiens ont reconnu le type de violence qui continue de sévir au Pakistan et les raisons de cette violence. Le requérant soutient aussi que dans l’affaire Kaur, les faits sont très comparables à ceux de la présente espèce. L’État partie fait observer que l’affaire Kaur concernait une situation très différente de celle du requérant : les faits allégués étaient survenus en Inde, et non au Pakistan ; il s’agissait de violences policières, et non des actes d’une organisation terroriste ; et l’affaire mettait en cause la persécution de défenseurs des droits de l’homme, une qualification qui n’est pas applicable au requérant.

6.5En réponse à l’affirmation du requérant selon laquelle les décideurs de l’État partie ont rejeté sans motif des éléments de preuve pertinents et la position initiale de l’État partie est contraire à une justice élémentaire, l’État partie soutient que le requérant n’a produit aucun élément à l’appui de ses griefs concernant la façon dont ses allégations ont été analysées par les décideurs au plan interne, qui selon lui aurait été clairement arbitraire et aurait constitué un déni de justice. L’État partie ajoute que le requérant n’a donné aucun exemple précis d’« arbitraire » ou de « déni de justice ».

6.6L’État partie fait aussi valoir que le requérant n’avance aucun élément permettant d’établir qu’il serait d’une quelconque façon menacé par les organes de sécurité et de renseignement pakistanais ou par de multiples organisations terroristes sunnites ou organisations terroristes pakistanaises en général. Tout ce que l’on peut dire est que le requérant a été agressé par des membres de la branche locale du groupe Sipah‑e‑Sahaba, qui est un acteur non étatique. L’État partie réaffirme que le requérant n’a produit aucun élément propre à démontrer que les souffrances qu’il peut avoir subies ont été « infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite ».

6.7L’État partie fait par ailleurs observer que le requérant n’a nullement étayé son allégation selon laquelle les organisations terroristes au Pakistan sont appuyées par le Gouvernement à majorité sunnite par l’intermédiaire de son agence de renseignement, l’ISI, ni celle selon laquelle les autorités pakistanaises hésitent à prendre des mesures contre les organisations terroristes au Pakistan.

6.8L’État partie considère que les allégations du requérant concernant la situation actuelle au Pakistan ne sont pas étayées : le requérant s’appuie apparemment sur un site Web canadien (www.voyage.gc.ca) pour étayer ses allégations relatives à la situation actuelle au Pakistan, en ce qu’il est recommandé sur ce site d’éviter tout voyage non essentiel en raison de graves menaces. L’État partie considère qu’il est clair que le requérant n’a pas bien compris l’objet de ce site, qui est de fournir aux Canadiens qui se rendent ou qui vivent à l’étranger des informations générales en matière de sécurité afin qu’ils puissent prendre des décisions en connaissance de cause pour un projet de voyage dans un pays étranger. Ce type d’informations générales ne peut être considéré comme un élément suffisant pour établir que le requérant courrait personnellement un risque réel d’être torturé s’il était renvoyé dans son pays d’origine.

6.9S’agissant de la situation actuelle des droits de l’homme au Pakistan, l’État partie s’appuie sur ses observations initiales et ajoute que selon de récents rapports, il semblerait que la situation des droits de l’homme au Pakistan soit très comparable à ce qu’elle était lorsque l’État partie a communiqué lesdites observations au Comité en janvier 2016 bien que, d’après le Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et le Bureau européen d’appui en matière d’asile, la situation se soit en fait améliorée en 2015 par rapport aux autres années. Même si la situation au Pakistan en matière de sécurité et de droits de l’homme reste difficile, le Gouvernement continue de faire de son mieux pour l’améliorer.

6.10L’État partie se réfère aux commentaires du requérant dans lesquels celui-ci affirme que lorsque la persécution émane d’agents étatiques ou lorsque les victimes de torture assistent à la disparition forcée de membres immédiats de leur famille, ces victimes courent un risque partout au Pakistan, ce qui exclut toute possibilité de fuite ou de réinstallation interne. L’État partie estime qu’aucun de ces facteurs ne s’applique au requérant. Concernant l’allégation de celui-ci quant au fait que sa vie serait menacée par les terroristes sunnites partout au Pakistan, l’État partie considère que le requérant n’a apporté aucun élément de nature à l’étayer.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la requête devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention parce que le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que, selon l’État partie, le requérant n’a pas soumis à la Cour fédérale une demande d’autorisation aux fins de requête en contrôle judiciaire de la décision concernant l’examen des risques avant renvoi et de la décision prise par l’Agence des services frontaliers du Canada sur sa demande de report administratif de son renvoi.

7.3À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que ce contrôle judiciaire porte principalement sur des points de procédure et ne comporte pas d’examen de l’affaire au fond. Notant que le requérant a présenté des demandes à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada et à la Cour fédérale, et qu’il a également soumis une demande au titre de la procédure d’examen des risques avant renvoi, le Comité considère que l’on ne peut pas raisonnablement exiger de lui qu’il demande également un contrôle judiciaire de la décision concernant l’examen des risques avant renvoi et de la décision prise par l’Agence des services frontaliers du Canada sur sa demande de report administratif de son renvoi.

7.4Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie quant au fait que le requérant n’a pas présenté de demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire. À cet égard, il rappelle qu’une telle demande ne constitue pas, en tout état de cause, un recours utile aux fins de la recevabilité car elle n’a pas de caractère judiciaire ni d’effet suspensif sur le renvoi du requérant. Il estime en conséquence que les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ne l’empêchent pas de procéder à l’examen de la requête quant au fond.

7.5Le Comité relève que, selon l’État partie, la présente requête ne relève pas du champ de l’article 3 de la Convention parce que les allégations concernent des menaces émanant de Sipah‑e‑Sahaba, une entité non étatique qui a été interdite par le Gouvernement pakistanais en tant qu’organisation terroriste. Il note que l’État partie a fait valoir que le requérant n’avait pas fourni d’éléments propres à démontrer que l’agression perpétrée par le groupe Sipah‑e‑Sahaba avait été commise « par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite », et qu’il courrait personnellement un risque réel d’être torturé au Pakistan. À cet égard, le Comité note que l’État partie soutient que le requérant n’a pas fourni d’éléments objectifs et crédibles démontrant qu’il est personnellement exposé au risque de se voir infliger une douleur ou des souffrances aiguës par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou avec son consentement exprès ou tacite.

7.6Le Comité note aussi que le requérant affirme que les autorités pakistanaises sont indirectement impliquées dans sa persécution, que lorsqu’il s’est adressé à la police pour solliciter son appui et demander justice, aucune mesure n’a été prise et il n’a reçu aucune forme de protection et qu’il a donc été contraint de quitter le Pakistan. Il prend également note de l’argument selon lequel la police et les autorités pakistanaises hésiteraient à prendre des mesures contre les organisations terroristes sunnites car celles-ci seraient appuyées par le Gouvernement à majorité sunnite par l’intermédiaire de son agence de renseignement, l’ISI.

7.7Le Comité rappelle que dans sa jurisprudence et dans son observation générale no 2 (2007) relative à l’application de l’article 2 par les États parties, il a traité du risque de torture par des acteurs non étatiques et du manquement d’un État à exercer la diligence voulue pour intervenir et mettre un terme aux actes interdits par la Convention, qui peuvent engager la responsabilité des États parties. Dans son observation générale no 2, le Comité a rappelé que « le fait que l’État n’exerce pas la diligence voulue pour mettre un terme à ces actes, les sanctionner et en indemniser les victimes a pour effet de favoriser ou de permettre la commission, en toute impunité, par des agents non étatiques, d’actes interdits par la Convention ». Cela étant, dans la présente espèce, le Comité considère que le requérant n’a pas fourni d’éléments suffisants pour étayer ses allégations selon lesquelles les autorités pakistanaises sont impliquées dans la persécution dont il ferait l’objet de la part du groupe Sipah‑e‑Sahaba. Il estime aussi que le requérant n’a pas démontré le risque de torture auquel il serait exposé de la part de la police, des agences de sécurité et de renseignement ou des services de l’immigration pakistanais. En conséquence, le Comité conclut que la communication présentée par le requérant est irrecevable pour défaut de fondement, en application de l’article 22 de la Convention et de l’alinéa b) de l’article 113 de son règlement intérieur.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 22 de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et au requérant.