Nations Unies

CAT/C/45/D/333/2007

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. restreinte*

3 décembre 2010

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Quarante-cinquième session

1er-19 novembre 2010

Décision

Communication no 333/2007

Présentée par:

T. I.

Au nom de:

T. I.

État partie:

Canada

Date de la requête:

15 septembre 2007 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

15 novembre 2010

Objet:

Expulsion du requérant vers l’Ouzbékistan

Questions de procédure:

Interdiction du refoulement

Questions de fond:

Épuisement des recours internes; griefs insuffisamment étayés

Articles de la Convention:

1, 3, 22 (par. 2 et 5 b))

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (quarante-cinquième session)

concernant la

Communication no 333/2007

Présentée par:

T. I.

Au nom de:

T. I.

État partie:

Canada

Date de la requête:

15 septembre 2007 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 15 novembre 2010,

Ayant achevé l’examen de la requête no 333/2007 présentée par M. T. I. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.Le requérant est M. T. I., de nationalité ouzbèke, qui est actuellement en attente d’expulsion du Canada. Il affirme que son renvoi en Ouzbékistan constituerait une violation par le Canada des articles 1er et 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Né en 1962 en Ouzbékistan, le requérant appartient à l’ethnie tatare. Il a étudié en russe et ne parle pas l’ouzbek. Il aurait été contraint de quitter son emploi d’avocat en 1991 parce qu’il était Tatar et que seuls les Ouzbeks pouvaient occuper des fonctions judiciaires. En 1992, il a créé sa propre entreprise, qui aurait également échoué en raison de ses origines tatares.

2.2En 1995, le requérant a commencé à travailler pour une société de commerce opérant à Doubaï. La même année, alors qu’il était à Doubaï en voyage d’affaires, il a reçu un appel téléphonique de sa mère, qui l’a informé que son père avait été arrêté par les services de sécurité ouzbeks en raison de ses liens avec les milieux tatars et de son amitié avec un célèbre écrivain ouïgour.

2.3Après son retour en Ouzbékistan, peu de temps après l’arrestation de son père, le requérant aurait été arrêté, interrogé au sujet des activités de son père et soumis à des actes de torture (passage à tabac, coups de pied, aiguilles enfoncées sous les ongles, privation de sommeil et d’eau, isolement cellulaire, exposition continue à la lumière et administration de substances psychotropes). Il affirme qu’il avait du sang dans les urines et dans les poumons. Il serait resté en détention environ un mois. Après sa remise en liberté, il a fui avec sa femme et sa fille aux Émirats arabes unis. En 1998, sa mère l’a informé que son père était mort en prison. Bien que les autorités aient invoqué des «causes naturelles», le requérant et sa famille sont convaincus que le décès a été causé par des actes de torture.

2.4En novembre 2000, une personne qui s’est présentée comme un agent du Ministère de l’intérieur ouzbek a abordé le requérant près de son domicile à Doubaï et lui a dit qu’il était recherché en Ouzbékistan. Lorsque le requérant lui a répondu qu’il ne rentrerait pas dans son pays, cette personne l’a menacé, affirmant qu’il y avait des moyens de le contraindre à retourner en Ouzbékistan par exemple en lui créant des problèmes de visa. Comme suite à cet incident, en décembre 2000, le requérant a quitté Doubaï pour l’Allemagne, où il a présenté une demande d’asile sous un faux nom pour des raisons de sécurité. Sa demande a été rejetée. Il s’est ensuite rendu en Norvège, où il a demandé le statut de réfugié, également sous un faux nom. Il a de nouveau été débouté.

2.5En septembre 2001, le requérant est entré au Canada comme passager clandestin sur un navire islandais. Le 15 septembre 2001, il a demandé l’asile au Canada. Le 7 novembre 2002, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté sa demande au motif qu’il n’avait pas présenté d’éléments crédibles et fiables permettant d’établir que sa vie serait en danger ou qu’il courrait un risque sérieux d’être soumis à la torture s’il retournait en Ouzbékistan. La Commission a également soulevé la question de l’identité du requérant et a estimé qu’il était peu plausible qu’il soit persécuté en raison de son appartenance à l’ethnie tatare. Le requérant a interjeté appel auprès de la Cour fédérale, qui a rejeté sa demande d’autorisation de contrôle juridictionnel le 24 février 2003.

2.6Le 1er avril 2003, le requérant a présenté une demande de permis de séjour pour raisons humanitaires et le 19 juin 2003, il a déposé une demande d’examen des risques avant renvoi. Ces deux demandes ont été rejetées le 11 mai 2006, les autorités ayant conclu qu’il ne serait pas persécuté ni soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il était renvoyé en Ouzbékistan. Le requérant affirme que les deux décisions de rejet ont été rendues par le même agent chargé de l’examen des risques avant renvoi et qu’elles ne lui ont été notifiées que près de six mois plus tard. La demande officielle qu’il a présenté pour recevoir les décisions a été rejetée en décembre 2006. Sa demande d’autorisation de contrôle juridictionnel de cette décision de rejet devant la Cour fédérale, déposée le 5 février 2007, a été rejetée le 17 août 2007.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’il serait soumis à la torture s’il était forcé de retourner en Ouzbékistan et que cela constituerait une violation des articles 1er et 3 de la Convention par le Canada.

3.2Pour étayer cette affirmation, le requérant invoque son appartenance à l’ethnie tatare, minorité qui serait victime de discrimination en Ouzbékistan, ainsi que la situation des droits de l’homme en Ouzbékistan et les tortures qu’il aurait subies par le passé.

3.3D’après le requérant, cette affaire n’est actuellement examinée par aucune autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

3.4Le requérant n’a présenté aucune demande de mesure provisoire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note du 28 mai 2008, l’État partie a contesté la recevabilité de la requête en affirmant que celle-ci était incompatible avec les dispositions de la Convention et que le requérant n’avait pas étayé ses griefs au titre de l’article premier. Il a également affirmé que le requérant n’avait pas épuisé les recours internes ni suffisamment étayé ses griefs au titre de l’article 3 de la Convention.

4.2Rappelant les allégations du requérant, l’État partie affirme que celui-ci n’a présenté aucun argument nouveau au Comité et s’est contenté de reprendre tous les arguments soumis aux autorités canadiennes. Le requérant n’a pas établi que les conclusions des organes de décision nationaux le concernant ont été arbitraires ou ont constitué un déni de justice. L’État partie considère donc que la requête est fondée sur le mécontentement du requérant à l’égard des décisions des autorités nationales.

4.3L’État partie fait observer que le requérant n’a pas expliqué en quoi le Canada aurait commis une violation de ses droits au titre de l’article premier de la Convention. Même si les affirmations du requérant concernant les tortures que lui auraient infligées les autorités ouzbèkes étaient vraies, la responsabilité du Canada en vertu de l’article premier ne serait pas engagée, dans les faits ou en droit. Cette partie de la requête est donc dénuée de fondement et incompatible avec la Convention.

4.4En ce qui concerne les recours internes, l’État partie fait valoir que le requérant n’a pas présenté à la Cour fédérale de demande d’autorisation de contrôle juridictionnel de la décision par laquelle sa demande de permis de séjour pour raisons humanitaires avait été rejetée. Rappelant la jurisprudence du Comité, il affirme que la demande pour raisons humanitaires constitue un recours utile qui devrait être épuisé. Les demandes de ce type peuvent être fondées sur le risque et déboucher, si elles sont acceptées, sur l’octroi d’un permis de séjour puis sur l’acquisition de la citoyenneté sous réserve de certaines interdictions liées à la sécurité et à la criminalité, qui ne s’appliquent pas en l’espèce.

4.5L’État partie soutient en outre que la plainte est manifestement dénuée de fondement puisque le requérant n’a pas étayé ses griefs au titre de l’article 3, ne serait-ce qu’à première vue. Il rappelle l’Observation générale du Comité sur l’application de l’article 3, qui fait peser la charge de la preuve sur le requérant en spécifiant que c’est à lui qu’il incombe d’établir qu’il risque d’être soumis à la torture. La plainte doit être étayée par des faits suffisamment solides, ne se limitant pas à de simples supputations ou soupçons. L’État partie affirme que la crédibilité du requérant est loin d’être établie et que ses allégations sont incohérentes et peu plausibles. Aucun rapport médical ni autre document crédible ne prouve qu’il a déjà été torturé. Même s’il a effectivement subi des actes de torture, ceux-ci auraient été commis en 1995, et non dans un passé récent. Il n’existe aucune raison plausible de penser qu’il présente les caractéristiques d’une personne à laquelle s’intéresseraient les autorités ouzbèkes ou que son retour en Ouzbékistan l’exposerait à un risque particulier.

4.6L’État partie affirme que l’analyse des preuves et les conclusions établies par la Commission, ainsi que par l’agent chargé d’évaluer les risques auxquels serait exposé le requérant s’il était renvoyé en Ouzbékistan étaient appropriées et fondées. Il rappelle la jurisprudence du Comité, selon laquelle il n’a pas compétence pour examiner l’appréciation qui a été faite de la crédibilité des allégations dans une affaire à moins qu’il ne soit manifeste que cette appréciation a été arbitraire ou a constitué un déni de justice. Il cite plusieurs exemples d’incohérences et d’éléments peu crédibles dans les déclarations du requérant. Ce dernier a fourni des renseignements contradictoires concernant ses documents d’identité: il a d’abord déclaré aux services d’immigration canadiens qu’il avait détruit ses documents de voyage en Islande avant de monter à bord du navire à destination du Canada, puis il a indiqué sur sa fiche de renseignements personnels qu’il avait détruit son passeport en Allemagne. Il a également reconnu avoir utilisé différents faux noms pour présenter ses demandes de statut de réfugié en Allemagne et en Norvège. Les supposés documents d’identité faxés par sa femme depuis Doubaï ne sont pas suffisamment fiables pour permettre d’établir son identité.

4.7L’État partie considère également que les doutes de la Commission en ce qui concerne l’arrestation du requérant et les mauvais traitements qui lui auraient été infligés en 1995 sont fondés. Il fait valoir que le requérant n’a pas mentionné son arrestation lors de son premier entretien avec un agent des Services d’immigration et qu’il a donné à la Commission des renseignements contradictoires, en déclarant dans un premier temps que les menaces de mauvais traitements n’avaient pas été mises à exécution avant d’affirmer qu’on lui avait enfoncé des aiguilles sous les ongles. Il a également déclaré qu’il avait du sang dans les urines et dans les poumons mais n’a produit aucun document médical qui permette de corroborer ces affirmations. Il n’a pas mentionné l’arrestation de son père lorsqu’il a été interrogé par les agents des Services d’immigration canadiens à son arrivée au Canada. L’État partie prend note de la déclaration du requérant, qui a expliqué qu’un enquêteur ouzbek l’avait abordé alors qu’il se trouvait à Doubaï et qu’il avait été menacé de problèmes avec son visa s’il ne retournait pas en Ouzbékistan pour témoigner contre des militants tatars. Enfin, il fait valoir que ses tentatives pour induire en erreur les autorités chargées de l’asile dans les autres États jettent le doute sur la fiabilité de ses allégations devant les tribunaux canadiens.

4.8Renvoyant à la jurisprudence récente du Comité concernant des procédures d’expulsion vers l’Iraq et vers l’Iran, l’État partie fait observer que la situation des droits de l’homme en Ouzbékistan n’est pas telle qu’il y ait lieu de craindre que le requérant encoure un risque réel et personnel d’être soumis à la torture s’il était expulsé vers ce pays. Relevant que le requérant affirme qu’il court le risque d’être torturé en Ouzbékistan parce qu’il est tatar d’origine, l’État partie fait observer qu’aucun des principaux rapports sur la situation des droits de l’homme en Ouzbékistan ne laisse entendre que les Tatars courent un risque particulier d’être soumis à la torture dans ce pays.

Commentaires du requérant

5.1Dans une note du 7 juillet 2008, le requérant réfute les observations de l’État partie. Il fait valoir que plus de six mois s’étaient écoulés avant que ne lui soient notifiées les décisions concernant sa demande de permis de séjour pour raisons humanitaires et l’examen des risques avant renvoi, qui étaient datées du 11 mai 2006. Il affirme qu’il n’a été informé de ces décisions qu’après avoir déposé une plainte auprès de la Cour fédérale et avoir reçu un arrêté d’expulsion daté du 18 octobre 2006. Les deux décisions ont été rendues par le même agent des Services d’immigration. Le requérant affirme qu’il a demandé un sursis à l’expulsion et une autorisation de contrôle juridictionnel des deux décisions. Le dossier ne contient pas de copie de sa demande de contrôle juridictionnel de la décision de refus du permis de séjour pour raisons humanitaires.

5.2Le requérant fait en outre valoir que sa crédibilité a été entamée par son avocat canadien, commis d’office au titre de l’aide juridictionnelle. Il affirme que celui-ci n’a pas agi dans son intérêt et n’a pas présenté tous les faits et documents voulus à l’appui de ses requêtes. Il aurait en outre refusé de le représenter devant la Cour fédérale.

5.3Le requérant note que l’État partie affirme qu’il n’a pas mentionné son arrestation lors de son entretien initial avec un agent des Services d’immigration, et qu’il a fourni des renseignements contradictoires à la Commission, en disant dans un premier temps que les menaces de mauvais traitements n’avaient pas été mises à exécution, avant de déclarer qu’on lui avait enfoncé des aiguilles sous les ongles. Le requérant affirme qu’il ne se souvient pas s’il avait mentionné ce détail ou non. Il se peut qu’il ait montré ses doigts aux membres de la Commission, avec leur accord. Ceux-ci n’avaient rien demandé de plus à ce moment‑là. Le requérant fait valoir qu’il n’est pas en mesure de produire un document médical attestant la présence de sang dans ses urines et dans ses poumons pour prouver les mauvais traitements qu’il a subis. Il aurait fallu pour cela qu’il demande à ses tortionnaires un examen médical, ce qui n’est pas réaliste.

5.4En ce qui concerne son identité, le requérant explique qu’il a remis au tribunal l’original de son bulletin de naissance, qui indique que ses deux parents sont tatars, ce document étant le seul en Ouzbékistan à contenir ces précisions sur l’appartenance ethnique. Il affirme que les autorités canadiennes ont utilisé l’argument des contradictions concernant ses documents d’identité pour saper sa crédibilité et qu’il aurait été plus simple pour elles d’obtenir des éclaircissements par le biais de son avocat dès le début de la procédure d’asile. Il fait valoir qu’il serait passé par la voie officielle pour émigrer en Allemagne, comme il l’avait prévu, s’il n’avait pas reçu de menaces d’un enquêteur ouzbek.

5.5Le requérant fait observer que les incohérences concernant les documents qu’il a utilisés pour entrer au Canada pourraient être dues à l’absence d’autres éléments de preuve. Il soutient qu’il n’avait pas de documents sur lui lorsqu’il est arrivé au Canada parce qu’il les avait détruits en Islande. Il avait détruit son passeport plus tôt, après avoir passé la douane à son arrivée en Allemagne, par crainte d’être expulsé vers l’Ouzbékistan.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles; cette règle ne s’applique pas s’il est établi que les procédures de recours ont excédé des délais raisonnables et s’il est peu probable qu’elles donnent satisfaction à la victime présumée à l’issue d’un procès équitable.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la requête devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention étant donné que le requérant n’a pas présenté de demande de contrôle juridictionnel de la décision en date du 11 mai 2006 concernant sa demande de permis de séjour pour raisons humanitaires. Il note également que le requérant ne conteste pas l’utilité de ce recours, bien qu’il ait eu la possibilité de le faire. À cet égard, le Comité rappelle que lors de sa vingt-cinquième session, dans ses observations finales sur le rapport de l’État partie, il avait examiné la question de la demande de «dispense ministérielle pour raisons d’ordre humanitaire». Il avait alors relevé le manque d’indépendance dont semblaient faire preuve les fonctionnaires chargés d’examiner ce type de recours, ainsi que le fait qu’une personne pouvait être expulsée alors que ledit recours était en cours d’examen. Il avait conclu que cela pouvait amoindrir l’efficacité de la protection des droits énoncés au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. Le Comité avait noté que, bien que le droit de bénéficier d’une assistance pour des raisons humanitaires puisse fonder un recours prévu par la loi, cette assistance était accordée par un ministre sur la base de critères purement humanitaires, et non sur une base juridique, et constituait ainsi plutôt une faveur. Il a également observé que lorsqu’une demande de contrôle juridictionnel est acceptée, la Cour fédérale renvoie le dossier à l’instance qui a pris la décision initiale ou à une autre instance compétente, de sorte qu’elle ne procède pas elle-même au réexamen de l’affaire et ne rend pas de décision. La décision relève plutôt du pouvoir discrétionnaire d’un ministre et donc du pouvoir exécutif. Le Comité ajoute que si le recours fondé sur des considérations humanitaires n’est pas de ceux qui doivent avoir été épuisés pour satisfaire à la règle de l’épuisement des recours internes, alors la question du recours contre une telle décision ne se pose pas.

6.4Le Comité rappelle également que, conformément à sa jurisprudence selon laquelle, en vertu du principe de l’épuisement des recours internes, le requérant est tenu d’engager des recours qui soient directement en rapport avec le risque d’être soumis à la torture dans le pays où il serait envoyé et non pas des recours qui pourraient lui permettre de rester dans le pays où il se trouve.

6.5En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article premier, le Comité note que l’État partie affirme que cette partie de la requête est dénuée de fondement et incompatible avec les dispositions de la Convention. Le Comité relève que le requérant n’étaye pas ses griefs au titre de l’article premier et ne réfute pas les arguments de l’État partie s’y rapportant. En conséquence, il déclare cette partie de la requête irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention.

6.6En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 3, le Comité considère que les arguments présentés par le requérant en ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme en Ouzbékistan, les allégations de discrimination à l’égard des Tatars et les tortures qu’il aurait subies par le passé en Ouzbékistan soulèvent des questions qui devraient être examinées quant au fond et pas seulement sur le plan de la recevabilité. En conséquence, il déclare cette partie de la requête recevable.

Délibérations du Comité sur le fond

7.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Ouzbékistan, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

7.2Le Comité rappelle son observation générale relative à l’article 3 et sa jurisprudence, qui établissent qu’il incombe généralement au requérant de présenter des arguments défendables et que l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Tout en prenant note de l’Observation générale no 1, il rappelle également qu’il est habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de l’affaire.

7.3Le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture en Ouzbékistan. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence dans un pays d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser qu’elle courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

7.4Le Comité est conscient que la situation des droits de l’homme en Ouzbékistan laisse beaucoup à désirer. Il a lui-même relevé les allégations nombreuses, persistantes et cohérentes faisant état d’un recours systématique à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par des agents de la force publique et des enquêteurs ou bien à leur instigation ou avec leur consentement, souvent dans le but d’extorquer des aveux ou des informations aux fins de l’action pénale et au cours de la détention provisoire, avant que l’intéressé n’ait été inculpé et alors qu’il est privé des garanties fondamentales, ainsi que le fait que ces allégations ne donnaient pas lieu à l’ouverture rapide d’enquêtes impartiales et complètes. Il note cependant que le requérant n’a pas fourni d’éléments suffisants pour établir que les Tatars, et donc lui-même, étaient victimes de discrimination à un point tel qu’il se trouverait exposé à un risque particulier d’être soumis à la torture en Ouzbékistan. À cet égard, dans ses décisions antérieures, le Comité a statué que le requérant devait courir personnellement un risque réel et prévisible d’être torturé.

7.5Le Comité note que bien que plusieurs demandes lui aient été faites dans ce sens, le requérant n’a fourni aucun rapport médical ni aucun autre document permettant de vérifier les événements qui se sont déroulés en Ouzbékistan avant son départ, à savoir son arrestation présumée et les mauvais traitements qu’il aurait subis en détention en 1995, qui corroboreraient ses allégations ou confirmeraient d’éventuelles séquelles. Il n’a pas non plus fourni de rapport médical qui aurait été établi après son arrivée au Canada. Dans ces circonstances, il conclut que le requérant n’a pas établi qu’il court personnellement un risque réel d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en Ouzbékistan à l’heure actuelle.

8.Compte tenu de ce qui précède, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la décision de l’État partie de renvoyer le requérant en Ouzbékistan ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra aussi ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]