NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.

RESTREINTE*

CAT/C/43/D/331/2007

10 décembre 2009

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Quarante-troisième session

2 - 20 novembre 2009

DÉCISION

Communication No. 331 /2007

Présentée par:M. Michel Minani (représenté par Me Carlos Hoyos-Tello LL. M.)

Au nom de:Le requérant

État partie:Canada

Date de la requête:16 septembre 2007 ((lettre initiale)

Date de la présente décision5 novembre 2009

Objet: Risque de déportation du requérant vers le Burundi

Question de fond : risque de torture après renvoi

Question de procédure: Aucune

Article de la Convention: 3

[ANNEXE]

ANNEX E

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

Quarante-troisième session

concernant la

Communication No. 331 / 2007

Présentée par:M. Michel Minani (représenté par Me Carlos Hoyos-Tello LL. M.)

Au nom de:Le requérant

État partie:Canada

Date de la requête:16 septembre 2007

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 5 novembre 2009,

Ayant achevél’examen de la requête No. 331/2007, présentée au nom deM. Michel Minani en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

Le requérant, M. Michel Minani, a présenté sa requête au Comité le 16 septembre 2007. Ressortissant burundais et résident au Canada, il fait l’objet d’un arrêté d’expulsion à destination de son pays d’origine. Il est marié à Eliane Ndimurkundo, citoyenne canadienne avec laquelle il a eu un fils, Yann, âgé de deux ans et de nationalité canadienne. Il prétend que son retour forcé au Burundi constituerait une violation par le Canada de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par Me Carlos Hoyos-Tello.

Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l’attention de l’Etat partie par une note verbale en date du 18 octobre 2007, sans joindre une demande de mesures provisoires de protection.

Le r appel des faits présentés par le requérant

Le requérant est membre de l’organisation burundaise Puissance Autodéfense (PA)-Amasekanya qui, depuis 1994, dénonce l’impunité dont bénéficient les responsables du génocide contre les tutsis. Pour l’auteur, les membres de cette organisation qui est impliquée dans la lutte contre le génocide et la protection des minorités au Burundi, courent des risques de torture ou de mauvais traitements lorsqu’ils s’expriment ou tentent de faire des manifestations publiques.

Une lettre du 10 janvier 2007 de la part du Président de la Ligue Burundaise des droits de l’homme mentionne le requérant, en notant que « toute personne qui critique les actions du pouvoir tel que MINANI Michel et d’autres courent le même risque d’être emprisonné ». La réaction des gouvernements successifs du Burundi a été la détention massive de membres de la PA-Amasekanya. Son chef a été détenu de nombreuses fois, la publication de son livre et d’autres écrits interdite. Le requérant soutient qu’au Burundi, les détenus politiques tels que les membres de PA-Amasekanya sont détenus ensemble avec les prisonniers de droit commun. Les conditions de détention sont prétendument cruelles. Les détenus sont souvent battus et torturés.

Entre février et mai 2004, au moins 75 membres de la PA-Amasekanya ont été arrêtés lors de plusieurs manifestations pacifiques, y compris le frère de M. Minani, Jean-Paul Minani. M. Michel Minani était présent à une manifestation de PA-Amasekanya en mars 2004, où plusieurs manifestants ont été arrêtés. Le 15 mai 2004, suite à une autre manifestation de l’organisation, le requérant a parlé au nom de PA-Amsekanya à la Radio publique africaine. Suite à cette intervention radiophonique, le requérant a appris d’un ami membre de la sureté nationale qu’il était recherché.Le requérant s’est caché dans une autre ville jusqu’à son départ vers le Canada le 28 juillet 2004.

Lors de son arrivée au Canada le 12 août 2004, le requérant a aussitôt revendiqué le statut de réfugié. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a entendu sa demande le 8 août 2005 et l’a rejetée le 07 septembre 2005 au motif que le requérant était exclu de l’application de la définition de réfugié au sens de la Convention et de la qualité de personne à protéger aux termes des articles 1F(a) et 1F(c) de l’article premier de la Convention. Le CISR justifia cette décision au motif que l’organisation PA-Amasekanya, dont le requérant est membre, est une organisation à des fins limitées et brutales qui aurait « commis des violations aux droits humains ou internationaux. Le requérant a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire le 23 septembre 2005 à l’encontre de la décision rendue par le CISR le 7 septembre 2005. Dans cette demande, le requérant argumentait qu’il n’occupait pas un poste de commande au sein de PA-Amasekanya et que par conséquent, les actes de l’organisation ne sauraient lui être imputés. La Cour fédérale a rejeté sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire le 3 décembre 2005.

En mai 2006, alors qu’il s’apprêtait à soumettre sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), le requérant a appris l’existence d’une note de bas de page figurant dans le rapport écrit en langue anglaise de Human Rights Watch qui avait été utilisé dans la décision de la CISR du 7 septembre 2005. Selon le requérant, cette note de bas de page mentionnait l’existence d’une organisation composée de Forces armées, que certaines communautés auraient surnommée « Amasekanya » et qui ne doit pas être confondue avec l’organisation tutsi à Bujumbura du même nom. La première aurait été l’auteur d’exactions contre des civils alors que la deuxième, dont le requérant est membre serait pacifique. Pour le requérant, les autorités ont confondu deux organisations du même nom. Cette confusion aurait mené à l’exclusion du requérant de la protection du statut de réfugié. La note de bas de page ayant été apposée en langue anglaise et aucune traduction de cette note n’ayant été faite au requérant, il n’y avait eu contestation lors de l’audience et dans les mois qui ont suivi. Sur cette base, le requérant a fait une demande de révision de la précédente décision auprès de la CISR en mai 2006. Le 8 juin 2006, la CISR a rejeté la demande du requérant au motif que sa compétence « en matière de réouverture d’audience est très limitée ». Elle ne concerne que les cas où il y a eu violation des « règles de justice naturelle ». Or tel n’était pas le cas, selon elle, dans le cas présent. La Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision le 25 septembre 2006, sans audience et sans motif.

Le 5 mai 2006, le requérant a soumis la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) avec une lettre de couverture demandant une audience en vertu de l’article 113 (b) de la LIPR. Il n’a été convoqué à aucune audience et sa demande ERAR a été rejetée le 28 octobre 2006, au motif que le requérant n’a pas établi qu’il risquait « d’être torturé ou de subir un traitement ou une peine cruels ou inusités ou de voir [sa] vie menacée advenant un renvoi vers [son] pays de nationalité ou de résidence habituelle » et qu’aucun « nouvel élément de preuve n’a été présenté pour étayer [sa] demande. »

Le demandeur a été convoqué au CIC Hull pour recevoir la décision ERAR. La convocation étant arrivée le 14 décembre 2006, après le rendez-vous proposé (le 7 décembre), le requérant a été sommé de se présenter immédiatement au CIC. Le 15 décembre 2006, le requérant s’est présenté au CIC où il a reçu sa décision ERAR et où il a été immédiatement arrêté. Son épouse a payé une caution de $CAN 5,000 pour le libérer. Le 18 décembre 2006, le requérant a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision ERAR.

Le renvoi du Canada étant fixé pour le 19 janvier 2007 vers le Burundi, le requérant a présenté une requête en sursis du renvoi prévu auprès du Ministre de la justice du Canada le 15 janvier 2007. Le dépôt à la Cour fédérale s’est fait le lendemain. Le 17 janvier 2007, la Cour fédérale a refusé d’entendre sa requête. Le demandeur ne s’est pas présenté pour son renvoi mais a poursuivi le recours devant la Cour fédérale.

Le 29 mars 2007, la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision ERAR que le requérant avait présentée le 18 décembre 2006 a été rejetée par la Cour fédérale. Le requérant est sous le coup d’un mandat d’arrestation des autorités de l’immigration et d’une ordonnance de déportation.

Teneur de la plainte

Le requérant fait valoir que s’il était renvoyé au Burundi, il ferait l’objet de tortures, en violation de l’article 3 de la Convention du fait de son appartenance et de son engagement au sein de l’association PA-Amasekanya.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la requête

Le 23 avril 2008, l’Etat partie a présenté des observations sur la recevabilité et, subsidiairement sur le fond de la requête. Il soutient que la communication du requérant est irrecevable parce qu’elle ne révèle pas le fondement minimum nécessaire afin de la rendre compatible avec l’article 22. Il fait aussi valoir que la requête repose sur de simples supputations et ne révèle aucun motif sérieux de croire que l’auteur risque personnellement de subir la torture advenant son renvoi au Burundi. En particulier, il soutient qu’il n’existe aucune preuve qu’un quelconque membre de l’organisation à laquelle appartient le requérant ait été torturé par les autorités burundaises.

L’Etat partie décrit les différents recours présentés par le requérant pour justifier de la régularité de la procédure et de l’inutilité pour le Comité de réapprécier les faits qui la constituent. En effet, selon l’Etat partie, en l’absence de preuve d’erreur manifeste, d’abus de procédure, de mauvaise foi, de partialité manifeste ou d’irrégularités graves dans la procédure, le Comité ne devrait pas substituer ses propres conclusions de fait aux conclusions d’instances canadiennes.

L’Etat partie commence par s’interroger de la raison pour laquelle, alors qu’il a transité par la France et la Suisse avant d’arriver au Canada, le requérant n’a pas fait de demande d’asile dans ces deux pays. L’Etat partie cite le requérant qui justifiait cette situation par le fait qu’il était entre les mains des passeurs qui lui dictaient sa conduite. Concernant le rejet du statut de réfugié, le 5 mai 2005, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada est intervenu auprès de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) pour demander l’exclusion de M. Minani du système de protection des réfugiés au motif que l’organisation à laquelle il appartenait avait commis des violations de droits humains et que M. Minani avait connaissance de ces violations. Le 7 septembre 2005, après avoir entendu M. Minani et son avocat de vive voix, la CISR a décidé d’exclure M. Minani du système de protection des réfugiés. L’Etat partie avance que la CISR a longuement interrogé M. Minani sur les activités de PA-Amasekanya. Aux questions de la CISR, le requérant répondait qu’il n’avait aucune connaissance des crimes attribués à cette organisation. La CISR a conclu que « sa seule appartenance à un tel mouvement est suffisante pour l’exclure » du système de protection. L’Etat partie considère que cette question ne relève pas de la compétence du Comité puisque la première décision de la CISR porte uniquement sur l’exclusion du requérant du système de protection et non pas sur les allégations du risque de torture de celui-ci.

Le 23 septembre 2005, le requérant a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contre la décision de la CISR. Il déclarait dans sa demande qu’il n’avait pas personnellement commis ou encouragé les crimes en question et qu’il n’occupait pas un poste de responsabilité au sein du groupe. Il affirmait être un « simple membre » de l’organisation. L’Etat partie argumente que le requérant ne contestait pas les conclusions de la CISR selon lesquelles l’organisation serait un mouvement « qui prêche la violence et la commet ». Le 3 décembre 2005, la Cour fédérale du Canada a rejeté, sans motif, la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du requérant. L’Etat partie explique que pour obtenir l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire, le requérant aurait dû démontrer qu’il avait une cause défendable, ce qui représente un fardeau de la preuve moins exigeant que le fardeau applicable lors du contrôle judiciaire entendu sur le fond. La Cour peut accueillir une demande s’il est établi qu’un organisme administratif a commis une erreur de compétence, de justice naturelle, de droit ou toute autre erreur manifeste, abusive ou arbitraire. L’Etat partie rappelle qu’aucun de ces motifs n’a été retenu par la Cour.

Le 9 mai 2006, le requérant a soumis une demande de réouverture de la procédure auprès de la CISR au motif que celle-ci avait commis une erreur dans sa décision du 7 septembre 2005. Elle avait en effet tenu compte d’un rapport de Human Rights Watch qui n’avait pas été traduit pour lui et auquel il ne pouvait pas répondre. Ce rapport faisait état d’un massacre perpétré par une organisation que les communautés appelaient « Amasekanya ». Le requérant a avancé qu’il y avait eu confusion entre l’organisation à laquelle il appartenait et l’organisation citée par Human Rights Watch. Cette confusion était au cœur de son exclusion du système de protection des réfugiés. Le 23 mai 2006, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a soumis une objection à la demande de réouverture de M. Minani au motif que le document en question avait été envoyé à l’avocat du requérant trois mois avant son audience et que l’avocat ne s’était pas plaint des éléments de preuves déposés en anglais. L’ASFC a également argumenté que ce document n’était qu’un parmi d’autres éléments de preuve à l’appui de sa décision. Le 8 juin 2006, après avoir entendu le requérant, la CISR a rejeté la demande de réouverture. Le 25 septembre 2006, la Cour fédérale a rejeté, sans motif, la demande du requérant d’autorisation et de contrôle judiciaire contre la décision de la CISR.

Le 4 mai 2006, le requérant a soumis une demande d’ERAR. Selon l’Etat partie, le requérant ne motivait pas sa demande et n’apportait aucun élément de preuve. Aux questions liées à la description des évènements ayant mené la personne à demander la protection et aux éléments de preuve s’y rapportant, le requérant a indiqué que ces pièces seraient fournies ultérieurement. Il était fait référence à une lettre attachée à la demande. L’Etat partie avance qu’aucune lettre n’y était attachée. Le 28 octobre 2006, en l’absence de ces pièces justificatives, l’agent d’ERAR a pris sa décision se basant sur le dossier initial de requérant ainsi que sur des sources documentaires plus récentes. Ces documents relatent d’importants changements politiques survenus au Burundi depuis le départ du requérant. L’agent d’ERAR a rejeté la demande du requérant au motif que le requérant n’apportait pas la preuve qu’il risquerait de subir la torture ou un autre traitement prohibé advenant son retour au Burundi. L’Etat partie ajoute que l’agent d’ERAR a agi conformément au droit canadien qui n’exige pas la tenue d’une audience dans les cas où l’agent ne questionne pas la crédibilité du requérant. Le 18 décembre 2006, le requérant a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contre la décision de l’agent d’ERAR. Le 27 mars 2007, la Cour fédérale a rejeté cette demande.

Le 15 janvier 2007, le requérant a soumis une demande de sursis à exécution de la mesure de renvoi devant être exécutée le 17 janvier 2007. La Cour a rejeté cette demande au motif que le requérant n’avait pas justifié son défaut de présenter sa demande de sursis dans les délais impartis. Le 18 janvier 2007, un mandat d’arrestation a été émis contre le requérant en raison de son défaut de se présenter aux bureaux de l’ASFC tel que convenu. L’auteur ne s’est pas présenté à l’aéroport de Montréal pour son renvoi au Burundi le 19 janvier 2007. M. Minani n’a pas communiqué avec les autorités canadiennes depuis cette date et vit actuellement dans la clandestinité.

L’Etat partie soutient que la requête de M. Minani ne révèle pas le fondement minimum nécessaire afin de la rendre compatible avec l’article 22 de la Convention. L’article 3 exige « des motifs sérieux de croire que l’auteur d’une communication risque d’être soumis à la torture ». « L’existence d’un tel risque doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. » L’Etat partie soutient que les conditions établies par l’article 127 du règlement intérieur ne sont pas remplies.

Selon l’Etat partie, la requête est dénuée de fondement compte tenu du manque de preuves à l’appui d’un risque de torture personnel, que ce soit en tant qu’individu ou en tant que membre de l’organisation PA-Amasekanya. Aucun élément de preuve n’indique qu’un quelconque membre de cette organisation ait subi la torture. Le requérant fait uniquement référence à son risque d’être arrêté. Il ajoute que les détenus dans les prisons burundaises « sont souvent battus et torturés ». L’Etat partie considère qu’aucun élément du dossier n’apporte la preuve que la torture est systémique et endémique dans les prisons burundaises.Parmi les membres des groupes particulièrement à risque dans les prisons burundaises ne figurent pas ceux de PA-Amasekanya.

L’Etat partie invoque aussi le manque de preuve qu’il existerait un risque pour le requérant d’être incarcéré et donc exposé aux mauvais traitements à son retour au Burundi. Le requérant fait référence à une lettre écrite par le Président de la Ligue Burundaise des droits de l’homme qui cite M. Minani comme étant particulièrement exposé à ces risques. L’Etat partie met en doute que la personne visée par la lettre est la personne de M. Minani puisque celui-ci même a déclaré lors de l’audience devant la Cour fédérale le 23 septembre 2005 qu’il n’était qu’un simple membre de l’organisation PA-Amasekanya et qu’il n’a prouvé avoir participé qu’à une émission de radio.

Les « détentions nombreuses, parfois massives » mentionnées par le requérant se sont produites en février et en mai 2004. Tous les membres de l’organisation arrêtés durant ces évènements ont depuis été libérés. Il n’y aurait donc pas un risque actuel d’emprisonnement du fait de l’appartenance à PA-Amasekanya. L’Etat partie rappelle que l’article 3 de la Convention mentionne le risque de torture et non de détention comme fondement du principe de non-refoulement. L’Etat partie argumente que le risque de traitement prohibé par l’article 16 de la Convention n’est pas couvert par l’article 3 qui ne se réfère qu’à la torture au sens de l’article 1. Pour l’Etat partie, le requérant n’a pas démontré que les conditions de détention au Burundi sont inhumaines, cruelles ou dégradantes.

Subsidiairement à ses observations sur la recevabilité, l’Etat partie soutient que la requête devrait être rejetée sur le fond pour les motifs énoncés ci-dessus.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie et le fond de la requête

Sur la recevabilité de la requête pour manque de fondement des allégations présentées par le requérant, le Conseil considère qu’il y a eu erreurs manifestes et irrégularités graves dans la procédure de recours. Le Conseil maintient par conséquent que le Comité devrait se prononcer sur ces questions. Il fait référence à l’erreur manifeste dans la décision du 7 septembre 2005 dans laquelle le requérant a été exclu du système de protection des réfugiés.Malgré l’obligation en droit canadien de traduire dans la langue du justiciable les preuves utilisées contre lui, personne n’a traduit la note de bas de page contenue dans le rapport de Human Rights Watch utilisé lors de l’audience devant la CISR. L’Etat partie ne peut pas invoquer le délai qui avait été laissé au requérant pour obtenir la traduction du document, pour se décharger de son obligation de traduire ces pièces. Le requérant ajoute que la décision de la CISR n’a même pas mentionné cette note de bas de page ce qui l’exclut des preuves qui auraient pu être utilisées pour exclure l’intéressé. Pour le requérant, ce document est au cœur de la décision de l’exclure. S’agissant des autres documents utilisés par les autorités, le requérant les considère comme non-pertinents puisqu’ils ne font que reprendre les « bons mots » des porte-parole gouvernementaux mais ne parlent jamais de crimes identifiés qu’Amasekanya aurait commis.

Selon le requérant, toute l’irrégularité de la procédure repose sur le fait qu’il a été exclu de la protection liée au statut de réfugié. Le requérant note que l’organisation à laquelle il appartient est pacifique. A l’appui de son argumentation, il cite un affidavit du président de PA-Amasekanya, qui rapporte des persécutions telles quel’interruption par la police le 13 octobre 2007 d’une réunion de l’organisation. L’affidavit fait référence à l’arrestation le 21 octobre 2007 de 10 membres de l’organisation qui durant leur détention auraient été torturés, battus et dont les familles n’auraient pu leur apporter de la nourriture. Le président de PA-Amasekanya ajoute que chaque fois qu’ils organisent des manifestations, les membres de l’organisation courent le risque d’être emprisonnés, torturés ou battus. Certains membres de l’organisation ont été tués par des groupes génocidaires du Burundi. Pour le requérant, son appartenance au mouvement PA-Amasekanya implique le même risque d’être torturé que les autres membres déjà arrêtés et torturés. Le requérant mentionne également l’arrestation puis la disparition de son frère Jean-Paul Minani depuis 2004.

Le requérant réaffirme que l’individu mentionné dans la lettre du Président de la ligue burundaise des droits de l’homme du 10 janvier 2007 correspond bien à lui-même. Le risque personnalisé pour le requérant est ainsi confirmé. Le requérant réfute donc l’argument de l’Etat partie selon lequel il n’y a pas de risque personnel pour le requérant d’être torturé.

Quant à l’argument selon lequel la torture dans les prisons burundaises n’est pas systémique, le requérant mentionne un rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Burundidans lequel il est fait référence au nombre croissant des cas de torture notamment lors des arrestations. Ce rapport est en contradiction avec les affirmations du Canada que la torture n’est pas une pratique systémique dans les prisons burundaises.

Enfin, le requérant avance que sa demande de sursis au renvoi au Burundi a respecté les délais impartis par la loi et que la jurisprudence qui a conduit la Cour fédérale à rejeter la demande du requérant concerne des demandes faites seulement quelques heures avant le renvoi et non quelques jours comme dans le cas du requérant.

Selon le requérant, le fait d’avoir été injustement « étiqueté » comme appartenant à une organisation criminelle dès le début de la procédure a faussé le jugement des autorités et mené à son exclusion de la protection du statut de réfugié. L’injustice « flagrante » dont a fait preuve la décision de la CISR a eu un impact sur toutes les décisions ultérieures.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Le Comité note que l’Etat partie a soulevé une objection concernant la recevabilité de la communication, fondée sur le fait qu’elle serait manifestement dénuée de fondement en raison de l’absence de preuves et que le risque allégué par le requérant ne rencontrerait pas la définition de l’article 1 de la Convention. La requête serait donc incompatible avec l’article 22 de la Convention. Cependant, le Comité est d’avis que les arguments qui lui ont été soumis semblent soulever des questions qui devraient être examinées au fond plutôt qu’au seul niveau de la recevabilité. Ne pouvant identifier d’autres obstacles quant à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen sur le fond.

Examen au fond

Le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant vers le Burundi violerait l’obligation de l’Etat partie, en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre Etat où il a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

En procédant à l’évaluation du risque de torture, le Comité tient compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l'article 3, y compris de l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, le but de cette analyse est de déterminer si les intéressés risqueraient personnellement d'être soumis à la torture dans le pays où ils seraient renvoyés. Il s'ensuit que l'existence, dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d'établir qu'une personne donnée serait en danger d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l'intéressé serait personnellement en danger. Pareillement, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

Le Comité rappelle son Observation générale N° 1 concernant l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, dans laquelle il expose qu'il doit déterminer s'il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque d'être soumis à la torture s'il est renvoyé dans le pays concerné. Il n'est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable, mais ce risque doit être encouru personnellement et actuellement. A cet égard, le Comité a établi dans des décisions antérieures que le risque de torture devait être « prévisible, réel et personnel ».

En ce qui concerne le fardeau de la preuve, le Comité rappelle également son observation générale ainsi que sa jurisprudence selon laquelle il incombe généralement au requérant de présenter des arguments défendables et que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

En évaluant le risque de torture dans le cas à l'examen, le Comité a noté l’affirmation du requérant selon laquelle il est membre de l’organisation burundaise Puissance Autodéfence (PA)-Amasekanya qui, depuis 1994, dénonce l’impunité dont bénéficient les responsables du génocide contre les tutsis. Il a également pris note de l’allégation selon laquelle en tant que membre de cette organisation, le requérant court un risque d’être arrêté puis torturé pendant sa détention, allégation se fondant principalement sur une lettre datant du 10 janvier 2007 écrite par le Président de la ligue burundaise des droits de l’homme mentionnant le requérant comme courant un risque élevé d’être emprisonné. Le Comité a noté l’allégation selon laquelle le requérant a fait une allocution à la radio en 2004 qui a, selon lui, déclenché un avis de recherche contre lui. Le Comité a noté l’argument du requérant selon lequel les membres de l’organisation PA-Amasekanya sont torturés en détention. Il note que le requérant a fourni une lettre écrite par le président de l’organisation attestant de tortures pratiquées sur des membres de l’organisation aujourd’hui libérés. Le Comité note enfin que le frère du requérant aurait été arrêté en 2004 et aurait disparu depuis.

L’Etat partie conteste le fondement des allégations du requérant, compte tenu du manque de preuves à l’appui d’un risque de torture personnel, que ce soit en tant qu’individu ou en tant que membre de l’organisation PA-Amasekanya. Il invoque le manque de preuve quant au risque pour le requérant d’être incarcéré et exposé aux mauvais traitements à son retour au Burundi. Il a aussi mis l’accent sur d’importants changements politiques survenus au Burundi depuis le départ du requérant.

Le Comité note que le requérant n’a pas apporté la preuve qu’il était recherché par les autorités burundaises. Le requérant a basé l’allégation de risque de torture en cas de déportation au Burundi sur sa simple appartenance à l’organisation PA-Amasekanya. Après avoir argumenté devant les instances canadiennes qu’il était un membre actif et engagé de l’organisation, il a changé son argumentation et admis qu’il n’était qu’un « simple membre », lorsque les autorités canadiennes ont fait valoir qu’une participation à cette organisation serait un motif d’exclusion de la protection du statut de réfugié. Le requérant a fait valoir que les membres de PA-Amasekanya étant particulièrement à risque d’être arrêtés et torturés, son sort ne serait pas différent s’il était renvoyé au Burundi. Seule une lettre signée par le Président du mouvement atteste de l’existence d’actes de torture à l’encontre des membres de cette organisation. Elle n’est accompagnée d’aucun témoignage de victime ou autre document pertinent permettant au Comité de conclure à l’existence d’un risque réel pour le requérant en tant que membre de ce mouvement. Le Comité relève enfin que le risque d’arrestation du requérant à son retour au Burundi n’est étayé que par une lettre du Président de la ligue burundaise des droits de l’homme datant du 10 janvier 2007 qui ne mentionne qu’un risque d’être emprisonné sans mentionner un risque sérieux, réel et personnel d’être torturé. Le requérant mentionne la disparition de son frère mais n’apporte aucune preuve de cette disparition. Au vu de ce qui précède, le Comité estime que le requérant n’a pas pu apporter des éléments objectifs d’un risque personnel, réel et actuel de torture à son retour au Burundi.

Le Comité note que les arguments du requérant et les preuves fournies pour étayer ceux-ci ont été présentés aux différentes instances de l’Etat partie. Il prend note également de l’observation de l’Etat partie qu’en l’absence d’irrégularité de la procédure, le Comité ne devrait pas substituer ses conclusions à celles des instances canadiennes. Le Comité remarque néanmoins que s’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’Etat partie, il a la faculté d’apprécier librement les faits dans les circonstances de chaque affaire. En l’espèce, le Comité note que le requérant estime qu’il y a eu erreurs manifestes et irrégularités graves dans la procédure concernant le statut de réfugié et que, à cause de ces irrégularités, le risque de torture en cas de renvoi n’a pas été évalué. Or, le Comité constate que ce risque a en fait été évalué dans la décision de l’agent d’ERAR datée du 28 octobre 2006, sur la base de l’ensemble des éléments du dossier mis à sa disposition. En outre, le fait que le requérant n’ait pas obtenu une audience ne constitue pas en soi une irrégularité de la procédure dès lors que ses arguments ont été considérés par les instances canadiennes. En conséquence, les éléments dont le Comité dispose ne montrent pas que l’examen par l’Etat partie des allégations du requérant ait été entaché d’irrégularités.

Enfin, le Comité se doit de réaffirmer qu’aux fins de l’article 3 de la Convention, l’intéressé doit courir un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé. Sur la base de ce qui précède, le Comité estime que le requérant n’a pas étayé son allégation selon laquelle il court un risque réel et imminent d’être torturé à son retour au Burundi.

Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le requérant n’a pas apporté d’éléments suffisants pour étayer son affirmation selon laquelle il serait torturé s’il était renvoyé au Burundi et conclut par conséquent que son renvoi dans ce pays ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais, en espagnol, en français (version originale) et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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