Nations Unies

CAT/C/66/D/776/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

5 août 2019

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 776/2016 * , ** , ***

Communication présentée par :

X. et Y. (représentés par un conseil, Marcel Zirngast)

Victime(s) présumée(s) :

Les requérants

État partie :

Suisse

Date de la requête :

19 octobre 2016(date de la lettre initiale)

Références  :

Décision prise en application des articles 114 et 115 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 25 octobre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

23 avril 2019

Objet :

Expulsion vers le Pakistan

Question(s) de procédure :

Néant

Question(s) de fond :

Risque pour la vie ou risque de torture ou de traitement inhumain ou dégradant en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non‑refoulement)

Article(s) de la Convention :

3 et 22

1.1Les requérants sont X. et Y., de nationalité pakistanaise, nés en 1966 et 1973, respectivement. Ils affirment, suite au rejet de leur demande d’asile en Suisse, qu’en les expulsant vers le Pakistan, l’État partie violerait les droits qu’ils tiennent de l’article 3 de la Convention. Les requérants sont représentés par un conseil, Marcel Zirngast.

1.2Le 26 octobre 2016, le Comité agissant en application de l’article 114 de son règlement intérieur par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser les requérants tant que leur communication serait à l’examen. Le 31 octobre 2016, l’État partie a indiqué que le renvoi des requérants avait été suspendu conformément à la demande du Comité. Le 4 décembre 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire du même rapporteur, a rejeté la demande de l’État partie tendant à ce qu’il soit mis fin à l’examen de la communication.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1Les requérants sont catholiques et mariés l’un à l’autre. En 2006, le requérant a commencé à travailler à l’ambassade de Suisse à Islamabad comme employé de bureau. À partir de 2010, il a commencé à recevoir des appels téléphoniques réguliers de personnes lui proposant des pots de vin en échange de faux visas.

2.2En février 2011, ces personnes l’ont accosté dans la rue en réitérant leur demande. Face à son refus persistant, les appels téléphoniques au bureau se sont faits plus menaçants. Début mars 2011, il a reçu une lettre de menaces. À la mi-avril 2011, à Lahore, les individus qui le menaçaient l’ont agressé et roué de coups.

2.3Environ deux semaines après cette agression, le requérant a appris qu’il avait été signalé à la police pour infraction aux lois interdisant le blasphème. Pensant que cela améliorerait sa situation, il a mis un terme, fin juin 2011, à son contrat de travail à l’ambassade de Suisse. Le 17 juillet 2011, les requérants sont partis pour la Suisse munis de leurs visas suisses permanents.

2.4En septembre 2011, les requérants sont retournés au Pakistan, espérant que leur situation se serait améliorée. À leur arrivée, ils ont appris que la police avait émis un mandat d’arrêt contre eux. Ils sont donc repartis pour la Suisse en octobre 2011.

2.5Le 9 octobre 2011, les requérants ont demandé l’asile en Suisse. Le 4 décembre 2014, l’Office fédéral des migrations a rejeté leur demande. Le 19 septembre 2016, le Tribunal administratif fédéral les a déboutés de l’appel qu’ils avaient interjeté contre cette décision.

Teneur de la plainte

3.1Les requérants affirment que l’État partie violerait leurs droits en les renvoyant au Pakistan, où ils craignent pour leur vie et leur intégrité physique parce que le requérant fait l’objet d’une plainte pénale pour blasphème et que les requérants, étant de confession chrétienne, ne sont pas effectivement protégés par l’État des violences visant les chrétiens. Le requérant risque d’être soumis à la torture ou à d’autres traitements cruels car il est présumé avoir commis un blasphème.

3.2Les requérants n’ont pas été jugés crédibles par l’Office fédéral des migrations et par le Tribunal administratif fédéral bien qu’ils se soient exprimés clairement et en détail lorsqu’ils ont été interrogés par les autorités internes. Ils ont répondu en appel aux questions de l’Office fédéral des migrations concernant leur crédibilité, mais le Tribunal administratif fédéral n’a pas tenu compte de leurs réponses, se bornant à reprendre les conclusions de l’Office qualifiant leurs déclarations d’illogiques, contradictoires et irréalistes. Or le requérant a mentionné plusieurs noms et lieux et décrit avec précision sa rencontre, le 24 février 2011 à Islamabad, avec des individus qui voulaient le forcer à leur procurer illégalement des visas pour la Suisse, ainsi que son agression le 16 avril 2011 par ces mêmes individus dans le parc de la Liberté de Lahore.

3.3Les autorités suisses se sont attachées à de prétendues incohérences dans les déclarations des requérants concernant le moment à partir duquel le requérant avait commencé à recevoir des appels téléphoniques menaçants à l’ambassade de Suisse. Or les requérants ont expliqué qu’ils n’avaient pas perçu d’emblée le caractère menaçant de ces appels et qu’ils en avaient même ri ensemble en se disant que le requérant n’avait même pas le pouvoir de délivrer des visas. C’est seulement après que le requérant eut été accosté dans la rue par cinq personnes qu’ils auraient commencé à comprendre qu’il s’agissait d’appels de menaces. Le requérant a aussi expliqué qu’un standardiste du nom de M. répondait aux appels reçus à l’ambassade et les lui transférait. Les détails fournis aux autorités suisses par les requérants montrent qu’ils ont bien vécu ces événements.

3.4Les autorités suisses ont également relevé des contradictions dans les déclarations des requérants concernant la visite de la police au domicile du frère du requérant. Or les deux requérants ont indiqué qu’après les menaces et l’agression, ils avaient appris qu’une plainte avait été déposée contre eux. Tandis que le requérant se trouvait toujours au Pakistan, des individus sont venus au domicile de son frère et y ont laissé un message à la craie. Les requérants ignoraient alors s’il s’agissait de policiers. Ce n’est qu’après l’arrivée du requérant en Suisse que des policiers sont venus chez son frère pour s’enquérir de l’endroit où il se trouvait. Si le requérant a pu faire aux autorités suisses des déclarations imprécises sur ce point, c’est simplement qu’il ne savait pas si les personnes venues précédemment chez son frère étaient ou non des policiers. Cette confusion peut s’expliquer par le fait qu’au Pakistan, la police est largement corrompue et que l’État ne protège pas les chrétiens visés par des plaintes pénales. Les requérants n’avaient pas eu de contacts avec le frère du requérant au cours de leur premier séjour en Suisse et ne lui avaient pas parlé de leur retour dans ce pays.

3.5Les autorités suisses ont aussi jugé illogique et incompréhensible que les requérants soient retournés de leur plein gré au Pakistan, mais il faut savoir que ceux-ci vivaient confortablement dans ce pays. Ils ont fourni aux autorités suisses des références professionnelles confirmant qu’ils y étaient professionnellement et socialement bien intégrés. Personne ne renoncerait à une telle situation sans de bonnes raisons. Le requérant travaillait comme photographe et son frère possédait un magasin de photo à Lahore. Les deux requérants ont déclaré aux autorités suisses que le requérant, parce qu’il avait démissionné de son poste à l’ambassade de Suisse, espérait que sa situation au Pakistan s’améliorerait. Les requérants s’étaient d’abord rendus en Suisse pour se mettre à l’abri après avoir appris qu’une plainte avait été déposée contre eux auprès de la police. Mais, à ce moment-là, ils n’avaient pas renoncé à vivre au Pakistan. Leur déclaration selon laquelle ils avaient rencontré par hasard un compatriote pakistanais à Zurich, chez qui ils avaient pu habiter quelque temps, est trop précise et atypique pour être mensongère. Ne voulant pas être une charge pour leur compatriote, ils avaient décidé de retourner au Pakistan, où ils souhaitaient vivre. C’est la raison pour laquelle ils n’avaient pas déposé de demande d’asile lors de leur premier séjour en Suisse.

3.6Le requérant a expressément déclaré, lors de l’entretien, que lorsqu’il se trouvait en Suisse pour son premier séjour, la police pakistanaise s’était rendue au domicile de son frère à Lahore afin de s’enquérir des requérants, ce qu’il n’avait appris qu’après son retour. Cela concorde avec la déclaration de la requérante qui a indiqué que c’est seulement après être retournés en Suisse qu’ils avaient appris que la police s’était rendue à deux reprises chez le frère du requérant pour s’enquérir d’eux. La déclaration écrite que le requérant a signée ultérieurement, et dans laquelle il affirmait que son frère l’avait informé des visites de la police par un appel téléphonique, reposait sur un malentendu. Le requérant a souligné qu’il n’avait pas appelé son frère à cause du coût des appels téléphoniques et qu’il ne savait pas quand exactement les policiers s’étaient rendus au domicile de celui-ci. Il n’avait pas appris les visites de la police par téléphone. Étant donné la durée de l’entretien, il est compréhensible que le requérant n’ait pas rectifié cette erreur lors de la retranscription de sa déclaration écrite. De plus, l’Office fédéral des migrations a interrogé les requérants trois ans seulement après le dépôt de leur demande d’asile, ce qui explique aussi une certaine imprécision sur des questions accessoires qui ne remet pas en cause la crédibilité générale des requérants. Même trois ans après, leurs déclarations étaient détaillées et réalistes.

3.7En outre, le Tribunal administratif fédéral n’a pas dûment examiné le procès-verbal introductif (First Information Report) produit par les requérants. Daté du 5 mai 2011, ce procès-verbal consignait la déclaration d’un individu ayant signalé à la police de Lahore que le requérant avait fait des prêches sur les croisades et critiqué à plusieurs reprises le prophète Mahomet. D’après le procès-verbal, plusieurs personnes avaient été témoins de ces actes.

3.8Le fondamentalisme islamique est de plus en plus répandu au Pakistan et les lois interdisant le blasphème sont utilisées contre les minorités religieuses, notamment les chrétiens. Souvent, les chrétiens sont fallacieusement accusés de blasphème et, dans ces cas-là, leur vie est en danger s’ils ne sont pas protégés par la police. En mars 2011, Shahbaz Bhatti, le Ministre des minorités religieuses, a été assassiné après avoir fait une déclaration publique en faveur de la révision de la loi interdisant le blasphème. Deux mois auparavant, Salman Taseer, le Gouverneur de la province du Pendjab, avait été assassiné pour avoir voulu venir en aide à un chrétien condamné à mort pour blasphème. La plupart des personnalités politiques et la majorité de la population pakistanaise ont approuvé ces meurtres. La situation ne s’est pas améliorée depuis et l’affirmation des requérants selon laquelle ils sont accusés de blasphème et ne peuvent pas à obtenir la protection de l’État est donc parfaitement crédible.

3.9L’Office fédéral des migrations et le Tribunal administratif fédéral ont considéré que le procès-verbal introductif produit avait une valeur probante limitée au motif qu’il s’agissait d’une copie et non de l’original et qu’il était facile de se procurer illégalement des documents similaires. Or un procès-verbal introductif est un document officiel servant à consigner une plainte pénale et il est impossible d’en obtenir l’original, qui est conservé par la police. Les requérants produisent une lettre de Shazad Ahmed, avocat à Zurich, indiquant qu’un procès-verbal introductif est un document écrit établi par la Police pakistanaise pour consigner une plainte pénale et que les originaux ne sont pas communiqués, ni officiellement ni officieusement.

3.10Lors de son entretien devant l’Office fédéral des migrations le 4 novembre 2014, le requérant a déclaré que la police avait remis à son frère une copie du procès-verbal introductif. Prié de produire ce document, il a demandé à son frère de se le procurer. S’il est certes facile de se procurer des faux au Pakistan, ce n’est pas le cas pour les chrétiens et les minorités. Un chrétien qui demande un faux aux autorités met sa vie en danger. C’est donc à tort que les autorités suisses considèrent que le procès-verbal présenté par le requérant manque de valeur probante du fait de la corruption qui règne au Pakistan. Les autorités ont en outre agi de façon arbitraire en demandant au requérant de produire ce procès-verbal pour déclarer ensuite que celui-ci n’avait pas de valeur probante. Ce procès-verbal suffit en soi à établir que le requérant risque d’être exposé au Pakistan à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

3.11Les autorités suisses ont en outre rejeté à tort les autres éléments de preuve présentés par le requérant, en particulier les lettres de responsables religieux. Sans même examiner leur contenu, elles ont considéré qu’il s’agissait de lettres de complaisance dénuées de valeur probante. Or, dans ces lettres, les responsables religieux expliquaient comment ils avaient fait la connaissance du requérant et déclaraient savoir qu’il était menacé.

3.12Les autorités suisses ont à tort jugé absurde la déclaration du requérant, qui avait travaillé à l’ambassade de Suisse à Islamabad pendant plusieurs années, selon laquelle il ne savait pas initialement qu’il était possible de demander l’asile en Suisse. Cette déclaration peut certes paraître étrange, mais le requérant a indiqué aux autorités que s’il avait connaissance de la loi sur l’asile, il n’avait pas songé tout de suite à s’en prévaloir personnellement. Cela prouve qu’initialement les requérants souhaitaient rentrer vivre au Pakistan. Ils n’ont décidé de demander l’asile que lors de leur second séjour en Suisse, après la perte par la requérante de son sac à main et de leurs passeports, à Bâle. Désemparés, les requérants avaient contacté la personne qui les avait hébergés lors de leur premier séjour en Suisse, laquelle leur avait conseillé de prévenir les autorités. Ils ont peut‑être fait preuve de naïveté en n’envisageant pas de demander l’asile lors de leur premier séjour ou au début de leur second séjour en Suisse, mais il n’y avait là rien d’absurde. Ils ont en outre décrit avec force détails les circonstances de leur seconde arrivée en Suisse, ce qui montre que leur version des faits n’était pas fictive.

3.13Les autorités suisses ont jugé illogique que le requérant n’ait pas informé l’ambassade de Suisse des menaces qu’il recevait par téléphone, mais le requérant a clairement déclaré que le standardiste était au courant de ces appels et l’avait mis en garde contre la commission d’actes illicites. Le requérant se trouvant dans une situation délicate, il est compréhensible qu’il n’ait pas informé ses supérieurs des appels menaçants ou des incidents qui ont suivi. Il est probable que la police serait intervenue, et, vu la corruption qui sévissait dans ce milieu et le climat antichrétien qui régnait au Pakistan, le requérant avait toutes les raisons de craindre une telle intervention.

3.14Les autorités suisses ont également considéré que la lettre de menaces produite par les requérants n’était pas authentique car elle était rédigée partiellement en anglais. Or cette lettre ne contient que quelques mots d’anglais et ne dénote pas un niveau d’instruction élevé qui démentirait les origines villageoises présumées de ses auteurs. De plus, la grande majorité des Pakistanais possèdent des notions d’anglais. Les objections des autorités suisses quant à l’authenticité de la lettre ne sont donc pas fondées.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Dans ses observations en date du 25 avril 2017, l’État partie ajoute aux faits généraux exposés dans la communication des éléments que les requérants ont évoqués dans le cadre des procédures internes.Le requérant prétend qu’il a commencé à recevoir les appels téléphoniques menaçants à la fin 2010 et que, en février 2011, les auteurs de ces appels l’ont accosté dans la rue et lui ont demandé de les aider à se procurer des visas en échange de pots-de-vin. Ayant refusé, il a commencé à recevoir des appels menaçants presque tous les jours. Le 3 mars 2011, il a également reçu une lettre de menaces. Le 16 avril 2011, les auteurs des appels l’ont menacé et roué de coups à Lahore. D’après le requérant, environ deux semaines plus tard, un pasteur l’a appelé pour l’informer que ses persécuteurs avaient déposé une plainte pénale contre lui pour insultes au prophète Mahomet. Le 30 juin 2011, il a démissionné de son poste à l’ambassade de Suisse par crainte à la fois de ses persécuteurs et de la police. La requérante affirme avoir commencé à travailler pour l’ambassade de Suisse en 2007, comme domestique du chef de la Section des visas. Les individus qui menaçaient son mari l’avaient elle aussi menacée mais elle n’avait jamais eu de contact avec eux.

4.2Les requérants sont arrivés en Suisse pour la première fois le 17 juillet 2011 et ils sont retournés à Lahore en septembre 2011. Le 2 octobre 2011, ils sont revenus en Suisse, puis ont perdu leurs passeports à Bâle. Le 9 novembre 2011, ils dont demandé l’asile. Le 17 novembre 2011, ils ont été entendus par l’Office fédéral des migrations (le Secrétariat d’État aux migrations depuis le 1er janvier 2015,). Le 21 mars 2013, l’Office a demandé des informations à leur sujet à l’ambassade de Suisse à Islamabad. Le 4 novembre 2014, l’Office a eu un nouvel entretien avec les requérants. Leur demande d’asile et l’appel formé ensuite ont été rejetés, respectivement le 4 décembre 2014 et le 19 septembre 2016, au motif que leurs déclarations n’étaient pas crédibles.

4.3L’État partie considère que la communication n’est pas fondée car les allégations des requérants ne sont pas plausibles et que rien n’indique qu’ils seraient exposés à un risque réel et personnel d’être soumis à la torture au Pakistan. Les autorités suisses ont rejeté leurs griefs après un examen approfondi et minutieux. Leur communication ne contient aucun élément nouveau susceptible d’amener le Comité à une conclusion différente.

4.4La situation générale au Pakistan ne suffit pas à elle seule à prouver que les requérants risquent d’être soumis à la torture dans ce pays. Bien que des rapports crédibles indiquent qu’au Pakistan les minorités religieuses sont exposées à un risque élevé de représailles et font l’objet de discrimination, étant donné le grand nombre de chrétiens vivant au Pakistan, le nombre des actes de violence commis à leur encontre n’indique pas qu’ils sont collectivement persécutés. De plus, le Gouvernement pakistanais a annoncé un plan d’action national de lutte contre le terrorisme, notamment dans le but explicite de combattre les discours de haine confessionnelle et de poursuivre les personnes qui en accusent d’autres d’être des infidèles. En plusieurs occasions, l’intervention de la police a empêché la foule de tuer des chrétiens. Mais d’après certains rapports, il est fréquent que la police ne protège pas les minorités religieuses des agressions, et le déplacement interne n’est pas une option pour les chrétiens accusés de blasphème. Néanmoins, des juridictions d’appel ont parfois annulé des condamnations pour blasphème.

4.5Lorsqu’on évalue le risque de refoulement aux fins de l’article 3 de la Convention, il convient de considérer les actes de torture subis par le passé. Or les requérants n’allèguent pas avoir été soumis à la torture ou à des mauvais traitements par le passé. Ils affirment que le requérant a été roué de coups par cinq hommes à Lahore mais ne prétendent pas que les agresseurs étaient des agents de l’État ou des individus agissant avec l’approbation expresse ou tacite de l’État.

4.6Dans l’évaluation du risque de refoulement, les activités politiques doivent aussi être prises en considération. Or les requérants ne disent pas avoir participé à des activités politiques. La seule appartenance à la minorité chrétienne ne suffit pas à établir que les requérants seraient soumis à la torture à leur retour au Pakistan.

4.7Les déclarations faites par les requérants dans le cadre des procédures internes étaient contradictoires sur plusieurs points importants. Le requérant a déclaré qu’il avait commencé à recevoir des appels téléphoniques menaçants fin 2010 et qu’il en avait tout de suite informé son épouse, mais celle-ci a déclaré qu’il ne l’avait informée de ces appels qu’en janvier 2011. Le requérant a d’autre part indiqué que les auteurs des appels avaient demandé à le rencontrer dès leur premier appel en 2010, alors que la requérante a déclaré que c’était seulement en février 2011. Les appels téléphoniques ont joué un rôle déterminant dans la décision des requérants de quitter le Pakistan et il est donc difficile de concilier leurs déclarations contradictoires sur ce point.

4.8Les requérants ont en outre situé à des dates différentes le moment à partir duquel le requérant a été recherché par la police. Le requérant a déclaré que la police était venue le chercher deux fois au domicile de son frère : une première fois avant qu’il parte pour la Suisse et de nouveau quand il était en Suisse. La requérante a par contre déclaré que ces deux incidents s’étaient produits alors qu’ils se trouvaient en Suisse et qu’ils n’en ont été informés qu’à leur retour au Pakistan. La recherche du requérant par la police étant un facteur important dans leur relation des faits, en particulier eu égard à leur retour au Pakistan, il est surprenant que leurs déclarations diffèrent sur ce point. Les requérants tentent d’expliquer cette incohérence dans leur communication, mais leur explication n’est pas convaincante.

4.9Les requérants affirment avoir été informés par un pasteur de la plainte pénale déposée contre eux mais n’expliquent pas comment ce pasteur aurait pu être au courant de cette plainte. Interrogé à ce sujet, le requérant n’a pas su clarifier ce point. L’allégation selon laquelle le requérant serait recherché par la police n’est donc pas crédible. Même si elle était crédible, d’après la jurisprudence du Comité, l’article 3 de la Convention ne protège pas les individus qui prétendent seulement craindre d’être arrêtés dans leur pays d’origine.

4.10Les déclarations des requérants sont par ailleurs illogiques et incompréhensibles. Le requérant affirme que lorsqu’il était en Suisse, son frère l’a informé que la police le recherchait au Pakistan. Il savait donc que la situation au Pakistan s’était détériorée mais a pourtant décidé d’y retourner en septembre 2011. S’ils s’étaient sentis menacés, on aurait pu s’attendre à ce qu’ils consultent leur famille avant de rentrer. Or ils ne l’ont pas fait. Il est également peu vraisemblable que le requérant ait reçu des menaces par téléphone presque tous les jours sans en informer ses supérieurs et qu’un seul employé de l’ambassade de Suisse ait été au courant.

4.11La requérante a par ailleurs répondu de façon évasive aux questions concernant le retour du couple au Pakistan. Les billets d’avion qu’ils avaient achetés pour se rendre au Pakistan le 31 août 2011 étaient des billets aller-retour, le retour en Suisse étant fixé au 1er octobre 2011. Le requérant a déclaré que la personne de sa connaissance qui avait acheté les billets avait inclus un retour pour payer moins cher, mais il est difficile d’admettre que la date prévue pour leur départ du Pakistan, fixée des mois à l’avance, coïncide justement avec la date à laquelle ils sont effectivement partis dans l’urgence.

4.12D’autres incohérences rendent peu plausibles les déclarations des requérants : a) il est illogique que les requérants aient attendu la procédure d’appel devant le Tribunal administratif fédéral pour produire le procès-verbal introductif puisque le frère du requérant avait apparemment reçu ce procès-verbal lors de la première visite de la police à son domicile ; b) le procès-verbal introductif porte un tampon en anglais, ce qui n’est guère plausible sachant que le reste du document est rédigé en ourdou ; et c) les requérants n’ont pas étayé l’affirmation selon laquelle il serait difficile pour des chrétiens d’obtenir de faux documents au Pakistan.

4.13Plusieurs autres points ne sont pas clairs dans les déclarations des requérants concernant leurs passeports. Le requérant a prétendu avoir laissé les passeports dans le sac à main de la requérante, qui contenait aussi d’autres effets d’une valeur estimée à 1 200 euros, au domicile de leur hôte. Dès qu’ils se sont rendu compte qu’ils avaient oublié le sac à main, ils sont immédiatement retournés chez leur hôte mais le sac n’y était plus. Cela s’est produit le 7 novembre 2011, deux jours avant qu’ils demandent l’asile. Or la requérante dit qu’elle a oublié son sac à main sur des marches alors qu’ils se promenaient au bord d’une rivière. Ils sont retournés au domicile de leur hôte pour voir s’il n’y était pas, avant de revenir à la rivière où ils ne l’ont pas non plus trouvé. Ils ont alors téléphoné à leur hôte, qui leur a annoncé qu’ils ne pouvaient plus rester chez lui et devaient déclarer la perte du sac à la police. Étant donné la valeur des biens qui s’y trouvaient, il est surprenant que la requérante ait laissé son sac au bord de la rivière. Il est également surprenant que les cartes d’identité des requérants, qui sont aussi des documents importants, ne se soient pas trouvés dans le sac à main.

4.14Les lettres des pasteurs et des églises présentées par les requérants aux autorités nationales n’ont pas de valeur probante car ce sont des lettres de complaisance. Il est en outre étonnant que le requérant ait informé les pasteurs des menaces qu’il aurait reçues mais n’en ait rien dit à ses supérieurs à l’ambassade de Suisse.

4.15Compte tenu de ce qui précède, il n’y a aucune raison de conclure que le renvoi des requérants au Pakistan constituerait une violation des obligations incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie concernant le fond

5.1Dans leurs commentaires en date du 17 novembre 2017, les requérants affirment que l’État partie se borne à reprendre les arguments invoqués par l’Office fédéral des migrations et le Tribunal administratif fédéral, sans tenir compte des explications que les requérants ont fournies dans leur communication. Les requérants ont expliqué en détail pourquoi ils avaient quitté le Pakistan. Les explications données pour justifier que l’on fuie un pays peuvent souvent paraître illogiques ou invraisemblables à des personnes qui vivent dans un pays sûr, car ces parcours sont complexes et peuvent être mal compris.

5.2L’État partie reproche au requérant d’avoir attendu la procédure d’appel pour produire le procès-verbal introductif comme élément de preuve. Or, comme cela a déjà été expliqué, lors de l’entretien du 4 novembre 2014 l’État partie a demandé aux requérants de produire ce procès-verbal dans les meilleurs délais. Ils ont pris aussi vite que possible les dispositions nécessaires pour accéder à cette demande et reçu le procès-verbal quelques semaines plus tard, le 8 décembre 2014. Or, quatre jours auparavant, l’Office fédéral des migrations avait rejeté leur demande d’asile, et ils n’ont donc pas pu produire ce procès-verbal avant l’adoption de la décision de rejet. La rapidité avec laquelle leur demande d’asile a été rejetée, alors même que les autorités leur avaient demandé de produire le procès-verbal introductif, jette un doute quant à la volonté de l’État partie d’évaluer objectivement et impartialement le risque couru par les requérants.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, le Comité n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que les requérants avaient épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité conclut donc qu’il n’est pas empêché par l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention d’examiner la communication.

6.3Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi forcé des requérants au Pakistan constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’y être soumise à la torture. Cela inclut la torture ou d’autres mauvais traitements aux mains d’entités non étatiques, y compris des groupes qui commettent illégalement des actes de nature à causer une douleur ou des souffrances aiguës à des fins proscrites par la Convention, sur lesquels les autorités de l’État concerné n’exercent de fait aucun contrôle ou qu’un contrôle partiel ou dont elles ne sont pas en mesure d’empêcher les agissements ou de contrer l’impunité.

7.3Le Comité doit déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que les requérants risqueraient personnellement d’être soumis à la torture à leur retour au Pakistan. Lorsqu’il évalue ce risque, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives.Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé serait personnellement exposé à un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour conclure qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; des motifs supplémentaires doivent être invoqués pour montrer que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne risque pas d’être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, selon laquelle l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire que l’intéressé risque d’être soumis à la torture dans l’État vers lequel il doit être expulsé, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination. Le Comité rappelle que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel » (par. 11). Les facteurs de risque personnel peuvent inclure, notamment : a) l’origine ethnique et l’appartenance religieuse du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant ; c) un mandat d’arrêt sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; d) une condamnation par contumace ; et e) les actes de torture subis antérieurement (par. 45).

7.5S’agissant de l’examen au fond d’une communication présentée en vertu de l’article 22 de la Convention, c’est au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de montrer de façon détaillée qu’il court un risque prévisible, actuel, personnel et réel d’être soumis à la torture (par. 38). Toutefois, lorsque le requérant se trouve dans une situation dans laquelle il n’est pas en mesure de donner des précisions, par exemple, lorsqu’il a démontré qu’il n’avait pas de possibilité d’obtenir les documents concernant ses allégations de torture ou lorsqu’il est privé de sa liberté, la charge de la preuve est inversée et il incombe à l’État concerné d’enquêter sur les allégations et de vérifier les renseignements sur lesquels est fondée la communication (par. 38). Le Comité rappelle également qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné mais qu’il n’est pas tenu par ces constatations et qu’il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas (par. 50).

7.6Le Comité prend note du grief des requérants selon lequel ils craignent pour leur vie et leur intégrité physique au Pakistan parce qu’ils sont de confession chrétienne et sont visés par un mandat d’arrêt. Il prend également note des allégations du requérant selon lesquelles, lorsqu’il travaillait à l’ambassade de Suisse à Islamabad, il avait reçu en 2010 et 2011 de fréquents appels téléphoniques d’individus qui lui proposaient des pots-de-vin en échange de visas. Le requérant affirme qu’il a été agressé par les auteurs de ces appels à Lahore, qu’il a reçu une lettre de menaces anonyme et qu’il a appris qu’une plainte pénale avait été déposée contre lui pour blasphème. Le Comité note que les requérants allèguent qu’ils ont quitté le Pakistan à la suite de ces incidents ; que la police s’est ensuite rendue à deux reprises au domicile du frère du requérant pour s’enquérir de celui-ci ; qu’ils sont rentrés au Pakistan parce qu’ils espéraient que la situation s’y était améliorée ; et qu’ils ont de nouveau quitté le Pakistan après avoir appris qu’un procès-verbal introductif avait été enregistré contre le requérant. Le Comité prend note de l’argument des requérants selon lequel l’État partie, compte tenu de ce procès-verbal indiquant qu’une plainte pénale pour blasphème avait été déposée contre le requérant en application des articles 295-A et 295-C du Code pénal pakistanais, ne devrait pas les renvoyer au Pakistan. Le Comité prend note de leurs affirmations selon lesquelles les autorités suisses compétentes en matière d’asile ont évalué leur crédibilité de manière erronée et arbitraire et que, au Pakistan, les chrétiens font l’objet de persécutions généralisées et ne bénéficient pas de la protection de l’État.

7.7Le Comité prend note également de la position de l’État partie, à savoir que les déclarations des requérants ne sont pas crédibles et sont matériellement contradictoires sur des points importants. À cet égard, le Comité prend note en particulier de l’argument de l’État partie selon lequel le retour volontaire des requérants au Pakistan montre qu’ils ne craignaient pas d’y subir un préjudice. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel il est invraisemblable que le requérant n’ait pas averti ses supérieurs à l’ambassade de Suisse à Islamabad qu’il recevait presque tous les jours à son travail des appels téléphoniques menaçants. Le Comité prend note de l’observation de l’État partie selon laquelle les requérants, lorsqu’ils sont rentrés au Pakistan, avaient réservé un retour pour la Suisse. Il relève également que l’État partie conclut que le procès-verbal introductif et la lettre de menaces anonyme produits par les requérants ne sont pas authentiques, notamment parce qu’ils contiennent des mots en langue anglaise. Le Comité note d’autre part que, d’après l’État partie, la situation générale au Pakistan ne suffit pas en soi à établir que les requérants risqueraient d’être torturés à leur retour et que la situation des chrétiens s’est améliorée dans ce pays.

7.8Le Comité rappelle qu’il doit déterminer si les requérants courent actuellement un risque d’être soumis à la torture au Pakistan. Le Comité relève que le requérant allègue avoir été violemment agressé et roué de coups le 16 avril 2011 par les individus qui l’avaient menacé par téléphone mais qu’il n’indique pas avoir eu besoin de soins médicaux ou en avoir sollicité à la suite de cet incident et qu’il ne produit aucun document indiquant qu’il a été agressé ou soumis à la torture. Le Comité note également que dans leur communication les requérants ne donnent aucune autre précision sur l’incident ou ses suites et n’expliquent pas pourquoi ils croient que les agresseurs étaient aussi les auteurs des appels téléphoniques. Le Comité relève de plus que le requérant, tout en contestant la conclusion des autorités suisses selon laquelle la lettre de menaces qu’il a reçue en mars 2011 n’était pas authentique parce qu’elle était rédigée en partie en anglais, n’a pas décrit la teneur de cette lettre ni communiqué celle-ci au Comité. Il constate que le requérant n’a produit aucun autre document à l’appui de ses allégations selon lesquelles il aurait reçu des appels téléphoniques menaçants presque tous les jours quand il travaillait à l’ambassade de Suisse à Islamabad. Le Comité fait observer qu’après ces appels téléphoniques, la lettre de menaces et l’agression, les requérants n’en ont pas informé l’ambassade de Suisse et, à l’issue d’un séjour de deux mois en Suisse, ont décidé de rentrer au Pakistan en septembre 2011 dans l’intention d’y rester. Le Comité note que les requérants, bien qu’ayant appris deux mois avant de quitter le Pakistan qu’une plainte pénale avait été déposée pour blasphème, sont retournés de leur plein gré dans ce pays quelques mois plus tard. Le Comité considère que, dans ces circonstances, le retour des requérants au Pakistan n’est guère conciliable avec leur affirmation selon laquelle ils craignaient pour leur vie en raison des menaces, de l’agression et de la plainte pénale alléguées. Le Comité note aussi que les menaces et l’agression alléguées se sont produites il y a huit ou neuf ans en raison du poste qu’occupait alors le requérant, poste qu’il a quitté en 2011, et qu’il ne s’ensuit pas nécessairement que l’un ou l’autre des requérants risquerait d’être torturé s’il était renvoyé aujourd’hui au Pakistan.

7.9Le Comité relève d’autre part que les requérants, tout en affirmant que c’est dans l’urgence qu’ils ont quitté le Pakistan le 1er octobre 2011 après avoir appris qu’ils faisaient l’objet d’un mandat d’arrêt, avaient déjà prévu de revenir en Suisse ce jour-là puisqu’ils avaient acheté des billets d’avion aller-retour. Les requérants affirment qu’ils faisaient tous les deux l’objet d’un mandat d’arrêt mais ils ne fournissent aucune précision ni aucun document à l’appui de cette affirmation et n’expliquent pas pourquoi la requérante serait visée par un mandat d’arrêt alors que la plainte pénale et le procès-verbal introductif visaient le seul requérant. Le Comité fait aussi observer que, malgré le mandat d’arrêt invoqué, les requérants n’ont apparemment pas eu personnellement de contacts avec la police ou avec d’autres personnes les accusant de blasphème, ni rencontré de problèmes lorsqu’ils ont quitté le Pakistan en octobre 2011. Le Comité note en outre que la communication ne contient pas d’informations dûment étayées au sujet des persécutions qu’aurait subies la requérante. Il fait observer que les requérants ont eu l’occasion d’être entendus à deux reprises par l’Office fédéral des migrations, en 2011 et 2014. Le Comité considère que si les requérants contestent la conclusion selon laquelle le procès-verbal introductif et les lettres anonymes ne sont pas authentiques, les arguments qu’ils avancent ne prouvent pas que l’évaluation de ces documents par les autorités suisses compétentes en matière d’asile a été manifestement arbitraire ou erronée ou a représenté un déni de justice. Le Comité note d’autre part que les requérants, tout en contestant la conclusion des autorités selon laquelle les lettres des responsables religieux sont des lettres de complaisance, n’ont pas communiqué ces lettres au Comité.

7.10Le Comité s’inquiète de ce que l’infraction de blasphème visée à l’article 295-C du Code pénal pakistanais emporte impérativement la peine de mort, même si l’État n’a jamais exécuté personne du chef de cette infraction. Le Comité est en outre profondément préoccupé par les informations indiquant qu’il n’est pas rare qu’au Pakistan des membres de communautés accusent fallacieusement des personnes de blasphème et les agressent collectivement avec brutalité sans que l’État ne les en empêche réellement ni n’intervienne. À cet égard, le Comité renvoie aux observations finales qu’il a adoptées en 2017 sur le rapport initial du Pakistan, dans lesquelles il s’est dit préoccupé par les informations faisant état de l’insuffisance des efforts consentis par les autorités de l’État partie pour protéger les personnes vulnérables, en particulier les membres de la communauté chrétienne et les individus accusés de blasphème, contre les violences commises par des acteurs non étatiques (CAT/C/PAK/CO/1, par. 36). Le Comité rappelle qu’aux termes de son observation générale no 2, sur l’application de l’article 2, le fait que l’État n’exerce pas la diligence voulue pour mettre un terme à ces actes, les sanctionner et en indemniser les victimes a pour effet de favoriser ou de permettre la commission, en toute impunité, par des acteurs non étatiques, d’actes interdits par la Convention (par. 18). Le Comité rappelle cependant que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays de renvoi, qu’elles soient le fait de l’État ou d’acteurs non étatiques, ne suffit pas en soi à lui permettre de conclure qu’un requérant risque personnellement d’être torturé. Le Comité renvoie à sa conclusion énoncée aux paragraphes7.8 et 7.9 ci-dessus et considère qu’en l’espèce, les requérants n’ont pas démontré que l’État partie n’avait pas correctement évalué leurs griefs selon lesquels le requérant était recherché par la police en lien avec des allégations de blasphème et aurait été menacé et violemment agressé par des individus qui lui avaient demandé de leur procurer illégalement des visas pour la Suisse. Pour les raisons indiquées plus haut, leComité considère que les informations communiquées par les requérants ne suffisent pas à établir l’existence de motifs sérieux de croire que s’ils étaient renvoyés au Pakistan, ils seraient exposés à un risque prévisible, personnel, actuel et réel d’être torturés, que ce soit par des agents de l’État ou par des acteurs non étatiques incontrôlés.

8Compte tenu de ce qui précède et à la lumière des éléments dont il est saisi, le Comité considère que les requérants n’ont pas produit suffisamment de preuves pour lui permettre de conclure que leur renvoi forcé au Pakistan les exposerait à un risque prévisible, réel et personnel de torture au sens de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité, agissant de l’article 22 (par. 7) de la Convention, décide que le renvoi des requérants au Pakistan par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Annexe

[Original : français]

Opinion individuelle dissidente d’Abdelwahab Hani

1.Le Comité aurait dû faire observer qu’environ trois ans se sont écoulés entre les deux entretiens qu’ont eus les requérants avec le Secrétariat d’État aux migrations. Ce délai peut expliquer certaines des contradictions factuelles mineures apparaissant dans les déclarations qu’ils ont faites aux autorités sur des points accessoires, non essentiels pour leur demande d’asile, comme la date exacte des visites de la police au domicile du frère du requérant et l’endroit où les requérants ont perdu leurs passeports. L’État partie ne conteste pas l’identité des requérants, le fait qu’ils sont chrétiens ou encore celui que le requérant a travaillé pour l’ambassade de Suisse à Islamabad. Le requérant a donné aux autorités suisses des explications logiques concernant bon nombre de ses déclarations. Il a par exemple expliqué que s’il n’avait pas signalé à ses supérieurs à l’ambassade les appels téléphoniques menaçants qu’il recevait, ce que les autorités ont jugé illogique, c’est parce qu’il craignait que la police ait un parti pris contre lui à cause de sa confession chrétienne. Compte tenu des informations crédibles selon lesquelles il est souvent arrivé que la police pakistanaise n’assure pas aux minorités religieuses, notamment aux chrétiens, une protection effective, cette explication est raisonnable.

2.Les raisons avancées par l’État partie pour établir que le procès-verbal introductif manque de valeur probante ne sont pas convaincantes. Il s’agit certes d’une copie, mais il est plausible que la police conserve l’original. L’État partie a considéré que le document était un faux parce que le timbre portait une inscription en anglais indiquant « Police Station − Lahore − Liaqatabad ». Or, le Pakistan était jadis une colonie britannique, et l’État partie n’a apparemment pas cherché à savoir si l’anglais restait couramment utilisé dans les documents officiels. Quant à la soumission tardive du procès-verbal, les requérants ont indiqué l’avoir communiqué quelques semaines après que les autorités de l’État partie le leur ont demandé. Or, les autorités suisses ne l’ont pas dûment considéré. De même, la simple présence de quelques mots anglais dans la lettre anonyme envoyée au requérant, qui travaillait dans une ambassade étrangère, ne suffit pas nécessairement à contester la valeur probante de cette lettre.

3.De plus, si le requérant n’a pas produit de documents à l’appui de l’affirmation selon laquelle un mandat d’arrêt avait été délivré contre lui en 2011, des rapports indiquent que le Code pénal n’oblige pas à communiquer des éléments de preuve suite à des allégations de blasphème. Des informations crédibles indiquent en outre que l’obligation faite aux officiers de police d’enquêter sur les plaintes pour blasphème avant de les renvoyer aux tribunaux est rarement respectée. L’État partie a considéré que les déclarations des requérants, selon lesquelles ils craignaient de rentrer au Pakistan, n’étaient pas crédibles parce qu’ils étaient revenus volontairement dans ce pays ; mais les requérants ont dit qu’ils n’avaient pris connaissance du procès-verbal introductif qu’après leur retour au Pakistan et avaient alors rapidement quitté le pays. Le procès-verbal introductif consigne une accusation de blasphème contre le requérant, et la situation actuelle indique qu’il existe des motifs sérieux de croire que les personnes accusées de blasphème, d’une part, risquent personnellement d’être tuées au Pakistan et, d’autre part, ne peuvent pas compter sur la protection effective des pouvoirs publics.

4.Compte tenu de ce qui précède, le Comité aurait dû conclure que le renvoi des requérants au Pakistan constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.