Nations Unies

CAT/C/53/D/520/2012

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

20 janvier 2015

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 520/2012

Décision adoptée par le Comité à sa cinquante-troisième session(3‑28 novembre 2014)

Communication présentée par:

W. G. D. (non représentée par un conseil)

Au nom de:

W. G. D.

État partie:

Canada

Date de la requête:

17 août 2012 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

26 novembre 2014

Objet:

Expulsion vers l’Éthiopie

Questions de procédure:

Épuisement des recours internes; griefs non étayés; communication manifestement infondée

Questions de fond:

Risque de torture lors du retour dans le pays d’origine

Article de la Convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquante-troisième session)

concernant la

Communication no 520/2012

Présentée par:

W. G. D. (non représentée par un conseil)

Au nom de:

W. G. D.

État partie:

Canada

Date de la requête:

17 août 2012 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 26 novembre 2014,

Ayant achevé l’examen de la requête no 520/2012 présentée par W. G. D. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par la requérante et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22de la Convention contre la torture

1.1La requérante est Mme W. G. D., de nationalité éthiopienne, née le 5 septembre 1955. Elle affirme que son expulsion vers l’Éthiopie constituerait une violation par le Canada de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle n’est pas représentée par un conseil.

1.2En vertu de l’article 114, paragraphe 1, de son règlement intérieur, le Comité a demandé à l’État partie, le 14 septembre 2012, de ne pas expulser la requérante vers l’Éthiopie tant que sa requête serait à l’examen. L’État partie a accepté de suspendre provisoirement l’expulsion de la requérante. Le 30 mai 2013, le Comité a rejeté la demande de levée des mesures provisoires formulée par l’État partie.

Rappel des faits

2.1La requérante est arrivée au Canada le 16 mars 2008 et a demandé le statut de réfugié le 2 juin 2009. Sa demande a été rejetée le 25 janvier 2011 et l’appel qu’elle a ensuite formé devant la Cour fédérale a également été rejeté le 1er juin 2011. La requérante a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) le 30 septembre 2011, mais cette demande a été rejetée le 1er juin 2012. La requérante n’avait pas les moyens de déposer une demande d’autorisation en vue d’un examen juridictionnel de la décision et affirme qu’en tout état de cause le fait de former un tel recours n’empêcherait pas son expulsion. La requérante relève en outre que plus de 80 % de toutes les demandes d’autorisation de former recours ne sont même pas examinées par un juge de la Cour fédérale et sont rejetées sans faire l’objet d’une audience. Le 13 août 2012, la requérante a été informée par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada qu’elle serait expulsée vers l’Éthiopie dans les quatre-vingt-dix jours.

2.2La requérante est d’origine ethnique oromo et a été pendant toute sa vie adulte une ménagère sans appartenance politique. Elle affirme que les Oromos ont toujours été opprimés et victimes de discrimination de la part du Gouvernement éthiopien. Lorsque le Gouvernement a annoncé que des élections nationales auraient lieu en 2005, le mari de la requérante a commencé à faire campagne activement pour le parti d’opposition Front uni. Ila encouragé la population à voter et a milité ouvertement et pacifiquement pour le candidat du parti d’opposition dans leur circonscription. À mesure que les résultats des élections étaient publiés, le 15 mai 2005, il est apparu clairement que le parti au pouvoir, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE), perdait les élections. En conséquence, le Gouvernement a pris des mesures de répression contre l’opposition, dont beaucoup de partisans ont été arrêtés. De nombreux Oromos, qui avaient soutenu l’opposition, ont été accusés à tort d’être des partisans du Front de libération oromo (FLO), une organisation illégale.

2.3Le 8 juin 2005, le mari de la requérante a été arrêté et placé en détention pendant un mois. Leur maison a été fréquemment perquisitionnée et la requérante a été victime de harcèlement lorsqu’elle rendait visite à son mari en détention. En 2006, la requérante a loué à deux jeunes étudiants une maison qu’elle possédait et qui était adjacente à la sienne. À une date non précisée, les étudiants ont disparu, la police est venue et a dit à la requérante qu’ils avaient rejoint le FLO. La police de sécurité a accusé la requérante et son mari d’héberger des partisans du FLO et les a arrêtés. La requérante a été maintenue en détention pendant sept jours puis libérée en raison de sa mauvaise santé. Son mari a été détenu pendant deux semaines. Pendant cette période, ils ont été interrogés à maintes reprises.

2.4La requérante a été traumatisée par les événements et a décidé de rendre visite à sa fille, qui vivait au Canada. Après une longue procédure de demande d’autorisation, elle a été autorisée à quitter le pays et est arrivée au Canada le 16 mars 2008. Après son arrivée, son frère l’a appelée pour l’informer que son mari avait été convoqué à maintes reprises au poste de police et avait été interrogé sur l’endroit où elle se trouvait et sur le point de savoir si elle rencontrait des partisans du FLO à l’étranger. Son frère lui a dit que les autorités regrettaient de l’avoir autorisée à partir et l’arrêteraient si elle revenait. À une date non précisée, elle a reçu deux lettres d’Éthiopie, l’une émanant de W. et l’autre de A. Elle a appris que son mari avait été arrêté de nouveau, qu’il avait été accusé d’être un partisan de l’opposition et qu’il avait été conduit dans un lieu inconnu avec d’autres prisonniers. La requérante ne sait pas où il se trouve ni ce qui lui est arrivé.

Teneur de la plainte

3.La requérante affirme qu’elle sera torturée et tuée si elle est renvoyée en Éthiopie, en raison de son appartenance ethnique et du fait qu’elle est supposée proche du FLO. En raison de son arrestation passée, du fait que la police de sécurité continue de s’intéresser à l’endroit où elle se trouve et de la disparition forcée de son mari, elle estime qu’elle risque d’être persécutée si elle est renvoyée en Éthiopie.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1.Par une note verbale du 7 mars 2013, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. L’État partie note que la requérante est arrivée au Canada en mars 2008 et a demandé une protection en tant que réfugiée en juin 2009. D’après sa demande de protection en tant que réfugiée et le formulaire de renseignements personnels (FRP) qui l’accompagne, la requérante a demandé le statut de réfugié en faisant valoir qu’elle avait de bonnes raisons de craindre d’être persécutée pour des raisons de race, d’appartenance à un groupe social particulier et d’opinion politique. Elle a aussi demandé une protection parce qu’elle courait le risque d’être tuée ou d’être soumise à des peines ou traitements cruels ou inusités. L’État partie note que la requérante n’a pas demandé une protection parce qu’elle courait un risque d’être soumise à la torture telle qu’elle est définie à l’article premier de la Convention. L’État partie déclare que, selon le récit figurant dans le formulaire de renseignements personnels, c’est sur la base des informations fournies par son frère que la requérante a décidé de demander le statut de réfugié. Elle a également mentionné, à l’appui de sa plainte, qu’un attachement s’était créé entre elle et ses petits‑enfants et qu’elle demandait à être autorisée à rester au Canada «sur une base humanitaire».

4.2Le 20 janvier 2011, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a examiné la demande de la requérante. Celle-ci était représentée par un conseil. Elle a eu la possibilité d’expliquer d’éventuelles ambiguïtés ou incohérences et de répondre aux questions que la SPR pouvait avoir concernant sa demande. Le 24 janvier 2011, la SPR a rendu sa décision dans laquelle elle concluait que la requérante n’était pas une réfugiée au sens de la Convention et n’était pas une personne nécessitant une protection. En particulier, la SPR a reconnu que la requérante était une personne simple et n’ayant pratiquement aucune éducation formelle, mais a conclu que cela n’expliquait pas les diverses contradictions relevées dans ses déclarations. L’État partie donne en outre plusieurs exemples de divergences relevées par la SPR. Par exemple, dans son formulaire de renseignements personnels, la requérante a déclaré que son mari avait été arrêté le 8 juin 2005 et qu’elle avait été harcelée par la police lorsqu’elle lui a rendu visite, alors que dans son témoignage oral devant la SPR, elle a déclaré que son mari avait été arrêté au travail puis que la police était venue à son domicile et l’avait arrêtée. En ce qui concerne son arrestation en 2006, la requérante a déclaré dans son formulaire qu’elle-même et son mari avaient été arrêtés en 2006, après qu’elle eut loué une maison à deux étudiants, alors que dans son témoignage oral devant la SPR, elle a déclaré qu’environ deux mois après son arrestation de 2005, elle s’était rendue à la capitale pour rejoindre son frère. Elle a déclaré avoir séjourné chez son frère jusqu’à sa venue au Canada, et n’avoir jamais revu son mari. La SPR a noté que la requérante était représentée par un avocat expérimenté lors du dépôt de son formulaire de renseignements personnels, et que l’avocat savait que les éléments d’information figurant dans ce document, notamment le récit écrit, seraient considérés comme un témoignage sous serment à l’audience qui se tiendrait devant la SPR. L’État partie note qu’en tout état de cause la conclusion de la SPR, selon laquelle la requérante n’était pas crédible, n’était pas nécessairement déterminante pour la décision sur la demande de protection. La SPR a conclu que rien dans le témoignage de la requérante ne pouvait servir de base pour établir que cette dernière courait personnellement un risque réel si elle était renvoyée.

4.3L’État partie note en outre que la requérante a fait une demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR) le 30 septembre 2011. Dans sa demande, la requérante a répété la même version des faits que dans son formulaire de renseignements personnels. Bien qu’elle ait déclaré devant la SPR qu’il y avait d’importantes erreurs dans le formulaire, ni la requérante ni son conseil n’ont tenté de présenter la version «correcte» des faits dans la demande d’ERAR. Dans cette demande, la requérante s’est fondée essentiellement sur deux lettres émanant de personnes se trouvant en Éthiopie, qui indiquaient que son mari avait été arrêté de nouveau pour son appartenance à l’opposition, ainsi que sur plusieurs rapports d’organisations de défense des droits de l’homme et sur des articles de presse décrivant en détail la répression politique dirigée contre les opposants par le parti au pouvoir en Éthiopie. La requérante a fait valoir qu’elle risquait d’être persécutée, torturée ou tuée, ou de subir des peines ou traitements cruels et inusités du fait de son soutien présumé aux opposants au Gouvernement, de l’engagement politique de son mari et de son appartenance à l’ethnie oromo.

4.4Le 1er juin 2012, il a été déterminé que la requérante ne courrait pas de risque de persécution ou de torture si elle était renvoyée en Éthiopie. L’agent d’ERAR a tout d’abord relevé que certains éléments du témoignage, notamment les deux lettres d’Éthiopie, ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve mais avaient déjà été soumis à la SPR. Conformément à l’article 113 a) de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, un candidat à l’évaluation des risques avant renvoi dont la demande d’asile a été rejetée par la SPR peut présenter seulement de nouveaux éléments qui sont apparus après le rejet ou qui n’étaient pas raisonnablement disponibles au moment du rejet. L’agent d’ERAR a examiné les rapports des organisations de défense des droits de l’homme et les articles de presse qui ont été présentés, mais a conclu qu’il s’agissait d’articles à caractère général. En conséquence, la demande de protection de la requérante a été rejetée.

4.5L’État partie affirme que la requérante aurait pu présenter une demande d’autorisation de former recours en vue d’un examen juridictionnel de la décision de l’agent d’ERARdevant la Cour fédérale. Elle aurait pu aussi déposer une demande de sursis judiciaire à l’expulsion en attendant la décision de la Cour. L’État partie note que les recours en vue d’un examen juridictionnel ont toujours été reconnus par le Comité comme une procédure de recours qui doit être épuisée aux fins de la recevabilité. Par exemple, dans la décision qu’il a prise sur l’affaire Yassin c. Canada, le Comité a déclaré qu’un examen juridictionnel de la décision d’ERAR négative était un recours utile dans le cas du requérant, et a conclu que la communication était irrecevable pour non-épuisement des recours internes. Dans plusieurs communications concernant le Canada, le Comité contre la torture a noté que «les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire ne sont pas de simples formalités, mais que la Cour fédérale peut, le cas échéant, examiner le fond de l’affaire».

4.6L’État partie mentionne la décision rendue récemment par le Comité concernant la communication Nirmal Singh c. Canada. Dans cette affaire, le Comité a accepté l’argument du requérant selon lequel l’examen juridictionnel des décisions négatives de la SPR et de l’ERAR ne lui a pas fourni un recours utile. L’État partie fait valoir que la décision du Comité dans l’affaire Nirmal Singh est limitée aux faits spécifiques propres à ce cas particulier et ne dénote pas une condamnation générale de l’efficacité de l’examen juridictionnel en tant que recours. L’État partie note en outre que le système actuel de l’examen juridictionnel par la Cour fédérale ne prévoit pas un «examen juridictionnel au fond». Il explique que, lorsqu’elle procède à un examen juridictionnel, que celui-ci concerne une décision de la SPR ou une décision de l’agent d’ERAR, la Cour fédérale examine les erreurs factuelles ou les erreurs portant à la fois sur les faits et le droit, en règle générale selon le critère du «caractère raisonnable». Néanmoins, la Cour peut également examiner les questions de droit selon le critère du «caractère fondé». En outre, lors de l’examen juridictionnel, en vertu du paragraphe 4 de l’article 18.1 de la loi sur les cours fédérales, la Cour fédérale peut ordonner une mesure appropriée si elle établit qu’un tribunal: a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer; b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter; c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier; d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose; e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages; f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

4.7Par conséquent, l’État partie affirme que, si la requérante avait sollicité une autorisation de demander un examen juridictionnel, et s’il y avait eu une erreur de droit ou une conclusion déraisonnable concernant les faits dans la décision d’ERAR, la Cour fédérale aurait accordé l’autorisation de demander un examen juridictionnel et aurait pu infirmer la décision et renvoyer la demande d’ERAR pour qu’elle soit réexaminée par un agent différent. L’État partie fournit un certain nombre d’exemples où la Cour a renvoyé des demandes pour qu’elles soient réévaluées. De plus, concernant l’argument de la requérante selon lequel l’examen juridictionnel de la décision d’ERAR n’empêcherait pas son expulsion, l’État partie déclare que, s’il est exact qu’il n’y a pas de sursis automatique à l’expulsion, il est possible d’obtenir une interruption de la procédure judiciaire en adressant une demande à la Cour fédérale. L’État partie note que la Cour fédérale accorde régulièrement un sursis à expulsion en attendant qu’une décision soit prise sur une demande d’ERAR.

4.8En ce qui concerne les statistiques touchant les demandes d’autorisation en vue d’un examen juridictionnel, l’État partie note que les juges de la Cour fédérale examinent chaque demande d’autorisation sur la base des communications écrites émanant des parties sans procédure orale. L’examen d’une demande ne nécessite pas une audience pour être équitable et conforme aux règles de la justice. Si l’autorisation est accordée, l’affaire est attribuée à un juge différent pour une audience sur le fond de la demande d’examen juridictionnel. Par exemple, en 2011, sur 6 273 demandes d’autorisation de former recours dans le domaine des réfugiés, 894 ont été accordées, soit un taux d’acceptation de 14 %. L’État partie déclare que le taux d’acceptation des demandes d’autorisation de former recours n’est pas faible étant donné la qualité de la prise de décisions en première instance.

4.9En ce qui concerne le coût du dépôt d’une demande d’examen juridictionnel, l’État partie note qu’engager la procédure de demande d’autorisation devant la Cour fédérale coûte seulement 50 dollars canadiens. En outre, le demandeur n’a pas à se faire représenter par un avocat pour solliciter une autorisation mais peut se faire assister par un consultant, un ami ou un parent. L’État partie observe que la requérante s’est fait représenter pendant toute la procédure juridique qui s’est déroulée au Canada. En outre, l’aide juridictionnelle est généralement disponible dans l’ensemble du Canada et la requérante n’a pas indiqué avoir sollicité l’aide juridictionnelle et s’être vu opposer un refus. En conséquence, l’affirmation selon laquelle elle n’a pas les moyens de solliciter une autorisation de former recours ne suffit pas à excuser le fait qu’elle n’ait pas épuisé les recours internes.

4.10De surcroît, l’État partie affirme que la requérante aurait pu aussi solliciter l’autorisation de demander le statut de résidente permanente au Canada sur la base de considérations humanitaires. Il estime que la demande pour motifs humanitaires est le recours le mieux adapté au cas de la requérante, qui avait invoqué de tels motifs dans sa demande de protection en tant que réfugiée, où elle a mentionné ses relations étroites avec ses petits-enfants canadiens. Une demande pour motifs humanitaires accordée permettrait à la requérante de rester au Canada en tant que résidente permanente. L’État partie regrette la décision prise par le Comité dans des cas récents tels que Kalonzoc. Canada et T. I.c. Canada,dans lesquels le Comité a considéré que les demandes pour motifs humanitaires ne sont pas des recours qui doivent être épuisés aux fins de la recevabilité. En l’espèce tout particulièrement, une demande pour motifs humanitaires est le recours le plus directement applicable au cas de la requérante et potentiellement le plus efficace. Par conséquent, l’État partie estime que, dans les circonstances, le fait de n’avoir pas fait de demande pour motifs humanitaires rend la communication de la requérante irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

4.11À l’inverse, l’État partie estime que l’allégation de la requérante selon laquelle elle sera torturée et tuée si elle est renvoyée en Éthiopie est manifestement dénuée de fondement, étant donné qu’elle n’a pas étayé ses griefs ne serait-ce que par un commencement de preuve. Il estime que le Comité peut examiner seulement les communications qui présentent des grief étayés de violations des droits protégés par la Convention.

4.12L’État partie note que l’article 3 de la Convention interdit l’expulsion d’«une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture». Dans son Observation générale sur l’article 3, ainsi que dans ses décisions concernant des communications individuelles, le Comité déclare que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable, la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui se doit de présenter des arguments défendables établissant qu’il encourt un risque «prévisible, réel et personnel» de torture. Selon l’État partie, l’examen de ces éléments amène à la conclusion qu’il n’existe pas de motifs sérieux de croire que la requérante risquerait d’être soumise à la torture. En particulier, sa requête manque de cohérence, et elle n’a pas été torturée dans le passé. De surcroît, même si la situation des droits de l’homme en Éthiopie est problématique, la situation générale des droits de l’homme dans un pays ne suffit pas à elle seule à établir que la requérante courrait un risque «prévisible, réel et personnel» d’être torturée si elle était renvoyée dans ce pays.

4.13L’État partie relève en outre que le Comité n’a pas pour rôle d’apprécier les éléments de preuve ni de réévaluer les constatations de fait des juridictions nationales. Les allégations de la requérante et les éléments de preuve fournis à l’appui de la requête sont de simples copies des documents qui avaient été soumis aux tribunaux nationaux compétents et dont il a été déterminé qu’ils ne portaient pas à conclure que la requérante courait un risque en Éthiopie. L’État partie estime en outre que l’analyse des éléments de preuve et les conclusions auxquelles sont parvenus aussi bien la SPR que l’agent d’ERAR, qui ont évalué le risque auquel la requérante pouvait être exposée si elle était renvoyée en Éthiopie, étaient appropriées et bien fondées. L’État partie se fonde sur les conclusions de la SPR, qui a entendu le témoignage oral de la requérante et qui l’a interrogée au sujet des incohérences de son récit et a conclu que des aspects importants de sa requête n’étaient ni crédibles ni plausibles. L’État partie renvoie aux constatations du Comité selon lesquelles il ne peut examiner l’appréciation qui a été faite de la crédibilité des allégations, «à moins qu’il ne soit manifeste que cette appréciation a été arbitraire ou a constitué un déni de justice». L’État partie note que la requérante n’a formulé aucune allégation de ce type et que les éléments présentés ne portent pas à conclure que la décision de la SPR ait été entachée de telles irrégularités.

4.14Néanmoins, si le Comité estimait devoir réexaminer les faits et la crédibilité de la requête, l’examen attentif de quelques-uns des points les plus importants l’amènerait sans nul doute à conclure que la requérante n’a pas étayé ses griefs, ne serait-ce que par un commencement de preuve. L’État partie estime qu’aucun des principaux motifs invoqués par la requérante pour faire valoir un risque de torture n’a été établi avec le degré de preuve requis ni n’amène à conclure que la requérante serait exposée personnellement à un risque de torture si elle était renvoyée en Éthiopie. En particulier, l’État partie estime que le récit de l’arrestation et de la détention de la requérante en 2005 et en 2006 n’est pas crédible, car il y avait d’importantes divergences entre le récit consigné dans sa communication écrite jointe à l’appui de sa demande du statut de réfugié et son témoignage oral devant la SPR. L’État partie note en outre qu’aucun élément de preuve objectif n’a été fourni à l’appui d’un élément quelconque de ces prétendues arrestations. Bien qu’elle ait affirmé à la SPR, pendant l’audience, que sa communication écrite était erronée, la requérante a répété exactement le même récit reconnu comme étant erroné dans la demande d’ERAR présentée ultérieurement.

4.15L’État partie estime que, même si l’on accorde à la requérante le bénéfice du doute et si l’on accepte qu’elle a déjà été détenue une fois, cette détention n’amène nullement à conclure qu’elle serait détenue à l’avenir et, en particulier, à conclure qu’elle serait torturée et tuée si elle était détenue de nouveau. L’État partie note en outre que, aussi bien dans son formulaire de renseignements personnels que dans sa demande d’ERAR, la requérante a reconnu qu’elle avait obtenu un visa de sortie des autorités éthiopiennes afin de pouvoir quitter l’Éthiopie et se rendre au Canada. Elle affirme avoir eu l’intention de revenir en Éthiopie jusqu’à ce qu’elle apprenne par son frère que son mari avait été interrogé à son sujet, que les autorités éthiopiennes regrettaient de l’avoir autorisée à se rendre à l’étranger et que ces mêmes autorités avaient l’intention de l’arrêter à son retour. L’État partie déclare qu’il n’est pas plausible que les autorités éthiopiennes s’intéressent à la requérante davantage maintenant que lorsqu’elle était encore en Éthiopie. Si les autorités éthiopiennes se préoccupaient de la requérante en raison de sa prétendue opinion politique, elles ne l’auraient pas libérée après quelques jours de détention seulement, et ne lui auraient pas délivré une autorisation de sortie pour quitter l’Éthiopie. En outre, la requérante n’a pas prétendu avoir pris part, pendant son séjour au Canada, à des activités politiques qui auraient pu retenir l’attention des autorités éthiopiennes.

4.16De surcroît, l’État partie note l’allégation de la requérante selon laquelle, d’après deux lettres qu’elle a reçues d’Éthiopie, son mari a été de nouveau arrêté et a été transféré de force en un lieu inconnu. Il note que l’arrestation du mari a probablement eu lieu en 2010, puisque c’est la date à laquelle les lettres ont été présentées pour la première fois aux autorités de l’État partie. Toutefois, aucune information n’est fournie dans la communication concernant la situation actuelle du mari ou des démarches faites par des proches ou des amis en Éthiopie en vue de savoir si ce dernier est toujours détenu ou non dans un lieu connu ou inconnu. Compte tenu du fait que, selon la requérante, son mari a été placé en détention et libéré à plusieurs autres reprises, l’État partie estime que cette dernière aurait dû chercher à fournir des informations à jour au Comité. L’État partie affirme que l’allégation selon laquelle le mari de la requérante a été détenu en 2010, à l’appui de laquelle aucun élément de preuve n’a été présenté, ne corrobore nullement son allégation selon laquelle elle sera détenue, torturée et tuée si elle est renvoyée en Éthiopie.

4.17Quant à l’argument de la requérante selon lequel le fait qu’elle appartienne à l’ethnie oromo est l’une des raisons pour lesquelles elle serait la cible des autorités éthiopiennes, l’État partie note que devant les autorités nationales, elle a déclaré qu’elle n’avait pas été prise pour cible en raison de son appartenance ethnique dans le passé. L’État partie estime que, dans ces circonstances, l’appartenance de la requéranteà l’ethnie oromo ne l’exposerait pas, à elle seule, à un risque prévisible, réel et personnel de torture. L’État partie prend note de plusieursrapports concernant la situation des droits de l’homme en Éthiopie, y compris les récentes observations finales du Comité sur la situation des droits de l’homme en Éthiopie. Néanmoins, même si la situation des droits de l’homme en Éthiopie est problématique, l’État partie estime qu’elle ne suffit pas à rendre crédibles les allégations de la requérante.

4.18À la lumière de ce qui précède, l’État partie déclare que la requérante, en l’espèce, n’a pas établi qu’elle court un risque prévisible, réel et personnel d’être torturée si elle est renvoyée en Éthiopie. En conséquence, la présente communication est manifestement infondée et irrecevable.

4.19À l’inverse, si la communication est déclarée recevable, l’État partie demande que le Comité conclue, sur la base des informations fournies, que la communication est dénuée de fondement. La requérante n’a pas établi qu’elle court un risque prévisible, réel et personnel d’être soumise à la torture si elle est renvoyée en Éthiopie.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partieconcernant la recevabilité et le fond

5.1En réponse aux observations de l’État partie, le 30 avril 2013, la requérante a déclaré qu’aucun des recours mentionnés par l’État partie, qu’elle était censée épuiser, ne constitue un recours utile. À ce sujet, elle note qu’en 2011 elle a tenté de demander l’autorisation de former recours contre la décision négative rendue par la SPR le 24 janvier 2011; cette demande a été rejetée par la Cour fédérale le 1er juin 2011, sans même faire l’objet d’une audience. Elle fait en outre valoir que 80 à 85 % des personnes qui présentent une demande de «recours en matière d’immigration (examen juridictionnel)» devant la Cour fédérale n’obtiennent pas d’autorisation et que cela montre bien l’inefficacité du recours en question. La requérante note aussi que l’État partie a reconnu, dans ses observations, que 14 % seulement des cas faisaient l’objet d’une audience devant la Cour fédérale. La requérante note les conclusions du Comité dans l’affaire Nirmal Singh c. Canada, à savoir que l’examen juridictionnel d’une décision négative en matière de protection des réfugiés ou en matière d’examen des risques avant renvoi ne constitue pas un recours utile.

5.2En ce qui concerne les arguments de l’État partie touchant la procédure de demande pour motifs humanitaires en tant que recours utile, la requérante note qu’un avocat lui a dit que cette procédure prenait de vingt-quatre à vingt-huit mois et que l’examen de la demande pour motifs humanitaires n’empêcherait pas son expulsion. L’avocat lui a également dit que ses chances de réussite étaient faibles, car la crainte du danger et de la persécution en Éthiopie n’était pas l’un des motifs autorisés dans le cadre de la procédure de demande pour motifs humanitaires. En outre, l’avocat a noté que les liens de la requérante avec sa fille et ses petits-enfants au Canada seraient seulement un des facteurs pris en compte dans la procédure et que ce facteur ne suffirait pas à faire pencher la balance en sa faveur. La requérante déclare également qu’elle n’avait pas les moyens de payer les frais d’engagement de cette procédure, ni les moyens de payer les honoraires d’un avocat.

5.3 La requérante estime également que la demande de «sursis à l’exécution du renvoi» n’est pas un mécanisme efficace car, dans la plupart des cas, cela n’arrête pas ou ne retarde pas l’expulsion et que l’État partie ne peut garantir que le dépôt d’une telle demande arrêterait la procédure d’expulsion.

Nouvelles observations de l’État partie

6.1Dans une note verbale du 24 septembre 2013, l’État partie a présenté des observations supplémentaires. Il réitère ses observations précédentes sur le fait que la requérante n’a pas épuisé les recours internes, en ne présentant pas de demande d’examen juridictionnel de la décision d’ERAR et en ne déposant pas de demande pour motifs humanitaires. L’État partie réaffirme également qu’une demande d’examen juridictionnel d’une décision d’ERAR négative peut être combinée avec une demande de sursis judiciaire à l’exécution du renvoi.

6.2 Quant à l’avis exprimé par un avocat concernant les chances de succès d’une procédure de demande pour motifs humanitaires, l’État partie estime que les déclarations ou les opinions de l’avocat de la requérante ne constituent pas des éléments de preuve et ne sauraient en elles-mêmes et à elles seules étayer l’avis selon lequel la procédure de demande pour motifs humanitaires n’est pas un recours utile.

6.3 Étant donné ce qui précède, l’État partie demande de nouveau que la communication de la requérante soit considérée par le Comité comme irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

6.4L’État partie estime que, dans la mesure où l’une quelconque des allégations de la requérante sur les lacunes du système d’examen juridictionnel a pu avoir une influence directe sur l’évaluation de sa demande de protection, ces allégations pouvaient et auraient dû être d’abord soulevées devant la Cour fédérale elle-même et, lors de l’appel avec autorisation de former recours, devant la Cour suprême du Canada. Soulever des questions nouvelles, qu’elles soient de caractère général ou spécifique, devant le Comité contre la torture est un exemple manifeste de non-épuisement des recours internes étant donné que les autorités nationales de l’État partie n’ont pas eu la possibilité d’examiner les griefs concernant des irrégularités spécifiques ou systématiques et de les corriger si leur existence est établie.

6.5L’État partie réaffirme en outre que le fait que la requérante n’ait pas dissipé les doutes formulés au sujet de son récit amène à conclure que la communication n’est pas suffisamment étayée.

6.6Enfin, l’État partie réaffirme que, même si la requérante se voit accorder le bénéfice du doute concernant sa détention alléguée, elle n’a à aucun moment prétendu avoir été torturée ou soumise à d’autres mauvais traitements pendant sa détention. Il en résulte que, même si l’on accepte le fait que la requérante a été détenue dans le passé, cette détention ne saurait amener à conclure qu’elle serait torturée et tuée si elle était détenue de nouveau. Par conséquent, l’État partie affirme que la requérante n’a pas établi qu’elle court un risque prévisible, réel et personnel d’être torturée si elle est renvoyée en Éthiopie.

6.7Compte tenu de ce qui précède, l’État partie demande au Comité de considérer la présente communication comme irrecevable au motif du non-épuisement des recours internes. Sinon, la communication de la requérante est irrecevable pour défaut de fondement. Si le Comité considère la communication comme recevable, l’État partie demande au Comité de la considérer comme dénuée de fondement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention étant donné que la requérante ne s’est pas pourvue devant la Cour fédérale pour obtenir l’autorisation de demander un examen juridictionnel de la décision d’ERAR en date du 1er juin 2012 et qu’elle n’a pas présenté de demande de statut de résident permanent pour raisons humanitaires. Le Comité prend également note de l’argument de la requérante qui fait valoir que les recours en question ne pouvaient pas être considérés comme des recours utiles en l’espèce.

7.3Le Comité note qu’en vertu du paragraphe 4 de l’article 18.1 de la loi sur les cours fédérales, la Cour fédérale peut annuler une décision d’ERAR négative si elle est convaincue qu’un tribunal a agi sans compétence, qu’il n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale, qu’il a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, qu’il a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, qu’il a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages, ou qu’il a agi de toute autre façon contraire à la loi. Le Comité note qu’aucun de ces motifs n’est applicable à l’examen au fond de l’allégation de la requérante selon laquelle elle subirait des mauvais traitements si elle était renvoyée en Éthiopie.

7.4En ce qui concerne le fait que la requérante n’a pas présenté de demande de statut de résident permanent pour raisons humanitaires, le Comité rappelle qu’à sa vingt‑cinquième session, dans ses observations finales concernant le troisième rapport périodique du Canada, il avait examiné la question de la demande de dispense ministérielle pour raisons d’ordre humanitaire. Il avait alors relevé le manque d’indépendance dont semblaient faire preuve les fonctionnaires chargés d’examiner ce type de recours, ainsi que le fait qu’une personne pouvait être expulsée alors que ledit recours était en cours d’examen. Il avait conclu que cela pouvait amoindrir l’efficacité de la protection des droits énoncés au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. Il avait noté que bien que le droit de bénéficier d’une assistance pour des raisons humanitaires puisse fonder un recours prévu par la loi, cette assistance était accordée par un ministre sur la base de critères purement humanitaires, et non sur une base légale, et constituait ainsi plutôt une faveur. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut qu’en l’espèce, le non-épuisement de ce recours par la requérante ne constitue pas un obstacle à la recevabilité de la communication.

7.5Le Comité considère que les griefs de la requérante, qui soulève des questions au regard de l’article 3 de la Convention, sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité; il déclare donc la requête recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1 Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité doit déterminer si en renvoyant la requérante en Éthiopie, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ni refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

8.3Le Comité doit évaluer s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risque personnellement d’être soumise à la torture à son retour en Éthiopie. Pour ce faire, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, notamment l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que l’objectif de cette évaluation est de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays dans lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays en question ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que cette personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser qu’elle serait personnellement en danger. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

8.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1sur l’application de l’article 3, selon laquelle l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de montrer que le risque couru est «hautement probable», le Comité rappelle que le fardeau de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables établissant qu’il court un risque «prévisible, réel et personnel». Le Comité rappelle également que, conformément à son Observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

8.5La requérante affirme qu’en Éthiopie elle pourrait être torturée ou même tuée en raison de son appartenance ethnique et de ses liens supposés avec le FLO, de son arrestation passée, de l’intérêt que continue de porter la police au lieu où elle se trouve, et de la disparition forcée de son mari.

8.6Le Comité note que la requérante n’a fourni aucun élément objectif prouvant qu’elle risquerait d’être soumise à la torture par les autorités si elle retournait en Éthiopie. Il relève en particulier que la requérante déclare avoir été toute sa vie une personne sans appartenance politique. Il note en outre l’argument de l’État partie selon lequel la requérante n’a fait aucune tentative pour expliquer aux autorités nationales les contradictions relevées dans ses allégations concernant l’arrestation et la détention dont elle aurait fait l’objet en Éthiopie en 2005 et en 2006, l’intérêt que continueraient de porter les autorités éthiopiennes à l’endroit où elle se trouve et à ses activités, ainsi que l’arrestation de son mari, sa situation actuelle et l’endroit où il se trouve. Ces contradictions n’ont pas non plus été expliquées par la requérante dans sa communication au Comité. Ce dernier note que la requérante a eu amplement la possibilité d’étayer et de préciser ses griefs, au niveau national, devant la SPR et dans le cadre de la procédure d’ERAR. De surcroît, la requérante n’a fourni au Comité aucun document constituant une preuve objective, telle qu’une copie des convocations ou d’un mandat d’arrêt, à l’appui de son récit des événements et de ses griefs.

8.7De plus, le Comité rappelle que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine n’est pas suffisante, en soi, pour conclure qu’un requérant court personnellement le risque d’être torturé. Il note que la requérante n’affirme pas avoir été personnellement soumise à la torture ou à une forme quelconque de peine ou de mauvais traitements en Éthiopie avant son arrivée au Canada, à l’exception de l’allégation concernant la disparition forcée de son mari. Il note également que la requérante n’a pas fourni d’informations ou d’arguments prouvant qu’elle risquerait personnellement d’être torturée si elle retournait en Éthiopie.

9.Dans ces circonstances, et en l’absence de toute autre information pertinente, le Comité constate que la requérante n’a pas suffisamment démontré que son expulsion vers son pays d’origine l’exposerait personnellement à un risque réel et prévisible de torture.

10.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi de la requérante vers l’Éthiopie ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.