NATIONS UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.RESTREINTE*

CAT/C/35/D/245/20045 décembre 2005

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente‑cinquième session

7‑25 novembre 2005

DÉCISION

Communication n o  245/2004

Présentée par:

S. S. S. (représenté par un conseil, M. Stewart Istvanffy)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Canada

Date de la requête:

25 février 2004

Date de la présente décision:

16 novembre 2005

[ANNEXE]

Objet: Expulsion avec risque présumé de torture et de traitement inhumain et dégradant

Questions de procédure: Recevabilité ratione materiae; allégations non étayées

Questions de fond: Risque de torture en cas d’expulsion; absence de soins médicaux après l’expulsion équivalant à un traitement inhumain et dégradant

Articles de la Convention: 3, 16

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE EN VERTU DE L’ARTICLE 22 DELA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OUTRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

Trente‑cinquième session

concernant la

Communication n o  245/2004

Présentée par:

S. S. S. (représenté par un conseil, M. Stewart Istvanffy)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Canada

Date de la requête:

25 février 2004

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 16 novembre 2005,

Ayant achevé l’examen de la requête no 245/2004, présentée au nom de S. S. S. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention

1.1Le requérant est S. S. S., ressortissant indien né le 5 novembre 1957 à Paddi Jagir au Penjab (Inde), actuellement résidant au Canada, d’où il risque d’être expulsé vers l’Inde. Il affirme que son renvoi forcé en Inde constituerait une violation par le Canada des articles 3 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a transmis la requête à l’État partie le 27 février 2004, en le priant, conformément au paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, de ne pas expulser le requérant vers l’Inde tant qu’il n’aurait pas achevé l’examen de sa requête.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est originaire de l’État indien du Penjab. Il est de religion sikh. En juin 1996, il est devenu membre du parti Akali Dal (Badal), pour lequel il a milité pendant la campagne électorale de février 1997. Il a ensuite poursuivi ses activités politiques, organisant des rassemblements et critiquant la politique du Gouvernement. Il déclare avoir été arrêté par la police le 20 avril 1999 et conduit au poste de Gurayan. Il affirme que les policiers l’ont frappé avec des bâtons et des ceintures, lui ont tiré les cheveux, lui ont donné des coups de pied dans le dos, des gifles et des coups de poing, et l’ont suspendu au plafond. Un rouleau en bois aurait servi à lui écraser les jambes, notamment les cuisses, et il a eu un genou disloqué. Il affirme avoir perdu connaissance à plusieurs reprises. Il était interrogé sur ses propres activités ainsi que sur celles de son cousin et d’autres militants sikhs. Il a finalement été relâché le 29 avril 1999, en état d’inconscience, après paiement d’une caution de 50 000 roupies. Lorsqu’il a repris connaissance, il se trouvait dans un hôpital.

2.2Le requérant affirme également que des policiers sont venus le voir à son domicile le 12 août puis le 10 octobre 1999, alors qu’il était encore soigné pour ses blessures, pour l’interroger de nouveau sur son cousin et d’autres militants. Ils seraient revenus le 25 février 2000, en son absence, et auraient menacé sa femme. Le requérant affirme qu’à chacune de ces visites les policiers ont touché des pots-de-vin.

2.3Le 23 juin 2000, le requérant a aidé un groupe à collecter de l’argent, par le biais du temple sikh qu’il fréquente, pour des femmes et des enfants de sikhs qui avaient été soupçonnés de militantisme et tués par la police. Le requérant affirme que le 26 juin 2000 la police a commencé à arrêter les personnes qui avaient collecté des fonds avec lui; lui-même s’est caché, avant d’apprendre que des policiers s’étaient rendus à son domicile, où ils avaient battu sa femme et ses enfants. Sa femme a été arrêtée, battue et détenue pendant cinq ou six heures.

2.4Le requérant a alors fui à New Delhi, où il aurait payé un intermédiaire pour partir au Canada. Il est arrivé dans ce pays le 23 juillet 2000 après avoir transité par les Émirats arabes unis et l’Angleterre.

2.5Le 28 septembre 2000, le requérant a sollicité le statut de réfugié. Sa demande a été rejetée le 12 mars 2002 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Le 15 avril 2002, il a demandé à la Cour fédérale du Canada l’autorisation de se pourvoir en révision de cette décision, mais celle‑ci l’a débouté le 24 juillet 2002. Le requérant a également sollicité le 17 avril 2002 le réexamen de son cas dans le cadre de la procédure spéciale applicable aux décisions de refus, mais cette demande a été rejetée le 18 avril 2002 au motif qu’elle avait été présentée hors délai.

2.6En octobre 2003, le requérant a présenté une demande au titre de la nouvelle procédure d’évaluation du risque préalable au renvoi, mais elle a été rejetée le 16 décembre 2003. Il a également présenté le 11 décembre 2003 une demande de réexamen de son cas pour motifs humanitaires, qui n’a pas encore abouti. Enfin, il a demandé le 28 janvier 2004 l’autorisation de se pourvoir en révision de la décision par laquelle sa demande au titre de la procédure d’évaluation du risque préalable au renvoi avait été rejetée, ce qui lui a été refusé le 2 juin 2004, puis a demandé un sursis à expulsion le 18 février 2004, refusé par la Cour fédérale le 23 février 2004.

2.7L’expulsion du requérant a été fixée au 29 février 2004.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’il sera emprisonné, torturé, voire tué s’il est renvoyé en Inde, où des violations des droits de l’homme au sens du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention seraient fréquemment commises, en particulier contre les sikhs. Son conseil a produit des documents émanant de sources non gouvernementales qui confirment ces informations, notamment un rapport d’Amnesty International de 2003 qui conclut que des cas de torture et de brutalités en détention continuent d’être régulièrement signalés au Penjab.

3.2Le conseil du requérant produit un certificat médical en date du 21 février 2001 qui confirmerait que son client a été admis à l’hôpital de Rohit le 29 avril 1999 en état d’inconscience, avec des ecchymoses sur le corps, les pieds enflés, les fesses et le dos tuméfiés, un genou disloqué, et les muscles des cuisses écrasés et déchirés. Ce même certificat indique que le requérant a été hospitalisé jusqu’au 30 mai 1999 et qu’il a continué de recevoir des soins à domicile jusqu’au 30 novembre 1999. Le conseil fournit aussi un autre certificat médical établi le 20 mars 2001 par un centre médical canadien, qui atteste que le requérant présente les symptômes d’un état anxiodépressif et «qu’il existe suffisamment d’indices physiques et psychologiques objectifs pour corroborer les allégations subjectives de torture».

3.3À l’appui de la requête, le conseil mentionne en outre des lettres de proches du requérant qui confirment sa version des faits, ainsi que des certificats médicaux faisant état des actes de torture que ces proches auraient subis. Le conseil renvoie également à des déclarations écrites sous serment du Sarpanch (Ancien) du village du requérant en Inde, qui confirme les dires de ce dernier et déclare avoir appris par la police que le requérant se trouvait sous le coup d’un mandat d’arrêt pour sa participation aux activités de militants sikhs.

3.4Le conseil fait également valoir qu’expulser le requérant vers l’Inde reviendrait à l’exposer à un grave traumatisme émotionnel pour lequel il ne pourrait pas être convenablement soigné, ce qui constituerait à son sens un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 16 de la Convention.

3.5Enfin, le conseil affirme que le membre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a rejeté la demande du requérant «est connu pour refuser toutes les demandes émanant de sikhs» et que la procédure d’évaluation du risque préalable au renvoi «débouche quasiment toujours sur un refus et se caractérise par un ensemble de violations systématiques des droits fondamentaux». Le conseil fait observer en particulier que l’évaluation du risque est effectuée par des employés du service d’immigration qui n’ont aucune compétence en matière de protection internationale des droits de l’homme ni d’ailleurs en matière juridique, et que ceux qui prennent la décision ne satisfont pas aux critères d’impartialité, d’indépendance et de compétence.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 26 août 2004, l’État partie conteste la recevabilité de la requête. Il affirme que le requérant n’a pas montré l’existence prima facie de motifs sérieux de penser qu’il risquerait personnellement d’être torturé s’il était renvoyé en Inde, en violation de l’article 3 de la Convention. L’État partie ajoute que le requérant n’a pas davantage montré prima facie que l’aggravation de son état de santé, qui résulterait de son expulsion, constituerait un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 16 de la Convention. L’État partie affirme en outre que, pour les mêmes raisons, la requête est dénuée de fondement.

4.2S’agissant des recours internes, l’État partie ne conteste pas en principe que le requérant les ait tous épuisés, hormis en ce qui concerne la nouvelle allégation de partialité visant un membre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Le requérant n’ayant pas exercé la diligence voulue pour faire valoir ce grief par la voie des procédures internes, son allégation de partialité est irrecevable pour non-épuisement des recours internes. L’État partie renvoie à des affaires antérieures dans lesquelles le Comité a conclu que l’intéressé n’avait pas étayé son allégation de partialité puisqu’il ne l’avait jamais invoquée avant le rejet de sa demande d’asile.

4.3L’État partie précise que le cas du requérant a été examiné dans le cadre de la procédure instaurée par la précédente loi relative à l’immigration et que, par conséquent, la décision finale a été prise à l’unanimité par deux membres de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, et non par un seul comme le laisse entendre le requérant. Subsidiairement, les allégations sont dénuées de fondement puisqu’elles ne sont pas étayées. La décision de rejet de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a été fondée sur le fait que le requérant n’avait pas pu produire des éléments de preuve crédibles et que son témoignage présentait un certain nombre de contradictions.

4.4En ce qui concerne l’argument du requérant selon lequel les recours disponibles au Canada ne sont pas efficaces, l’État partie indique que la procédure spéciale applicable aux décisions de refus, la procédure d’évaluation du risque préalable au renvoi et la procédure de réexamen pour motifs humanitaires constituent des évaluations du risque satisfaisantes. Rappelant que le Comité a considéré par le passé que la procédure spéciale applicable aux décisions de refus et la procédure de réexamen pour motifs humanitaires étaient des recours utiles, l’État partie estime que le même raisonnement devrait s’appliquer à la procédure d’évaluation du risque préalable au renvoi. Il ajoute que le requérant n’a produit aucune preuve contraire.

4.5S’agissant de l’article 3 de la Convention, l’État partie affirme que le requérant n’a pas montré qu’il existait prima facie des motifs sérieux de penser que son expulsion vers l’Inde aurait pour conséquence prévisible de l’exposer à un risque réel et personnel de torture. Conformément à l’Observation générale n° 1 du Comité, c’est au requérant qu’il incombe de montrer qu’il risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en Inde. L’État partie renvoie à des rapports publics pour faire valoir que la situation des sikhs en Inde s’est améliorée et stabilisée ces derniers temps, et que rien ne prouve que la police du Penjab cherche à causer du tort au requérant ou à ses proches ou à les arrêter en raison de leurs liens avec des groupes militants. En particulier, le requérant a cessé toute activité politique ou religieuse depuis 1992 et le parti régional qu’il redoute n’est plus au pouvoir.

4.6L’État partie note aussi que le requérant s’était rendu pour la première fois au Canada en juin 1998 pour assister aux funérailles de son père. Un visa de visiteur lui avait été accordé après une entrevue avec le fonctionnaire chargé des visas à la Haute Commission canadienne de New Delhi. Le requérant n’avait pas, lors de son séjour au Canada, revendiqué le statut de réfugié et était revenu en Inde le 30 juin 1998. Selon l’État partie, les craintes présumées du requérant d’être torturé sont en contradiction avec le fait qu’il était retourné en Inde, après que ses problèmes avec la police ont commencé. En outre, l’État partie tient à souligner que bien qu’étant entré au Canada le 23 juillet 2000, muni d’un visa de visiteur à entrée unique de six mois, afin d’être aux côtés de sa mère qui devait subir une opération à cœur ouvert, le requérant n’a revendiqué le statut de réfugié que le 28 septembre 2000.

4.7L’État partie relève que le requérant n’a pas suffisamment montré que le risque qu’il courrait existe dans toutes les régions de l’Inde et qu’il ne pourrait pas s’installer ailleurs qu’au Penjab. Par conséquent, le requérant ne s’est pas acquitté de son obligation de montrer qu’il existe des motifs sérieux de penser qu’il risquerait personnellement d’être torturé en Inde. L’État partie considère donc que le grief tiré de l’article 3 est irrecevable.

4.8En ce qui concerne le grief de violation de l’article 16, l’État partie rappelle que l’obligation énoncée à l’article 3 ne s’applique pas aux situations présentant un risque de mauvais traitement qui sont visées à l’article 16 de la Convention. L’État partie affirme également que le requérant n’a pas montré qu’il existait des circonstances particulières de nature à aggraver son état physique ou psychologique en cas d’expulsion, comme il l’affirme, ni qu’il ne pourrait avoir accès à des soins médicaux appropriés à son retour en Inde. L’État partie considère donc que le grief tiré de l’article 16 doit également être déclaré irrecevable.

4.9Selon l’État partie, les éléments portés à la connaissance du Comité confirment que la norme énoncée à l’article 3 a été dûment et impartialement appliquée dans les procédures internes. Le Comité ne devrait pas trancher lui-même la question de savoir s’il existe des motifs sérieux de penser que le requérant court un risque réel et personnel d’être torturé à son retour en Inde, puisque les éléments à sa disposition ne font apparaître aucune erreur ni abus manifeste dans les procédures internes.

4.10L’État partie conclut que la requête devrait être déclarée irrecevable du fait que le requérant n’a pas établi l’existence prima facie d’une violation des droits protégés par la Convention. Si les griefs étaient jugés recevables, le Comité devrait alors les examiner au fond en tenant compte des observations qui précèdent.

Commentaires du requérant

5.1Le conseil du requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie le 11 avril 2005. En ce qui concerne la question de savoir si le requérant a la possibilité de trouver un refuge sûr ailleurs en Inde, le conseil se fonde sur un article publié par une organisation de défense des droits de l’homme (ENSAAF), ainsi que sur l’avis d’un psychologue et sur divers articles de presse, pour affirmer que le Comité ne devrait pas suivre la décision rendue en l’affaire B.S.S. c. Canada. Il conclut que le requérant n’a aucune possibilité de s’installer en toute sécurité ailleurs dans son pays ni d’y mener une vie normale et qu’il sera inévitablement arrêté et torturé.

5.2Le conseil affirme que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et les employés qui sont intervenus dans la procédure d’évaluation du risque préalable au renvoi, de même que l’État partie, ont apprécié le cas du requérant en se fondant sur une vision prétendument objective de la situation, sans comprendre ce qui se passait réellement en Inde et au Penjab. Dans ses observations au Comité, l’État partie ne tient pas compte de certains éléments de preuve nouveaux (attestation médicale des brutalités subies par la femme et les enfants du requérant) ni de certains des rapports fournis à l’appui de la demande de sursis à expulsion. Enfin, le conseil affirme que les sikhs victimes de torture reçoivent systématiquement une réponse négative à l’issue de la procédure d’évaluation du risque préalable au renvoi, et que «l’article 3 de la Convention contre la torture est violé en toute impunité au Canada, sans qu’il soit possible de former un recours judiciaire utile pour protéger les vies de ces victimes de la torture».

5.3À propos des arguments de l’État partie concernant l’irrecevabilité de l’allégation de partialité visant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, le conseil admet que ce grief n’a pas été soulevé devant la Commission elle-même ni devant la Cour fédérale, mais il fait observer que, même s’il n’entend pas produire de nouveaux éléments de preuve sur ce point, il y aurait de sérieux motifs d’engager une action pour partialité institutionnelle en raison de la partialité manifeste de l’un des membres de la Commission.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Dans une nouvelle note verbale datée du 28 septembre 2005, l’État partie dément qu’il y ait eu une quelconque irrégularité pendant l’examen des griefs du requérant dans le cadre des procédures applicables, comme l’affirme le conseil.

6.2L’État partie conclut que le Comité devrait examiner la requête au fond en tenant compte de ses observations sur la recevabilité.

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si cette requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité relève que l’État partie conteste la recevabilité de l’allégation de partialité formulée par le requérant contre un membre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés à cet égard. Il note que le requérant admet n’avoir pas épuisé les recours internes en ce qui concerne ce grief. Le Comité en conclut que cette partie de la requête est irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

7.2Le Comité relève que l’État partie reconnaît que les recours internes ont été épuisés en ce qui concerne les autres griefs du requérant. Par conséquent, il n’y a pas lieu pour le Comité de se pencher sur la question de savoir si les recours judiciaires ouverts au titre des procédures de réexamen du Service canadien de l’immigration sont inefficaces, comme l’affirme le conseil.

7.3S’agissant de l’argument du requérant selon lequel la décision de le renvoyer en Inde constituerait en soi une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, en violation de l’article 16 de la Convention, le Comité relève que le requérant n’a pas suffisamment étayé cette allégation. Il rappelle en particulier que, selon sa jurisprudence, l’aggravation éventuelle de l’état de santé d’un requérant par suite de son expulsion ne constitue pas une forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 16. Tout en reconnaissant qu’une expulsion vers l’Inde peut susciter chez le requérant des craintes subjectives, le Comité estime qu’il ne s’agit pas d’un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 16 de la Convention. Il conclut que le grief tiré de l’article 16 n’est pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité.

7.4En ce qui concerne le grief tiré du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, le Comité considère qu’il n’y a pas d’obstacle à sa recevabilité et procède donc à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de penser que le requérant risquerait personnellement d’être torturé à son retour en Inde. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives.

8.2À cet égard, le Comité prend note des rapports fournis par le requérant, qui confirment que des cas de torture en garde à vue ont continué de se produire après la fin de la période de militantisme au Penjab, au milieu des années 90, et que, bien souvent, les auteurs de ces actes n’ont pas été traduits en justice. Il prend note également de l’argument de l’État partie, qui assure que la situation des droits de l’homme au Penjab s’est améliorée et stabilisée ces dernières années.

8.3Le Comité rappelle cependant qu’il s’agit de déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture en Inde. Par conséquent, même s’il y a dans ce pays un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme flagrantes ou massives, cela ne constituerait pas en soi un motif suffisant pour conclure que le requérant risque d’être torturé à son retour en Inde; il doit exister des motifs supplémentaires de penser qu’il serait personnellement en danger. De même, l’absence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme flagrantes ou massives ne signifie pas qu’une personne puisse être considérée comme ne risquant pas d’être torturée dans sa situation particulière.

8.4Le Comité relève que le requérant a soumis des éléments de preuve pour montrer qu’il avait été torturé pendant sa détention en 1999, notamment sous la forme de rapports médicaux et de déclarations écrites de témoins corroborant cette allégation. Le Comité prend note également du certificat médical établi en 2001 par un centre médical canadien, qui conclut à l’existence d’indices physiques et psychologiques objectifs suffisants pour corroborer les allégations subjectives de torture. Enfin, le Comité relève que le requérant, selon ses propres dires, a été arrêté et torturé parce qu’on l’accusait d’être un militant, et pas seulement parce qu’il était sikh. Le Comité considère toutefois que, même à supposer que le requérant, par le passé, ait été torturé par la police du Penjab, il n’en découle pas automatiquement qu’il risque encore, six ans après les faits allégués, d’être torturé s’il est renvoyé en Inde. Il constate en particulier que le parti politique contre lequel le requérant avait fait campagne n’est plus au pouvoir au Penjab.

8.5S’agissant de l’argument du requérant selon lequel il court toujours, à l’heure actuelle, le risque d’être torturé en Inde, le Comité prend note des éléments de preuve produits par le conseil pour montrer que le requérant n’a pas la possibilité de s’installer en toute sécurité ailleurs dans son pays, puisqu’il serait pris pour cible par la police. À cet égard, le Comité relève que, d’après certains des éléments de preuve disponibles, une personnalité serait effectivement en danger dans d’autres régions de l’Inde, mais le requérant n’a pas montré qu’il relève de cette catégorie particulière. Le Comité en conclut qu’il ne lui serait pas impossible de vivre à l’abri de la torture ailleurs en Inde.

8.6À la lumière de ce qui précède, le Comité conclut que le requérant n’a pas établi qu’il court personnellement, à l’heure actuelle, un risque prévisible d’être torturé s’il est renvoyé en Inde.

8.7Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la décision de l’État partie de renvoyer le requérant en Inde ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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