NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.RESTREINTE*

CAT/C/37/D/262/2005**22 janvier 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente-septième session(6-24 novembre 2006)

DÉCISION

Communication n o 262/2005

Présentée par:V. L. (non représentée par un conseil)

Au nom de:V. L.

État partie:Suisse

Date de la requête:12 janvier 2005 (lettre initiale)

Date de la présente décision:20 novembre 2006

Objet: Expulsion de la requérante au Bélarus

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Non‑refoulement

Article de la Convention: 3

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

− Trente-septième session −

concernant la

Communication n o 262/2005

Présentée par:V. L. (non représentée par un conseil)

Au nom de:V. L.

État partie:Suisse

Date de la requête:12 janvier 2005 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 20 novembre 2006,

Ayant achevé l’examen de la requête no 262/2005 présentée au Comité contre la torture par Mme V. L. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par la requérante,

Adopte la décision ci-après au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture.

1.1La requérante est Mme V. L., née en 1946, de nationalité bélarussienne, qui vit actuellement en Suisse d’où elle risque d’être renvoyée au Bélarus. Elle n’invoque aucune disposition particulière de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, mais sa requête semble soulever des questions au titre de l’article 3. Elle n’est pas représentée par un conseil.

1.2Le 14 janvier 2005, le Comité, par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a transmis la requête à l’État partie et l’a prié, conformément au paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, de ne pas renvoyer la requérante au Bélarus tant que le Comité serait saisi de la requête. Le Rapporteur a indiqué que cette demande pourrait être revue à la lumière de nouveaux arguments présentés par l’État partie. Celui‑ci a accédé à la demande par une note datée du 25 février 2005.

Exposé des faits

2.1Le mari de la requérante était candidat à des élections locales au Bélarus en 1995 et en 2000. Dans une lettre adressée au rédacteur en chef d’un journal, il a critiqué le Président du pays. Il a alors été interrogé plusieurs fois par le Bureau de la sécurité et la police. Il a également été agressé par quatre inconnus en avril 2000. La police lui a recommandé de cesser ses activités politiques. Il a quitté la ville de Minsk et a vécu chez des proches de juillet 2000 à juin 2001. Il a quitté le pays le 7 juin 2001 pour aller en Belgique, où il a présenté une demande d’asile. Sa demande ayant été rejetée, il s’est rendu en Suisse le 18 décembre 2002. Pendant ce temps, la requérante, qui était restée au Bélarus, a été maintes fois interrogée sur son mari. Elle a été privée de son passeport le 12 septembre 2002. Elle a quitté le pays le 16 décembre 2002 et a rejoint son mari en Suisse le 18 décembre 2002.

2.2La requérante ainsi que son mari ont déposé une demande d’asile en Suisse le 19 décembre 2002. Tous deux ont allégué que le mari de la requérante avait été victime de persécutions politiques de la part des autorités bélarussiennes. Ce motif n’a pas été jugé crédible par l’Office fédéral des réfugiés (ODR), qui a considéré que les documents présentés par les requérants n’étaient pas authentiques. Par conséquent, leurs demandes ont été rejetées le 14 août 2003 et la requérante et son mari ont reçu l’ordre de quitter le pays avant le 9 octobre 2003.

2.3Le 11 septembre 2003, la requérante et son mari ont fait appel auprès de la Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA). Celle‑ci les a déboutés le 15 septembre 2004. La requérante a demandé une révision de la décision le 11 octobre 2004, signalant pour la première fois qu’elle avait subi des sévices sexuels de la part de membres de la police («Miliz»). Elle a prié instamment les autorités suisses de reconsidérer sa demande d’asile distinctement, indépendamment de celle de son mari, expliquant qu’ils ne vivaient plus ensemble. Ce n’est qu’après que le couple est arrivé en Suisse que la requérante a mis son mari au courant des sévices sexuels qu’elle avait subis. Il a réagi par des insultes et des remarques humiliantes, et lui a interdit de mentionner ces sévices aux autorités suisses. Par une lettre datée du 15 octobre 2004, la CRA a demandé un complément d’information car les motifs invoqués à l’appui de la demande en révision n’étaient pas suffisants. Le 21 octobre 2004, la requérante a précisé les motifs de révision. Elle a affirmé à ce moment‑là que, avant son départ du Bélarus, elle avait été interrogée et violée par trois policiers qui voulaient savoir où se trouvait son mari. Les policiers l’auraient aussi battue et lui auraient fait subir des pénétrations au moyen d’objets. Un examen médical réalisé par la suite dans un hôpital a confirmé que ses organes sexuels présentaient des ecchymoses et des lésions. La requérante a dû être soignée et n’a pu aller travailler pendant plus de trois semaines.

2.4À la suite de cet incident, la requérante s’est plainte auprès du responsable du service dont relevaient les policiers qui lui avaient fait subir des violences sexuelles. À partir de ce moment‑là, elle a reçu des menaces de plusieurs policiers de ce service. Un policier l’a suivie chez elle, lui demandant de retirer sa plainte. Des policiers venaient sans arrêt chez elle la nuit ou pour effectuer des perquisitions. Un jour, les policiers qui l’avaient violée l’ont enlevée devant l’immeuble de son bureau et conduite dans un endroit isolé où ils l’ont de nouveau violée. Ils ont menacé de la mutiler et de la tuer. Le 12 septembre 2002, elle a été convoquée à la police et son passeport lui a été retiré. Après ces événements, elle a souffert de dépression et a commencé à se cacher. Les menaces et les intimidations, conjuguées aux sévices sexuels subis auparavant, l’ont poussée à fuir du Bélarus.

2.5La requérante affirme que si elle n’a pas dit qu’elle avait été violée lors de la première audition devant l’Office fédéral des réfugiés, c’est parce qu’elle considérait cela comme humiliant et comme une insulte à sa dignité personnelle. En outre, les pressions psychologiques exercées par son mari l’ont empêchée d’en parler. Elle a expliqué que son mari avait disparu en octobre 2004 et qu’elle ne savait pas où il se trouvait. Mais maintenant que son mari a quitté le pays, elle est toutefois prête à donner des détails sur les faits mentionnés plus haut et à fournir un certificat médical.

2.6Dans sa décision du 1er décembre 2004, la CRA a reconnu que, en principe, un viol est un élément pertinent dont il y a lieu de tenir compte dans l’examen d’une demande d’asile, même s’il est signalé tardivement, et qu’il peut en effet exister des raisons psychologiques empêchant les victimes d’en faire état lors de la première audition. Cependant, la Commission a estimé que les allégations de la requérante n’étaient pas vraisemblables, car celle‑ci n’a ni démontré ni prouvé les obstacles psychologiques qui l’ont empêchée ne serait‑ce que de mentionner le viol lors de la première audition. Par ailleurs, ni son récit ni son comportement ne sont convaincants. La CRA a également émis des doutes sur «la soudaine capacité de la requérante à donner des détails sur le viol allégué». Elle n’a pas été convaincue qu’il existait un risque que la requérante soit persécutée ou subisse des traitements inhumains à son retour dans son pays, et a conclu que, sur le plan juridique, rien n’empêchait son renvoi au Bélarus.

2.7Le 7 décembre 2005, la requérante a envoyé à la CRA un certificat médical prouvant qu’elle avait subi des sévices sexuels avant de quitter le Bélarus. Par une lettre du 14 décembre 2005, la CRA a répondu que son affaire était close. La requérante a adressé une nouvelle lettre à la CRA le 7 janvier 2005, dans laquelle elle expliquait pourquoi elle contestait sa décision du 1er décembre 2004. Le 11 janvier 2005, la requérante a été informée qu’elle serait expulsée du pays le 20 janvier 2005.

Teneur de la plainte

3.La requérante affirme que, d’après les documents qu’elle a produits, il est clair que sa crainte de subir des persécutions de la part de la police au Bélarus est justifiée. Elle n’invoque pas de disposition particulière de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, mais sa requête semble soulever des questions au titre de l’article 3.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la requête

4.1Dans une note verbale datée du 25 février 2005, l’État partie conteste la recevabilité de la requête. Il affirme que la lettre datée du 12 janvier 2005 envoyée par la requérante ne peut être considérée comme une requête au sens de l’article 22 de la Convention. Il rappelle le paragraphe a) de l’article 107 du Règlement intérieur du Comité, selon lequel le requérant doit estimer être victime d’une violation par l’État partie concerné des dispositions de la Convention. Selon le paragraphe b), le Comité doit s’assurer que la requête ne constitue pas un abus de la procédure ou n’est pas manifestement dénuée de fondement. L’État partie note que la requérante se borne à transmettre les documents relatifs à sa demande d’asile et à prier le Comité «de [lui] porter secours et assistance dans […] la décision concernant [sa] protection», sans avancer que les autorités nationales ont eu tort lorsqu’elles ont confirmé la décision de renvoi. Il fait valoir que la requérante n’a pas démontré qu’elle risquait d’être soumise à la torture si elle retournait au Bélarus. Il considère que, faute d’allégation de violation, il est impossible de présenter des observations sur les déclarations de la requérante.

4.2L’État partie note en conclusion que la lettre de la requérante ne saurait être considérée comme une communication au sens de l’article 22 de la Convention. Si elle devait néanmoins être considérée comme telle, il invite le Comité à déclarer la requête irrecevable du fait qu’elle n’invoque pas de violation de la Convention, ou à considérer qu’elle constitue un abus de la procédure, ou qu’elle est manifestement dénuée de fondement, en vertu du paragraphe b) de l’article 107 du Règlement intérieur.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.Dans une lettre datée du 12 mars 2005, la requérante présente ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité de la requête. Elle donne des précisions sur la succession des événements qui l’ont conduite à quitter le Bélarus. Elle envoie également un certificat médical daté du 4 juillet 2002, établi par la polyclinique du septième arrondissement de Minsk. Il y est dit que la requérante a subi un traumatisme et des lésions sur les organes sexuels.

Observations de l’État partie sur le fond de la requête

6.1Dans une note verbale du 24 juin 2005, l’État partie réaffirme qu’à son avis la communication n’est pas recevable; subsidiairement, il présente les arguments suivants sur le fond. Tout d’abord, il rappelle les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention, et note que le Comité a défini les conditions d’application de cette disposition dans sa jurisprudence et dans son Observation générale no 1 du 21 novembre 1997.

6.2Conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Il s’agit toutefois de déterminer si l’intéressé risquerait personnellement d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. En conséquence, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’un individu risque d’être torturé en cas de retour dans son pays. Donc, il faut qu’il y ait des motifs supplémentaires de penser que la personne concernée court un risque «prévisible, réel et personnel» d’être soumise à la torture. L’État partie note que la situation au Bélarus ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure que la requérante risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. L’État partie affirme que la requérante n’a pas démontré qu’il existait un risque «prévisible, réel et personnel» qu’elle soit soumise à la torture à son retour au Bélarus.

6.3Conformément à l’Observation générale no 1, il y a lieu de tenir compte de la question de savoir si la requérante a été ou non torturée ou maltraitée dans le passé pour évaluer le risque qu’elle soit soumise à la torture si elle est renvoyée dans son pays. La requérante allègue qu’elle a été violée plusieurs fois en 2002, la première lors d’un interrogatoire destiné à savoir où se trouvait son mari, et la seconde après avoir dénoncé son premier viol aux autorités. Elle craint que son retour ne soit immédiatement connu de la police et qu’elle soit de nouveau maltraitée, ou même violée. Pour prouver qu’elle avait été violée en 2002, elle a envoyé au Comité un certificat médical, daté du 4 juillet 2002, établi par la polyclinique du septième arrondissement de Minsk. L’État partie juge surprenant que la requérante n’ait pas présenté cet élément de preuve essentiel pendant la procédure ordinaire, ni même lors de la procédure en révision devant la CRA. Selon la requérante, c’est parce qu’elle pensait être de nouveau entendue qu’elle n’a envoyé le certificat médical qu’après réception de la décision de la CRA du 1er décembre 2004. L’État partie estime que cette explication n’est pas convaincante. Il note, d’une part, que la CRA avait demandé à la requérante de préciser et d’étayer sa demande en révision et, d’autre part, que la requérante elle‑même avait répondu qu’elle jugeait nécessaire de donner les informations requises par écrit. À ce propos, l’État partie rappelle que la requérante et son mari ont présenté des moyens de preuve faux ou falsifiés pendant la procédure ordinaire de demande d’asile, et que l’affirmation selon laquelle le mari aurait été persécuté n’avait pas été jugée crédible par les autorités nationales. Il estime que le certificat médical n’étaye pas l’allégation de viol.

6.4Selon l’Observation générale no 1, il convient de tenir compte, dans l’appréciation du risque qu’une personne soit soumise à la torture à son retour dans son pays, des activités politiques passées de celle‑ci dans son pays d’origine. L’État partie note que la requérante n’était pas engagée politiquement au Bélarus. Les seules activités politiques évoquées sont celles du mari de la requérante, qui aurait été candidat aux élections locales de 1995 et 2000, et aurait critiqué le chef de l’État. Par conséquent, l’État partie estime que la requérante n’a pas prouvé qu’elle risque d’être soumise à la torture en raison de ses activités politiques.

6.5En ce qui concerne la crédibilité de la requérante, l’État partie note qu’elle allègue devant le Comité des motifs qu’elle n’avait pas invoqués devant les autorités nationales pendant la procédure d’asile et qu’elle n’a fait mention des sévices sexuels commis par la police que dans sa demande en révision du 11 octobre 2004. À la demande expresse de la CRA, elle a complété sa demande en révision le 21 octobre 2004. Ce n’est qu’à ce moment‑là qu’elle a spécifié que des policiers l’avaient violée plusieurs fois en 2002 et qu’elle avait par la suite reçu de graves menaces de la police, notamment parce qu’elle s’était plainte du délit commis. La requérante n’a jamais étayé ses allégations. Elle dit qu’elle n’a pas osé faire état des viols pendant la procédure ordinaire parce que son mari lui avait interdit d’en parler. L’État partie fait valoir que, si cette explication pourrait être acceptée pour la période pendant laquelle la requérante n’était pas séparée de son mari, elle n’est en tout cas pas convaincante s’agissant de la période suivant la séparation. En particulier, elle ne permet pas de comprendre pourquoi la requérante n’a fourni aucun élément de preuve à la CRA pendant la procédure de révision. En outre, les éléments de preuve présentés par la requérante et son mari à l’appui de leurs allégations au cours de la procédure d’asile étaient pour la plupart faux ou falsifiés. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie doute de l’authenticité du certificat médical fourni dans la présente procédure le 12 mars 2005 seulement.

6.6Enfin, l’État partie fait valoir que les affirmations de la requérante comportent de nombreuses contradictions dans les faits, ce qui entame sa crédibilité. Selon la requérante, les viols qu’elle a subis en 2002 auraient un lien direct avec les activités politiques de son mari. Cependant, les autorités nationales ont estimé que les allégations sur les persécutions qu’aurait subies son mari n’étaient pas dignes de foi. Étant donné que la requérante a toujours affirmé que les activités de son mari étaient la cause exclusive des persécutions qu’elle a elle‑même subies, ces allégations sont totalement infondées.

6.7En conséquence, l’État partie estime que rien n’indique qu’il existe des motifs sérieux de craindre que la requérante soit réellement et personnellement torturée à son retour au Bélarus.

Commentaires supplémentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

7.1Dans une lettre datée du 28 juillet 2005, la requérante explique que, si elle n’était pas elle‑même engagée politiquement, elle soutenait les activités politiques de son mari, et que son appartenance à une famille opposée au Gouvernement l’assimile à une militante politique. En réponse à l’argument de l’État partie selon lequel elle n’a pas mentionné dans sa demande d’asile initiale le fait qu’elle risquait d’être arrêtée à son retour au Bélarus, elle indique qu’elle a mentionné ce risque lors de sa première audition après son arrivée en Suisse le 14 février 2003, mais aussi à plusieurs autres occasions. Elle ajoute que ces commentaires ont été communiqués au Comité en annexe à sa requête initiale.

7.2La requérante soutient qu’il existe un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, au Bélarus et qu’elle craint donc d’être persécutée à son retour. Elle indique que les disparitions d’opposants aux autorités sont fréquentes à Minsk et à Vitebsk, et que de nombreuses personnes sont détenues arbitrairement. Sur le point de savoir s’il existe un risque réel qu’elle soit personnellement soumise à la torture à son retour, elle rappelle qu’elle a été plusieurs fois menacée d’emprisonnement et même de mort. Elle ajoute que, si elle retourne au Bélarus, elle devra aller à la police pour se faire enregistrer, car cela est obligatoire. La police saura donc immédiatement qu’elle est de retour. Pour démontrer qu’elle est réellement en danger de subir de mauvais traitements, elle rappelle les nombreuses descentes de police la nuit à son domicile, les fouilles, les interrogatoires, et les actes de violence sur sa personne, prouvés par un certificat médical, et que son activité politique consistait à distribuer du matériel de propagande en période préélectorale.

7.3S’agissant du retard avec lequel elle a remis le certificat médical aux autorités nationales de l’État partie, la requérante indique que le certificat était resté au Bélarus. Lorsque son cas a été réexaminé, sa fille a trouvé le certificat médical à son domicile au Bélarus et le lui a envoyé par télécopieur le 17 novembre 2004.

7.4Concernant le fait que son mari n’aurait pas été persécuté, la requérante soutient que l’État partie se trompe et que, si son mari ne faisait pas l’objet de menaces, il serait retourné au Bélarus. Or, il se trouve maintenant en Belgique.

7.5À propos de la crédibilité de ses affirmations, la requérante explique que, dans sa demande en révision datée du 11 octobre 2004, elle n’a mentionné que brièvement les sévices sexuels qu’elle avait subis car elle s’attendait à être convoquée pour une autre audition. S’agissant des moyens de preuve à l’appui de ses allégations, elle rappelle que la plainte qu’elle avait déposée auprès de la police a été suspendue du fait qu’elle a quitté le pays. Les documents relatifs à sa plainte sont confidentiels et elle ne peut y avoir accès depuis la Suisse.

Délibérations du Comité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable au titre de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note qu’en l’espèce tous les recours internes ont été épuisés et que la requérante a suffisamment étayé les faits et ses allégations aux fins de la recevabilité. S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel la lettre de la requérante ne saurait être considérée comme une communication au sens de l’article 22 de la Convention, le Comité estime que, même si la requérante ne mentionne pas expressément l’article 3 de la Convention dans sa lettre initiale, elle a clairement indiqué qu’elle ne devrait pas être renvoyée au Bélarus parce qu’elle risquait d’y être violée à nouveau par des membres de la milice. Étant donné que la requérante n’était pas représentée par un conseil et vu la gravité de l’allégation, le Comité rappelle sa pratique constante consistant à examiner des communications de ce type en tant que requêtes au sens de l’article 22 de la Convention. En conséquence il considère la requête recevable et procède à son examen quant au fond.

8.2Le Comité doit déterminer si, en procédant au renvoi forcé de la requérante au Bélarus, l’État partie manquerait aux obligations qui lui sont faites, en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

8.3Le Comité doit examiner s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante courrait personnellement un risque d’être soumise à la torture si elle était renvoyée au Bélarus. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Néanmoins, le Comité rappelle qu’il s’agit de déterminer si la personne concernée court personnellement un risque de torture dans le pays dans lequel elle serait renvoyée. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressée courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme ne signifie pas nécessairement qu’une personne ne peut pas être considérée comme en danger de subir des tortures dans les circonstances qui sont les siennes.

8.4Le Comité est conscient que la situation des droits de l’homme au Bélarus laisse beaucoup à désirer. Les policiers qui auraient harcelé, abusé sexuellement et violé la requérante relèvent du Ministère de l’intérieur et sont responsables de nombreux cas de torture à travers le pays, y compris contre des personnes ayant participé à des campagnes électorales parallèles. Le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Bélarus a noté plusieurs attaques dont ont été victimes des membres de l’opposition. Le Comité s’est lui‑même référé à de nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements mettant en cause les autorités bélarussiennes, ainsi qu’à l’absence d’un procureur indépendant, d’enquêtes rapides, impartiales et approfondies sur les allégations de torture et d’un appareil judiciaire indépendant. La Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences a, de son côté, noté le nombre croissant d’actes de violence contre des femmes signalés au Bélarus, en particulier de viols, et les rapports «relativement fréquents» faisant état de sévices, notamment sexuels, commis par des détenues. Selon les données publiées par le Ministère bélarussien du travail et de la sécurité sociale en 2004, plus de 20 % des femmes ont signalé avoir subi des sévices sexuels au moins une fois. Dans les 10 premiers mois de 2005, le Ministère de l’intérieur a fait état d’une augmentation de 17 % des cas signalés de viol par rapport à l’année précédente.

8.5Le Comité rappelle son Observation générale relative à l’article 3, dans laquelle il est dit que le Comité doit déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture s’il est refoulé, et que le risque de torture doit être évalué selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Il n’est pas nécessaire que le risque soit hautement probable, mais il doit être encouru personnellement et actuellement.

8.6L’État partie ayant affirmé que certains des documents originaux présentés dans la demande d’asile conjointe avaient été falsifiés et que cela portait atteinte à la crédibilité de la requérante, le Comité estime que le fait que c’était l’époux et non la requérante qui était responsable de ce qui avait été présenté à l’appui de la demande d’asile conjointe initiale fait qu’on ne saurait imputer à la requérante de tels manquements sans autre forme de procès. S’agissant de l’affirmation de l’État partie selon laquelle le rapport médical émanant de l’hôpital qui expose et étaye l’allégation de viol est également un faux, le Comité note que pour parvenir à cette conclusion l’État partie s’est fondé sur le seul fait qu’il considérait les documents présentés antérieurement par l’époux à l’appui de la demande d’asile conjointe comme ayant été falsifiés (voir par. 6.5 ci‑dessus). Comme la date de l’incident et les informations détaillées concernant les lésions graves causées aux organes sexuels de la requérante par l’insertion d’un objet contondant figurant dans le rapport médical provenant du Bélarus correspondent aux informations données dans la communication, le Comité ne met pas en question l’authenticité de ce document.

8.7Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel la requérante n’a pas prouvé qu’elle risquait d’être torturée en raison de ses propres activités politiques, le Comité constate que même si la requérante est à présent séparée de son mari cela n’empêchera pas les autorités de lui faire du mal. La requérante a expliqué qu’elle avait participé à la distribution de matériels de propagande en période préélectorale alors qu’elle était au Bélarus. Elle est à présent séparée de son mari sans avoir divorcé; pour les autorités elle demeure un moyen de rester en contact avec l’époux et de faire pression sur lui. Qui plus est, selon un récent rapport du Département d’État des États-Unis sur les droits de l’homme, les cas de harcèlement de femmes divorcées en raison des activités de leur ancien époux ne sont pas rares au Bélarus. En tout état de cause, même si la requérante affirme qu’elle a été arrêtée et violée une première fois en raison des activités politiques de son mari au Bélarus, elle l’a été de nouveau parce qu’elle s’était plainte du premier viol. À son retour au Bélarus, elle risque donc de subir des mauvais traitements quels que soient ses liens avec son mari. Ses allégations concernant le comportement de la police, qu’elle accuse d’effectuer des descentes de nuit et des perquisitions chez elle et de commettre des actes de violence et des viols, pourraient bien l’exposer à des représailles partout au Bélarus. Comme l’a affirmé la Représentante spéciale du Secrétaire général pour la question des défenseurs des droits de l’homme, les défenseurs des droits de l’homme de sexe féminin sont en butte à une hostilité, un harcèlement et une répression sexospécifiques, notamment à un harcèlement sexuel et à des viols. La police bélarussienne fonctionne selon un système très uniforme et hautement hiérarchisé; dans les circonstances politiques actuelles, il est difficile de dire si un endroit peut être plus sûr qu’un autre. Pour toutes ces raisons la requérante ne manquera pas d’intéresser la police au niveau local.

8.8L’État partie a fait valoir que la requérante n’est pas crédible parce que ses allégations d’abus sexuels et les rapports médicaux présentés à l’appui de ces allégations n’ont pas été présentés assez tôt au cours de la procédure interne. Le Comité estime, au contraire, que les allégations de la requérante sont crédibles. La façon dont elle explique le temps qu’elle a mis pour parler des viols aux autorités nationales est tout à fait plausible. C’est un fait bien connu que le souci de préserver son intimité et la crainte de l’humiliation pouvant être ressentie par la personne qui révèle de tels actes peuvent amener aussi bien une femme qu’un homme à dissimuler le fait qu’elle ou qu’il a été victime d’un viol et/ou d’autres formes d’abus sexuel tant qu’il n’est pas absolument nécessaire d’en parler. Dans le cas des femmes plus particulièrement, il y a aussi la crainte de l’opprobre et d’être rejetée par le partenaire ou la famille. Dans le cas d’espèce, l’affirmation de la requérante selon laquelle son mari a réagi lorsqu’elle a avoué le viol en l’humiliant et en lui interdisant d’en faire état dans la procédure d’asile fait que son allégation est encore plus crédible. Le Comité note que dès que son mari l’a quittée la requérante, qui n’était plus sous son emprise, a immédiatement parlé des viols aux autorités nationales dans sa demande en révision du 11 octobre 2004. D’autres preuves de son état psychique ou des obstacles «psychologiques», selon les mots de l’État partie, ne sont pas nécessaires. L’argument de l’État partie selon lequel la requérante aurait dû soulever et étayer la question de l’abus sexuel plus tôt dans la procédure de révision n’est pas suffisant pour conclure que ses allégations d’abus sexuel ne sont pas crédibles surtout qu’elle n’était pas représentée au cours de la procédure.

8.9Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel il y avait de nombreuses incohérences dans les affirmations de la requérante, le Comité note que cet argument n’a pas été étayé puisque l’État partie n’a pas indiqué de quelles incohérences il s’agissait.

8.10Aux fins de l’appréciation du risque de torture dans la présente affaire, le Comité considère que la requérante était clairement sous le contrôle physique de la police bien que les actes visés n’aient pas été commis dans des lieux de détention officiels. Ces actes, qui revêtent notamment la forme de multiples viols, ont consisté assurément à causer une douleur et des souffrances aiguës à des fins non permissibles, dont l’interrogatoire, l’intimidation, la punition, les représailles, l’humiliation et la discrimination fondée sur le sexe. En conséquence, le Comité estime que les abus sexuels commis par la police en l’espèce constituent des actes de torture même s’ils n’ont pas été perpétrés dans des lieux de détention officiels. De plus, il semble que les autorités bélarussiennes n’aient pas enquêté sur ces actes ni poursuivi et puni leurs auteurs. Cette passivité augmente le risque de mauvais traitements que court la requérante en cas de retour au Bélarus, dans la mesure où les auteurs des viols n’ont jamais fait l’objet d’une enquête et peuvent donc maltraiter de nouveau la requérante en toute impunité. Compte tenu des circonstances particulières de la cause, il y a de sérieux doutes quant à la question de savoir si les autorités bélarussiennes prendront les mesures nécessaires pour protéger la requérante.

8.11Dans ces circonstances, le Comité considère qu’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risque d’être soumise à la torture si elle est renvoyée au Bélarus.

9.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi de la requérante au Bélarus par l’État partie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

10.Le Comité engage instamment l’État partie, en application du paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, à l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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