NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.RESTREINTE*

CAT/C/37/D/284/200621 novembre 2006

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente‑septième session6‑24 novembre 2006

DÉCISION

Communication n o 284/2006

Présentée par:

R.S.A.N. (représenté par un conseil)

Au nom de:

R.S.A.N.

État partie:

Canada

Date de la communication:

12 décembre 2005 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

17 novembre 2006

Objet: Expulsion avec risque allégué de torture et de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant

Questions de procédure: Non‑épuisement des recours internes

Questions de fond: Risque de torture et risque de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant en cas d’expulsion

Articles de la Convention: 3, 22 (par. 5 b))

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

Trente ‑septième session

concernant la

Communication n o 284/2006

Présentée par:

R.S.A.N. (représenté par un conseil)

Au nom de:

R.S.A.N.

État partie:

Canada

Date de la communication:

12 décembre 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 17 novembre 2006,

Ayant achevé l’examen de la requête no 284/2006, présentée au nom de R.S.A.N. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte le projet de décision ci‑après au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture.

1.1Le requérant est R.S.A.N., ressortissant camerounais né en 1969, résidant actuellement au Canada où il se trouve en instance d’expulsion vers son pays d’origine. Il affirme que son retour forcé au Cameroun constituerait une violation par le Canada de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Le Comité a communiqué cette requête à l’État partie le 13 janvier 2006, sans demander de mesures provisoires de protection.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En août 1995, le requérant, alors étudiant à l’Université de Yaoundé, a participé à une grève organisée par une assemblée d’étudiants opposés au Président Paul Biya. Au cours d’une marche estudiantine pacifique, il a été embarqué de force dans une voiture de police, menotté, battu et amené au commissariat. Il a été accusé d’être l’un des dirigeants de l’assemblée d’étudiants et arrêté en même temps que 50 autres étudiants, avec lesquels il a dû partager une cellule prévue pour 10 personnes au maximum. L’un après l’autre, ils ont été interrogés par la police, contraints de chanter et de danser et frappés à coups de matraque. Ceux qui ont résisté ont subi des tortures plus graves. Le requérant a été jeté à terre et traîné par les pieds sur au moins cinq mètres, ce qui lui a laissé une cicatrice sur le dos de sept centimètres de longueur et trois centimètres de largeur. Après 24 heures de torture et d’humiliation, il a été relâché et mis en garde contre toute nouvelle participation à une autre manifestation estudiantine. Après la grève, certains dirigeants étudiants ont été arrêtés et condamnés à de lourdes peines de prison. Un étudiant aurait été brûlé vif dans son dortoir dans le but de porter de fausses accusations contre les membres de l’assemblée d’étudiants; plusieurs autres ont été tués par balle au cours de manifestations. Le Gouvernement a aussi adopté un décret interdisant le recrutement de grévistes dans la fonction publique ou par aucune des grandes entreprises publiques ou privées du pays.

2.2En octobre 1995, le requérant a quitté le Cameroun pour se rendre en Côte d’Ivoire où il a poursuivi ses études et obtenu une maîtrise et un diplôme d’études approfondies en psychologie de l’Université d’Abidjan. En juillet 1997, avec trois autres camarades étudiants, il a fondé une ONG se consacrant à l’aide aux femmes et aux enfants victimes de violences sexuelles («SOS Violences sexuelles») dont il est devenu secrétaire général. Il a organisé des conférences de presse et continué de manifester contre le Gouvernement camerounais, notamment en participant à un sit‑in dans les locaux de l’ambassade du Cameroun à Abidjan le 11 octobre 1997, la veille des élections présidentielles au Cameroun. Il a aussi donné des interviews à la radio et à la télévision et écrit des articles de presse sur la situation des droits de l’homme au Cameroun. Après que son ONG eut découvert en Côte d’Ivoire un réseau pédophile dans lequel étaient impliqués un ministre et un ambassadeur, les locaux de l’organisation ont été saccagés et le requérant a reçu des menaces de mort anonymes.

2.3Le 9 juin 2000, le requérant est entré au Canada avec un visa de visiteur pour participer à une conférence sur les droits de l’homme du 11 au 30 juillet. Au cours de son séjour au Canada, la situation politique en Côte d’Ivoire s’est détériorée à la suite d’un coup d’État avorté. Après qu’un collègue de SOS Violences sexuelles l’eut averti qu’il ne serait pas en sécurité en Côte d’Ivoire, le requérant a demandé le statut de réfugié au Canada le 12 juillet 2000. Le 20 juillet 2001, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande, relevant les contradictions suivantes dans ses déclarations: a) affirmant que le Président de l’Université de Yaoundé avait rayé les noms de tous les participants à la grève d’août 1995 du registre d’étudiants, il a pu néanmoins présenter à la Commission des notes datées d’octobre 1995 comme éléments de preuve; b) l’incompatibilité entre la chronologie des événements présentée par le requérant et les documents officiels selon lesquels la grève estudiantine a eu lieu en août 1996 et non en août 1995; c) le fait qu’il n’a pu produire aucun article de presse ni aucun autre élément de preuve susceptible de confirmer sa participation aux événements présumés de 1995; enfin, d) le fait que les documents officiels laissent penser que la punition infligée aux grévistes n’a pas été aussi sévère qu’il l’affirme.

2.4Au lieu de demander l’autorisation de former recours devant la Cour fédérale contre la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, le requérant a suivi le conseil que lui avait donné son avocat de déposer une demande dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada. Le 8 décembre 2004, sa demande a été transformée en demande d’examen des risques avant renvoi («ERAR») en vertu de la nouvelle loi sur l’immigration. Le 13 octobre 2005, Citoyenneté et immigration Canada a rejeté sa demande ERAR en l’absence de motif suffisant de craindre qu’il ne soit exposé à un risque personnel de torture au Cameroun. L’agent ERAR a fondé sa décision, entre autres, sur les motifs suivants: a) le fait que le requérant avait falsifié une date et collé son nom dans un exemplaire du rapport du Rapporteur spécial de l’ONU sur la question de la torture sur sa visite au Cameroun (E/CN.4/1999/61), rapport qu’il a présenté comme élément de preuve; b) le fait qu’il ne s’était pas plaint devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié d’avoir été torturé, ce qu’il n’a fait que tardivement, le 7 janvier 2005; et c) le fait qu’il n’avait guère fait parler de lui dans les milieux politiques et journalistiques. Le requérant n’a pas formé recours de la décision ERAR devant la Cour fédérale, son avocat l’ayant informé que 99 % de ces recours étaient rejetés.

2.5Dans l’intervalle, le requérant est entré en concubinage avec une Camerounaise résidente permanente au Canada, avec laquelle il vit depuis mars 2004. Un fils est né de cette union libre le 20 décembre 2004.

2.6Le 9 novembre 2005, le requérant a été informé que la date de son expulsion du Canada avait été fixée au 6 décembre 2005 et qu’un mandat d’arrêt serait décerné contre lui s’il ne se présentait pas aux services de l’immigration à l’aéroport international de Montréal. Il a ultérieurement déposé une demande de résidence permanente dans la catégorie des conjoints de fait (parrainage). Le 21 novembre 2005, le requérant a demandé sans succès la suspension de l’arrêt d’expulsion le concernant, ainsi que l’examen prioritaire de sa demande de résidence permanente. Le 28 novembre 2005, la mère de son enfant a déposé une requête tendant à le parrainer en tant que conjoint de fait dans la catégorie du regroupement familial; cette requête a par la suite été suspendue à la demande de la mère.

2.7Le requérant n’aurait pas été en mesure de se conformer à l’arrêt d’expulsion le 6 décembre 2005 parce qu’il était tombé malade et avait dû se rendre à l’hôpital. Un mandat d’arrêt a subséquemment été décerné contre lui. Aucune autre date n’a été fixée pour son expulsion, mais la police est venue le chercher chez sa concubine.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son retour forcé au Cameroun l’exposerait à un risque de torture, en violation de l’article 3 de la Convention, du fait de ses activités en tant que dirigeant étudiant, de sa participation à des conférences, des critiques qu’il a proférées dans des entretiens radiophoniques et des articles de presse publiés en Côte d’Ivoire et au Canada, de la situation des droits de l’homme au Cameroun. Il affirme avoir été torturé par la police camerounaise au cours de sa détention en 1995, ce dont il a gardé des séquelles physiques et psychologiques.

3.2Le requérant ajoute que les éléments de preuve qu’il présente montrent que plusieurs autres militants des droits de l’homme ont été arrêtés et torturés, ou ont disparu à leur retour au Cameroun. En tant qu’opposant politique ayant demandé l’asile politique au Canada et continué de critiquer le régime camerounais, il serait accusé de diffamation du Gouvernement camerounais et torturé en toute impunité par des agents de ce gouvernement.

3.3Selon le requérant, la situation des droits de l’homme du Cameroun s’est encore détériorée au cours des 10 dernières années. Les dirigeants de l’opposition estudiantine et les militants des droits de l’homme ont continué d’être intimidés et persécutés. Certaines provinces, notamment la province de l’Est dont le requérant est natif, sont considérées comme des provinces rebelles et toute personne originaire de cette région faisant l’objet de poursuites serait vraisemblablement présumée coupable sur la seule base de son appartenance ethnique à la population bamiléké prédominante dans cette province.

3.4À l’appui de ses allégations, le requérant apporte, entre autres, les éléments de preuve suivants:

a)Un certificat médical daté du 23 novembre 2005 délivré par un centre de santé de Montréal, confirmant que le requérant présente sur le dos une cicatrice de trois centimètres sur sept;

b)Un bilan psychologique daté du 28 novembre 2005 émanant d’un assistant social du Jewish Board of Family and Children’s Services de New York (États‑Unis d’Amérique), fondé sur une conversation téléphonique que celui‑ci a eue avec le requérant, et confirmant qu’il présente des symptômes de troubles post‑traumatiques, à savoir des cauchemars, un réflexe de sursaut exagéré, des troubles mnésiques, un engourdissement émotionnel, des réminiscences de torture, flash-backs et autres symptômes perturbateurs;

c)Une lettre d’un pasteur d’origine camerounaise de l’Église évangélique de Pentecôte de Montréal qui avait connu le requérant en Côte d’Ivoire en sa qualité de secrétaire général de l’ONG African women’s rights, confirmant les activités politiques du requérant au Cameroun et en Côte d’Ivoire, et concluant qu’il risquerait d’être détenu et torturé ou même tué s’il était expulsé au Cameroun;

d)Une lettre datée du 21 novembre 2005 émanant du secrétaire général de SOS Violences sexuelles, dans laquelle celui‑ci déclare que le requérant était un dirigeant de l’opposition estudiantine au Cameroun au début des années 90 et qu’il a à plusieurs reprises été menacé par les autorités de Côte d’Ivoire après qu’il eut découvert le réseau pédophile;

e)Des lettres étayant la demande du requérant tendant à ce que soit suspendu l’arrêt d’expulsion le concernant, émanant du Comité d’aide aux réfugiés canadien, de la Ligue des droits et libertés et du Centre Scalabrini pour réfugiés et migrants;

f)Plusieurs articles de presse rédigés par le requérant, dont deux critiquent brièvement la situation politique au Cameroun, ainsi que des articles sur son activité de secrétaire général de SOS Violences sexuelles;

g)Plusieurs articles sur le sort d’opposants politiques qui ont été renvoyés au Cameroun, dont certains auraient disparu;

h)Des rapports publiés en 2005 par Amnesty International, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et le Département d’État des États‑Unis, où il est déclaré que la torture en garde à vue et dans les prisons est répandue et rarement punie au Cameroun.

3.5Le requérant affirme qu’il a épuisé les recours internes et qu’aucune autre voie de recours ne lui est ouverte. Le fait qu’il n’ait pas formé de recours contre le rejet de sa demande de protection au titre de réfugié et contre le rejet de sa demande ERAR s’explique par les conseils erronés que lui a donnés son avocat. Selon lui, il n’aurait de toute façon pas pu s’acquitter des frais de justice entraînés par des recours contre ces décisions, et la procédure ERAR ne peut être considérée comme un recours utile pour les demandeurs d’asile étant donné que 98,5 % de toutes les demandes sont rejetées. Il fait valoir que l’État partie n’a pas donné effet à une nouvelle section de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui avait été adoptée par le Parlement et offrait des voies de recours plus opérantes contre les décisions relatives aux demandes de protection au titre de réfugié.

3.6Le requérant fait tenir un rapport de l’Association américaine de juristes daté d’octobre 2005, qui confirme que 1,5 % seulement des demandes ERAR sont accueillies. Il décrit la procédure ERAR comme une décision d’expulsion de nature administrative et sommaire et critique l’absence d’indépendance des agents ERAR. L’autorisation de faire appel de décisions relatives à des demandes d’octroi du statut de réfugié adressées à la Cour fédérale n’a été accordée que dans 10 à 12 % de l’ensemble des cas. De plus, au lieu de se livrer à un examen complet au fond, la Cour a limité sa révision judiciaire à un contrôle du caractère raisonnable des décisions d’expulsion, ce qui avait été critiqué par le Comité contre la torture dans ses observations finales sur les quatrième et cinquième rapports périodiques du Canada.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 25 juillet 2006, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et, à titre subsidiaire, sur le fond de la requête, soutenant que le requérant n’avait pas épuisé tous les recours internes disponibles puisqu’il n’avait pas fait appel des décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et de l’agent ERAR, et qu’en tout état de cause, son allégation de violation de l’article 3 de la Convention était mal fondée et n’apportait pas le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité.

4.2L’État partie a fait valoir que le requérant aurait pu demander l’autorisation de solliciter un contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui lui aurait été accordée par la Cour fédérale s’il avait présenté une thèse un tant soit peu défendable. Il lui appartenait de démontrer que s’il n’avait pas exercé ce recours, c’était sur le conseil inconsidéré de son avocat. Le contrôle judiciaire exercé par la Cour couvrait les questions juridictionnelles, les violations des principes de justice naturelle, les erreurs de droit, les constatations de fait erronées faites de manière inique ou arbitraire, ou toute autre violation de la loi par les autorités. Il pouvait être interjeté appel de la décision de la Cour fédérale auprès de la cour d’appel si le juge estimait que l’affaire soulevait une question grave d’importance générale. Si l’autorisation de former recours était accordée, la décision de la cour d’appel pouvait être attaquée devant la Cour suprême du Canada.

4.3L’État partie a affirmé que le Comité avait reconnu l’efficacité du système de contrôle judiciaire dans sa jurisprudence récente et avait constamment été d’avis que ce recours devait être épuisé par les requérants. De même, il avait reconnu récemment que les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire des décisions ERAR n’étaient pas de simples formalités et que la Cour fédérale pouvait, le cas échéant, examiner le fond de l’affaire. Pour l’État partie, la procédure ERAR renforçait encore la protection qu’offrait l’ancienne procédure d’évaluation des risques des «demandeurs non reconnus du statut de réfugié», qui avait été considérée comme un recours utile par le Comité des droits de l’homme.

4.4L’État partie s’est dit en désaccord avec la décision rendue par le Comité en l’affaire Falcon Rios c. Canada , affirmant que les agents ERAR étaient impartiaux et formés spécifiquement à l’évaluation du risque couru par les demandeurs déboutés sur la base du droit international, notamment la Convention contre la torture et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le faible taux d’acceptation de la procédure ERAR était dû au fait que la plupart des demandeurs étaient des individus dont la demande d’octroi du statut de réfugié avait déjà été rejetée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui avait fait droit à 40 % au total des demandes d’octroi du statut de réfugié présentées en 2004/2005. Le but de la procédure ERAR était d’évaluer au moment de l’expulsion tout nouvel élément de risque qui n’existait pas lors de l’audition devant la Commission. La procédure ERAR n’était pas une procédure discrétionnaire mais une procédure régie par des critères légaux.

4.5L’État partie a affirmé que le requérant aurait pu demander le contrôle judiciaire de la décision ERAR et, en même temps, un sursis à exécution de l’arrêt d’expulsion le concernant en attendant qu’il soit statué sur son recours. Le fait que son avocat lui ait conseillé de ne pas le faire et de déposer au lieu de cela une demande de résidence permanente motivée par sa relation de concubinage avec la mère de son enfant montrait que le requérant avait librement choisi de ne pas exercer ce recours. Ceci ne l’exonérait cependant pas de l’obligation d’épuiser les recours internes qui lui incombait en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

4.6Selon l’État partie, le requérant pouvait encore demander la résidence permanente pour des motifs humanitaires, recours ouvert aux demandeurs qui subiraient un préjudice excessif s’ils devaient demander depuis leur pays d’origine la résidence permanente au Canada. Le fait qu’une issue heureuse de cette procédure ait conduit le Comité à mettre fin à l’examen d’un certain nombre de cas dans le passé montrait que ce recours était effectif.

4.7Tout en reconnaissant que la situation générale des droits de l’homme au Cameroun était critique, l’État partie a estimé que le requérant n’avait pas présenté suffisamment d’éléments pour que l’on puisse craindre qu’il soit exposé à un risque personnel d’être soumis à la torture à son retour au Cameroun. Il était difficile de croire qu’il avait été, comme il l’affirmait, détenu pendant 24 heures et torturé en 1995 en raison des nombreuses contradictions relevées dans ses dires par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, par un tribunal indépendant et par l’agent ERAR. Il convenait d’accorder le crédit voulu aux constatations de ces organes, sauf à démontrer que ces constatations étaient arbitraires ou déraisonnables.

4.8L’État partie ajoutait que le certificat médical présenté par le requérant ne faisait que confirmer l’existence d’une cicatrice sur son dos sans préciser la cause de cette blessure. Même si l’on admettait qu’il avait été torturé en 1995, ceci ne pouvait constituer un motif suffisant de craindre qu’il ne risque d’être soumis à la torture au Cameroun en 2006. L’État partie concluait que son allégation de violation de l’article 3 de la Convention était irrecevable en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22, insuffisamment étayée aux fins de la recevabilité et, en tout état de cause, mal fondée.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 23 septembre 2006, le requérant a commenté les observations de l’État partie, réaffirmant que la procédure ERAR, y compris le contrôle judiciaire de cette procédure, ne constituait pas un recours utile pour les demandeurs déboutés de leur demande d’octroi du statut de réfugié et que le fait qu’il n’ait pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié − contrôle dans lequel il voyait un recours utile mais de portée limitée − était dû au conseil inconsidéré qu’il avait reçu de son avocat.

5.2Le requérant affirmait qu’une demande de résidence permanente pour des motifs humanitaires était un recours purement discrétionnaire mais admettait que ce recours avait abouti dans de nombreux cas. Cela étant, le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration était saisi de tous les éléments d’une solution humanitaire. Or, sa décision sur la demande présentée par le requérant au titre d’un parrainage familial était toujours pendante plus de neuf mois après avoir été déposée, alors que de telles décisions étaient normalement prises dans un délai de six à huit mois.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles; cette règle ne s’applique pas s’il est établi que les procédures de recours ont excédé des délais raisonnables ou s’il est peu probable, après un procès équitable, qu’elles donneraient satisfaction à la victime présumée.

6.3Le Comité note que l’État partie affirme que la requête devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention parce que le requérant n’a demandé ni le contrôle judiciaire des décisions prises par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et par l’agent ERAR, ni la résidence permanente pour motifs humanitaires. Il note aussi les arguments du requérant selon lesquels la procédure ERAR et la procédure humanitaire sont inefficaces et de caractère discrétionnaire. Cependant, le Comité n’a pas à se prononcer sur le caractère effectif de ces recours s’il peut être démontré que le requérant aurait pu se prévaloir de la possibilité de demander le contrôle judiciaire du rejet de sa demande d’octroi de la protection au titre de réfugié par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

6.4Le Comité rappelle que le requérant ne conteste pas d’une manière générale l’utilité du contrôle judiciaire des décisions relatives aux demandes de protection au titre de réfugié, bien que ce contrôle soit de portée limitée. Cependant, il affirme qu’il n’a pu exercer ce recours en raison de sa situation financière difficile et du conseil que lui avait donné son avocat de ne pas demander le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. À cet égard, le Comité note que le requérant n’a fourni aucune information sur le coût de sa représentation légale ou le montant des frais de justice, ni sur les possibilités d’obtenir − ou sur tous efforts qu’il aurait entrepris pour obtenir − une aide juridictionnelle aux fins d’engager une procédure devant la Cour fédérale. Il constate aussi que les erreurs qu’aurait faites un avocat dont il s’est attaché les services à titre privé ne peuvent normalement être attribuées à l’État partie. Le Comité conclut que le requérant n’a pas présenté suffisamment d’éléments susceptibles de justifier le fait qu’il n’a pas utilisé la possibilité de demander un contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

6.5Le Comité estime donc que les recours internes n’ont pas été épuisés, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

7.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable;

b)Que la présente décision sera communiquée aux auteurs de la communication et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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