Nations Unies

CAT/C/46/D/357/2008

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. restreinte*

4 mars 2011

Original: français

Comité contre la torture

Quarante-sixième session

9 mai-3 juin 2011

Décision

Communication no 357/2008

Présentée par:

Fuad Jahani (représenté par un conseil, Urs Ebnöther)

Au nom de:

Fuad Jahani

État partie:

Suisse

Date de la requête:

9 octobre 2008 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

23 mai 2011

Objet:

Expulsion de Suisse vers la République islamique d’Iran, risque allégué de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants

Questions de procédure:

Épuisement des recours internes

Questions de fond:

Risque de torture après expulsion; risque d’un traitement ou d’une peine cruel, inhumain ou dégradant après expulsion

Article de la Convention:

3

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (quarante-sixième session)

concernant la

Communication no357/2008

Présentée par:

Fuad Jahani (représenté par un conseil, Urs Ebnöther)

Au nom de:

Fuad Jahani

État partie:

Suisse

Date de la requête:

9 octobre 2008 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 23 mai 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 357/2008 présentée au nom de M. Fuad Jahani en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant, Fuad Jahani, est un ressortissant de la République islamique d’Iran (ci-après «Iran»), né en 1981, qui risque d’être expulsé de Suisse vers son pays d’origine. Il prétend qu’une telle mesure constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention à son égard. Il est représenté par un conseil, Urs Ebnöther.

1.2Le 15 octobre 2008, le Comité a porté la requête à l’attention de l’État partie, conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention et, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers l’Iran tant que l’affaire serait à l’examen. L’État partie a accédé à cette demande le 20 octobre 2008.

1.3Le 14 avril 2009, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un Iranien appartenant à la minorité kurde. Il allègue qu’en raison de ses activités de militant au sein du Parti communiste des travailleurs («Communist Workers’ Party»), il a dû quitter son pays d’origine et demander l’asile en Suisse, où il est arrivé le 11 juillet 2005. Peu après son arrivée en Suisse, le requérant a déposé une demande d’asile et il est devenu un membre actif du mouvement d’opposition iranien en Suisse.

2.2Le 26 novembre 2007, l’Office fédéral des migrations (ODM) a décidé de ne pas considérer le fond de la demande du requérant. Toutefois, le 25 janvier 2008, l’appel interjeté par ce dernier contre cette décision a été autorisé par le Tribunal administratif fédéral (TAF), qui a ordonné à l’ODM d’examiner le fond de l’affaire.

2.3Le 25 mars 2008, l’ODM a adopté une nouvelle décision rejetant la demande d’asile du requérant. Un appel contre cette décision a été rejeté par le TAF le 6 mai 2008, au motif qu’il avait été formé hors délai.

2.4Le 3 juin 2008, le requérant a présenté une nouvelle demande d’asile, invoquant ses activités politiques en Suisse. L’ODM, dans sa décision du 18 juin 2008, a décidé de ne pas considérer le fond de la demande. Le 14 juillet 2008, le TAF a rejeté l’appel du requérant contre cette décision. Le 18 juillet 2008, l’ODM a ordonné au requérant de quitter le territoire de l’État partie, au plus tard le 30 juillet 2008. Ce dernier réside donc illégalement en Suisse depuis cette date.

2.5Selon le requérant, le TAF, dans sa décision du 14 juillet 2008, a considéré à tort que ses activités de représentant cantonal de l’Association démocratique pour les réfugiés (ADR) − qui ferait partie du mouvement d’opposition iranien en Suisse −, sa présence régulière à des réunions de ce mouvement, ses contacts étroits avec le Président de l’ADR, ainsi que sa participation régulière à des émissions de radio ne démontraient pas l’existence d’un risque de persécution en cas de retour en Iran. Le requérant considère que ce faisant, le Tribunal a manqué de tenir compte du fait que de nombreuses informations crédibles attestent que les autorités iraniennes observent scrupuleusement et enregistrent les activités politiques de la diaspora iranienne. Il ajoute que pour ces raisons, les activistes politiques iraniens en exil sont exposés à un risque réel d’arrestation et de torture en cas de retour forcé vers leur pays d’origine. Selon le requérant, un rapport détaillé de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) confirme que les Iraniens vivant en Suisse et qui occupent un rang important au sein de l’ADR courent un tel risque.

2.6Le requérant allègue qu’il a participé à de nombreuses manifestations et réunions organisées par le mouvement d’opposition iranien en Suisse, et que les autorités suisses n’ont pas contesté ce fait. De nombreuses photos le montrant à de telles rencontres auraient été diffusées sur des sites Internet et dans des journaux. Par ailleurs, le requérant aurait participé de manière régulière à des émissions de radio en Suisse. Il souligne qu’étant à la tête de la section cantonale de l’ADR, il occupe à ce titre une position d’importance au sein du mouvement d’opposition politique iranien en Suisse, au sens de la jurisprudence récente du TAF. Pour ces raisons, le requérant réaffirme qu’il est extrêmement probable qu’il ait attiré l’attention des autorités iraniennes, et que ses activités politiques seront perçues par ces dernières non seulement comme diffamatoires vis-à-vis du régime actuel − ce qui en soi constitue un crime en Iran − mais également comme une menace pour la sécurité intérieure du pays.

2.7Compte tenu de la situation déplorable des droits de l’homme en Iran, ainsi que de la répression notoire dont fait l’objet toute forme d’opposition au régime dans ce pays, le requérant allègue une crainte bien fondée de subir des actes de torture en cas de retour forcé en Iran. Il ajoute que le TAF a récemment conclu que des fonctions de représentant cantonal de l’ADR entrainaient un risque concret de persécution en cas de retour en Iran. Dès lors, le même raisonnement devrait lui être appliqué.

2.8Par ailleurs, le requérant ajoute qu’il fait partie de la minorité kurde iranienne, ce qui augmente considérablement le risque de persécution encouru en cas de retour forcé. Les actions politiques menées contre le régime en place par des membres des groupes ethniques minoritaires sont plus à même d’attirer l’attention des autorités, et aboutissent à des sanctions encore plus sévères que le même type d’actions commises par des Iraniens d’ethnie persane.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant allègue que son expulsion de la Suisse vers l’Iran constituerait une violation de l’article 3 de la Convention, car il y a de sérieux motifs de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture en cas de renvoi.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 14 avril 2009, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il affirme que le requérant n’a pas établi l’existence d’un risque personnel, réel et prévisible de torture en cas de retour en Iran. Tout en prenant acte du caractère préoccupant de la situation des droits de l’homme en Iran, et se référant à l’Observation générale no 1 du Comité, l’État partie rappelle que cette situation n’est pas en soi un élément suffisant pour conclure que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il y retournait. Ce dernier aurait manqué de démontrer courir un risque prévisible, personnel et réel d’être soumis à la torture en cas de retour en Iran.

4.2Selon l’État partie, le requérant aurait déclaré, au cours de la procédure judiciaire interne, avoir été arrêté et détenu pendant deux semaines en 2002 pour avoir participé à une manifestation de soutien au leader indépendantiste Öcalan. Toutefois, le requérant n’aurait pas allégué avoir été torturé pendant sa détention. L’État partie ajoute que les allégations du requérant, quant aux raisons ayant précipité son départ d’Iran, n’ont pas été jugées plausibles par l’Office fédéral des migrations (ODM), qui a rendu ses décisions le 26 novembre 2007 et le 25 mars 2008. L’État partie note en outre que le requérant n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne sa première demande d’asile, puisque l’appel qu’il a interjeté contre la décision de l’ODM du 25 mars 2008 a été rejeté le 6 mai 2008 par le TAF au motif qu’il avait été formé hors délai. La décision de l’ODM est donc entrée en vigueur. L’État partie relève toutefois que le requérant a fondé sa communication devant le Comité sur sa deuxième demande d’asile, basée sur ses activités politiques postérieures à sa fuite d’Iran, et pour laquelle il a épuisé tous les recours.

4.3En ce qui concerne les activités politiques du requérant en Iran, décrites lors de sa première demande d’asile, l’État partie relève que l’ODM a étayé de manière détaillée les raisons pour lesquelles il ne les jugeait pas crédibles. Il réaffirme également que le requérant n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne cette procédure. De l’avis de l’État partie, il en est de même pour les allégations formulées par le requérant au moment de sa seconde demande d’asile, selon lesquelles il aurait attiré l’attention des autorités iraniennes du fait de ses activités politiques comme représentant de l’ADR pour le canton de Schaffhouse. Ces allégations ont été examinées en détail par différentes instances judiciaires nationales, qui ont conclu que le requérant ne courrait pas de danger en cas de retour en Iran. Dans plusieurs décisions concernant le renvoi de requérants d’asile déboutés vers l’Iran, le TAF a considéré que les services secrets iraniens peuvent surveiller les activités politiques entreprises contre le régime à l’étranger, mais seulement lorsque les personnes impliquées dans de telles activités possèdent un profil particulier, agissent au-delà du cadre habituel d’opposition de masse et occupent des fonctions ou réalisent des activités d’une nature telle qu’elles représentent une menace sérieuse et concrète pour le gouvernement concerné. L’État partie ajoute, se référant à diverses sources d’information, que des personnes soupçonnées d’être impliquées dans un crime grave, ou agissant au nom de groupes politiques spécifiques, risquent aussi d’être arrêtées.

4.4L’État partie ajoute qu’il ne ressort pas du rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), cité par le requérant, qu’une position particulière au sein de l’ADR créerait un risque spécifique en cas de retour. Selon le même rapport, la participation, même répétée, à des actions critiques vis-à-vis du régime iranien actuel n’entrainerait pas un risque accru de représailles. En revanche, la conduite d’actions violentes et l’exercice d’une fonction supposant une responsabilité particulière dans des groupes d’opposition spécifiques pourraient être déterminants. L’État partie suggère en outre que l’ADR ne fait pas partie des principales organisations d’opposition en exil évoquées dans le rapport de l’OSAR. L’État partie ajoute que l’ADR aurait été décrite par une partie de la presse comme ayant pour raison d’être principale de fournir à ses membres des preuves d’activité politique leur permettant de rester en Suisse. Dès lors, si les autorités iraniennes devaient observer les activités de cette association, elles devraient également avoir connaissance de ces réserves, et en tenir compte.

4.5L’État partie relève que la seconde demande du requérant était fondée uniquement sur ses activités politiques du 25 mars 2008 au 14 juillet 2008 (date du dernier arrêt du TAF). Le requérant a donc été débouté sur la base des activités qu’il a invoquées, à savoir son rôle de représentation de l’ADR, sa participation à trois manifestations, ainsi que son engagement pour une radio locale. L’État partie note que son rôle de représentant de l’ADR a déjà été considéré au cours de la première procédure d’asile, et qu’aucun fait nouveau en la matière n’a été avancé depuis. Il réaffirme qu’il n’est pas possible d’inférer de l’ensemble des activités mises en avant par le requérant que celui-ci serait perçu comme un cadre dirigeant d’une organisation d’opposition qui constituerait une menace potentielle pour le régime iranien et qu’il serait, de ce fait, exposé à un risque de torture en cas de retour.

4.6Lors de l’examen de la première demande d’asile du requérant, l’ODM avait considéré en détail un article de presse signé par ce dernier, et en avait conclu que, bien qu’il contienne un appel au renversement du régime des Mollahs, qui ressemblait à un slogan, il ne s’en dégageait pas l’impression que le requérant y ait formulé des opinions claires démontrant une conviction politique, ni qu’il représentait un danger potentiel pour le régime en Iran. L’article semblait plutôt avoir été envisagé comme un motif d’asile postérieur à la fuite, et les autorités iraniennes seraient en mesure de percevoir cela.

4.7Pour ce qui est de la participation du requérant à des émissions de radio à contenu politique, l’État partie note que l’ODM a considéré que le requérant n’avait pas démontré que les autorités iraniennes en avaient eu connaissance, ni qu’elles le considéreraient comme un danger sur cette base. Enfin, l’État partie soutient que le requérant n’a fourni aucun élément de nature à établir le fait que son appartenance à la minorité kurde augmenterait le risque qu’il soit persécuté en cas de retour.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 16 juin 2009, le requérant affirme que le fait que l’ADR ne soit pas mentionnée dans la liste des organisations d’opposition iraniennes les plus importantes s’explique par le fait que cette liste n’est qu’illustrative et qu’à la date de parution du rapport de l’OSAR, l’ADR n’était qu’une jeune association pas assez connue pour être citée parmi d’autres mouvements d’opposition plus anciens. Toutefois, plusieurs décisions de justice de l’État partie ont reconnu l’ADR. Le requérant objecte au fait que l’État partie fasse écho à des articles de presse décrivant le militantisme politique au sein de l’ADR comme un simple alibi pour des demandeurs d’asile, notant qu’une telle interprétation est marginale et erronée.

5.2En ce qui concerne l’arrêt du TAF en date du 16 août 2008, qui a accordé l’asile à un membre de l’ADR, le requérant maintient que l’intéressé était représentant cantonal de l’ADR, tout comme lui, et que son nom est également apparu avec ses coordonnées dans le magazine Kanoun. Selon le requérant, le TAF a donc explicitement reconnu que le fait d’occuper une position de représentant cantonal de l’ADR, et d’avoir vu son nom et ses coordonnées publiés, devait être considéré comme indiquant que cette personne serait perçue comme un danger pour le régime de Téhéran. Il ajoute que dans une décision plus récente, le TAF a également accordé le statut de réfugié à un demandeur d’asile, membre de l’ADR, dont le profil politique était moins marqué que celui du requérant, puisqu’il était simple responsable de la sécurité lors des manifestations. Le requérant ajoute que l’ODM a accordé le statut de réfugié à plusieurs responsables cantonaux de l’ADR.

5.3Pour ce qui est de l’article de presse qu’il avait publié, et qui avait été examiné par l’ODM lors de sa première demande d’asile, le requérant souligne qu’il est similaire à d’autres articles parus dans le magazine Kanoun. Les membres de l’ADR qui ont été reconnus comme réfugiés politiques par l’État partie sur la base de tels articles ne se seraient pas distingués par un style ou des propos politiques plus appuyés. Par ailleurs, le requérant n’a cessé depuis de publier d’autres articles dans le magazine Kanoun,de participer à des manifestations contre le régime iranien, et de participer à des émissions de radio.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Le 24 août 2009, l’État partie, concernant les allégations du requérant qui affirme que certains membres de l’ADR se seraient vu octroyer l’asile en Suisse à la suite d’une décision de l’ODM ou du TAF, réaffirme que ces instances examinent chaque cas particulier en fonction des éléments spécifiques qui le caractérisent. Il ajoute que 40 décisions auraient été rendues par le TAF depuis début 2007 concernant des personnes ayant fait valoir des activités politiques au sein de l’ADR. L’asile n’a été accordé que dans un certain nombre de cas seulement, et après un examen attentif de l’ensemble des circonstances. Même en cas d’activités comparables au sein de la même organisation, deux personnes pourraient être exposées à des risques différents en cas de retour en Iran, car d’autres facteurs influencent le degré d’attention dont font preuve les autorités iraniennes. L’État partie réaffirme que celles-ci sont en mesure de distinguer des activités politiques reflétant une conviction personnelle sérieuse, et présentant de ce fait un potentiel subversif important à leurs yeux, d’activités destinées principalement à fournir à leurs auteurs un titre de séjour dans un pays tiers.

6.2L’État partie ajoute que l’ADR cherche systématiquement à fournir à ses membres des motifs subjectifs d’asile, en organisant des stands quasi hebdomadaires à l’occasion desquels ils sont photographiés de manière reconnaissable, munis de tracts, et qu’elle publie ensuite les photos sur son site Internet. Lorsque le TAF a considéré que la seule qualité de membre de l’organisation ne constituait pas un motif personnel de bénéficier de l’asile après avoir fui d’un autre pays, l’ADR aurait alors commencé à créer différentes fonctions pour ses membres, telles que responsable de la logistique, de la sécurité, etc. Depuis, dans la majorité des affaires concernant ses membres, il était question de «fonction dirigeante» au sein de l’ADR. En conclusion, l’État partie réaffirme que le risque d’être soumis à la torture doit être apprécié en fonction des circonstances de chaque cas d’espèce, et que le requérant n’a en l’occurrence pas établi qu’il faisait face à un tel risque en cas de retour en Iran.

Commentaires supplémentaires du requérant

7.1Le 11 juin 2010, le requérant se réfère à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a considéré que le renvoi en Iran d’un requérant qui avait été arrêté et torturé dans le passé dans ce pays constituait une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, eu égard, notamment, à la situation générale en Iran, en particulier depuis les élections de juin 2009. Le requérant relève en particulier que dans cette décision, la Cour a admis que les autorités iraniennes arrêtent et torturent fréquemment des personnes participant à des manifestations pacifiques dans le pays, non seulement lorsqu’elles occupent un rôle de leader politique, mais également lorsqu’elles sont de simples opposants au régime. La Cour a également relevé que la situation était particulièrement risquée pour les requérants ayant quitté le pays de manière illégale.

7.2Le requérant affirme dans la même lettre qu’il a quitté l’Iran de manière illégale, pour des raisons politiques. Il réaffirme que depuis son arrivée en Suisse en 2005, il a été actif au sein de mouvements d’opposition au régime. Non seulement a-t-il participé à de nombreuses manifestations, mais il anime également une émission de radio appelée L a voix de la résistance, en plus d’être responsable régional pour l’ADR. Les autorités iraniennes suivant de près toute activité de dissidence politique, ce qui inclut selon elles la participation à des manifestations pacifiques, il y a des raisons sérieuses de croire que le requérant serait détenu et questionné s’il devait être expulsé en Iran. Le fait qu’il ne pourrait prouver avoir quitté le pays légalement ne ferait qu’aggraver sa situation.

7.3Le 28 février 2011, le requérant informe le Comité qu’il continue d’animer une émission radio sur la station locale «Lora», et ce depuis plusieurs mois. Sur cette station de radio, il a pu lire dans une émission hebdomadaire intitulée La voix de la résistance des poèmes écrits de sa main qui reflètent ses opinions sur la situation actuelle en Iran. Il ajoute qu’il continue d’être un membre actif de l’ADR, et de représenter l’association pour le canton de Schaffhouse. Par ailleurs, il continue de participer à des manifestations et autres événements publics organisés par l’opposition iranienne en exil à travers la Suisse.

7.4Dans la même lettre, le requérant note également que la situation des droits de l’homme en Iran s’est gravement détériorée au cours des derniers mois. Il affirme qu’en janvier 2011 seulement, au moins 66 personnes ont été exécutées, dont de nombreux activistes politiques. Le requérant affirme également que le Gouvernement iranien a récemment établi une unité de «cyberpolice», chargée de traquer «l’espionnage et les émeutes» sur les réseaux sociaux d’opposition présents sur l’Internet et d’en mesurer l’étendue. Le requérant relève en outre qu’étant un Kurde de souche de confession sunnite, il serait persécuté pour trois motifs en cas de retour: parce qu’il est militant politique, en tant que membre d’une minorité ethnique et comme membre d’une minorité religieuse. D’après lui, plusieurs Kurdes auraient été exécutés l’an passé, et d’autres sont actuellement dans les couloirs de la mort pour avoir soutenu la résistance kurde armée. En conclusion, le requérant réaffirme qu’étant donné que la situation des droits de l’homme en Iran est des plus préoccupantes, et qu’elle s’est fortement dégradée au cours des derniers mois, en particulier pour les militants des droits de l’homme et les opposants politiques, qu’il a lui-même quitté le pays illégalement, qu’il est membre à la fois d’une minorité ethnique et d’une minorité religieuse, et un opposant politique actif sur l’Internet et à la radio, il serait sans nul doute arrêté en cas de retour. Il ajoute que le risque est extrêmement élevé qu’il soit soumis à des tortures ou autres actes inhumains ou dégradants, y compris l’imposition de la peine de mort à l’issue d’un procès inéquitable.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2L’État partie constate que le requérant n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne sa première demande d’asile, puisque l’appel qu’il a interjeté devant le TAF contre la décision de l’ODM en date du 25 mars 2008 a été rejeté le 6 mai 2008 au motif qu’il avait été formé hors délai. Dès lors, la décision de l’ODM précitée est entrée en vigueur. Le Comité note, cependant, tout comme l’État partie l’a lui-même relevé, que la communication que le requérant présente au Comité est fondée sur sa deuxième demande d’asile, qu’il a déposée le 3 juin 2008 et qui a été rejetée le 18 juin 2008 par l’ODM. Le 14 juillet 2008, le TAF a rejeté l’appel introduit par le requérant contre cette décision. Ce dernier a donc épuisé tous les recours internes pour ce qui est de la seconde procédure d’asile qu’il a engagée. Le Comité déclare par conséquent la requête recevable, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Iran, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

9.2Pour apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Iran, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme en Iran. Il s’agit cependant de déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé.

9.3Le Comité rappelle son Observation générale relative à l’application de l’article 3 de la Convention, où il est indiqué que l’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable, le Comité rappelle que le fardeau de la preuve incombe généralement au requérant, qui se doit de présenter des arguments défendables établissant qu’il encourt un risque «prévisible, réel et personnel». Le Comité précise en outre dans son Observation générale qu’il s’agit également de vérifier si le requérant s’est livré, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’État intéressé, à des activités politiques qui font qu’il «court un risque particulier» d’être soumis à la torture. Le Comité rappelle également que, tout en accordant un poids considérable aux conclusions des organes de l’État partie, il lui appartient d’apprécier librement les faits de chaque cause en tenant compte des circonstances.

9.4Le Comité relève en premier lieu que la situation objective des droits de l’homme en Iran est extrêmement préoccupante, notamment depuis la tenue d’élections dans le pays en juin 2009. Le Comité a pu prendre connaissance de nombreux documents décrivant, en particulier, la répression et la détention arbitraire de nombreux réformateurs, étudiants, journalistes, et défenseurs des droits de l’homme, dont certains ont été condamnés à mort et exécutés. L’État partie a lui-même reconnu que la situation des droits de l’homme en Iran est préoccupante à de nombreux égards.

9.5Le Comité relève également que,bien qu’il ne l’ait pas invoqué devant le Comité, il apparait que le requérant, qui fait partie de la minorité kurde, a été détenu en Iran pendant deux semaines en mars 2002, pour avoir participé à une manifestation de soutien au leader indépendantiste Öcalan. Depuis son arrivée en Suisse, il est actif au sein de l’Association démocratique pour les réfugiés (ADR), dont il est représentant cantonal pour le canton de Schaffhouse. Le Comité note que le requérant a participé à plusieurs manifestations de l’ADR, ainsi qu’à des émissions de radio dans lesquelles il a exprimé des opinions politiques hostiles au régime iranien. L’État partie n’a pas contesté ces activités. Le Comité note en outre que le requérant a écrit plusieurs articles dans la revue Kanoun, dans laquelle son nom et ses coordonnées téléphoniques ont été publiés. Dans ces conditions, le Comité est d’avis que le nom du requérant a pu être enregistré par les autorités iraniennes. Le Comité a également pris note de la décision du TAF citée par le requérant, accordant l’asile à un membre de l’ADR qui occupait, comme lui, une fonction de représentant cantonal de cette association.

9.6En conséquence, et à la lumière de la situation générale des droits de l’homme en Iran qui affecte particulièrement les défenseurs des droits de l’homme et membres de l’opposition cherchant à exercer leur droit à la liberté d’expression, ainsi qu’au regard des activités d’opposition politique du requérant en Suisse, qui peuvent donner à penser qu’il a attiré l’attention des autorités iraniennes, le Comité considèrequ’il y a de sérieux motifs de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en Iran.

10.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant enIran constituerait une violation de l’article3 de la Convention.

11.Conformément au paragraphe5 de l’article112 de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de la transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises en réponse à cette décision.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]