Nations Unies

CAT/C/46/D/338/2008

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. restreinte*

7 juillet 2011

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Quarante-sixième session

9 mai-3 juin 2011

Décision

Communication no 338/2008

Présentée par:

Uttam Mondal (représenté par un conseil, Gunnel Stunberg)

Au nom de:

Uttam Mondal

État partie:

Suède

Date de la requête:

30 novembre 2007 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

23 mai 2011

Objet:

Expulsion du requérant vers le Bangladesh

Questions de procédure:

Griefs insuffisamment étayés

Questions de fond:

Interdiction du refoulement

Articles de la Convention:

3, 16 et 22

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (quarante‑sixième session)

concernant la

Communication no 338/2008

Présentée par:

Uttam Mondal (représenté par un conseil, Gunnel Stunberg)

Au nom de:

Uttam Mondal

État partie:

Suède

Date de la requête:

30 novembre 2007 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 23 mai 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 338/2008 présentée par Gunnel Stunberg au nom de Uttam Mondal en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention

1.1Le requérant est Uttam Mondal, de nationalité bangladaise, qui est actuellement en attente d’expulsion de la Suède. Il affirme que son expulsion vers le Bangladesh constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention contre la torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil, Gunnel Stunberg.

1.2Conformément au paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Au Bangladesh, le requérant militait pour un parti politique appelé Bikolpo Dhara Bangladesh (BDB). Le BDB a été créé en 2003 et le requérant y a adhéré à la fin de la même année. En 2004, il est devenu Président d’une organisation de jeunes du parti, la Juba Dhara, dans le district de Sreenagar. Il a organisé des réunions et des manifestations et prononcé des discours, en liaison étroite avec le professeur Chowdhury, fondateur du parti, et son fils Mahi Chowdhury. Il a également aidé à mettre en place des comités locaux du parti.

2.2En 2004, Mahi Chowdhury a été élu député pour le BDB. Le requérant, qui avait activement pris part à la campagne électorale, aurait reçu plusieurs menaces de mort de militants du parti national du Bangladesh (BNP), opposé au BDB. Tout comme le professeur Chowdhury, il avait été membre du BNP avant la création du BDB et son affiliation au nouveau parti. Les militants du BNP ont menacé de le tuer, de porter de fausses accusations contre lui auprès de la police, de kidnapper son frère et de détruire sa maison. Dans le même temps, plusieurs partisans du BDB ont été persécutés par la police.

2.3Le 20 juin 2004, alors qu’il célébrait la victoire du BDB, un ami proche du requérant a été tué par des partisans du BNP. Le 21 juin 2004, le BDB a organisé une manifestation pour protester contre cet assassinat. Lorsque le requérant est rentré chez lui, la police l’a arrêté et l’a informé qu’il était soupçonné d’avoir tué son ami en raison de leur rivalité politique. Il a été emmené au poste de police et inculpé de meurtre. Les policiers lui ont demandé d’avouer les faits et lorsqu’il a refusé, il lui ont donné des coups de barre de fer sur la plante des pieds et l’ont suspendu la tête en bas, frappé à coup de crosse de fusil et roué de coups de poing et brûlé avec des cigarettes sur le dos. Ils auraient également introduit une barre de fer chaude dans son rectum, ce qui lui aurait fait perdre connaissance. Il a été gardé au poste de police pendant quarante-huit heures puis libéré, pour la seule raison que Mahi Chowdhury avait versé un pot-de-vin à la police. À sa remise en liberté, le requérant s’est rendu à la clinique de Dhaka, où il a été traité pendant une semaine.

2.4Le 10 août 2004, le requérant a été arrêté une nouvelle fois. Il était accusé d’avoir attaqué l’escorte motorisée de Khaleda Zia’s en 1999. Le requérant a été maintenu en garde à vue pendant trois jours puis libéré de nouveau après le versement d’un pot-de-vin. Pendant sa détention, les policiers lui auraient demandé de témoigner contre les autres personnes accusées de l’attaque en question et, devant son refus de coopérer, trois d’entre eux l’auraient violé. Après sa libération, il a été admis à l’hôpital, où il est resté cinq jours.

2.5Le requérant appartient à la communauté hindoue, minorité religieuse qui serait victime de harcèlement et de persécutions. Il affirme que les musulmans tentent de s’approprier les terres des Hindous par la force ou en utilisant de faux documents et détruisent leurs lieux de culte. Le temple de la famille du requérant faisait partie de ceux qui ont été détruits. Les femmes hindoues sont violées et les Hindous sont victimes de discrimination systématique au travail.

2.6Le requérant déclare qu’il est un homosexuel actif. Un de ses amis musulmans aurait dévoilé son homosexualité à d’autres personnes, à la suite de quoi l’imam local aurait prononcé une fatwa le condamnant à mort. Quelques jours après la remise en liberté du requérant après sa deuxième arrestation, sa maison a été cernée par un groupe de musulmans qui étaient à sa recherche et qui ont fait subir des violences à sa famille et causé divers dégâts matériels, vandalisant l’épicerie familiale. Le requérant affirme que l’hindouisme interdit aussi les relations homosexuelles et qu’il a eu des problèmes avec sa famille pour cette raison. Lorsqu’il a décidé de quitter sa ville natale, des pierres lui étaient jetées et sa famille refusait de lui parler.

2.7Le requérant est alors parti pour Dhaka. Là, il s’est rendu compte qu’il était recherché non seulement par les extrémistes islamistes mais aussi par la police en raison des fausses accusations portées contre lui et de son homosexualité. Il a alors décidé de quitter le pays. Mahi Chowdhury a organisé son départ par avion, en faisant appel à un passeur. Le requérant affirme avoir commis une tentative de suicide lorsqu’il était à Dhaka.

2.8À son arrivée en Suède, le requérant a pris contact avec sa famille et a appris que l’imam local et d’autres personnes avaient forcé ses proches à partir de chez eux. Le compagnon du requérant a également été obligé de quitter le Bangladesh peu après son départ.

2.9À l’appui de ses allégations, le requérant a présenté son passeport national, la fatwa prononcée contre lui ainsi que des documents attestant qu’il était membre du BDB, un article de presse et une revue médicale suédoise.

2.10Le 15 juin 2005, le Conseil des migrations a rejeté la demande d’asile du requérant. Il a fait valoir que son identité n’avait pas pu être établie, car son passeport était abimé. Les activités politiques du requérant n’ont pas été mises en doute mais le Conseil a noté qu’elles étaient restées limitées à la fois dans le temps et géographiquement. En ce qui concerne les allégations de torture, le Conseil a conclu qu’il s’agissait d’un acte isolé et que le requérant aurait dû porter plainte devant une autorité supérieure. Le Conseil n’a trouvé aucun élément prouvant que le requérant faisait l’objet d’une procédure pénale au Bangladesh. Il a par ailleurs considéré que la religion du requérant ne lui avait pas causé de problèmes tels qu’il ait besoin d’une protection. Il a reconnu que l’homosexualité était pénalisée au Bangladesh et pouvait être punie de l’emprisonnement à vie. Dans la pratique, toutefois, les homosexuels n’étaient victimes d’aucune persécution active au Bangladesh.

2.11En appel, le requérant a déclaré que M. Mahi Chowdhury, avec lequel il avait eu des contacts en août 2005, l’avait informé que la police continuait d’enquêter sur lui. La procédure en était à un stade préliminaire et demeurait confidentielle. Le requérant déclare en outre que sa famille a disparu. Il fait par ailleurs valoir que les quelques pages qui manquaient de son passeport n’étaient pas celles qui contenaient son nom, son adresse, sa photographie, etc. En ce qui concerne ses activités politiques, il affirme qu’il a été torturé et arrêté à deux reprises en raison de celles-ci, même si elles n’étaient que locales.

2.12En ce qui concerne sa religion et son homosexualité, le requérant souligne que ces deux facteurs combinés aggravent sa situation au Bangladesh. Étant hindou, il est davantage susceptible d’être condamné à une peine de prison à vie en raison de son homosexualité que s’il était musulman. De plus, il souligne que le Conseil des migrations n’a formulé aucun commentaire sur la fatwa prononcée contre lui.

2.13La Commission de recours des étrangers ayant cessé d’exister en mars 2006, le tribunal des migrations de Stockholm a été saisi de la plainte du requérant. Ce dernier y a ajouté, notamment, des certificats médicaux délivrés en 2006 et 2007 par des spécialistes suédois, qui avaient conclu qu’il souffrait de troubles post-traumatiques et de dépression et avait besoin d’un traitement continu de longue durée.

2.14Le 3 avril 2007, le tribunal a conclu que les informations dont il disposait ne lui permettaient pas de mettre en doute la crédibilité de M. Mondal. Il a toutefois considéré que le requérant n’avait pas établi qu’il serait persécuté au Bangladesh en raison de ses opinions politiques passées. Il a également conclu que le requérant n’avait pas prouvé qu’il serait persécuté en raison de son homosexualité. En ce qui concerne la persécution fondée sur la religion, le tribunal a considéré que le simple fait d’appartenir à une minorité ne constituait pas une raison suffisante. Enfin, les éléments fournis par le requérant n’avaient pas permis au tribunal d’établir qu’il existait des raisons sérieuses de croire qu’il courrait le risque d’être condamné à mort ou soumis à des mauvais traitements ou des actes de torture s’il était de nouveau arrêté. Le tribunal a statué que le requérant ne pouvait pas recevoir de permis de séjour pour raison humanitaire.

2.15Le requérant a fait appel de cette décision devant la Cour d’appel pour les affaires d’immigration, qui l’a débouté le 31 août 2007.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant renvoie à des rapports d’organisations non gouvernementales sur les violations des droits de l’homme au Bangladesh et affirme que son renvoi au Bangladesh constituerait une violation par la Suède des droits qui lui sont reconnus en vertu des articles 3 et 16 de la Convention.

3.2Le 16 avril 2008, conformément au paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers le Bangladesh tant que sa requête serait à l’examen.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

Recevabilité

4.1Dans une note du 30 octobre 2008, l’État partie a reconnu que tous les recours internes avaient été épuisés. Il soutient néanmoins que l’affirmation du requérant selon laquelle il risquerait d’être traité d’une manière qui constituerait une violation de l’article 3 de la Convention s’il était expulsé au Bangladesh n’est pas étayée par le minimum de preuves requis.

4.2En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 16 de la Convention, l’État partie conteste la possibilité d’appliquer cet article. Il renvoie à la jurisprudence du Comité et fait valoir que cette partie de la requête devrait être déclarée irrecevable ratione materiae. Il affirme que le grief tiré de l’article 16 sont incompatibles avec les dispositions de la Convention et ne sont pas étayés par le minimum de preuves requis.

Examen au fond

4.3.L’État partie reconnaît que la situation des droits de l’homme au Bangladesh est problématique. Même si la législation nationale en matière de protection des droits de l’homme est très complète, dans la pratique, la situation laisse à désirer. L’État partie renvoie aux rapports de plusieurs organisations de défense des droits de l’homme et organismes et fait valoir que la violence est omniprésente dans la vie politique au Bangladesh. Les heurts entre partisans des différents partis et avec la police sont fréquents lors des rassemblements et des manifestations. Bien que la Constitution du Bangladesh interdise la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants, la police aurait recours à la torture, aux passages à tabac et à d’autres formes de violence pendant les interrogatoires de suspects. Les auteurs d’actes de torture sont rarement sanctionnés. En janvier 2007, après la déclaration de l’état d’urgence et le report des élections, la situation des droits de l’homme s’est aggravée. Bien que le nombre d’exécutions extrajudiciaires par les forces de sécurité ait sensiblement diminué, des violations graves continuent d’être commises. Le Gouvernement respecte généralement le droit de pratiquer la religion de son choix mais les minorités religieuses sont défavorisées dans la pratique, notamment sur le plan de l’accès à l’emploi dans le secteur public et aux postes politiques. Près de 10 % de la population est hindoue. Si les actes homosexuels sont illégaux, la législation n’est cependant pas appliquée de façon systématique.

4.4L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité et déclare que les préoccupations relatives à la situation des droits de l’homme au Bangladesh ne permettent pas de conclure que les personnes susceptibles d’être arrêtées et inculpées courent ipso facto un risque réel d’être soumises à la torture. Il fait valoir également que les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que le requérant courrait aujourd’hui le risque d’être persécuté pour des raisons politiques ni qu’il serait particulièrement vulnérable s’il était placé en détention. En conséquence, même s’il était établi que le requérant risque d’être arrêté à son retour au Bangladesh, ceci ne constituerait pas un motif sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

4.5L’État partie fait valoir que plusieurs dispositions des lois de 1989 et de 2005 sur les étrangers reflètent les principes énoncés au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. Les autorités suédoises appliquent donc le même type de critères que le Comité lorsqu’elles examinent une demande d’asile conformément à la loi sur les étrangers. Ainsi, l’autorité nationale chargée des entretiens avec les demandeurs d’asile est naturellement bien placée pour apprécier les informations présentées par ceux-ci et pour évaluer la crédibilité de leurs affirmations. En l’occurrence, le Conseil des migrations a rendu sa décision après deux entretiens avec le requérant. Le deuxième de ces entretiens a duré deux heures. Le Conseil disposait donc de renseignements suffisants, compte tenu également de la documentation réunie, pour évaluer sur une base solide les besoins du requérant en matière de protection.

4.6L’État partie ajoute que le requérant n’a fourni au Comité aucune explication détaillée sur les raisons pour lesquelles son expulsion vers le Bangladesh constituerait une violation de la Convention. Le requérant s’en est tenu au fait qu’il risquait d’être arrêté à son retour au Bangladesh et donc d’être soumis à la torture. Sa requête est trop vague et imprécise et manque de détails sur les points importants devant être examinés quant au fond.

4.7La situation politique au Bangladesh a changé depuis que le requérant a quitté le pays. D’après les affirmations du requérant, les persécutions et les fausses accusations dont il a été victime étaient le fait du parti au pouvoir, le BNP. Le requérant a soumis une lettre non datée émanant de Mahi Chowdhury, qui faisait savoir qu’il était menacé par des membres du BNP. Toutefois, ce parti n’est plus au pouvoir au Bangladesh. Le pays est actuellement dirigé par un Gouvernement intérimaire et le restera jusqu’à la tenue d’élections générales. Le BNP n’ayant plus le même statut qu’à l’époque où le requérant a quitté le Bangladesh, le risque pour celui-ci d’être harcelé par les autorités à l’instigation de ce parti devrait avoir diminué considérablement.

4.8L’État partie affirme en outre que le requérant n’a fourni, en dehors de la déclaration susmentionnée de Mahi Chowdhury, aucun document démontrant que les autorités bangladaises continuaient de s’intéresser à lui en raison de ses activités politiques ou pour tout autre motif. Pendant son deuxième entretien avec les services d’immigration suédois, le requérant a déclaré qu’il ne possédait aucun document concernant les fausses accusations portées contre lui. Il a également déclaré qu’il n’avait déposé aucune plainte contre les policiers qui l’avaient maltraité. Il n’a pas non plus donné de précision sur l’état des poursuites qui auraient été engagées contre lui. Il a fait valoir qu’il n’était pas possible de rassembler des éléments de preuve tant que l’enquête préliminaire était en cours. Toutefois, d’après l’État partie, il aurait mentionné devant le Conseil des migrations un document qui lui aurait été montré à l’hôpital de Dhaka et qui contenait une liste de suspects, sur laquelle figurait son nom. Il serait également parvenu à obtenir d’autres documents venant du Bangladesh, par l’intermédiaire de la personne qui lui avait montré la liste en question. L’État partie met donc en doute l’impossibilité pour le requérant de rassembler des éléments sur les procédures qui, selon ses allégations, auraient été engagées contre lui.

4.9L’État partie renvoie également aux décisions du Conseil des migrations et du tribunal des migrations, qui ont mis en avant le fait que le requérant n’avait pas joué un rôle de premier plan au sein du parti. Il affirme que, compte tenu de la durée de ses activités politiques (moins d’un an) et du laps de temps qui s’est écoulé depuis l’époque où il militait et où il aurait été victime d’actes de torture, le requérant ne devrait pas être une personnalité politique d’une telle importance et d’un tel intérêt pour les autorités qu’il coure le risque d’être persécuté à son retour. Le parti auquel appartenait le requérant a fusionné avec le Parti démocrate libéral et n’existe donc plus. Si un risque de persécution persistait, il serait de nature très locale et le requérant pourrait en tout état de cause préserver sa sécurité en se déplaçant dans le pays.

4.10En ce qui concerne les actes de torture subis par le requérant, l’État partie note que le Conseil des migrations a rejeté la demande d’examen médical de ce dernier. Il fait valoir que le requérant ne semble pas avoir insisté pour obtenir cet examen par la suite et qu’il n’a pas non plus fourni de son propre chef des pièces à l’appui de ses allégations de torture. Les rapports médicaux soumis par le requérant aux services d’immigration suédois et au Comité portent essentiellement sur sa santé mentale. Seules les deux autorisations de sortie de l’hôpital de Dhaka attestent de blessures par coupures et lacération. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité et fait valoir que l’examen de la communication par le Comité a pour but de déterminer si le requérant risquerait aujourd’hui d’être torturé s’il était renvoyé dans son pays. Même si le Comité considérait qu’il a été établi que le requérant a été victime d’actes de torture commis par la police bangladaise comme il l’affirme, ceci ne signifierait pas pour autant que le requérant a étayé l’affirmation selon laquelle il risquerait d’être torturé s’il était renvoyé dans son pays.

4.11L’État partie renvoie aux conclusions du tribunal des migrations concernant l’orientation sexuelle du requérant et le fait que sa famille en avait connaissance. Le requérant et son compagnon entretenaient une relation depuis 1997 et vivaient ensemble au domicile du requérant. Ce dernier a déclaré que personne n’avait trouvé cette situation étrange car il n’était pas inhabituel que deux hommes vivent ensemble. Il paraît difficile qu’il ait pu cacher son orientation sexuelle à sa famille alors que sa relation avec un homme durait depuis si longtemps. L’État partie déclare que les actes homosexuels sont illégaux au Bangladesh en vertu du Code pénal. La peine encourue peut aller jusqu’à l’emprisonnement à vie. Toutefois, d’après les informations qui figurent dans les rapports sur les droits de l’homme au Bangladesh, il est rare que des poursuites soient engagées en vertu de cette disposition. En outre, ces rapports ne permettent pas de conclure que les autorités bangladaises persécutent activement les homosexuels ou qu’il existe un besoin général de protection des demandeurs d’asile homosexuels originaires du Bangladesh. Le principal problème est la stigmatisation sociale des homosexuels et des autres personnes qui vivent en dehors des normes de la société bangladaise. Le requérant n’a pas étayé, que ce soit par des documents ou par d’autres moyens, l’affirmation selon laquelle les autorités bangladaises s’intéresseraient à lui en raison de son orientation sexuelle. Si tel était toutefois le cas, il lui resterait sans aucun doute la possibilité de vivre et de travailler dans d’autres régions du Bangladesh où il n’est pas encore connu. Le certificat de la Fédération suédoise de défense des lesbiennes, gay, bisexuels et transgenres présenté par le requérant ne constitue pas un avis d’expert, contrairement à ce qu’il affirme. Il en va de même du certificat établi ultérieurement par la Fédération, en date du 27 janvier 2007, qui a également été soumis au Comité.

4.12Pour étayer l’affirmation selon laquelle il risque d’être persécuté voire tué par les extrémistes islamistes en raison de son orientation sexuelle, le requérant a présenté une affiche de la fatwa proclamée contre lui. Cette affiche, sur laquelle apparaît son visage, a été placardée à différents endroits mais le requérant ignore si elle l’a été dans tout le pays. L’État partie fait valoir que le Bangladesh est un État laïc, même si la religion est au cœur des programmes de certains partis politiques, et que la charia n’y est pas officiellement appliquée. Il doute que les intégristes islamistes s’intéresseraient toujours au requérant, étant donné le laps de temps qui s’est écoulé depuis qu’il a quitté le Bangladesh. D’après les renseignements disponibles en ce qui concerne le Bangladesh, la fatwa est sans effet juridique. Si toutefois il existait un risque, celui-ci serait certainement de nature locale, si bien que le requérant pourrait assurer sa sécurité en se déplaçant à l’intérieur du pays. L’État partie reconnaît que le Conseil des migrations ne s’est pas penché sur la fatwa mais souligne que le requérant ne sait pas quelle a été sa diffusion et n’a aucun élément de preuve à ce sujet.

4.13Pour ce qui est de l’affirmation du requérant selon laquelle les Hindous ne sont pas libres de pratiquer leur religion, sont victimes de tentatives d’appropriation illégale de leurs terres par les musulmans et sont défavorisés en matière d’accès à l’emploi, l’État partie fait observer que les difficultés que peuvent rencontrer les groupes minoritaires comme les Hindous au Bangladesh peuvent difficilement être considérés comme une forme de persécution de la part des autorités nationales, et moins encore comme de la torture au sens de l’article premier de la Convention. L’État partie renvoie aux rapports sur la situation des droits de l’homme dans le pays et conclut que les persécutions dont les Hindous peuvent être victimes pour des motifs religieux ne sont en aucun cas le fait de l’État. Elles ne se produisent pas non plus avec son consentement ou son approbation. En ce qui concerne l’incident au cours duquel des membres de la famille du requérant ont été attaqués et leur temple familial détruit, auquel le requérant fait référence, l’État partie note que ce dernier n’était pas présent au moment des faits et que rien n’indique que lui-même ait été victime de persécutions religieuses.

4.14Pour ce qui est des griefs tirés de l’article 16, l’État partie fait valoir que le requérant n’explique pas en quoi il y aurait violation de cet article. Il rappelle la jurisprudence du Comité et affirme que l’aggravation de l’état de santé du requérant du fait de son renvoi ne constituerait pas un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 16 de la Convention.

4.15L’État partie cite le rapport d’un psychiatre appelé Ziad Yanes qui a été soumis par le requérant et qui, selon lui, n’est rien d’autre qu’une relation de l’histoire du requérant. Ce dernier a également soumis deux certificats médicaux établis par le docteur Asa Magnusson. L’État partie affirme que le requérant a déclaré lors de son entretien initial qu’il était inquiet mais ne souffrait d’aucune maladie mentale, tandis que les rapports médicaux font apparaître que sa santé s’est détériorée depuis son arrivée en Suède. D’après les certificats établis par le docteur Magnusson, l’état de santé du requérant s’est amélioré en raison du traitement qu’il a reçu. L’État partie affirme que le requérant pourrait, s’il en avait besoin, recevoir des soins de santé mentale dans son pays, tout au moins dans les grandes villes. En conséquence, l’aggravation éventuelle de son état de santé du fait de son expulsion ne constituerait pas une forme de mauvais traitement visée à l’article 16.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

5.1Par une note datée du 4 septembre 2009, le requérant a soumis un résumé des résultats de l’enquête médicale sur ses blessures résultant de tortures, qui font apparaître qu’il a été torturé à deux reprises en 2004 par la police bangladaise. Le requérant décrit les méthodes de torture employées, parmi lesquelles les coups de poing américain, de barre de fer, de crosse de fusil et de matraque. Il affirme également avoir été blessé à coups de baïonnettes, brûlé avec des cigarettes, fouetté sous les pieds et suspendu la tête en bas, avoir reçu le «traitement de l’eau» et avoir été violé, entre autres. Depuis, il souffrirait de douleurs chroniques dans les articulations, de douleurs dans les pieds lorsqu’il marche et de démangeaisons. D’après les conclusions d’un certain docteur Edston, le requérant portait des cicatrices à la tête, aux deux bras, au torse et aux deux jambes.

5.2Le requérant soumet le résumé d’un rapport médical établi par un certain docteur Soegndergaard, qui déclare que le requérant a été hospitalisé en raison de tentatives de suicide et confirme qu’il présente des symptômes de troubles post-traumatiques.

5.3En réponse à l’argument de l’État partie selon lequel il n’a pas apporté le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité, le requérant fait valoir qu’il a exposé les motifs pour lesquels il courrait personnellement un risque s’il retournait au Bangladesh. Il affirme que les éléments soumis, y compris les certificats médicaux, montrent qu’il a été victime d’actes de torture commis par les autorités bangladaises et qu’il reste exposé à un risque réel, personnel et prévisible d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Bangladesh.

5.4Le requérant affirme que l’État partie n’a absolument pas démontré en quoi ses griefs étaient manifestement sans fondement. Les documents qu’il a fournis et ses déclarations contiennent des renseignements détaillés et précis. Étant donné qu’il est fortement traumatisé, on ne peut pas attendre de lui qu’il donne un récit exact et détaillé de tout ce qui s’est produit, ce qui n’est pas humainement possible.

5.5En ce qui concerne la situation générale au Bangladesh, le requérant affirme que celle-ci est loin de s’être améliorée: si la ligue Awami a remporté les élections de décembre 2008, le BNP a toujours un certain pouvoir et ses opposants continuent d’être persécutés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la plainte est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication avant de s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie a reconnu en l’espèce que les recours internes ont été épuisés et conclut par conséquent que le requérant a satisfait aux prescriptions du paragraphe 5 b) de l’article 22.

6.3Le Comité note qu’aucun argument ni élément de preuve n’ont été présentés à l’appui du grief tiré de l’article 16 de la Convention, et conclut par conséquent que ce grief n’a pas été étayé aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est par là même irrecevable.

6.4Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 3, le Comité considère que les arguments dont il est saisi soulèvent des questions de fond, qui doivent être examinées sur le fond et pas seulement au regard de la recevabilité. En conséquence, le Comité juge cette partie de la communication recevable et procède à son examen sur le fond.

Examen au fond

7.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant au Bangladesh, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

7.2Le Comité doit déterminer, conformément au paragraphe 1 de l’article 3, s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Bangladesh. Pour cela, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l’article 3, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. À ce sujet, le Comité note que l’État partie a reconnu que la situation générale des droits de l’homme avait empiré au Bangladesh et que la police avait recours à la torture, aux passages à tabac et à d’autres formes de violence pendant les interrogatoires de suspects.

7.3Cependant, le présent examen a pour but de déterminer si le requérant court personnellement un risque d’être soumis à la torture après son retour au Bangladesh. L’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme dans le pays ne constituerait pas en soi un motif suffisant pour établir que l’intéressé risquerait d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs spécifiques donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Le Comité note que le requérant affirme courir un risque particulier d’être soumis à la torture au Bangladesh en raison de sa religion et de son orientation sexuelle. L’État partie soutient que les persécutions des Hindous pour des motifs religieux qui peuvent se produire dans le pays ne sont pas le fait de l’État et que le requérant n’a soumis aucun document à l’appui de cette affirmation. En ce qui concerne l’orientation sexuelle du requérant, l’État partie reconnait que les actes homosexuels sont illégaux au Bangladesh en vertu du Code pénal et que la peine encourue peut aller jusqu’à la prison à vie. À ce sujet, le Comité note que l’argument de l’État partie faisant valoir que les autorités bangladaises ne persécutent pas activement les homosexuels n’écarte pas l’éventualité que des poursuites soient engagées.

7.4Pour ce qui est de la fatwa prononcée contre le requérant en raison de son orientation sexuelle, le Comité considère que l’argument invoqué par l’État partie, à savoir que le requérant ne savait pas quelle avait été la diffusion de l’affiche annonçant cette fatwa, et que cette diffusion n’avait pu avoir qu’un caractère local, est injustifié car il serait impossible pour le requérant de prouver le contraire étant donné qu’il ne se trouve pas dans le pays. De surcroît, la notion de «risque de nature locale» ne permet pas d’utiliser un critère mesurable et ne suffit pas à dissiper totalement le risque couru personnellement par le requérant d’être torturé. Le Comité note également l’argument invoqué par l’État partie selon lequel les intégristes islamistes ne paraissent pas s’intéresser au requérant, étant donné le laps de temps qui s’est écoulé depuis qu’il a quitté le Bangladesh, mais il considère que l’État partie n’a pas fourni suffisamment d’arguments pour démontrer en quoi le laps de temps écoulé a réduit le risque de persécution que court le requérant en raison de son orientation sexuelle.

7.5En ce qui concerne les arguments invoqués par le requérant qui affirme qu’il sera persécuté en raison de ses activités politiques passées, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le BNP n’est plus le parti au pouvoir au Bangladesh et ne joue plus le même rôle que lorsque le requérant a quitté le Bangladesh. Le Comité note toutefois que la situation politique reste instable au Bangladesh, où règnent la violence et les rivalités entre les divers partis politiques et où de nombreux incidents violents d’origine politique continuent à se produire. Le Comité note également que l’État partie n’a contesté le fait que le requérant a été torturé dans le passé, même si, de l’avis de l’État partie, il s’agissait d’un acte isolé. En outre, l’État partie reconnaît que la torture est encore pratiquée au Bangladesh et que les responsables de ces actes sont rarement sanctionnés.

7.6Pour ce qui est des rapports médicaux fournis par le requérant en ce qui concerne les séquelles d’actes de torture, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle le fait qu’une personne a déjà été torturée n’est qu’un des éléments pris en considération pour déterminer si elle court personnellement le risque d’être torturée en cas de renvoi dans son pays d’origine mais il note que les rapports médicaux confirment un lien de causalité entre les lésions corporelles du requérant, son état psychologique actuel et les mauvais traitements subis en 2004.

7.7Compte tenu de ce qui précède, et en particulier des conclusions des rapports médicaux, des activités politiques passées du requérant et du risque qu’il court d’être persécuté en raison de son homosexualité conjugué au fait qu’il appartient à un groupe minoritaire hindou, le Comité considère que le requérant a fourni suffisamment d’éléments de preuves pour montrer qu’il court personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture s’il était renvoyé dans son pays d’origine. Dans ces circonstances, le Comité conclut que l’expulsion du requérant vers le Bangladesh constituerait une violation par l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention.

7.8Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que la décision de l’État partie de renvoyer le requérant au Bangladesh constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

8.Conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité souhaite être informé, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des mesures prises par l’État partie pour donner suite à cette décision.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]