Nations Unies

CAT/C/46/D/379/2009

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. restreinte*

8 juillet 2011

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Quarante-sixième session

9 mai-3 juin 2011

Décision

Communication no 379/2009

Présentée par:

Sylvie Bakatu-Bia (représentée par un conseil,Mme Emma Persson)

Au nom de:

Sylvie Bakatu-Bia

État partie:

Suède

Date de la requête:

26 mars 2009 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

3 juin 2011

Objet:

Expulsion de la requérante vers la République démocratique du Congo

Questions de procédure:

Griefs insuffisamment étayés

Questions de fond:

Interdiction du refoulement

Article de la Convention:

3

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (quarante-sixième session)

concernant la

Communication no 379/2009

Présentée par:

Sylvie Bakatu-Bia (représentée par un conseil, Mme Emma Persson)

Au nom de:

Sylvie Bakatu-Bia

État partie:

Suède

Date de la requête:

26 mars 2009 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 3 juin 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 379/2009, présentée par Mme Sylvie Bakatu-Bia, en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1La requérante est Mme Sylvie Bakatu-Bia, née le 22 mai 1984 en République démocratique du Congo (ci-après RDC). Elle se trouve actuellement en Suède et fait l’objet d’un arrêté d’expulsion vers la RDC. Elle affirme que son renvoi en RDC constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle est représentée par un conseil.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité, agissant en application du paragraphe 1 de l’article 114 (ancien art. 108) de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas expulser la requérante vers la RDC tant que sa requête serait à l’examen par le Comité. L’État partie a accédé à sa demande et, le 27 mars 2009, a décidé de surseoir à l’exécution de l’arrêté d’expulsion.

Exposé des faits

2.1La requérante est née et a grandi dans le village de Tshilenge dans la région de Mbuji-Mayi, en RDC. Elle a deux filles. Les dernières années avant de quitter la RDC et de fuir en Suède, elle vivait et travaillait à Lubumbashi, dans le sud du pays. Elle travaillait comme secrétaire dans la paroisse de la Nouvelle Cité de David, église chrétienne protestante radicale. Son compagnon était censé être le prochain pasteur. Le pasteur en fonction, ferme opposant au régime, critiquait ouvertement les autorités dans certains de ses sermons. La requérante, qui était sa secrétaire, partageait ses opinions politiques. Compte tenu de la situation tendue dans la région, la paroisse faisait l’objet d’une surveillance particulière de la part des forces militaires, qui voulaient que le pasteur les aide à diffuser leur message politique. Comme il refusait de le faire, le pasteur a été arrêté à plusieurs reprises, notamment le 3 août 2004 (date de la deuxième arrestation) et le 23 ou 24 décembre 2004 (date de la troisième arrestation). Au cours de sa dernière détention d’une journée, il aurait été cruellement torturé et il est décédé, probablement des suites de la torture, peu de temps après avoir été remis en liberté. Après le décès du pasteur, la surveillance de la paroisse s’est accrue. Les forces de sécurité savaient que la requérante était la secrétaire du pasteur et qu’elle partageait ses opinions et convictions politiques. Elle craignait pour sa vie et sa sécurité mais, compte tenu de sa foi et de son attachement fort à la paroisse, elle a décidé de rester à Lubumbashi.

2.2Le 30 septembre 2005, la requérante et son compagnon ont été arrêtés par les forces de sécurité. Aucun motif n’a été fourni pour leur arrestation. Ils ont été conduits dans des prisons différentes et la requérante n’a plus jamais revu son compagnon. Pendant ce temps, les deux enfants du couple et la sœur de la requérante sont restés à son domicile. Des membres des forces de sécurité sont aussi restés sur place et, selon la requérante, ils ont mis à sac la maison et pris notamment ses papiers d’identité.

2.3La requérante ignore le nom de la prison où elle a été incarcérée. Pendant sa détention, du 30 septembre 2005 au 22 février 2006, elle a été torturée, a reçu des coups sur les jambes et dans le dos et a été violée à de nombreuses reprises, parfois plusieurs fois dans la même journée. La torture subie l’a marquée à jamais et fait qu’elle est tout le temps angoissée.

2.4Le 22 février 2006, la requérante est parvenue à s’évader de la prison avec l’aide d’amis de sa paroisse, qui ont acheté des membres du personnel pénitentiaire. Immédiatement après son évasion, elle a fui vers Kinshasa où elle a rencontré une religieuse qui l’a aidée à quitter le pays. En conséquence, elle n’a pas pu retourner chez elle pour chercher ses deux enfants, dont elle avait été séparée lors de son arrestation. Elle dit ne pas savoir où ils se trouvent.

2.5La requérante serait arrivée en Suède le 27 février 2006 et a demandé l’asile le même jour. Sa demande d’asile a été rejetée par le Conseil des migrations le 11 juillet 2007. D’après le Conseil, la requérante n’avait pas fourni la preuve de son identité congolaise même s’il a reconnu qu’elle parle la langue de la région dont elle dit être originaire. Le Conseil a estimé que la situation générale en RDC ne constitue pas un motif d’asile. S’agissant de la situation personnelle de la requérante, le Conseil a mis en doute de la crédibilité de l’histoire, indiquant que la requérante n’avait produit aucun document prouvant son identité. Il a fait observer que, contrairement au pasteur, la requérante n’occupait aucun poste important dans la paroisse, et il a aussi jugé improbables les allégations concernant sa détention et la façon dont elle s’était rendue en Suède.

2.6La requérante a fait appel devant le Tribunal des migrations. À cette occasion, elle a joint à sa demande initiale deux documents: le rapport médical déjà soumis au Conseil des migrations (voir la note 3 plus haut); et un document délivré par une paroisse de Kiruna (nord de la Suède) attestant des solides convictions politiques et religieuses de la requérante. Le 25 mars 2008, elle a fourni un rapport médical délivré par un psychothérapeute travaillant dans un centre de la Croix-Rouge suédoise à Luleå, qui concluait, selon la requérante, qu’elle montrait des signes de dépression en raison du traumatisme subi dans son pays d’origine. Le 20 mai 2008, elle a fourni un autre rapport médical établi par le même psychothérapeute qui indiquait, toujours selon la requérante, qu’elle avait peur de retourner en RDC et souffrait d’insomnie, qu’elle était toujours affectée par les viols subis et qu’elle buvait beaucoup d’alcool pour apaiser son angoisse. Le 23 mai 2008, le recours a été rejeté par le Tribunal des migrations. La requérante a alors saisi la Cour d’appel des migrations, qui a rejeté son recours le 10 juillet 2008. Le 25 février 2009, la requérante a présenté une demande au Conseil des migrations, affirmant que sa relation avec un Suédois était un autre facteur qui rendait impossible l’application de l’arrêté d’expulsion. Le 27 février 2009, le Conseil des migrations a décidé de ne pas accorder à la requérante de permis de séjour au titre de l’article 18 du chapitre 12 de la loi de 2005 relative aux étrangers. Cette décision n’est pas susceptible d’appel.

Teneur de la plainte

3.La requérante affirme que son expulsion forcée vers la RDC constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention. Elle prétend qu’elle serait arrêtée et torturée à son retour en RDC en raison de ses convictions religieuses et politiques et parce qu’elle avait critiqué le régime et était liée au pasteur décédé Albert Lukusa, aujourd’hui bien connu. Elle fait valoir qu’elle risquerait personnellement d’être soumise à la torture si elle était renvoyée en RDC, et que ses griefs sont suffisamment étayés par les renseignements qu’elle a fournis concernant son arrestation, sa détention et la torture et les mauvais traitements subis, ainsi que par les informations attestant de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives en RDC.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une lettre du 25 septembre 2009, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête. Il fait valoir que la requérante a demandé l’asile le 27 février 2006, le jour même où elle prétend être arrivée en Suède. Elle n’était en possession d’aucun titre de voyage ni d’aucune pièce d’identité. Le Conseil suédois des migrations s’est entretenu une première fois avec elle le 1er mars 2006. Lors de l’entretien, la requérante a indiqué être née à Tshilenge dans la province de Mbuji-Mayi. Elle n’était pas mariée mais vivait avec un homme dont elle avait deux enfants, nés en 2002 et 2004. Elle était active au sein d’une église protestante en RDC. Elle et son compagnon avaient été arrêtés à la suite de critiques exprimées par le pasteur Albert Lusaka à l’égard du régime. Pendant sa détention, elle avait été torturée, avait reçu des coups dans le dos et sur les jambes et avait été violée à plusieurs reprises. Des personnes de la paroisse avaient acheté des membres du personnel pénitentiaire et avaient organisé son évasion en février 2006. Elle n’avait pas pu retourner chez elle pour chercher ses enfants dont elle avait été séparée lors de son arrestation. Elle s’était rendue en train à Kinshasa, où elle avait reçu un billet d’avion et des documents de voyage d’une personne de sa paroisse qui lui avait rendu visite pendant sa détention. Elle a affirmé ne pas savoir où se trouvaient son compagnon et ses enfants. Elle a déclaré ne pas avoir de pièce d’identité et ne pas pouvoir s’en procurer, sa maison ayant été détruite. Elle n’avait personne en RDC qui pouvait l’aider à obtenir de nouveaux papiers d’identité. Interrogée sur sa santé, la requérante a dit qu’elle était très stressée, avait mal au dos et au ventre, souffrait d’insomnie et faisait des cauchemars.

4.2Le 7 mars 2006, au cours du deuxième entretien, la requérante a expliqué qu’elle n’avait jamais eu de passeport et qu’elle ne pouvait pas présenter de papiers d’identité car le seul document en sa possession se trouvait en RDC à son domicile, qui avait été mis à sac par les forces de sécurité. Elle a ajouté que personne ne pouvait vérifier son identité, que ce soit en Suède ou en RDC. Elle a affirmé que la religieuse avec laquelle elle s’était rendue en Suède était en possession de tous les documents nécessaires. Elles ne parlaient pas la même langue et ne pouvaient donc pas communiquer entre elles. La requérante a aussi indiqué qu’elle était l’assistante du pasteur de sa paroisse et que son compagnon était censé succéder au pasteur. Elle n’avait pas d’activité politique et n’avait pas eu de problème avec les autorités, sauf au moment de son arrestation. Elle a prétendu qu’elle était recherchée en RDC et, compte tenu de son évasion, qu’elle serait emprisonnée et soumise à des mauvais traitements à son retour. D’après l’analyse linguistique réalisée par les services de l’immigration, il était fort probable que la requérante parlait un dialecte de la RDC, plus précisément des régions du Kasaï oriental et du Kasaï occidental. Il était également probable qu’elle ait vécu à Kinshasa.

4.3L’État partie indique aussi que le 22 septembre 2006, le conseil de la requérante a fourni des renseignements complémentaires et apporté des corrections à ce qu’avait déclaré la requérante pendant les entretiens. La requérante doutait que ses papiers d’identité soient encore à son domicile, celui-ci ayant été mis à sac après son arrestation, et affirmait qu’elle devrait retourner en RDC pour demander de nouveaux papiers. Elle ne pouvait joindre aucune personne susceptible de prouver son identité car elle ne savait pas où se trouvait sa famille. En ce qui concerne son adresse, la requérante a dit qu’elle habitait à Tshilenge mais que les trois dernières années, elle avait vécu à Lubumbashi avec sa famille, notamment une de ses sœurs. Ses parents et ses autres frères et sœurs vivent dans le village de Mushenge. Elle avait quitté Tshilenge parce qu’on lui avait proposé d’être l’assistante d’un pasteur bien connu à Lubumbashi. Elle a de nouveau donné les mêmes informations sur l’activité du pasteur, la détention et la torture dont il aurait fait l’objet, ainsi que son décès peu après sa remise en liberté, qui serait dû aux traitements subis. Le conseil a aussi donné les mêmes informations sur l’enlèvement de la requérante, sa détention et les mauvais traitements subis, y compris des coups et blessures, des actes de torture et des viols, et a confirmé les circonstances dans lesquelles la requérante s’était évadée de prison.

4.4Le 31 octobre 2006, lors de son troisième entretien, la requérante a indiqué qu’en raison de problèmes de santé, elle ne pouvait pas participer à une réunion de la Croix-Rouge en vue de localiser sa famille. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait vécu à Kinshasa, la requérante a soutenu qu’elle n’y avait jamais habité et qu’elle y était seulement allée pour se rendre en Suède. Elle a en outre déclaré qu’elle serait en danger même si elle devait s’installer à Kinshasa ou dans une autre région de la RDC. D’après elle, elle était recherchée par les autorités et serait arrêtée à son retour. L’État partie indique que, d’après les rapports médicaux fournis par la requérante, elle était en bonne santé, à part le mal de dos dont elle se plaignait.

4.5Dans une lettre datée du 17 novembre 2006, le conseil a indiqué au Conseil des migrations que la requérante avait travaillé avec des personnes originaires de Kinshasa et avait voyagé en RDC, ce qui avait eu des incidences sur son accent. Elle avait travaillé en étroite collaboration avec le pasteur et était donc devenue la cible suivante après le décès de celui-ci. Le conseil a également indiqué que la situation générale des femmes en RDC faisait que la requérante ne pouvait pas retourner dans le pays, et a maintenu que les rapports médicaux confirmaient les allégations de la requérante concernant les mauvais traitements subis lors de sa détention.

4.6Le 11 juillet 2007, le Conseil des migrations a rejeté la demande d’asile de la requérante au motif qu’elle n’avait fourni aucune information pour prouver son identité ou son activité dans la paroisse. Il a aussi rappelé que, selon les déclarations de la requérante, elle n’avait fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire ni condamnation. Il a donc conclu que la requérante n’avait pas démontré qu’elle risquait d’être persécutée en raison de ses convictions religieuses et politiques. Le récit de la requérante au sujet de son itinéraire et de ses titres de voyage n’a pas été jugé crédible. Le Conseil a estimé qu’en l’espèce, la requérante ne se trouvait pas dans une situation de détresse exceptionnelle justifiant la délivrance d’un permis de séjour.

4.7La requérante a fait appel de la décision du Conseil des migrations, affirmant que son identité pouvait être vérifiée à l’aide de l’analyse linguistique réalisée par les services de l’immigration. Elle a aussi rappelé que les détentions arbitraires, les viols et la torture étaient monnaie courante en RDC. Elle a en outre indiqué que, d’après les renseignements obtenus par le Conseil des migrations auprès de l’ambassade de la Suède en RDC, il était possible d’acheter des gardes frontière à l’aéroport de Kinshasa pour pouvoir quitter le pays. Le Conseil des migrations a demandé au Tribunal des migrations de Stockholm de rejeter l’appel de la requérante car elle n’avait pas eu d’activité politique en RDC et n’avait pas occupé un poste important au sein de la paroisse, de sorte qu’il était improbable que les autorités s’intéressent à elle à son retour dans le pays.

4.8Le 3 octobre 2007, la requérante a joint à son appel deux documents: un rapport médical attestant qu’elle avait des problèmes de santé en raison des mauvais traitements qu’elle aurait subis en RDC, et une lettre d’une paroisse suédoise qui témoignait de ses convictions religieuses. Le 26 février 2008, le Tribunal des migrations a rejeté la demande d’audience adressée par la requérante.

4.9Le 25 mars 2008, la requérante a présenté un rapport établi par un psychothérapeute travaillant pour la Croix-Rouge, daté du 14 mars 2008, indiquant qu’elle souffrait d’insomnie à cause de l’éventualité de son retour en RDC et qu’elle était toujours affectée par les mauvais traitements subis dans son pays d’origine. Dans une lettre au Tribunal des migrations, le Conseil des migrations a contesté la pertinence du rapport médical et soutenu que la requérante n’avait pas démontré qu’elle courrait le risque d’être persécutée en raison de ses liens présumés avec la paroisse. Elle n’avait pas prouvé qu’elle était membre de la paroisse ou qu’elle avait une activité politique, ni que les membres de la paroisse courraient particulièrement le risque d’être soumis à des mauvais traitements.

4.10Le recours de la requérante a été rejeté par le Tribunal des migrations le 23 mai 2008. Le Tribunal a estimé que la requérante n’avait pas suffisamment étayé ses griefs. Il a aussi jugé vague et improbable le récit qu’elle avait fait de son évasion de prison et de son voyage vers la Suède. La requérante n’avait pas apporté la preuve qu’elle était réfugiée ou avait besoin d’une protection au sens des articles 1er et 2 du chapitre 4 de la loi relative aux étrangers. En outre, après avoir examiné l’état de santé de la requérante et la durée de son séjour en Suède, le Tribunal a estimé qu’en l’espèce la requérante n’était pas dans une situation de détresse exceptionnelle justifiant la délivrance d’un permis de séjour au titre de l’article 6 du chapitre 5 de la loi relative aux étrangers. Le 2 juin 2008, la requérante a fait appel de la décision du Tribunal des migrations. La Cour d’appel des migrations a rejeté sa demande d’appel le 25 juillet 2008.

4.11S’agissant de la recevabilité de la requête, l’État partie reconnaît que tous les recours internes disponibles ont été épuisés. Toutefois, il soutient que les allégations de la requérante selon lesquelles elle fera l’objet d’un traitement contraire à la Convention ne contiennent pas d’éléments étayant ce grief aux fins de la recevabilité. La requête est manifestement dénuée de fondement et, de ce fait, irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 b) (ancien art. 107 b)) du Règlement intérieur du Comité.

4.12Sur le fond, l’État partie fait valoir que, si la requête est jugée recevable, le Comité doit, pour déterminer si le retour forcé de la requérante en RDC constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention, tenir compte de tous les éléments pertinents, notamment, s’il y a lieu, de l’existence dans le pays en question d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives, même si cela ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que cette personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Pour qu’il y ait violation de l’article 3, il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. L’État partie indique en outre que l’obligation de non-refoulement est directement liée à la définition de la torture figurant à l’article premier de la Convention, et rappelle que selon la jurisprudence du Comité, l’obligation de ne pas expulser une personne qui risque de se voir infliger une douleur ou des souffrances par une entité non gouvernementale, sans le consentement exprès ou tacite du Gouvernement, n’entre pas dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention.

4.13En ce qui concerne la situation des droits de l’homme en RDC, l’État partie note que la RDC a ratifié plusieurs des principaux instruments relatifs aux droits de l’homme, y compris la Convention contre la torture, et a également reconnu la compétence du Comité des droits de l’homme pour recevoir et examiner des requêtes émanant de particuliers. Cela étant, la RDC n’est pas en mesure de s’acquitter de nombre des obligations qui lui incombent au titre des instruments relatifs aux droits de l’homme. L’État partie constate, compte tenu du rapport intitulé «Country of Origin Information Report-The Democratic Republic of the Congo», que de nombreuses violations des droits de l’homme sont commises dans le pays. De graves violations, notamment des exécutions arbitraires, des viols et des actes de torture, sont commises principalement par l’armée, la police et les services du renseignement. L’État partie prend également note de la situation difficile des femmes qui sont soumises en toute impunité à des viols systématiques, à l’esclavage sexuel et à d’autres formes de violence sexuelle. S’il reconnaît que des violations des droits de l’homme sont encore fréquemment signalées dans le pays, il relève qu’elles se produisent surtout dans des régions non contrôlées par les autorités, principalement dans l’est du pays, notamment les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, le district d’Iruru dans la province Orientale et au nord de la province du Katanga. Il fait valoir en outre que les circonstances mentionnées plus haut ne suffisent pas en elles-mêmes à établir que le retour forcé de la requérante constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. La requérante n’est pas originaire de l’une des régions dans lesquelles le Tribunal des migrations a estimé qu’il existait toujours un conflit armé interne ou de graves troubles, et ne serait pas obligée de retourner dans l’une d’entre elles. En outre, l’analyse linguistique a montré que la requérante était liée d’une manière ou d’une autre à Kinshasa. En conséquence, l’État partie estime qu’une expulsion forcée de la requérante ne constituerait une violation de l’article 3 que si l’intéressée pouvait prouver qu’elle risquait personnellement d’être soumise à un traitement contraire à cet article.

4.14L’État partie fait valoir, en se référant à la jurisprudence du Comité, qu’aux fins de l’application de l’article 3 de la Convention, l’intéressée doit courir un risque prévisible, réel et personnel d’être torturée dans le pays où elle doit être expulsée. Il rappelle aussi que, conformément à l’Observation générale no 1 du Comité, c’est au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de réunir et de présenter des éléments de preuve corroborant son récit des événements. L’État partie indique en outre que, lorsqu’elles examinent une demande d’asile au titre de la loi relative aux étrangers, les services suédois de l’immigration appliquent le même type de critères que ceux qu’applique le Comité lorsqu’il examine une requête en vertu de la Convention. Il fait observer que les services qui procèdent à des entretiens aux fins de l’asile sont très bien placés pour apprécier les renseignements fournis par un demandeur d’asile et en évaluer la crédibilité. En l’espèce, le Conseil des migrations a pris sa décision après avoir eu trois entretiens avec la requérante et recueilli suffisamment de renseignements garantissant qu’il disposait d’une base solide pour déterminer si la requérante avait besoin d’une protection en Suède. En conséquence, pour ce qui est du fond de l’affaire, l’État partie se fie aux décisions prises par le Conseil des migrations et le Tribunal des migrations et aux motifs exposés dans ces décisions.

4.15L’État partie fait valoir que les explications de la requérante concernant les raisons qui l’avaient poussée à quitter la RDC et à demander l’asile en Suède ne sont pas crédibles et, partant, que son grief tiré de l’article 3 n’est pas suffisamment étayé. Il affirme qu’aucun document n’a été produit pour prouver l’identité de la requérante. Celle-ci a déclaré au coursd’un des entretiens que personne en Suède ou en RDC ne pouvait confirmer son identité, argument en contradiction avec les informations fournies le 22 septembre 2006 par le conseil de la requérante qui a indiqué que les parents et les frères et sœurs de la requérante vivent toujours en RDC dans le village de Mushenge, dans la province du Kasaï occidental. Si tel est bien le cas, la requérante pourrait obtenir de nouveaux papiers d’identité avec l’aide de ses proches, ou du moins les joindre pour qu’ils confirment son identité − or elle n’a fait aucune démarche en ce sens. L’État partie est d’avis que le fait que la requérante n’a pas épuisé toutes les possibilités pour prouver son identité ou, au moins, tenter de le faire, nuit à la crédibilité générale de sa requête. En outre, la requérante n’a fourni aucun document pour prouver son appartenance àla paroisse. Il semble pourtant trèsimprobable qu’elle ne puisse pas en obtenir car selon ses dires, elle a joué un rôle actif dans la paroisse et les membres de celle-ci ont organisé son évasion de prison et financé son voyage en Suède.

4.16En ce qui concerne les messages électroniques échangés entre le conseil de la requérante et l’ambassade de Suède à Kinshasa, l’État partie indique que l’ambassade a confirmé qu’un homme du nom d’Albert Lukusa était le pasteur de la paroisse de la Nouvelle Cité de David à Lubumbashi, jusqu’à son décès en 2004. Il rappelle cependant que la requérante a indiqué au Conseil des migrations que le pasteur s’appelait Albert Lusaka (et non Lukusa). C’est aussi ce nom-là que le conseil de la requérante a mentionné au cours du troisième entretien et dans sa lettre du 7 septembre 2007 adressée au Tribunal des migrations. L’État partie estime peu probable qu’une personne ayant travaillé en étroite collaboration avec le pasteur se trompe de nom. En outre, les déclarations de la requérante qui a affirmé avoir grandi à Mbuji-Mayi dans le centre de la RDC et vécu à Lubumbashi dans le sud du pays avant de se rendre en Suède contredisent les résultats de l’analyse linguistique, d’après laquelle elle a vécu à Kinshasa, c’est-à-dire dans l’ouest de la RDC. Pour ce qui est des rapports médicaux présentés par la requérante, indiquant qu’elle a mal au dos, montre des signes de dépression et a sollicité une aide médicale en raison des traumatismes subis dans son pays d’origine, l’État partie fait valoir que la requérante s’est contentée d’affirmer que ses problèmes de santé étaient dus aux mauvais traitements subis dans son pays. Le fait que les rapports médicaux ne contiennent qu’une description très générale des symptômes ne permet pas de déterminer la cause de ses problèmes de santé, de sorte que ces informations sont insuffisantes pour conclure que les symptômes sont dus à des mauvais traitements physiques ou à tout autre traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

4.17En ce qui concerne les allégations de la requérante qui a dit avoir travaillé pour un pasteur fermement opposé au régime en RDC, l’État partie fait valoir que l’intéressée n’a pas suffisamment expliqué pourquoi les autorités s’étaient intéressées à elle après avoir, selon elle, persécuté le pasteur. Cela semble d’autant moins probable que la requérante a déclaré qu’elle n’avait pas d’activité politique. En outre, l’État partie juge improbable que le simple fait d’appartenir à une paroisse dont le pasteur est politiquement actif puisse avoir les conséquences décrites par la requérante, surtout qu’elle a dit n’avoir jamais occupé un poste important au sein de la paroisse.

4.18L’État partie affirme aussi que la requérante a d’abord passé sous silence certains faits importants concernant son évasion de prison. Lors des entretiens du 1er et du 7 mars 2006, elle a indiqué que les membres de sa paroisse l’avaient aidée à s’évader en achetant des gardiens. Il a fallu attendre la lettre écrite par son conseil pour apprendre qu’elle avait reçu de l’aide d’une connaissance qui n’appartenait pas à la paroisse. Le fait que la requérante n’ait pas fourni ces renseignements essentiels lors des premiers entretiens nuit à la crédibilité de ses allégations. L’État partie affirme en outre que la description faite par la requérante de son évasion est vague et improbable. L’intéressée n’a pas expliqué pourquoi une de ses connaissances l’avait aidée à s’évader ni comment l’homme en question avait appris que la requérante était emprisonnée et dans quel établissement. De même, elle n’a donné aucune information concernant l’identité de l’autre homme qui l’attendait dans le véhicule utilisé pour son évasion. L’État partie juge aussi douteux que la requérante ne connaisse pas le nom de la prison où elle aurait été détenue pendant plusieurs mois.

4.19L’État partie conteste le récit que fait l’auteur de la façon dont elle a quitté la RDC, le jugeant peu probable compte tenu des mesures de contrôle appliquées à l’aéroport de Kinshasa. Il juge aussi improbable que la requérante ait été aidée par une religieuse dont l’identité n’est pas connue et qui ne parlait pas la même langue qu’elle, et que cette religieuse ait été en possession de tous les titres de voyage nécessaires.

4.20Pour ce qui est de l’allégation de la requérante qui prétend ignorer où se trouve sa famille, l’État partie note que l’intéressée a fait peu d’efforts pour retrouver les siens. Le conseil de la requérante a indiqué que celle-ci avait pris contact avec la Croix-Rouge mais n’avait pas pu se présenter au rendez-vous fixé en raison de problèmes de santé. L’État partie relève cependant que le rapport médical présenté par la requérante n’indique pas que son état de santé l’empêche de se déplacer ou de prendre part à des réunions. Le fait qu’un groupe de la Croix-Rouge aidait la requérante à retrouver sa famille a été confirmé dans une lettre d’un psychothérapeute de la Croix-Rouge, qui est la seule indication que la requérante ait tenté de retrouver sa famille, alors qu’elle vit en Suède depuis plus de deux ans. En outre, elle ne fait que supposer que son domicile a été mis à sac. On ne peut donc pas exclure que son compagnon et ses enfants puissent être retrouvés aujourd’hui en RDC. Rien n’indique que les autorités de la RDC aient tenté de retrouver la requérante au domicile de ses parents à Mushenge. La requérante n’a pas prouvé qu’elle n’a pas de réseau social en RDC, comme elle l’affirme. Même si elle ne parvient effectivement pas à retrouver son compagnon et ses enfants, elle peut toujours retourner en RDC et s’installer à Mushenge.

4.21L’État partie fait en outre valoir que, même s’il faut tenir compte des faits survenus par le passé aux fins de l’application de l’article 3 de la Convention, l’élément déterminant est de savoir s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risque d’être soumise à un traitement contraire à la Convention à son retour dans son pays. À cet égard, l’État partie rappelle que, selon ses propres lettres, la requérante n’a été condamnée pour aucune infraction en RDC. Il est donc improbable qu’elle intéresse encore les autorités à son retour en RDC, étant donné qu’elle a quitté le pays en 2006.

4.22En conclusion, l’État partie affirme que les éléments de preuve et les circonstances invoqués par la requérante ne suffisent pas à montrer que le risque présumé de torture est prévisible, réel et personnel, et qu’en conséquence son expulsion ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention. La requérante n’ayant pas étayé ses griefs, la communication devrait être déclarée irrecevable car manifestement dénuée de fondement. Si le Comité devait considérer que la requête est recevable, l’État partie estime qu’elle ne révèle aucune violation de la Convention.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre du 15 février 2010, la requérante soumet ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle affirme que l’existence de la paroisse de la Nouvelle Cité de David et du pasteur Albert Lukusa, aujourd’hui décédé, a été attestée par l’ambassade de Suède à Kinshasa. L’ambassade a aussi confirmé qu’en RDC, nul ne peut obtenir de papiers d’identité sans se présenter en personne. S’agissant de l’affirmation de l’État partie qui indique que la requête devrait être irrecevable car non étayée, l’auteur soutient qu’elle a présenté des documents écrits à l’appui de ses griefs, dont deux rapports médicaux délivrés par un psychothérapeute qui a conclu qu’elle montre des signes de dépression en raison des mauvais traitements subis dans son pays d’origine, souffre d’insomnie et est toujours affectée par les viols répétés dont elle avait été victime pendant sa détention. Le psychothérapeute a aussi indiqué que la requérante craignait pour sa vie si elle était expulsée en RDC et avait commencé à boire beaucoup d’alcool pour apaiser son angoisse. La requérante affirme que ses griefs sont fondés sur des éléments de preuve écrits et sur les informations d’ordre général concernant la situation des droits de l’homme en RDC, et rappelle les renseignements fournis par l’État partie sur les violations des droits de l’homme actuellement commises en RDC. Elle affirme qu’il existe un risque de torture si elle est renvoyée en RDC, qui est fondé sur des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Ce risque doit être considéré comme hautement probable, étant donné qu’elle a déjà été emprisonnée et soumise à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements. Elle note en outre que pour établir une violation de l’article 3 de la Convention, la charge de la preuve incombe d’abord à l’auteur de la requête, mais elle rappelle que si l’auteur a fourni un certain nombre de détails et de renseignements, il peut y avoir renversement de la charge de la preuve, qui incombe alors à l’État partie. Elle a été torturée par des personnes agissant à titre officiel en raison de ses convictions religieuses et politiques et parce que le pasteur avec lequel elle travaillait critiquait ouvertement les autorités et le régime.

5.2La requérante conteste l’affirmation de l’État partie qui prétend que les services de l’immigration, lorsqu’ils examinent une demande d’asile en vertu de la loi relative aux étrangers, appliquent les mêmes critères que le Comité, et affirme que ces services se fondent sur la procédure de détermination du statut de réfugié prévue par la Convention relative aux réfugiés, et non sur la Convention sur la torture.

5.3En ce qui concerne la remise en cause par l’État partie de sa crédibilité et le fait qu’aucun document n’a été fourni pour prouver son identité, la requérante fait valoir qu’en vertu de l’article 196 du Guide du HCR des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (ci-après le Guide du HCR), les cas où le demandeur peut fournir des preuves à l’appui de toutes ses déclarations sont l’exception bien plus que la règle. Dans la plupart des cas, une personne qui fuit la persécution arrive très souvent dans un autre pays sans papiers personnels, c’est-à-dire sans carte d’identité. L’auteur indique qu’elle n’a jamais eu de passeport et que les forces de sécurité ont très probablement pris sa carte d’identité lorsqu’elles l’ont arrêtée. Elle se réfère aux résultats de l’analyse linguistique, selon lesquels sa langue maternelle est le tchilouba et sa connaissance du français est celle des personnes les moins instruites en RDC. Il est donc probable qu’elle soit originaire de la région dont elle dit provenir. Elle rappelle aussi qu’une personne qui ne se trouve pas en RDC ne peut obtenir de papiers d’identité sans se présenter en personne, comme l’a confirmé l’ambassade de Suède à Kinshasa. Elle affirme qu’elle n’a pas pu entrer en contact avec sa famille bien qu’elle ait tenté, en vain, de la retrouver avec l’aide de la Croix-Rouge.

5.4En ce qui concerne l’erreur sur le nom du pasteur, la requérante affirme qu’elle est due au conseil et à l’interprète. Elle explique aussi que ses rapports médicaux ont été établis par un psychothérapeute qui l’a suivie pendant plus de six mois et qu’ils corroborent ses affirmations indiquant qu’elle a été emprisonnée et soumise à la torture et à des mauvais traitements. L’auteur fait en outre observer que si elle ne se considère pas comme ayant des activités politiques, elle a des craintes fondées d’être persécutée en raison de ses convictions religieuses et politiques et des critiques du pasteur à l’égard du régime. Pour ce qui est des détails de son évasion, l’auteur maintient qu’elle a été aidée par des personnes de sa paroisse, notamment Douglas M., qu’elle avait connu par l’intermédiaire de cette paroisse et des amis qu’elle y avait.

5.5La requérante affirme que si elle n’a commis aucun acte criminel, elle a critiqué le régime et a été emprisonnée et soumise à la torture pour cela. À son retour en RDC, elle sera punie et de nouveau emprisonnée en raison de ses convictions religieuses et politiques et de son évasion. Elle affirme que son retour en RDC constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une lettre datée du 23 avril 2010, l’État partie réfute l’argument de l’auteur qui prétend que, lorsqu’ils examinent si une expulsion est contraire à l’article 3 de la Convention, les services de l’immigration se fondent sur les mêmes critères que ceux utilisés dans le cadre de la procédure de détermination du statut de réfugié, et fait observer que l’examen réalisé au titre de la loi relative aux étrangers est le même que celui effectué au titre de l’article 3 de la Convention, et va même plus loin en ce sens que l’étranger est aussi protégé contre toute expulsion vers un pays où il risquerait la peine de mort ou une peine ou un traitement inhumain, ce que ne prévoit pas l’interdiction de non-refoulement consacrée par l’article 3 de la Convention.

6.2S’agissant de l’affirmation de la requérante qui dit avoir produit des documents écrits à l’appui de ses griefs, l’État partie rappelle que la requérante n’a fourni aucun document attestant de sa soi-disant appartenance à la paroisse. En outre, les rapports médicaux n’établissent pas la cause présumée de ses problèmes de santé, à savoir qu’ils seraient dus aux mauvais traitements subis en RDC. En conséquence, aucune conclusion concernant la cause de ses problèmes de santé ne peut être tirée de ces rapports médicaux.

6.3L’argument de la requérante qui affirme qu’elle ne peut pas produire un document prouvant son identité car sa carte d’identité a été confisquée par les forces de sécurité de la RDC relève de la spéculation car il est fondé uniquement sur des hypothèses avancées par la requérante. Celle-ci n’a pris aucune initiative pour prouver son identité et fait peu d’efforts pour entrer en contact avec sa famille. Elle n’a pas non plus fourni d’élément montrant que, comme elle l’affirme, les contacts avec la Croix-Rouge n’avaient donné aucun résultat. Tous ces faits nuisent à la crédibilité de sa requête.

6.4L’État partie rappelle que la requérante a modifié plusieurs fois l’orthographe du nom du pasteur. Au départ, elle a indiqué qu’il s’appelait Albert Lusaka. Dans une lettre ultérieure, le conseil parlait d’Albert Lukusa. Toutefois, lors du troisième entretien, le conseil a indiqué au Conseil des migrations que le nom du pasteur avait été mal orthographié et qu’il s’appelait en fait Albert Lusaka, comme l’avait signalé au départ la requérante. L’ambassade de Suède à Kinshasa a précisé que le nom du pasteur était Lukusa, alors que dans son message électronique à l’ambassade, le conseil parlait du pasteur Lusaka. Compte tenu de ces incohérences, l’État partie juge légitime de remettre en question la véracité des allégations de la requérante lorsqu’elle affirme avoir travaillé avec le pasteur. Il conclut que le retour de la requérante en RDC ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Observations supplémentaires de la requérante

7.1Dans une lettre datée du 9 juin 2010, l’auteur insiste sur le fait que, selon elle, l’examen réalisé par les services de l’immigration diffère de celui effectué par le Comité en vertu de l’article 3 de la Convention. Elle affirme aussi qu’elle a fait tout ce qui était en son pouvoir pour prendre contact avec sa famille, mais en vain.

7.2S’agissant de l’argument de l’État partie qui fait valoir qu’elle n’a fourni aucun élément de preuve provenant de son pays d’origine, la requérante, faisant référence à l’article 196 du Guide du HCR, rappelle qu’elle a été emprisonnée et qu’après s’être évadée, elle a quitté illégalement la RDC en toute hâte. Elle est arrivée en Suède avec le minimum nécessaire et sans documents personnels.

7.3Pour ce qui est de l’erreur sur le nom du pasteur, la requérante réaffirme que, comme elle l’a expliqué, il s’agissait simplement d’une erreur commise par son conseil et l’interprète. Elle soutient de nouveau que son retour en RDC constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

Réponses complémentaires des parties

8.1Dans une lettre du 17 août 2010, l’État partie réfute l’argument de la requérante qui affirme n’avoir ménagé aucun effort pour prendre contact avec sa famille en RDC. Il fait observer que toutes les tentatives visant à retrouver des personnes par l’intermédiaire de la Croix-Rouge sont enregistrées, même si elles n’aboutissent pas. Or, la requérante n’a fourni aucun élément montrant les résultats de ses prétendues tentatives visant à entrer en contact avec sa famille ou à la localiser. Rien, à l’exception de vagues allégations contenues dans sa dernière lettre, ne suggère qu’elle a fait autre chose pour retrouver sa famille que s’adresser à la Croix-Rouge. En conséquence, l’État partie soutient qu’elle n’a pas apporté d’éléments montrant que, comme elle l’affirme, les membres de sa famille ont disparu, qu’elle ne dispose pas d’un réseau social en RDC ou qu’elle ne pourrait pas se réinstaller à Mushenge, où ses parents vivent, à son retour en RDC. Il réaffirme que les éléments de preuve et les circonstances invoqués par la requérante ne suffisent pas pour établir que l’intéressée court un risque prévisible, réel et personnel d’être torturée et que, par conséquent, son retour en RDC ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

8.2Dans une lettre du 2 septembre 2010, la requérante maintient que ses efforts pour localiser sa famille n’ont donné aucun résultat. D’après elle, elle a fourni des preuves écrites établissant qu’elle court un risque prévisible, réel et personnel d’être torturée. Le 16 septembre 2010, elle a transmis deux rapports de l’ONU qui contenaient des informations crédibles montrant que la situation des droits de l’homme en RDC était extrêmement préoccupante, ainsi qu’une copie de la décision du Comité concernant la communication no 322/2007. Le 4 octobre 2010, la requérante a fourni des renseignements sur le sort d’autres personnes qui ont le même profil ou ont été dans la même situation qu’elle. Elle fait valoir qu’en 2002, un prêtre catholique a été arrêté pour avoir critiqué le régime et n’a été remis en liberté que parce que le cardinal Etshou avait menacé le régime d’organiser une manifestation de grande envergure. Le cardinal est décédé quelques semaines plus tard à Bruxelles, probablement après avoir été empoisonné. Un autre pasteur de Katanga, Theodore Ngoy, a dû fuir le pays et se réfugier au Canada. Le pasteur Kotino Fernando, qui travaillait à Kinshasa, a été condamné à mort puis a vu sa peine commuée en vingt ans d’emprisonnement. En conséquence, la requérante maintient qu’elle serait arrêtée à son retour et serait persécutée et torturée en raison de ses activités politiques et religieuses passées en RDC.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Il s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.2Conformément à l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie a reconnu en l’espèce que les recours internes ont été épuisés et conclut par conséquent que la requérante a satisfait aux prescriptions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

9.3L’État partie fait valoir que la communication est irrecevable au titre du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention au motif que la requérante n’apporte pas le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Le Comité considère que les arguments qui lui ont été présentés soulèvent des questions qui devraient être examinées quant au fond et pas seulement sur le plan de la recevabilité.

9.4En conséquence, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

10.1Le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties intéressées conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

10.2Le Comité doit déterminer si le renvoi de la requérante en République démocratique du Congo violerait l’obligation qu’a l’État partie, en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

10.3Pour déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risque d’être soumise à la torture à son retour dans le pays, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives en République démocratique du Congo. L’objectif de cette analyse est de déterminer si l’intéressée risque personnellement d’être soumise à la torture dans le pays où elle serait renvoyée. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure que la personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires de penser qu’elle serait personnellement en danger. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

10.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 relative à l’article 3, dans laquelle il indique qu’il est tenu de déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé, refoulé ou extradé, et que l’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque encouru est hautement probable. Le risque doit néanmoins être prévisible, réel et personnel, ainsi qu’actuel comme l’a confirmé le Comité dans ses précédentes décisions. Le Comité rappelle que s’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, il est habilité à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

10.5Le Comité note que l’État partie a mis en doute la crédibilité de la requérante, notamment ses affirmations concernant sa participation à des activités politiques dans sa paroisse, et a considéré que son récit des événements n’était pas plausible. Par ailleurs, il note que l’auteur affirme avoir été emprisonnée, torturée et violée par le passé, et constate que ses allégations sont corroborées par les rapports médicaux fournis.

10.6Le Comité fait observer que, d’après le deuxième rapport conjoint de sept experts des Nations Unies sur la situation en République démocratique du Congo (2010) et le rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme et les activités du Haut-Commissariat en République démocratique du Congo (2010)sur la situation générale des droits de l’homme en RDC, de graves violations des droits de l’homme, en particulier des actes de violence contre les femmes, des viols et des viols collectifs commis par des membres des forces armées, des groupes rebelles et des civils, ont continué de se produire dans tout le pays et pas seulement dans les régions touchées par le conflit armé. En outre, dans un rapport récent, la Haut-Commissaire des Nations Unies a souligné que la violence sexuelle en RDC reste un problème profondément préoccupant, en particulier dans les régions touchées par le conflit, et que malgré les efforts faits par les autorités pour le combattre, ce phénomène reste généralisé et touche en particulier des milliers de femmes et d’enfants. Le Comité note également que dans son rapport du 17 janvier 2011, le Secrétaire général, même s’il a reconnu un certain nombre de faits nouveaux positifs en RDC, s’est dit préoccupé par les niveaux élevés d’insécurité, de violence et de violations des droits de l’homme auxquels la population doit faire face.

10.7En conséquence, à la lumière des informations susmentionnées, le Comité considère que la situation des droits de l’homme précaire en République démocratique du Congo, dont témoignent des rapports récents de l’ONU, fait qu’il lui est impossible de distinguer des zones particulières du pays qui pourraient être considérées comme sûres pour la requérante au regard de sa situation actuelle et potentielle.

10.8C’est pourquoi le Comité, après avoir tenu compte de tous les éléments pertinents aux fins de son examen en vertu de l’article 3 de la Convention, et considérant que le récit de la requérante est conforme à ce qu’il sait de la situation actuelle des droits de l’homme en République démocratique du Congo, estime qu’en l’espèce, il y a de sérieux motifs de croire que la requérante risque d’être soumise à la torture si elle est renvoyée en République démocratique du Congo.

11.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi de la requérante en République démocratique du Congo constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

12.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 (anciennement art. 112) de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de la présente décision, des mesures qu’il aura prises en réponse à la présente décision.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]