Nations Unies

CAT/C/48/D/413/2010

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

24 juillet 2012

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 413/2010

Décision adoptée par le Comité à sa quarante-huitième session(7 mai-1er juin 2012)

Présentée par:

A. A. M.(représentée par un conseil, E. P.)

Au nom de:

A. A. M.

État partie:

Suède

Date de la requête:

19 février 2010 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

23 mai 2012

Objet:

Expulsion de la requérante vers le Burundi

Questions de fond:

Risque de torture au retour dans le pays d’origine

Questions de procédure:

Néant

Article de la Convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (quarante‑huitième session)

concernant la

Communication no 413/2010

Présentée par:

A. A. M.(représentée par un conseil, E. P.)

Au nom de:

A. A. M.

État partie:

Suède

Date de la requête:

19 février 2010 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 23 mai 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 413/2010 présentée par E. P. au nom de A. A. M. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1La requérante est A. A. M., de nationalité burundaise, née le 3 décembre 1982 dans le village de Mbuye, province de Muramvya, au Burundi. Elle réside actuellement en Suède. Elle allègue que l’exécution de l’ordre d’expulsion vers le Burundi prononcé à son égard serait contraire à l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants («la Convention»). La requérante est représentée par un conseil, E. P.

1.2Le 2 mars 2010, conformément à l’article 114 (ancien art. 108) de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.5), le Comité a prié l’État partie de ne pas expulser la requérante vers le Burundi tant que l’affaire serait à l’examen.

Exposé des faits

2.1La requérante vient d’une famille de l’ethnie tutsie. Ses parents, E. N. et C. B., ont été tués en 1993 par les milices hutues dans le village de Mbuye. Le seul autre membre de la fratrie, un frère aîné, J. F. N., est ensuite devenu membre actif de la milice tutsie connue sous le nom des «Sans Échec». Il a participé à des pillages et à des fusillades contre les Hutus. Son frère occupant un rang élevé dans la milice des Sans Échec et étant bien connu, il a été menacé de mort. Le 3 septembre 2006, il a été tué chez lui par des soldats hutus de l’armée nationale. À ce moment précis la requérante se trouvait à l’extérieur et a entendu que son frère était maltraité dans la maison et que les soldats lui demandaient où se trouvait sa sœur, ce qu’elle a compris comme une menace de mort à son égard.

2.2La requérante a couru jusqu’à la maison d’un ami qui habitait à dix minutes de là. Le lendemain, cet ami est allé chez elle et a trouvé le frère, qui avait été brutalement torturé et exécuté. Quelques jours plus tard, la requérante a rencontré son ancienne domestique, qui lui a dit que les milices hutues la cherchaient. Elle est restée chez son ami pendant deux mois. Elle estime que les autorités ne sont pas en mesure de lui offrir la protection voulue et qu’elle ne peut pas non plus obtenir cette protection dans une autre partie du pays. Elle n’a aucune famille au Burundi, ni de réseau social. Elle s’est donc enfuie de ce pays le 28 novembre 2006, aidée par des passeurs et un ami qui ont organisé le voyage.

2.3La requérante est arrivée en Suède le 29 novembre 2006 et a formulé une demande d’asile le lendemain. En déposant sa demande, elle a présenté une carte d’identité burundaise au Conseil des migrations. Le 23 novembre 2007, le Conseil des migrations l’a entendue en présence de son conseil désigné au titre de l’aide juridictionnelle. Elle a notamment déclaré n’avoir jamais eu de passeport ni été à l’étranger. Elle a ajouté n’avoir jamais appartenu à un parti ou à une organisation et n’avoir jamais été la cible de menaces ou de harcèlement, mis à part les événements survenus au moment de l’assassinat de son frère.

2.4En février 2008, le Conseil des migrations a appris qu’une demande de visa avait été présentée en 2006 à l’ambassade de Suède à Alger par une personne dont les données d’état civil étaient presque identiques à celles de la requérante. Le Conseil a demandé à l’ambassade en question de lui communiquer toute la documentation relative à cette demande. La demande de visa avait été faite et signée par une personne nommée A. A. U., née le 3 décembre 1982 à Bujumbura, au Burundi. Elle avait été signée le 16 juillet 2006 à Alger et l’objet du séjour prévu en Suède était de rendre visite à un ami et d’examiner la possibilité de poursuivre des études. La demandeuse et l’ami, qui était aussi la personne de référence citée dans la demande, déclaraient tous deux qu’ils s’étaient connus au Niger en 2002-2003, lorsque la demandeuse travaillait dans ce pays. L’ami déclarait également que la demandeuse avait l’intention de se rendre au Niger après la visite en Suède. La demandeuse ajoutait qu’elle était étudiante à l’Université d’Alger, ce que confirmait son ami, et donnait un domicile à Alger. Elle déclarait également détenir une assurance de voyage et une assurance maladie algériennes pour le séjour. Elle subvenait à ses besoins grâce à une bourse d’études et l’aide de sa famille.

2.5Dans la rubrique de la demande consacrée aux données personnelles des parents et frères et sœurs, la demandeuse déclarait que le nom de son père était E. B., celui de sa mère P. N., et qu’ils vivaient ensemble à Rohero, à Bujumbura. Elle indiquait en outre avoir deux sœurs et un frère plus jeune. Elle disait détenir un passeport et s’être rendue trois fois en France entre juillet 2003 et octobre 2005. Les informations figurant dans la demande étaient confirmées par les copies jointes du passeport burundais, renouvelé à l’ambassade du Burundi à Paris le 20 août 2004. Le Conseil des migrations avait refusé la demande de visa le 7 août 2006.

2.6Lorsque les documents demandés relatifs à la demande de visa sont parvenus au Conseil des migrations en Suède, qui examinait alors la demande d’asile présentée par la requérante, le Conseil a cherché à vérifier si la personne figurant sur la photo jointe à la demande de visa était la même que celle ayant demandé l’asile en Suède, à savoir la requérante. D’après le rapport rendu et signé le 3 mars 2008 par un expert du service des identités, il était fort probable, au vu de la comparaison des photographies, qu’il s’agisse de la même personne.

2.7Le 6 juin 2008, le Conseil des migrations a eu un autre entretien avec la requérante, compte tenu des informations figurant dans la demande de visa qu’il avait découverte. Au cours de l’entretien la requérante a déclaré n’avoir jamais quitté le Burundi. Elle avait donné son passeport à un ami du Congo, étudiant en Algérie, qu’elle avait rencontré au Burundi. Cet ami avait d’une façon ou d’une autre utilisé le passeport et une demande de visa avait été déposée à l’insu de la requérante. Celle-ci ne savait pas qui avait fait la demande de visa pour la Suède. Elle a confirmé que son nom exact était A. A. M. et que le seul nom véritable sur son passeport était son prénom. Lorsque le Conseil des migrations lui a demandé si cela signifiait que le passeport était faux, la requérante a déclaré qu’il ne l’était pas, mais que quelqu’un d’autre, un dénommé John, l’avait aidée à présenter la demande de passeport, qu’elle avait faite pour aider son ami du Congo. Lorsque le Conseil lui a demandé si elle pouvait expliquer pourquoi sa photo figurait sur la demande de visa pour la Suède, elle a dit que c’était la même photo que celle de son passeport. Quand le Conseil a affirmé que ce n’était pas le cas, l’intéressée a expliqué que son ami avait peut-être utilisé une autre photo mais qu’elle ne le savait pas.

2.8Le 23 août 2008, le Conseil des migrations a rejeté la demande d’asile de la requérante en déclarant que, au vu des informations écrites figurant au dossier et du rapport de l’expert du service des identités, elle était la même personne que celle qui avait présenté une demande de visa suédois à Alger. Le Conseil a en outre expliqué que la requérante n’avait pas été en mesure de donner une explication fiable et cohérente des raisons pour lesquelles une demande de visa à laquelle était joint son passeport, contenant une photo d’elle, sa date de naissance et son prénom, avait été déposée en Algérie. Le Conseil remarquait également que même si la requérante avait été en Algérie en juillet 2006 et y avait présenté une demande de visa, cela n’excluait pas qu’elle ait été au Burundi au moment du meurtre de son frère. Il a estimé que, dans cette hypothèse, la requérante n’avait donné aucune explication raisonnable du fait qu’elle ne l’avait pas informé de sa demande de visa suédois et de ses séjours passés à l’étranger. Le Conseil mettait donc en doute les allégations de la requérante. Il a conclu que celle-ci n’avait pas pu établir son identité, son pays d’origine et sa nationalité, mais a décidé de statuer sur le dossier et la demande d’asile vis-à-vis du Burundi. Indépendamment du défaut de crédibilité des informations présentées par la requérante, le Conseil a estimé que, dans la mesure où elle n’avait pas été victime de persécutions, de mauvais traitements ou de peines au Burundi, ses revendications ne suffisaient pas à démontrer qu’elle risquait d’être soumise à de tels actes. Elle avait entendu dire que la milice la recherchait, mais était restée dans le pays assez longtemps après l’assassinat de son frère sans être menacée ou harcelée.

2.9Le 13 octobre et le 14 novembre 2008, la requérante a formé un recours contre la décision du Conseil des migrations auprès du Tribunal des migrations. Elle demandait à ce dernier de lui octroyer un permis de résidence, le statut de réfugié et un document de voyage. Elle ajoutait avoir donné une explication cohérente et crédible des raisons pour lesquelles une demande de visa avait été soumise en Algérie. Le conseil de la requérante désigné au titre de l’aide juridictionnelle soulignait que cet élément ne devait pas faire oublier les motifs pour lesquels sa cliente demandait l’asile. Dans la mesure où le Conseil des migrations ne mettait pas en doute le fait que son frère avait été exécuté, les menaces dirigées contre la requérante elle-même devaient être prises au sérieux. Le conseil faisait valoir que sa cliente était exposée à des mauvais traitements et des persécutions en raison du rang élevé qu’occupait son frère dans la milice des Sans Échec. Les menaces dirigées contre lui visaient également la requérante.

2.10Le Conseil des migrations a eu la possibilité de présenter des observations sur le recours formé par la requérante. Il a déclaré que les explications de la requérante concernant son départ du Burundi n’étaient pas fiables. Il estimait en outre que le manque de crédibilité des informations concernant la demande d’un visa suédois amenuisait la crédibilité de ses autres déclarations. Les déclarations de la requérante n’étaient dès lors pas suffisamment étayées pour justifier l’octroi d’une protection.

2.11Le 19 mai 2009, le Tribunal des migrations a débouté la requérante. Il concluait qu’elle n’avait ni démontré son identité ni même établi qu’il était probable qu’elle fût originaire du Burundi. Même à supposer qu’elle le fût, le Tribunal estimait que la situation générale dans ce pays ne justifiait pas l’asile ou la protection. Il considérait comme acceptable son explication de la manière dont une demande de visa en son nom avait été présentée en Algérie. Toutefois, il jugeait que la requérante n’avait pas établi qu’elle risquait d’être victime de persécutions, de mauvais traitements ou de peines si elle rentrait au Burundi. Dans son raisonnement, le Tribunal remarquait notamment que la requérante n’avait pas été impliquée dans la milice tutsie dans laquelle son frère était engagé et qu’elle ne partageait pas les activités de celui-ci. Il relevait en outre que l’événement dont elle déclarait qu’il avait directement provoqué sa fuite du Burundi avait eu lieu près de trois ans plus tôt, et que le temps écoulé depuis était donc relativement important.

2.12Le 8 juin 2009, la requérante a sollicité l’autorisation de faire appel du jugement rendu par le Tribunal des migrations, qui lui a été refusée le 27 juillet 2009 par la Cour d’appel des migrations. La décision d’expulsion de la requérante est donc devenue exécutoire.

2.13Le 7 septembre 2009, le Conseil des migrations a enregistré une lettre de la requérante dans laquelle celle-ci soutenait avoir communiqué en juin 2009, à son conseil désigné au titre de l’aide juridictionnelle, des documents où il était notamment indiqué qu’elle avait été condamnée à une peine de vingt ans d’emprisonnement au Burundi. Elle joignait des copies de la convocation de la police au Burundi datée du 8 octobre 2007, d’un mandat d’arrêt à son nom daté du 19 novembre 2007 et d’un jugement portant condamnation à vingt ans d’emprisonnement daté du 16 décembre 2008.

2.14Au vu des informations figurant dans la lettre de la requérante et des copies jointes, le Conseil des migrations a décidé le 24 septembre 2009 de ne pas lui octroyer de permis de résidence au titre de l’article 18 du chapitre 12 de la loi suédoise de 2005 relative aux étrangers ni de réexaminer l’affaire en vertu de l’article 19 du même chapitre. Le Conseil remarquait notamment que les documents joints étaient des copies et que leur valeur probante était donc faible.

2.15La requérante a saisi le Tribunal des migrations d’un recours contre la décision du Conseil des migrations. Le Tribunal lui ayant posé des questions concernant les documents produits, la requérante a répondu par écrit avoir appris en mars ou avril 2009, d’une connaissance qui travaillait au Burundi comme secrétaire dans un tribunal, qu’une signification lui avait été adressée, et qu’elle avait été recherchée et condamnée pour avoir aidé son frère à commettre des meurtres et des pillages. La requérante était choquée par ces nouvelles, mais a supposé que si elle en parlait à son conseil désigné au titre de l’aide juridictionnelle ou aux autorités suédoises, ils lui demanderaient de prouver ses dires. Elle a donc demandé à sa connaissance au Burundi de lui envoyer les documents figurant au dossier burundais. Début juin 2009, les documents sont arrivés et la requérante en a immédiatement transmis des copies à son conseil qui, toutefois, ne les a pas communiquées au Conseil des migrations ou aux tribunaux.

2.16Le 16 novembre 2009, le Tribunal des migrations a débouté la requérante. Il constatait que les informations selon lesquelles l’intéressée avait été condamnée à une peine d’emprisonnement et était recherchée par la police constituaient, au sens de la loi relative aux étrangers, des circonstances nouvelles qui n’avaient pas été examinées auparavant. Cela étant, la déclaration de la requérante selon laquelle elle avait reçu ces informations d’une connaissance au Burundi ne pouvait, en l’absence d’autres éléments la confirmant, être considérée comme suffisamment étayée pour amener à conclure que les nouvelles circonstances constituaient un obstacle durable à l’exécution de l’ordre d’expulsion au sens de l’article 19 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers. Les documents, dont une version originale avait été présentée au Tribunal des migrations, étaient de qualité douteuse et avaient donc une faible valeur probante. Indépendamment de cela, le Tribunal a conclu que la requérante savait déjà quels documents allaient lui être envoyés fin avril ou début mai 2009, à savoir avant le prononcé du jugement du Tribunal le 19 mai 2009 concernant sa demande de permis de résidence. Elle savait avant cette date qu’elle avait été condamnée et que la police burundaise la recherchait. En conséquence elle aurait pu communiquer ces informations dans le cadre de la procédure relative à sa première demande d’asile, mais avait décidé de ne pas le faire. La raison donnée par la requérante, à savoir qu’il lui aurait été demandé d’apporter des preuves, n’a pas, au regard de l’article 19 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers, été jugée par le Tribunal comme une excuse valable pour ne pas faire état des circonstances nouvelles plus tôt.

2.17Le 9 décembre 2009, la Cour d’appel des migrations a débouté la requérante de sa demande d’autorisation de faire appel du jugement prononcé par le Tribunal. Cette décision ne peut pas faire l’objet d’un recours.

Teneur de la plainte

3.1La requérante avance qu’il existe au Burundi un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Elle cite le sixième rapport du Secrétaire général sur le Bureau intégré des Nations Unies au Burundi (S/2009/611) et un rapport établi en 2009 par la section américaine d’Amnesty International sur la situation déplorable des droits de l’homme au Burundi (usage de la torture contre les détenus en prison, exécutions sommaires par les forces de sécurité, viols et actes de violence sexuelle généralisés, impunité). La requérante affirme que, dans ces conditions, vu qu’elle est accusée d’être impliquée dans les activités de son frère défunt et qu’elle serait probablement emprisonnée pour complicité de meurtre et de vol, son expulsion de la Suède vers le Burundi l’exposerait à de rudes conditions de détention mettant sa vie en danger, à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, comme le viol et les violences sexuelles. Elle allègue par conséquent que son retour forcé au Burundi constituerait une violation par la Suède des droits qu’elle tient de l’article 3 de la Convention.

3.2La requérante soutient qu’elle risque personnellement d’être torturée à son retour dans son pays d’origine. Elle fait valoir qu’un membre proche de sa famille a déjà été tué et elle craint qu’en cas d’expulsion vers le Burundi, le même sort ne lui soit réservé; elle estime courir un risque manifeste de mauvais traitements, de torture et de viol en prison. Elle déclare qu’elle est innocente et n’a pas commis les actes pour lesquels elle a été condamnée. Sa condamnation découle des conflits ethniques existant au Burundi et de la participation de son frère à la milice des Sans Échec.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 2 septembre 2010, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête. Pour ce qui est de la recevabilité, il déclare ne pas avoir connaissance d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international concernant la présente requête. Eu égard au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, l’État partie reconnaît que tous les recours internes disponibles ont été épuisés.

4.2Indépendamment du résultat de l’examen par le Comité des questions relatives au paragraphe 5, alinéas a et b, de l’article 22 de la Convention, l’État partie considère que l’allégation de la requérante, qui affirme courir le risque d’être traitée d’une manière contraire à la Convention, n’est pas étayée par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Il soutient que la communication est manifestement dépourvue de fondement et, dès lors, irrecevable au regard du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et de l’alinéa b de l’article 113 (anciennement alinéa b de l’article 107) du Règlement intérieur du Comité.

4.3L’État partie avance que, si le Comité devait conclure à la recevabilité de la communication, la question qui se poserait au fond serait de savoir si l’expulsion de la requérante serait contraire à l’obligation de la Suède, au titre de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. À cet égard, l’État partie, renvoyant à la jurisprudence du Comité, rappelle que l’examen de la question de savoir si le retour forcé d’une personne dans un autre pays constituerait une violation de l’article 3 de la Convention a pour objet d’établir si l’individu concerné courrait personnellement un risqued’être victime de torture en cas de retour. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour juger qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. L’État partie soutient de plus que son obligation de ne pas renvoyer de force une personne vers un État où il existe des motifs sérieux de penser qu’elle risque d’être soumise à la torture est directement liée à la définition de celle-ci qui figure à l’article premier de la Convention. Il découle de la jurisprudence du Comité que la question de savoir si un État partie a l’obligation de ne pas expulser une personne qui pourrait risquer de se voir infliger des douleurs ou des souffrances par une entité non gouvernementale, sans le consentement exprès ou tacite de l’État, ne relève pas du champ d’application de l’article 3 de la Convention.

4.4Quant à la situation générale des droits de l’homme au Burundi, l’État partie considère qu’elle peut être décrite comme très instable après la longue guerre civile entre le régime dominé par les Tutsis et son armée, d’une part, et les groupes rebelles dominés par les Hutus, d’autre part. De nombreux civils ont perdu la vie pendant cette guerre et les deux parties au conflit sont responsables de violations graves des droits de l’homme à l’encontre de la population civile. Le bilan du Gouvernement burundais en matière de droits de l’homme reste médiocre. Des membres de l’armée − la Force de défense nationale (FDN) −, de la police et du Service national de renseignement (SNR) se rendent responsables de meurtres, de torture et de passages à tabac de civils et de détenus, y compris de militants présumés du mouvement des Forces nationales de libération (FNL). Les forces de sécurité continuent de harceler des membres de l’opposition. Malgré le cessez-le-feu signé en mai 2008, le FNL a continué à perpétrer des actes de violence contre les civils, avant tout dans ses fiefs traditionnels, y compris à Bujumbura Rural. Si les autorités civiles ont d’une manière générale maintenu un contrôle effectif des forces de sécurité, il est arrivé que certains éléments agissent à titre indépendant. Bien que les forces de sécurité de l’État, notamment la FDN, aient entrepris certaines mesures pour poursuivre les auteurs de violations des droits de l’homme, la plupart des individus agissent dans l’impunité.

4.5L’État partie ajoute qu’une nouvelle Constitution est en vigueur depuis 2005, qui définit des termes de partage du pouvoir entre les deux groupes ethniques et reconnaît les droits de l’homme fondamentaux pour tous les Burundais. La Constitution garantit un système multipartite et la liberté de l’expression et de la presse. En 2005 également ont eu lieu des élections générales qui ont conduit au pouvoir le Conseil national pour la défense et la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD). En avril 2009, le mouvement des FNL a été officiellement transformé en parti politique. Avec le désarmement du FNL et sa consécration en tant que parti politique, tout acte de violence de la part de l’un de ses membres serait aujourd’hui considéré comme un crime et le nombre d’agressions qui lui sont attribuées a baissé. L’impunité continue de sévir et il y a une tendance à vouloir obtenir dans la rue la justice qui n’a pas été rendue par les magistrats. L’État partie soutient que cette appréciation résume bien la situation du Burundi telle qu’elle est décrite dans les rapports cités par la requérante devant le Comité (voir par. 3.1 plus haut).

4.6L’État partie explique que, sans vouloir sous-estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet de la situation actuelle des droits de l’homme au Burundi, il juge indubitable que les circonstances décrites dans les rapports susmentionnés ne suffisent pas en elles-mêmes à établir que le retour forcé de la requérante au Burundi constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Le Comité devrait par conséquent apprécier le risque personnellement couru par la requérante d’être victime de torture, au sens défini par l’article premier de la Convention, après son retour au Burundi.

4.7L’État partie soutient que les autorités et les tribunaux suédois compétents en matière de migration appliquent le même critère pour apprécier le risque de torture lorsqu’ils examinent une demande d’asile dans le cadre de la loi relative aux étrangers que celui que le Comité applique lorsqu’il examine ultérieurement une communication en vertu de la Convention. Il ajoute qu’il faut tenir compte du fait que les autorités nationales sont très bien placées pour apprécier les informations fournies par un demandeur d’asile ainsi que ses déclarations et revendications étant donné qu’elles ont l’avantage d’être en contact direct avec l’intéressé. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie soutient qu’il convient d’accorder un grand poids à l’appréciation faite par les autorités suédoises compétentes en matière de migration.

4.8Concernant l’appréciation de la crédibilité des déclarations de la requérante, l’État partie s’appuie principalement sur le raisonnement exposé dans la décision du Conseil des migrations, devant lequel la requérante s’est présentée et exprimée deux fois. En outre, l’État partie estime opportun de souligner les grandes distorsions entre certains détails exposés par l’intéressée aux autorités suédoises et ceux qu’elle a présentés au Comité. Le Conseil des migrations a soutenu, tout au long de la procédure en l’espèce, que la requérante était la même personne que celle qui avait présenté une demande de visa à l’ambassade suédoise d’Alger en 2006, et il a adopté cette position tant dans sa décision de rejeter la demande d’asile de la requérante que dans les observations qu’il a adressées au Tribunal des migrations à la suite du recours formé par l’intéressée contre ladite décision. L’État partie est entièrement d’accord avec cette conclusion. Il argue que l’explication vague et incohérente donnée par la requérante sur la manière dont une demande de visa suédois aurait pu être faite en son nom à Alger en 2006 n’est pas crédible.

4.9L’État partie fait valoir qu’une photographie jointe à une demande de visa ne doit pas avoir plus de six mois. La demande de visa doit être remplie et signée personnellement par le demandeur et les documents à joindre doivent être des originaux. Selon l’État partie, cela soulève d’autres doutes à l’égard des explications données par la requérante selon lesquelles elle n’a pas participé à la présentation de la demande de visa à l’ambassade suédoise à Alger. En outre, jusqu’à ce qu’elle ait été confrontée aux détails de cette demande, la requérante affirmait n’avoir jamais eu de passeport. Lors de l’entretien au cours duquel l’existence de la demande de visa lui a été opposée, elle a déclaré qu’elle détenait un passeport et que celui-ci n’était pas faux. L’État partie estime que la déclaration de l’intéressée selon laquelle le seul nom véritable sur le passeport est son prénom n’est pas fiable; il en va de même de son explication selon laquelle quelqu’un d’autre (un homme appelé John) l’a aidée à établir la demande de passeport, qu’elle a faite pour aider son ami. Outre le fait que les explications données par la requérante sur la demande de visa et sur son passeport ne sont pas crédibles, un spécialiste de l’identité au Conseil des migrations a certifié que la comparaison entre la photographie de la requérante prise lors de la demande d’asile et la photographie jointe à la demande de visa suédois à Alger montre qu’il s’agit de la même personne.

4.10Étant donné que l’État partie, comme le Conseil des migrations, considère manifeste que la requérante est la même personne que celle qui a déposé une demande de visa suédois à Alger, cette demande a nécessairement été faite par la requérante et doit donc être prise en compte dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile. À cet égard, l’État partie soutient que les déclarations faites par la requérante dans sa demande de visa suédois et dans sa demande de protection sont contradictoires, pour les raisons suivantes:

a)Selon la demande de visa suédois, les parents de la requérante vivent ensemble à Rohero, à Bujumbura, et elle a deux sœurs et un frère. Le frère serait né en 1990. Dans la demande d’asile, la requérante déclare que ses parents ont été tués en 1996. En outre, elle y indique que son frère est né en 1975; il aurait donc eu 31 ans au moment où il a été tué. Enfin, elle n’y mentionne aucune sœur; et

b)Il ressort de la demande de visa suédois que la requérante travaillait au Niger en 2002-2003. Il y est également indiqué qu’elle a quitté l’Algérie, s’est rendue en France puis est retournée en Algérie trois fois entre juillet 2003 et octobre 2005. Lors de son séjour en France en juillet 2004, la requérante a renouvelé son passeport à l’ambassade du Burundi à Paris.

4.11L’État partie argue que si les informations concernant les sorties d’Algérie et de France et les entrées dans ces pays ne démontrent pas en elles-mêmes que la requérante vivait en Algérie en 2003, 2004 et 2005, elles montrent au moins qu’elle voyageait entre les deux pays à cette époque. Par ailleurs, l’intéressée n’a pas hésité à entrer en contact avec l’ambassade burundaise à Paris. Cette information, associée au fait qu’elle travaillait au Niger en 2002 et 2003, et par conséquent y vivait, montre également qu’elle n’avait pas de mal à quitter le Burundi à cette époque. La requérante ayant indiqué dans la demande de visa qu’elle était étudiante à Alger et donné une adresse de résidence dans cette ville, on peut supposer qu’elle y a vécu au moins à certains moments de l’année 2006. Dans ces circonstances, l’État partie conclut qu’il est manifeste que la requérante s’est rendue plusieurs fois à l’étranger avant d’arriver en Suède fin 2006 pour demander protection, contrairement à ce qu’elle a déclaré dans sa demande d’asile.

4.12L’État partie estime de surcroît que certains éléments des déclarations de la requérante aux fins de sa demande d’asile sont en eux-mêmes contradictoires. Que la requérante dise avoir été suffisamment près de la maison pour entendre la milice hutue interroger son frère à son sujet au moment où elle affirme qu’il a été tué, sans avoir été vue par les soldats, est peu vraisemblable. Les informations données par la requérante sur la manière dont elle a réussi à s’enfuir de la maison et à vivre chez un ami à faible distance pendant deux mois sans y être cherchée ni découverte sont également peu crédibles. Il est aussi clair, pour l’État partie, que la requérante a menti en réponse à la question de savoir si elle détenait un passeport, ce qu’elle a révélé seulement lorsqu’elle a été confrontée à la demande de visa.

4.13Compte tenu de ce qui précède et de l’insuffisance de la description donnée par la requérante des préparatifs de son départ du Burundi, l’État partie conclut que la crédibilité des déclarations et des griefs qu’elle a formulés à l’appui de sa demande d’asile devant les autorités suédoises et devant le Comité est très faible. L’État partie soutient par conséquent qu’on ne saurait lui accorder le «bénéfice du doute» dans la présente communication. Il conclut en outre que, compte tenu de la faible crédibilité de la demande d’asile de la requérante, rien n’étaye son allégation selon laquelle elle risque d’être victime de mauvais traitements et de viol du fait de milices hutues au Burundi en raison des activités qu’aurait eues son frère dans la milice des Sans Échec.

4.14L’État partie argue en outre que, de la même manière, la déclaration de la requérante qui affirme avoir été condamnée à une peine d’emprisonnement, avoir reçu une signification et être recherchée au Burundi n’est pas crédible. Il ajoute que les explications qu’elle donne sur la manière dont elle s’est procurée les documents indiquant qu’elle a reçu une signification et qu’elle est recherchée et condamnée au Burundi sont très incohérentes et difficiles à saisir bien qu’elle les ait communiquées par écrit au Tribunal des migrations. Par ailleurs, l’État partie est d’accord avec la conclusion à laquelle le Conseil des migrations est parvenu à l’issue de l’examen des documents concernant la peine, la signification et le mandat d’arrêt, à savoir qu’ils sont de qualité douteuse et revêtent dès lors une faible valeur probante. Quant à l’argument de la requérante selon lequel son conseil désigné au titre de l’aide juridictionnelle aurait omis de communiquer les documents en question aux autorités compétentes, l’État partie estime qu’une telle affirmation devrait être étayée et, si possible, confirmée ou réfutée par un échange avec le conseil. Il relève que la requérante ne présente aucun élément en ce sens. Étant donné que plusieurs des déclarations de l’intéressée ne sont pas jugées fiables par l’État partie, cette appréciation s’applique à sa crédibilité générale. En conséquence, l’État partie ne considère pas comme crédible l’allégation de la requérante concernant son conseil.

4.15L’État partie argue qu’aucune autre déclaration ou information produite par la requérante ne montre qu’elle risquerait d’être soumise à des mauvais traitements ou au viol si elle était renvoyée au Burundi. Lorsqu’elle explique, dans sa demande d’asile, qu’elle n’a pas de réseau social au Burundi, cela est en contradiction avec les informations qu’elle donne sur sa famille dans la demande de visa suédois. Selon celles-ci, ses parents, sa sœur aînée et ses frère et sœur cadets vivent au Burundi. En outre, d’après ce qu’elle dit sur les lieux où elle se trouvait au Burundi juste avant de quitter le pays, il semblerait qu’elle y ait bien des connaissances. L’État partie conclut que les circonstances invoquées par la requérante ne suffisent pas à démontrer que le risque allégué de torture soit prévisible, réel et personnel. Dès lors, la requérante n’a pas fourni de motif sérieux laissant penser qu’elle risque réellement et personnellement d’être victime de traitements contraires à l’article 3 de la Convention si elle est renvoyée au Burundi.

4.16Enfin, l’État partie explique qu’en vertu de l’article 22 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers, un ordre d’expulsion est valable quatre ans à compter de la date à laquelle il est devenu définitif et non susceptible d’appel. Dans le cas présent, la décision concernant l’expulsion de la requérante est devenue finale et non susceptible d’appel le 27 juillet 2009, jour où la Cour d’appel des migrations a refusé à la requérante l’autorisation d’interjeter appel. L’ordre d’expulsion en question sera donc prescrit le 27 juillet 2013.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1Le 15 décembre 2010, la requérante a réitéré ses déclarations initiales concernant son identité, son pays d’origine et les événements qui ont provoqué son départ du Burundi. Quant aux complications concernant le passeport et la demande de visa qu’on lui attribue, elle explique qu’elle s’est attachée à un homme qu’elle avait rencontré au Burundi. Lorsqu’il lui a demandé de lui donner son passeport et des photos, elle l’a fait. Elle affirme n’avoir jamais, contrairement à ce que soutiennent le Conseil des migrations et d’autres organes, demandé de visa ni s’être rendue en Algérie ou en France ou dans un quelconque autre pays. Elle n’a pas été soumise à des persécutions, mauvais traitements ou peines lorsqu’elle est restée au Burundi après le meurtre de son frère parce qu’elle était cachée. Elle a quitté le Burundi avec l’aide de passeurs et, pour cette raison, elle ne dispose d’aucune information sur le passeport avec lequel elle s’est rendue en Suède. Sa seule préoccupation était de quitter son pays d’origine pour gagner un lieu où elle serait en sécurité.

5.2Sur le fond, la requérante soutient que, dans la mesure où elle a apporté des informations détaillées à l’appui de ses griefs, la charge de la preuve devrait être renversée. Elle affirme qu’elle serait jetée en prison à son retour au Burundi et qu’elle y serait victime de torture au sens défini à l’article premier de la Convention. Elle répète que, compte tenu de la situation actuelle au Burundi, associée aux raisons de sa demande d’asile et de protection telles qu’elle les a exposées aux autorités suédoises et au Comité, son expulsion vers ce pays constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

5.3La requérante conteste l’argument de l’État partie selon lequel il applique, au moment de l’examen d’une demande d’asile dans le cadre de la loi relative aux étrangers, le même critère que celui qu’applique le Comité lorsqu’il examine une communication présentée subséquemment en vertu de la Convention. Elle fait valoir que les autorités suédoises compétentes en matière de migration, lorsqu’elles examinent une demande d’asile dans le cadre de la loi, doivent d’abord déterminer si le demandeur est un réfugié (au sens de la Convention relative au statut des réfugiés), puis s’il a besoin de protection en raison d’autres circonstances ou si, au vu de circonstances de détresse exceptionnelles, il devrait bénéficier d’un permis de résidence. La requérante argue dès lors que les autorités apprécient l’admissibilité de l’intéressé au statut de réfugié au regard de la Convention relative au statut des réfugiés («Convention sur les réfugiés»), et non pas de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants («Convention contre la torture»).

5.4La requérante soutient que la Convention sur les réfugiés a une portée à la fois plus large et plus étroite que l’article 3 de la Convention contre la torture. Elle est plus large au sens où un «réfugié», à savoir une personne bénéficiant du droit au non-refoulement en vertu de l’article 33 de cette convention, est une personne «craignant avec raison d’être persécutée» pour des motifs particuliers dans un État de renvoi. La «persécution» peut être moindre que la «torture»; ainsi, la Convention sur les réfugiés s’applique lorsqu’une forme moindre de mauvais traitement est à craindre dans l’État de renvoi. À l’inverse, les raisons pour lesquelles une personne pourrait être soumise à la torture n’importent pas aux fins de l’appréciation à effectuer au titre de l’article 3 de la Convention contre la torture, alors que les raisons pour lesquelles une personne pourrait être persécutée importent dans le cadre de la Convention sur les réfugiés. En outre, les droits énoncés à l’article 3 de la Convention contre la torture sont absolus alors que les droits du réfugié peuvent être refusés. À cet égard, la requérante déclare que les appréciations des autorités suédoises compétentes en matière de migrations et de l’État partie sur la question de savoir si son expulsion serait contraire ou non à l’article 3 de la Convention contre la torture sont très probablement faites sur la base des mêmes critères que l’appréciation effectuée pour décider du statut de réfugié en vertu de la Convention sur les réfugiés.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Par une note verbale du 13 avril 2011, l’État partie a présenté des observations complémentaires. Il déclare que contrairement à ce qu’affirme la requérante, l’article 2 du chapitre 4, lu avec l’article premier du chapitre 5, de la loi relative aux étrangers − dispositions qui lui ont été appliquées − apporte la même protection contre le refoulement que la Convention contre la torture. Pour avoir droit à la protection contre le refoulement, les raisons pour lesquelles un étranger risquerait d’être victime de peines corporelles, de torture ou d’autres traitements ou peines inhumains ou dégradants, n’importent pas et il n’est pas nécessaire que l’étranger soit considéré comme un réfugié au sens de la Convention sur les réfugiés. En outre, l’article premier du chapitre 12 de la loi énonce l’interdiction absolue d’exécuter une décision d’expulsion lorsqu’il existe des motifs raisonnables de penser que cela exposerait l’étranger au risque d’une condamnation à la peine capitale, d’une peine corporelle, de torture ou d’autres traitements ou peines inhumains ou dégradants dans le pays vers lequel il serait renvoyé, ou qu’il ne serait pas protégé contre le risque d’être à nouveau expulsé vers un pays tiers dans lequel il courrait de tels dangers. L’État partie fait également valoir que l’article premier du chapitre 12 de la loi a été adopté pour garantir le respect de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui prévoit une protection plus forte contre le refoulement que l’article 3 de la Convention contre la torture. L’État partie ajoute qu’il ressort clairement des observations initiales du 2 septembre 2010 que l’examen qu’il a effectué de la présente communication est fondé sur l’article 3 de la Convention contre la torture.

6.2Concernant la charge de la preuve, l’État partie rappelle son argument précédent selon lequel c’est à la requérante qu’il appartient de démontrer qu’il existe des motifs sérieux de penser qu’elle est personnellement confrontée à un risque prévisible et réel de torture au Burundi. Ce n’est qu’après la production de preuves démontrant qu’un tel risque existe que la charge de la preuve peut être renversée. L’État partie conteste que la requérante soit parvenue à présenter des preuves suffisant à faire basculer la charge de la preuve et fait valoir qu’elle ne lui a communiqué aucun jugement proprement dit qui indique qu’elle a été condamnée à vingt ans d’emprisonnement, mais seulement un document intitulé «attestation de signification d’un jugement». En outre, les documents qu’elle présente à l’appui de ses allégations ont une valeur probante très réduite car il s’agit de documents très simples et faciles à établir. De plus, le «mandat d’arrêt» et la «signification» ne portent ni l’un ni l’autre de numéro d’affaire ou une autre cote.

6.3L’État partie remarque en outre que les documents produits par la requérante sont prétendument des originaux et précise qu’il s’agit de formulaires imprimés qui ont tous été remplis à la main à l’encre bleue et portent des tampons bleus. L’État partie trouve étonnant que la requérante ait reçu les originaux des formulaires et non, comme c’est l’usage, des copies certifiées. Par ailleurs, l’histoire que raconte la requérante sur la manière dont elle a obtenu ces documents est hautement improbable et n’explique pas pourquoi elle n’a pas présenté de copie du jugement proprement dit puisqu’elle a demandé à la personne qui l’aidait d’envoyer des copies de tous les documents figurant dans le dossier du tribunal. L’État partie en conclut qu’on ne saurait considérer que les documents en question étayent les revendications de la requérante.

6.4L’État partie conteste vivement l’affirmation de la requérante selon laquelle elle aurait apporté des informations très détaillées à l’appui de ses allégations et argue qu’elle a au contraire présenté un récit improbable et lacunaire. Il est établi que la requérante a, en connaissance de cause, communiqué des informations fausses aux autorités compétentes, ce qui met en doute sa crédibilité générale. Qui plus est, les informations qu’elle donne dans le cadre de sa demande d’asile sont contradictoires, ce qui amoindrit encore sa crédibilité et la fiabilité de son récit. L’État partie estime que les circonstances exposées aux paragraphes 2.4 à 2.8 et 4.8 à 4.10 laissent nettement supposer que la requérante a présenté elle-même la demande de visa à Alger. De surcroît, les faits exposés dans ladite demande amènent à conclure que l’histoire de la requérante concernant la participation de son frère à la milice des Sans Échec et son exécution ne saurait être vraie. En l’absence de preuves écrites fiables étayant ces allégations, et au vu des fortes raisons qu’il y a de mettre en doute la crédibilité de la requérante et la véracité de ce qu’elle avance, l’État partie soutient que l’intéressée n’a pas rempli l’obligation qui était la sienne de démontrer qu’elle court personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture au Burundi. La charge de la preuve ne saurait dès lors être renversée. L’État partie ajoute que rien ne justifie de maintenir la mesure provisoire demandée au titre de l’article 114 du Règlement intérieur du Comité dans la mesure où l’exécution de l’ordre d’expulsion ne causerait pas de préjudice irréparable à la requérante.

Commentaires de la requérante sur les observations complémentaires de l’État partie

7.Le 17 juillet 2011, la requérante a répété ce qu’elle avait déjà affirmé, à savoir qu’il existait des motifs sérieux de penser qu’elle serait soumise à la torture au Burundi si elle devait y retourner. Elle soutient que ces allégations ont été confirmées notamment par des documents dont elle a expliqué comment elle se les était procurés. L’intéressée ajoute qu’elle ne peut pas répondre aux questions de savoir pourquoi une demande de visa a été faite à «son» nom et pourquoi quelqu’un d’autre a utilisé son passeport, autrement qu’en disant qu’elle ignore ce qui s’est passé. Tout ce qu’elle dit est «la vérité».

Délibérations

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité rappelle que, conformément à l’alinéab du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie a reconnu en l’espèce que les recours internes avaient été épuisés.

8.3L’État partie soutient que la communication est irrecevable car manifestement dépourvue de fondement. Le Comité considère toutefois que les arguments présentés par la requérante soulèvent des questions importantes qui devraient être examinées au fond. Il ne constate pas d’autres obstacles à la recevabilité et déclare en conséquence la communication recevable. L’État partie et la requérante ayant l’un et l’autre présenté des observations sur le fond de la communication, le Comité procède directement à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant la requérante au Burundi, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article3 de la Convention de ne pas expulser ou renvoyer une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Le Comité fait observer que la question de savoir si un État partie a l’obligation de ne pas renvoyer une personne qui risque d’être soumise à la torture ou à des mauvais traitements par une entité non gouvernementale relève du champ d’application de l’article3 dès lors que les autorités étatiques dans lepays de renvoi ont consenti expressément ou tacitement à la commission de ces actes. Cependant, bien qu’elle ait affirmé avoir initialement fui son pays par crainte de subir des violences de la part des milices hutues, la requérante n’a produit aucun élément permettant de confirmer qu’elle risquerait aujourd’hui d’être la cible de ces milices si elle était renvoyée au Burundi.

9.3Concernant l’argument de la requérante, qui affirme qu’elle risque d’être emprisonnée au Burundi et que cela l’exposera inévitablement aux mauvais traitements, à la torture et au viol, le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risquerait personnellement d’être victime de torture en cas de retour dans son pays d’origine. Pour évaluer ce risque, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

9.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 relative à l’article 3, selon laquelle l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est «hautement probable», le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court «personnellement un risque réel et prévisible». Le Comité rappelle en outre que, conformément à son Observation générale no 1, il doit accorder un poids considérable aux constatations de fait effectuées par les organes de l’État partie concerné, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

9.5En l’espèce, le Comité note que l’État partie a reconnu et tenu compte du fait que le bilan en matière de droits de l’homme du Burundi demeurait insatisfaisant et que la situation générale dans ce domaine était encore très instable après la longue guerre civile qui a opposé le régime dominé par les Tutsis aux groupes rebelles dominés par les Hutus. Toutefois, sans sous-estimer les préoccupations pouvant légitimement être exprimées à l’égard de l’état actuel de cette situation au Burundi, les autorités de l’État partie compétentes en matière de migration, y compris les juridictions, ont établi que les circonstances prévalant dans ce pays ne suffisaient pas en elles-mêmes à établir que le retour forcé de la requérante au Burundi entraînerait une violation de l’article 3 de la Convention.

9.6Le Comité relève également que l’État partie a attiré l’attention sur de nombreuses incohérences et contradictions graves dans la description des faits de la requérante et dans ses allégations, qui mettent en doute sa crédibilité générale et l’exactitude de ses dires. Le Comité prend aussi note des informations fournies par la requérante sur ces points.

9.7Pour ce qui est de l’affirmation de la requérante selon laquelle elle a été condamnée à vingt ans d’emprisonnement pour complicité de meurtre et de vol, actes qu’elle soutient ne pas avoir commis, le Comité note que l’État partie fait valoir que la requérante n’a pas produit de jugement à proprement parler, mais seulement un document intitulé «attestation de signification d’un jugement». En outre, l’État partie a indiqué que les documents qu’elle avait produits à l’appui de ses allégations avaient une très faible valeur probante car il s’agissait de documents très simples, faciles à établir et sur lesquels ne figurait ni numéro d’affaire ni aucune autre cote. De surcroît, l’État partie s’est interrogé sur la question de savoir pourquoi la requérante aurait reçu les originaux des documents figurant dans le dossier du tribunal et non pas, comme c’est l’usage, des copies certifiées. La requérante n’a pas réfuté ces observations et n’a pas non plus présenté de preuves contraires ou arguments supplémentaires, bien qu’elle en ait eu la possibilité.

9.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité constate que la requérante n’a pas établi que son expulsion vers son pays d’origine l’exposerait personnellement à un risque réel et prévisible de torture au sens de l’article 3 de la Convention.

10.Dès lors, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi de la requérante au Burundi par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]