Nations Unies

CAT/C/48/D/396/2009

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

5 juillet 2012

Original: français

Comité contre la torture

Communication no396/2009

Décision adoptée par le Comité contre la torture à sa quarante-septième session, 7 mai-1 juin 2012

Présentée par:

Combey Brice Magloire Gbadjavi

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Suisse

Date de la requête:

18 août 2009 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

1 juin 2012

Objet:

Risque de déportation du requérant vers le Togo

Question de procédure:

Néant

Question de fond:

Expulsion d’une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture

Article de la Convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants(Quarante-huitième session)

concernant la

Communication no 396/2009

Présentée par:

Combey Brice Magloire Gbadjavi

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Suisse

Date de la requête:

18 août 2009 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 1 juin 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 396/2009, présentée par Combey Brice Magloire Gbadjavi en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant, Combey Brice Magloire Gbadjavi, est un citoyen togolais né en 1969. Il prétend que sa déportation vers le Togo constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil, Guido Ehrler.

1.2En application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie de ne pas procéder à l’expulsion du requérant vers le Togo tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits exposés par le requérant

2.1Le requérant s’est engagé depuis 1994 en tant que membre actif du service de sécurité au parti de l’Union des Forces de Changement (UFC). Son rôle consistait à protéger les membres du parti, distribuer des tracts et faire des déclarations. En 1999, il a été arrêté par les autorités togolaises pour avoir fourni à des amis qui se trouvaient en Allemagne des informations sur la situation politique au Togo. Lors de son interrogatoire à la gendarmerie le requérant a été battu jusqu’à ce qu’il perde presque connaissance. Il a ensuite été ramené chez lui à Békpota (quartier résidentiel de Lomé) afin que les gendarmes puissent perquisitionner son domicile. Pendant cette perquisition les gendarmes ont trouvé des documents sur l’UFC, sur la base desquels ils ont décidé de le ramener à la gendarmerie où il a d’abord été enchaîné à un objet et battu jusqu’à ce qu’il soit laissé pour mort. Après cela, il a été placé dans une cellule qu’il a partagée avec deux codétenus pendant une semaine. Pendant cette période, ils étaient forcés de marcher sur les genoux sur une terre siliceuse. Il a ensuite été transféré à la prison d’Adidogomé, où les mauvais traitements ont continué. Pendant les exercices physiques, ceux qui montraient des signes de fatigue et tombaient étaient frappés. On posait des sacs de sable sur le dos du requérant et l’obligeait à faire des pompes. Après deux mois de ce traitement, le requérant avait du sang dans ses urines et est tombé tellement gravement malade qu’on l’a libéré.

2.2Le 18 juillet 1999, des pourparlers entre l’opposition (l’UFC) et le parti au pouvoir se sont tenus durant lesquels le requérant devait garantir la sécurité de M. Gilchrist Olympio, président de l’UFC, depuis la frontière du Ghana jusqu’à la capitale. Mais à la veille des pourparlers, le ministère de l’intérieur a décidé qu’il appartenait aux forces togolaises d’assurer sa sécurité. La sécurité de l’UFC, composée de sympathisants tels que le requérant, s’est opposée à cette décision du ministère de l’intérieur et des affrontements ont éclaté. Menacé d’emprisonnement, le requérant a décidé de s’enfuir au Ghana. En 2002, il est retourné au Togo suite à sa mise en contact avec le ministre M. H. O. Olympio, qui lui a remis sa carte de visite signée et une garantie de sécurité sous la forme d’un permis.

2.3Lors des élections en 2003, le requérant a dénoncé quelqu’un qui s’apprêtait à voter deux fois pour le candidat du Rassemblement du peuple togolais (RPT) dans un bureau de vote. Ceci a engendré des affrontements au cours desquels le requérant a perdu son portefeuille avec la carte de visite et le permis donnés par M. H.O. Olympio et d’autres documents comme sa pièce d’identité. Des membres du RPT ont ensuite menacé la femme du requérant de le tuer. C’est ainsi que le requérant a décidé de quitter à nouveau le territoire et de se réfugier au Bénin. Il est retourné au Togo en janvier 2004. Le 16 avril 2005, lors d’un rassemblement organisé par l’UFC à Atikomé, les forces de l’ordre ont tiré sur la foule et le soir elles sont venues pour arrêter le requérant. Mais il n’était pas à son domicile. Le 28 mars 2006, sur le chemin de Lomé à Agouegan, le requérant et sa sœur ont été arrêtés et des membres de la gendarmerie ont conduit le requérant au camp de Zébé dans le bureau du chef de service. Il a été battu et enfermé. Lors de l’interrogatoire, le chef de service voulait connaître la nature de la relation entre le requérant et M. H.O. Olympio, soupçonné d’être l’instigateur de l’attaque du camp de la gendarmerie du 26 février 2006. Le requérant a reçu des menaces de mort et a été battu durant sa détention. Le 19 avril 2006, le requérant a réussi à s’échapper de la prison après que son beau-frère ait corrompu un gardien. Il s’est rendu au Ghana, mais par crainte d’être mis en détention par les services secrets togolais au Ghana, il s’est enfui par avion pour l’Italie sous une fausse identité. Il s’est ensuite rendu en Suisse, où il est arrivé le 30 avril 2006.

2.4Le 7 novembre 2006, l’épouse du requérant et ses enfants ont dû fuir au Bénin, parce qu’ils continuaient à faire l’objet de poursuites.

2.5Le 8 septembre 2006, l’Office fédéral des migrations a rejeté le demande d’asile du requérant, considérant que les déclarations du requérant n’étaient pas crédibles et que les menaces étaient trop distantes (1999-2002) pour pouvoir fonder une crainte de persécution. L’Office fédéral des migrations (ODM) a par ailleurs contesté que M. H.O. Olympio ait été ministre et qu’il y ait eu une attaque du camp de la gendarmerie le 26 février 2006. Le requérant a recouru de cette décision le 11 octobre 2006 déposant notamment un document prouvant que M. H.O. Olympio avait été membre du gouvernement jusqu’en août 2003 ainsi qu’un article de journal rapportant l’attaque du camp de la gendarmerie du 26 février 2006. Il a aussi produit divers documents de l’UFC attestant de son activité dans ce parti. Dans sa prise de position du 9 novembre 2006, l’ODM n’a pas contesté que le requérant ait été membre actif de l’UFC et qu’il y ait eu une attaque de la gendarmerie le 26 février 2006. En revanche l’ODM a considéré que les allégations du requérant selon lesquelles il serait poursuivi par les autorités togolaises n’étaient pas crédibles.

2.6A l’appui de son recours devant le Tribunal administratif fédéral (TAF), le requérant a produit un certificat médical attestant du traumatisme subi suite aux tortures dont il a été victime et du traitement psychiatrique administré depuis. Il a aussi produit un document attestant de la détresse dans laquelle sa femme se trouvait du fait de sa propre situation au Bénin et de celle de son mari et informant du fait qu’elle avait tenté de se suicider le 5 février 2008. Le 1er avril 2009, le TAF a rejeté le recours du requérant, considérant que la situation au Togo s’était améliorée depuis son départ et que sa crainte de faire l’objet d’une violation de l’article 3 de la Convention n’était pas fondée. Le Tribunal a considéré que le traitement médical nécessité par le requérant pouvait être administré au Togo mais il n’a pas vérifié les déclarations du requérant, telles que les certificats médicaux attestant de son stress post-traumatique et de son mauvais état de santé et de sa participation active en tant que vice-président de l’UFC en Argovie, Suisse. Suite à la décision négative du TAF, l’épouse du requérant s’est suicidée le 30 avril 2009.

2.7Le 19 mai 2009, l’ODM a rejeté la demande de reconsidération du requérant. Le 3 juin 2009, le requérant a introduit un recours auprès du TAF à l’appui duquel il a déclaré avoir été hospitalisé en urgence au service cantonal psychiatrique de Soleure le 29 mai 2009 voulant se suicider par peur d’être renvoyé au Togo et d’y subir des tortures fatales. Il a déclaré qu’il avait demandé un rapport médical qui serait alors fourni aux autorités judiciaires. Dans le cadre de ce recours, le requérant a demandé au TAF d’ordonner une enquête effective et approfondie. Le requérant a également produit un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) sur la situation politique au Togo daté du 18 mai 2009. Le 10 juin 2009, le TAF a considéré que son recours était manifestement infondé. Comme le requérant n’avait pas les moyens pour avancer les frais, la procédure a été rayée du rôle.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant soumet que les autorités de l’État partie n’ont ni contesté qu’il a été torturé en 1999, ni qu’il était un membre actif dans le service de sécurité de l’UFC, ni qu’il s’est enfui au Ghana et au Bénin. Il soumet également que les attestations médicales affirment qu’il souffre d’un traumatisme grave depuis de longues années. Le requérant cite des rapports d’organisations telles qu’Amnesty International, le Haut Commissariat des Nations Unies aux Refugiés et l’OrganiOSAR) selon lesquels il doit s’attendre à être soumis à la torture à son retour. Même si la situation au Togo s’est améliorée avec l’intégration de quelques membres de l’UFC au parlement, la situation des membres de l’UFC qui ne sont pas au parlement et qui sont donc de simples membres de l’UFC continue d’être dangereuse, avec des arrestations secrètes, des menaces et de la torture. Le 27 avril 2009, l’armée a dispersé une manifestation pacifique de membres de l’UFC. Le requérant soumet également que le tribunal administratif de Braunschweig et le tribunal administratif de Niedersachen (Allemagne) ont considéré les 25 février 2009 et 22 juin 2009 respectivement qu’une personne ne pouvait pas être expulsée au Togo parce qu’il ne serait pas à exclure que le fugitif soit de nouveau poursuivi ou soumis à la torture. Ces tribunaux suggèrent d’observer le processus de démocratisation sur une période ultérieure afin de décider s’il n’y a plus de risque que des personnes expulsées vers le Togo soient poursuivies et soumises à la torture.

3.2Le requérant ajoute que le principe de non-refoulement exige, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, que lorsqu’une personne déclare de manière crédible avoir été victime d’un traitement qualifié d’inhumain, une enquête officielle effective et approfondie soit effectuée. En l’espèce, ni l’ODM ni le TAF n’ont procédé à une enquête approfondie et effective. Le TAF s’est basé sur des rapports d’Amnesty International et de l’OSAR de 2008 pour conclure à l’inexistence d’un risque alors que le requérant a produit un rapport ultérieur de l’OSAR du 18 mai 2009 attestant d’un risque pour les personnes étant dans la situation du requérant. L’État partie a donc violé l’esprit et le but de l’article 3 de la Convention. En outre, le TAF a simplement confirmé la décision de l’ODM sans procéder à son propre examen des pièces supplémentaires apportées au dossier. Enfin, la décision de l’ODM du 19 mai 2009 rejetant la demande de reconsidération et le jugement du TAF du 10 juin 2009 confirmant ladite décision démontrent qu’il n’y a pas eu d’enquête puisque les certificats médicaux attestaient des tortures subies et n’ont pas été considérées par ces deux instances comme suffisamment importantes pour aboutir à une reconsidération de la demande d’asile.

Observations de l’État partie sur l e fond

4.1Le 17 février 2010, l’État partie a soumis ses observations sur le fond. Il note que le requérant n’apporte pas de nouveaux éléments devant le Comité. Bien au contraire, le requérant conteste d’abord l’appréciation des faits par les autorités internes puis décrit, de manière générale, la situation des droits de l’homme au Togo et se base finalement sur sa propre appréciation des faits pour prétendre qu’il serait exposé à un risque réel, personnel et imminent d’être soumis à la torture en cas de renvoi au Togo.

4.2Rappelant l’énoncé de l’article 3, l’État partie insiste sur les critères établis par le Comité dans son Observation générale no 1 (1996), concernant l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, notamment les alinéas 6 et suivants sur la nécessité d’un risque personnel, actuel et sérieux d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers le pays d’origine.

4.3Selon l’État partie, la situation au Togo s’est considérablement améliorée depuis que le requérant a quitté le pays. En août 2006, les cinq principaux partis d’opposition ont paraphé un accord politique global avec le Rassemblement du peuple togolais (RPT, le parti au pouvoir) prévoyant la mise en place d’un gouvernement d’union nationale. Ces démarches ont abouti à la nomination d’un opposant historique au poste de premier ministre, à la mise en place d’un gouvernement incluant les partis d’opposition et à la constitution de la Commission électorale nationale indépendante dans laquelle l’Union des forces de changement (UFC), bien que restée dans l’opposition, était représentée. L’État partie ajoute qu’un accord tripartite entre le Togo, le Ghana et le Bénin a été conclu en avril 2006 sous l’égide du Haut Commissariat des Nations Unies aux Refugiés. Dans cet accord, le Gouvernement togolais s’est engagé à prendre toutes les mesures pour garantir un retour des réfugiés dans la dignité et la sécurité. En juin 2008, une partie des personnes qui avaient fui le Togo lors des élections présidentielles sont retournées dans leur patrie sans que des persécutions n’aient été rapportées. Il s’agit notamment de M. Gilchrist Olympio, président de l’UFC, qui est retourné au Togo après huit ans d’exil.

4.4L’État partie ajoute que des élections législatives se sont tenues le 14 octobre 2007 et que, selon plusieurs sources indépendantes, le scrutin s’est déroulé de manière globalement satisfaisante. L’État partie considère que cette évolution et l’amélioration de la situation des droits de l’homme dans le pays ont conduit le Commissaire européen au développement et à l’aide humanitaire à estimer que les conditions étaient remplies pour rétablir une coopération pleine et entière entre l’Union européenne et le Togo.

4.5En l’espèce, le requérant ne saurait tirer profit de l’évolution de la situation en matière de droits de l’homme au Togo. Même à supposer que son récit soit crédible, les simples faits qu’il ait été arrêté et détenu en 1999 et qu’il ait développé des activités politiques au sein de l’UFC ne constituent pas aujourd’hui un motif sérieux de penser qu’en cas de retour au Togo, il serait exposé à la torture. Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal administratif fédéral (TAF), dans son arrêt du 1er avril 2009, s’est basé sur différentes sources indépendantes. Que le Verwaltungsgericht Braunschweig (Allemagne) et l’Oberverwaltungsgericht (Allemagne) aient qualifié différemment la situation au Togo, tout en reconnaissant les progrès réalisés, s’explique essentiellement par l’application des critères du droit interne allemand en matière de révocation du statut de réfugiés et non pas par les exigences de l’article 3 de la Convention.

4.6Le requérant allègue qu’il aurait été torturé en 1999 à la suite de son arrestation. Or, comme l’ODM a relevé dans sa décision du 8 septembre 2006, il n’est pas indispensable de se prononcer sur ces allégations puisque, de toute façon, il n’y a pas de lien de causalité entre les actes de torture allégués et le départ du requérant vers la Suisse. A cela s’ajoute que les certificats et rapports médicaux soumis par le requérant, et établis au moins huit ans plus tard, ne font pas état des actes de tortures subis, mais se basent explicitement sur le récit du requérant.

4.7Le nouveau rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) relève que les membres non reconnus de l’UFC courent un certain risque d’être arrêtés, menacés ou torturés. Or, selon les dires du requérant lors de la procédure d’asile, celui-ci aurait bénéficié de la protection de la famille de M. H.O. Olympio. Il ne peut donc être considéré que le requérant est un membre ordinaire de l’UFC. Quant aux activités du requérant hors de son pays d’origine, il aurait participé à des manifestations de l’UFC en Suisse et aurait été le co-auteur d’un article sur ses activités. Il s’agit d’activités exercées par la plupart des togolais politiquement actifs en Suisse. Au vu des développements politiques observés dans le pays (voir supra par. 4.3 et 4.4) et l’allégation du requérant selon laquelle il serait un membre connu de l’UFC, les activités politiques du requérant en Suisse ne sauraient constituer un risque de torture d’autant plus que de nombreuses manifestations politiques ont lieu en Suisse, que beaucoup de compatriotes du requérant les fréquentent également et que des photographies ou des enregistrements vidéo montrant souvent un grand nombre, parfois des centaines de personnes sont rendus accessibles au public par les médias pertinents.

4.8Dans sa décision du 8 septembre 2006, l’ODM a considéré que le récit du requérant n’était manifestement pas vraisemblable. Il a retenu que les allégations du requérant allaient à l’encontre de l’expérience générale et manquaient de logique. Cela vaut en particulier pour son arrestation qui aurait eu lieu le 28 mars 2006. Le requérant s’était à l’époque caché à Agouegan puis était recherché par les forces de sécurité ainsi que par les jeunes membres du parti RTP. Selon ses dires il a craint pour sa vie. En dépit de telles craintes, il se serait régulièrement rendu à Lomé pour rendre visite à son épouse. De plus, le policier qui a contrôlé la voiture du requérant aurait immédiatement reconnu et arrêté ce dernier. Cette arrestation est liée, selon le requérant, à la perte en 2003 de son porte-monnaie, dans lequel il y avait un document donné par M. H.O. Olympio. Comme l’a relevé l’ODM, il est étonnant que plusieurs années plus tard le requérant ait été recherché si intensivement que le policier l’ait reconnu immédiatement. Un autre élément jetant un doute sur le récit du requérant réside dans les circonstances entourant sa libération en avril 2006. Le requérant, recherché pendant plusieurs années et soupçonné d’avoir attaqué un poste de gendarmerie à Lomé le 26 février 2006, prétend avoir été libéré par un soldat suite au versement par son beau-frère de pots-de-vin. Or les auteurs de cette attaque de la gendarmerie ont été arrêtés et jugés le 19 mai 2006. Les craintes exprimées par le requérant ne sont donc pas justifiées.

4.9En outre, le requérant a fait des déclarations contradictoires sur des points essentiels puisqu’au centre d’enregistrement il a déclaré avoir vécu au Bénin entre 1999 et 2002 et à Agouegan à partir du 1er avril 2004 jusqu’à son départ. Il aurait en outre reçu en 2002, une carte de visite de M. H.O. Olympio signée par ce dernier, qu’il aurait perdue en 2003. Or, devant l’autorité cantonale, il a déclaré avoir vécu à Lomé à partir de l’âge de six ans, s’être rendu occasionnellement à Agouegan et avoir fui à nouveau vers le Bénin après son retour en 2002 pour y passer six mois. Il a également d’abord précisé que M. H.O. Olympio lui aurait donné un permis pour déclarer ensuite qu’il aurait perdu son porte-monnaie contenant ce permis et la carte de visite susmentionnée.

4.10S’agissant des évènements entourant les élections de 2003 et la réunion organisée par l’UFC le 16 avril 2005, l’État partie constate que ces éléments apparemment cruciaux pour le requérant n’ont été avancés qu’à un stade avancé de la procédure. Ces incohérences et contradictions vont au-delà de ce que l’on pourrait raisonnablement expliquer par la situation dans laquelle se trouve une personne poursuivie. De plus, elles portent sur des points essentiels et le requérant ne les a pas expliquées de manière plausible. Il n’existe donc pas de motifs sérieux de croire que le requérant encourrait un risque d’être soumis à la torture en cas de retour au Togo.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 14 juin 2010, le requérant affirme que la répression à l’encontre des membres du parti UFC au Togo persiste. Selon Amnesty International à la veille du scrutin de l’élection présidentielle du 4 mars 2010, deux membres du parti d’opposition et une douzaine d’autres militants ont été arrêtés et inculpés d’atteinte à la sûreté de l’État. Le 8 mars 2010, le gouvernement a interdit des manifestations les jours ouvrables. Le 9 mars 2010, lors d’une marche de protestation contre les irrégularités de scrutin, des membres de l’UFC ont été interpellés. Un siège de l’UFC a été attaqué et des preuves matérielles de fraude ont été dérobées. A la suite des élections présidentielles, des manifestations ont continué d’être réprimées violemment. Le 14 avril 2010, environ 70 personnes ont été arrêtées, parmi lesquelles des représentants de l’UFC. La Fédération internationale des ligues de droits de l’homme (FIDH) a condamné les arrestations des militants politiques et appelé au respect des droits civils et politiques au Togo dans la période post-électorale. Le requérant a protesté personnellement le 10 avril 2010 devant le siège de l’ONU contre les irrégularités de l’élection présidentielle et les violences qui en ont découlées. Dans un article du 29 avril 2009 dans le journal « Le triangle des enjeux », il avait déjà accusé la gendarmerie d’avoir présenté des moyens de preuve falsifiés lors de l’arrestation du frère du Président M. Kpatcha Gnassingbé.

5.2Contrairement aux affirmations de l’État partie, la situation politique ne s’est pas améliorée et la répression contre les membres de l’UFC a augmenté autour de la tenue du scrutin présidentiel du 3 mars 2010. De plus, en faisant paraître un article dans « Le Triangle des enjeux » le 29 avril 2009, le requérant a démontré publiquement son attitude d’opposition contre le gouvernement actuel au Togo. Ces activités peuvent créer un risque pour le requérant en cas de retour dans son pays.

5.3S’agissant des incohérences alléguées par l’État partie, le requérant réfute l’affirmation selon laquelle il aurait été à Lomé pour se cacher. En revanche son épouse vivait à cette époque dans le village de Devego dans la banlieue de Lomé. Par ailleurs, bien que cela puisse être étonnant qu’un policier l’ait reconnu le 28 mars 2006, des années après les faits, cela n’en est pas moins véridique. S’agissant de l’attaque de la gendarmerie à Lomé le 26 février 2006, l’ODM a d’abord contesté ce fait puis n’a plus repris cet argument dans sa prise de position du 9 novembre 2006, ce qui prouve qu’il a accepté la véracité de cet évènement. Le fait que deux auteurs de cette attaque aient déjà été arrêtés et jugés prouve que s’il était également arrêté, le requérant subirait le même sort. Par ailleurs, il n’y a plus aucune contradiction concernant le domicile du requérant au Togo. L’ODM a reconnu dans la décision du 8 septembre 2010 qu’il s’était caché à Agouegan. Au centre d’enregistrement, le requérant avait été interrogé sur son dernier domicile d’où la contradiction avec son domicile officiel situé à Lomé.

5.4Le requérant réfute l’affirmation selon laquelle il n’aurait mentionné les problèmes auxquels il a été confronté en 2003 qu’à un stade ultérieur de la procédure puisqu’il avait déjà mentionné la dénonciation contre une personne voulant voter deux fois en 2003 lors de sa première audition au centre d’enregistrement. Il avait alors aussi mentionné les évènements autour de la réunion du 16 avril 2005.

5.5Le requérant en conclut que les déclarations et moyens de preuves soumis font apparaître qu’en cas de retour au Togo il serait soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit s’assurer qu’elle est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a du paragraphe 5 de l’article 22, que la même question n’a pas été examinée, ni n’est en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2 Le Comité relève en outre que les recours internes ont été épuisés au titre de l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22, ce que l’État partie n’a pas contesté. Le Comité déclare donc la requête recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer si, en expulsant le requérant vers le Togo, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

7.3Concernant les allégations du requérant au titre de l’article 3, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État de renvoi d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture au Togo. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’ils risqueraient d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque.

7.4 Le Comité rappelle son Observation générale n° 1, dans laquelle il considère qu’il n'est pas nécessaire de montrer que le risque encouru est hautement probable, mais ce risque doit être encouru personnellement et actuellement. A cet égard, le Comité a établi dans des décisions antérieures que le risque de torture devait être « prévisible, réel et personnel.En ce qui concerne le fardeau de la preuve, le Comité rappelle qu’il incombe généralement au requérant de présenter des arguments défendables et que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

7.5 En évaluant le risque de torture dans le cas à l'examen, le Comité note l’argument du requérant selon lequel il est un membre actif de l’UFC ; que son rôle consistait à protéger les membres du parti, distribuer des tracts et faire des déclarations ; qu’il aurait été arrêté pour la première fois en 1999 pour avoir transmis à des amis en Allemagne des informations sur la situation politique au Togo; qu’il aurait été torturé et détenu dans des conditions inhumaines pendant deux mois, puis libéré ; que suite à des affrontements le 18 juillet 1999 il aurait fui au Ghana pour échapper à son arrestation ; qu’il serait retourné au Togo en 2002 suite à sa mise en contact avec le ministre M. H.O. Olympio, qui lui aurait remis un permis et sa carte de visite. Le Comité note l’allégation du requérant selon laquelle lors des élections présidentielles en 2003, il aurait dénoncé des méthodes de scrutin frauduleuses ; que suite à des menaces de mort il se serait enfui au Bénin ; qu’il serait retourné au Togo en janvier 2004 ; que le 28 mars 2006, il aurait été arrêté par des gendarmes et transféré au camp de Zébé où il aurait été battu et aurait reçu des menaces de mort, accusé d’avoir participé à l’attaque de la gendarmerie de Lomé le 26 février 2006 ; que le 19 avril 2006 il aurait réussi à s’échapper grâce aux pots-de-vin versés par son beau-frère à un des gardes ; qu’il se serait alors enfui au Ghana, d’où il serait parti pour la Suisse via l’Italie. Le Comité note l’argument du requérant selon lequel la situation au Togo ne s’est pas améliorée pour les simples membres de l’UFC et que ceux-ci courent le risque d’être emprisonnés et torturés, tel que confirmé par le rapport de l’OSAR du 18 mai 2009 ; que ce rapport établit en outre que ceux qui ont fui le Togo pour le Bénin et le Ghana sont observés avec plus de défiance. Il note enfin l’allégation selon laquelle les autorités suisses n’auraient pas rempli leur obligation de mener une enquête officielle effective et approfondie exigée lorsqu’une personne déclare de manière crédible avoir été victime d’un traitement contraire à l’article 1 de la Convention tel qu’attesté par les rapports médicaux fournis et notamment celui du service psychiatrique de Soleure daté du 29 mai 2009.

7.6 Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’a pas soumis d’éléments nouveaux devant le Comité et qu’il s’est contenté de contester l’appréciation des faits opérée par les autorités internes. Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel la situation au Togo s’est considérablement améliorée depuis que le requérant a quitté le pays ; que l’UFC bien que dans l’opposition, est représenté au parlement ; et qu’une partie des personnes qui avaient fui le Togo sont retournées dans leur patrie sans que des persécutions n’aient été rapportées. Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel, à supposer que son témoignage soit crédible, cela ne signifie pas que ce seul fait soit un motif sérieux de penser qu’en cas de retour au Togo, le requérant serait exposé à la torture ; qu’il n’y a pas de lien de causalité entre l’arrestation du requérant en 1999 et son départ du Togo pour la Suisse ; que les rapports médicaux établis huit ans après les faits allégués ne font pas état des tortures subies mais se basent explicitement sur le récit du requérant ; que le rapport de l’OSAR qui établit un risque de torture pour les membres de l’UFC mentionne les membres non reconnus alors que selon le requérant il aurait fait partie intégrante de l’UFC et aurait même bénéficié de la protection de M. H.O. Olympio ; qu’il ne peut donc être considéré comme un membre ordinaire de l’UFC. Le Comité constate que l’État partie remet en cause la crédibilité du requérant, qui aurait transmis des informations incohérentes et contradictoires notamment sur son lieu de domicile ; son arrestation le 28 mars 2006 et sa libération du camp de Zébé. Le Comité note enfin que selon l’État partie, les activités politiques menées par le requérant en Suisse sont des activités communes à un grand nombre de ressortissants togolais en Suisse et qu’elles ne sauraient constituer un risque supplémentaire pour le requérant en cas de renvoi.

7.7 Ayant tenu compte des arguments présentés par les parties, le Comité considère que le requérant a soumis suffisamment d’éléments pour suggérer qu’il encourrait un risque de traitement contraire à l’article 1 de la Convention s’il était renvoyé au Togo. Pour aboutir à une telle conclusion, le Comité se base tout d’abord sur l’allégation du requérant, corroborée par le rapport de l’OSAR du 18 mai 2009 selon laquelle les opposants de l’UFC avec un moindre profil politique peuvent encore être l’objet de représailles de la part du gouvernement et que ceux qui ont fui le Togo pour le Bénin et le Ghana, tel que le requérant, sont observés avec plus de défiance. Dès lors, que le requérant soit une figure notoire de l’UFC ou qu’il soit un simple opposant, le risque de torture demeure, l’UFC continuant d’être le principal parti d’opposition au pouvoir au Togo. Les autorités suisses n’ont d’ailleurs pas contesté le fait que le requérant ait été un membre actif de l’UFC au Togo et en Suisse. Or, les violations graves des droits de l’homme commises pendant et après les élections présidentielles du 24 avril 2005 semblent n’avoir toujours pas fait l’objet d’enquête judiciaire, créant ainsi un climat d’impunité et un terrain favorable à la répétition de telles violations. Le Comité note en outre qu’à ce jour et en dépit de ses recommandations vis-à-vis du Togo, ce dernier n’a toujours pas adopté de disposition pénale qui définisse et criminalise explicitement la torture, favorisant ainsi l’impunité à l’égard de telles pratiques.

7.8S’agissant des attestations et rapports médicaux soumis à l’appui de la demande d’asile du requérant, les trois attestations médicales datées des 25 juillet 2007, 7 mars 2008 et 29 avril 2009 confirment un état de santé psychique précaire lié aux expériences passées du requérant. Quant au rapport médical du service psychiatrique de Soleure daté du 18 mai 2009, le Comité note qu’il mentionne le terrorisme ou la torture comme une possible cause du désordre post-traumatique diagnostiqué chez le requérant. Le Comité considère que de tels éléments auraient dû susciter une attention particulière de l’État partie et constituer une base suffisante à la conduite d’une enquête plus approfondie sur les risques allégués. Or, le Tribunal Administratif Fédéral s’est limité à les rejeter au motif qu’ils n’étaient pas de nature à remettre en cause l’appréciation faite dans les décisions antérieures. En procédant de la sorte sans considérer ces éléments, bien que survenus à un stade ultérieur de la procédure, les autorités de l’État partie ont failli à leur obligation de s’assurer que le requérant ne courait pas un risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi au Togo.

7.9Compte tenu de l’ensemble des informations qui lui ont été communiquées et de l’absence d’enquête approfondie par l’État partie démontrant le contraire, le Comité estime que le requérant a apporté suffisamment d’éléments de preuve pour montrer qu’il court personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture s’il était expulsé vers son pays d’origine.

8. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants, en conclut que l’expulsion du requérant vers le Togo constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

9.Conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité souhaite recevoir, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures que l’État aura prises pour donner suite aux présentes constatations.

[Adopté en français (version originale), en anglais, en espagnol et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]