Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/BIH/CO/122 novembre 2006

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑huitième sessionGenève, 16 octobre‑3 novembre 2006

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

Bosnie ‑Herzégovine

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le rapport initial de la Bosnie‑Herzégovine (CCPR/C/BIH/1) à ses 2402e à 2404e séances (CCPR/C/SR.2402 à 2404), les 18 et 19 octobre 2006, et a adopté les observations finales ci‑après à sa 2419e séance (CCPR/C/SR.2419 ), le 1er novembre 2006.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de l’État partie, bien qu’il ait été soumis tardivement ainsi que les réponses écrites qui lui ont été fournies à l’avance par la délégation. Il remercie cette dernière des réponses détaillées qu’elle a apportées aux questions orales et écrites du Comité ainsi que des renseignements qu’elle lui a communiqués sur l’établissement du rapport.

3.Le Comité regrette l’absence de représentants des entités dans la délégation de l’État partie.

B. Aspects positifs

4.Le Comité note que les dispositions du Pacte ont rang constitutionnel et peuvent être directement appliquées par les tribunaux de l’État partie.

5.Le Comité se félicite de l’adoption, en mars 2006, d’une loi sur les amendements à la loi sur le Médiateur des droits de l’homme de Bosnie‑Herzégovine, qui établit une institution de médiation unique et indépendante au niveau de l’État.

6.Le Comité note avec satisfaction l’établissement de l’Agence nationale pour l’égalité des sexes et des centres des entités pour l’égalité entre hommes et femmes, investis du pouvoir d’enquêter sur les cas individuels de violations présumées de la loi sur l’égalité entre hommes et femmes.

7.Le Comité accueille avec satisfaction la réforme du droit pénal et du système judiciaire de l’État partie, en particulier:

a)L’adoption de la loi sur la protection contre la violence familiale, qui prévoit une série de mesures de protection, et le fait que la violence familiale et la traite des personnes ont été érigées en infractions distinctes dans les codes pénaux de l’État et des entités;

b)L’adoption dans l’État et les entités de lois sur la protection des témoins;

c)L’établissement, à la Cour de Bosnie‑Herzégovine, d’une Chambre des crimes de guerre ayant compétence pour connaître des affaires qui lui sont renvoyées par le Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie et la création, au Ministère de la sécurité, de l’Agence nationale d’enquête et de protection qui permettra de renforcer la coopération entre la police et ceux qui poursuivent les auteurs de crimes de guerre.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

8.Le Comité est préoccupé par le fait qu’à la suite du rejet de l’amendement pertinent à la Constitution le 26 avril 2006, la Constitution et la loi électorale de l’État continuent à exclure l’élection des «autres», c’est‑à‑dire des personnes qui n’appartiennent pas à l’un des «peuples constitutifs» de l’État partie (Bosniaques, Croates et Serbes), à la Chambre des peuples ou à la Présidence tripartite de Bosnie-Herzégovine (art. 2, 25 et 26).

L’État partie devrait rouvrir les discussions sur la réforme constitutionnelle de manière transparente et sur une base largement participative, en incluant toutes les parties prenantes, en vue d’adopter un système électoral qui garantisse à tous les citoyens, quelle que soit leur origine ethnique, l’égalité de jouissance des droits prévus à l’article 25 du Pacte.

9.Le Comité est préoccupé par le fait que le Pacte n’a pas été traduit dans les langues officielles de Bosnie‑Herzégovine et que les juges, les procureurs et les avocats ne sont pas pleinement conscients de ce que les dispositions du Pacte sont directement applicables (art. 2).

L’État partie devrait faire largement connaître les dispositions du Pacte, notamment en le traduisant dans les langues officielles de Bosnie ‑Herzégovine et en améliorant la formation dispensée aux juges, aux procureurs et aux avocats en matière d’application du Pacte.

10.Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas adopté une loi appropriée sur la création d’une commission pour la vérité et la réconciliation ni pris d’autres initiatives visant à promouvoir la réconciliation (art. 2).

L’État partie devrait intensifier ses efforts pour adopter une approche systématique permettant de rétablir la confiance entre les différents groupes ethniques et de tirer au clair les violations des droits de l’homme commises dans le passé.

11.Le Comité note avec préoccupation que malgré l’introduction de quotas dans la loi électorale de Bosnie‑Herzégovine, en vertu de laquelle les partis politiques sont tenus de désigner au moins 30 % de femmes parmi leurs candidats, les femmes sont encore sous‑représentées à tous les échelons des organes législatifs et exécutifs (art. 3 et 25 c)).

L’État partie devrait modifier le système de quotas prévu dans la loi électorale afin de le rendre compatible avec les dispositions de la loi sur l’égalité entre hommes et femmes et prendre des mesures spéciales autres que l’instauration de quotas obligatoires en vue d’améliorer la représentation des femmes dans tous les organes législatifs et exécutifs.

12.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état d’insuffisances dans la mise en œuvre des lois de l’État et des entités sur la protection contre la violence familiale, d’une sous‑déclaration des actes de violence, de la faiblesse des peines prononcées contre les auteurs et du caractère inadéquat de l’assistance fournie aux victimes d’actes de violence familiale dans les deux entités (art. 3 et 7).

L’État partie devrait veiller à l’application effective de la législation contre la violence familiale, intensifier la formation dispensée dans ce domaine aux juges, aux procureurs et aux agents de la force publique ainsi qu’au personnel des hôpitaux et aux autres personnes qui travaillent avec des victimes de violence familiale et de maltraitance à enfants, mettre en place des procédures uniformes pour la collecte de preuves médicales en cas d’actes de violence familiale, améliorer les programmes d’aide aux victimes et renforcer l’accès des victimes à des voies de recours utiles.

13.Le Comité exprime sa préoccupation devant le fait que les tribunaux de district et de canton chargés des crimes de guerre ne reçoivent pas un financement suffisant et que la législation pour la protection des témoins n’est pas correctement mise en œuvre au niveau des entités (art. 6, 7 et 14).

L’État partie devrait allouer des ressources financières et humaines suffisantes aux tribunaux de district et de canton chargés de juger les crimes de guerre et veiller à l’application effective des lois de l’État et des entités sur la protection des témoins.

14.Le Comité note avec préoccupation qu’on ne sait toujours pas ce qu’il est advenu des quelque 15 000 personnes qui ont été portées disparues pendant le conflit armé (1992‑1995). Il rappelle à l’État partie que les familles des disparus ont le droit d’être informées du sort de leurs proches, et que le fait de ne pas rechercher la cause et les circonstances de leur décès et de ne pas donner d’informations sur le lieu où ils sont ensevelis accroît l’incertitude et par conséquent la souffrance infligée aux familles et peut constituer une violation de l’article 7 du Pacte (art. 2 (par. 3), 6 et 7).

L’État partie devrait prendre des mesures immédiates et efficaces pour enquêter sur tous les cas de personnes disparues qui n’ont pas été élucidés et faire en sorte sans délai que l’Institut des personnes disparues devienne pleinement opérationnel conformément à la décision de la Cour constitutionnelle du 13 août 2005. Il devrait veiller à ce que la base de données centrale sur les personnes disparues soit finalisée et exacte, que le Fonds d’aide aux familles de personnes disparues soit approvisionné et que les versements aux familles soient entrepris dès que possible.

15.Le Comité note avec préoccupation qu’en vertu de la loi fédérale sur les fondements de la protection sociale, de la protection des victimes civiles de la guerre et de la protection des familles avec enfants, les victimes de la torture, à l’exception des victimes de viol et de violences sexuelles, doivent prouver une atteinte physique d’au moins 60 % pour être reconnues comme victimes civiles de la guerre, et que ce critère risque d’empêcher celles qui ont subi des tortures psychologiques de percevoir des pensions d’invalidité. Le Comité s’inquiète en outre du fait que dans les deux entités le montant des pensions d’invalidité versées aux victimes civiles de la guerre est nettement inférieur à celui des pensions versées aux anciens combattants (art. 2, 7 et 26).

L’État partie devrait veiller à ce que les victimes de torture psychologique soient reconnues comme des victimes de guerre dans les deux entités et à ce que les prestations d’invalidité versées aux victimes civiles de la guerre soient harmonisées entre les entités et les cantons et alignées sur celles versées aux anciens combattants. L’État partie devrait inclure dans son prochain rapport périodique des données statistiques à jour sur le nombre de victimes de torture psychologique ou de violences sexuelles percevant des prestations d’invalidité, désagrégées par sexe, âge, groupe ethnique et lieu de résidence, et sur le montant de ces prestations.

16.Le Comité s’inquiète du nombre de cas de traite de personnes, en particulier de femmes et d’enfants issus des minorités ethniques, à des fins de prostitution ou de travail forcé tel que la mendicité organisée dans les rues, et de la légèreté des peines prononcées à l’encontre des auteurs de tels actes. Il s’inquiète en outre de l’insuffisance des crédits budgétaires alloués au programme de lutte contre la traite et du fait que ce type de programme dépend pour beaucoup des donateurs internationaux (art. 8).

L’État partie devrait veiller à ce que les auteurs d’actes de traite de personnes soient effectivement poursuivis, à ce que les juges, les procureurs et les agents de la force publique bénéficient d’une formation intensifiée en matière d’application des normes contre la traite et la corruption, à ce que des fonds suffisants soient prélevés sur le budget de l’État et alloués aux programmes d’aide aux victimes et de protection des témoins, et à ce que des mesures efficaces soient prises pour combattre l’exploitation des enfants, en particulier des enfants roms ou issus d’autres minorités ethniques, à des fins de mendicité ou autre travail forcé.

17.Tout en se félicitant de l’existence de garanties légales solides contre la détention arbitraire et les mauvais traitements possibles, le Comité est préoccupé par le fait que la garde à vue peut durer 72 heures et les informations donnant à penser que les détenus ne sont pas toujours informés de leurs droits, y compris celui d’être représentés en justice, au moment où le procureur comme le juge autorisent le placement en détention provisoire, et par l’accès limité aux demandes de placement en détention émanant du procureur (art. 7 et 9).

L’État partie devrait veiller à ce que tout le personnel chargé de l’administration de la justice assure aux personnes privées de liberté le plein exercice de leurs droits et la pleine égalité des armes.

18.Le Comité note avec préoccupation qu’en vertu de l’article 132 d) du Code de procédure pénale de Bosnie‑Herzégovine les personnes soupçonnées d’infractions pénales peuvent être placées en détention avant jugement si l’infraction présumée est passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à 10 ans, et ce au simple motif que le juge estime qu’une telle détention est nécessaire pour préserver la sécurité publique ou la sécurité des biens (art. 9).

L’État partie devrait envisager de supprimer du Code de procédure pénale de Bosnie ‑Herzégovine la notion mal définie de sécurité publique ou de sécurité des biens comme motif pouvant justifier le placement en détention avant jugement.

19.Le Comité juge préoccupantes les mauvaises conditions de détention dans les locaux de police et les prisons des entités, qui sont fréquemment surpeuplés, en sous‑effectifs et mal équipés, et qui n’offrent pas de possibilités convenables d’avoir des activités en dehors des cellules et de faire de l’exercice. Il juge également préoccupantes les mauvaises conditions de vie et d’hygiène, le manque de personnel qualifié et le traitement inadéquat, essentiellement médicamenteux, des patients souffrant de troubles mentaux et des détenus, en particulier à l’annexe de psychiatrie légale de la prison de Zenica de même qu’à l’hôpital psychiatrique de Sokolac (art. 7 et 10).

L’État partie devrait améliorer les conditions de vie et d’hygiène dans les centres de détention, les prisons et les établissements de santé mentale des deux entités et faire en sorte qu’ils soient dotés d’effectifs suffisants, et veiller également à ce que les détenus aient la possibilité de faire régulièrement de l’exercice et d’avoir des activités en dehors de leur cellule et à ce que les patients souffrant de troubles mentaux reçoivent un traitement approprié. Il devrait faire transférer tous les patients de l’annexe de psychiatrie légale de la prison de Zenica et, à cette fin, veiller à ce que l’hôpital psychiatrique de Sokolac soit conforme aux normes internationales.

20. Le Comité note avec préoccupation que, malgré la restitution de logements à leurs propriétaires d’avant le conflit armé et l’allocation de fonds importants à la reconstruction de logements démolis, de nombreux réfugiés et déplacés ne sont pas encore retournés sur les lieux où ils résidaient avant le conflit armé (art. 12) ou, après y être retournés, en sont repartis (art. 12).

L’État partie devrait intensifier ses efforts pour créer les conditions d’un retour durable, c’est ‑à ‑dire combattre la discrimination contre les rapatriés appartenant à des minorités, assurer leur réintégration sociale et leur accès à l’emploi, à l’éducation et aux services sociaux et publics tels que l’eau et l’électricité dans des conditions d’égalité, et continuer à déminer les zones où se trouve une population importante de rapatriés.

21.Le Comité est préoccupé par les mauvaises conditions de vie dans les centres collectifs qui hébergent quelque 7 000 déplacés, dont beaucoup appartiennent à des minorités ethniques ou à d’autres groupes vulnérables (art. 17 et 26).

L’État partie devrait supprimer progressivement les centres collectifs pour déplacés et fournir un logement de remplacement adéquat aux personnes qui y résident.

22.Le Comité est préoccupé par le fait que fréquemment les établissements de santé ne délivrent pas de certificat de naissance aux enfants roms dont les parents n’ont pas d’assurance maladie ou d’autre moyen de payer les frais hospitaliers, alors que ce document est nécessaire pour enregistrer l’enfant auprès des autorités publiques et lui permettre d’exercer des droits essentiels tels que l’accès à l’assurance maladie et à l’éducation (art. 16 et 24 (par. 2)).

L’État partie devrait lever les obstacles administratifs et supprimer les frais qui empêchent les Roms de se voir délivrer des documents tels que les certificats de naissance qui leur sont nécessaires pour bénéficier de l’assurance maladie, de la sécurité sociale et de l’éducation et exercer d’autres droits essentiels.

23.Le Comité note avec préoccupation que l’État partie a l’intention de réinstaller de force les habitants de l’établissement rom de Butmir, prétendument parce que cette zone est dépourvue des infrastructures nécessaires pour empêcher la pollution du système d’approvisionnement en eau, alors qu’aucun plan de ce type n’est prévu pour les familles non roms qui vivent à côté. Il note en outre avec préoccupation que le plan de réinstallation ne contiendrait aucun détail concernant les voies de recours et l’indemnisation dont pourraient bénéficier les familles roms concernées (art. 2, 17 et 26).

L’État partie devrait reconsidérer le plan de réinstallation des Roms de Butmir, en tenant compte des droits de résidence des habitants de cet établissement, qui existe depuis 40 ans, ainsi que des autres solutions qui permettraient d’empêcher la pollution du système d’approvisionnement en eau. Il est rappelé à l’État partie que toute réinstallation doit se dérouler de manière non discriminatoire et être conforme aux normes internationales relatives aux droits de l’homme, y compris aux droits des intéressés de bénéficier d’un recours utile, d’une indemnisation et d’une autre possibilité de logement adéquat.

24.Le Comité juge préoccupantes les informations faisant état d’actes de discrimination et de violence à l’encontre des Roms et note l’absence, dans le rapport de l’État partie, d’informations concernant les possibilités qu’ont les Roms de recevoir un enseignement dans, et de, leur langue ainsi que de leur culture (art. 26 et 27).

L’État partie devrait entreprendre avec détermination des programmes d’information du public visant à combattre les préjugés contre les Roms dans la société. Il devrait également faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements détaillés sur les mesures mises en œuvre pour donner effet aux droits linguistiques et éducatifs des Roms, qui sont protégés par la loi sur la protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales, sur l’efficacité de ces mesures et sur le nombre d’enfants roms qui reçoivent un enseignement dans, ou de, leur langue ainsi que de leur culture, ainsi que des données désagrégées par sexe, âge et lieu de résidence et des informations concernant le nombre d’heures d’enseignement par semaine.

25.Le Comité est préoccupé par des informations faisant état de l’utilisation à des fins de provocation de symboles nationaux et religieux, ce qui a un effet discriminatoire sur les membres de certains groupes ethniques et par les insuffisances dans l’application de la décision de la Cour constitutionnelle du 31 mars 2006 concernant l’utilisation de drapeaux, d’armoiries et d’hymnes au niveau de l’entité.

L’État partie devrait prendre des mesures efficaces pour éliminer ces pratiques discriminatoires et appliquer la décision de la Cour constitutionnelle du 31 mars 2006 concernant l’utilisation de drapeaux, d’armoiries et d’hymnes.

26.Le Comité fixe au 1er novembre 2010 la date de soumission du deuxième rapport périodique de la Bosnie‑Herzégovine. Il demande que le rapport initial de l’État partie et les présentes observations finales soient rendus publics et largement diffusés dans les langues officielles de l’État partie, auprès du grand public ainsi qu’auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives. Il demande également que le deuxième rapport périodique soit porté à la connaissance de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays.

27.Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait adresser, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations du Comité figurant aux paragraphes 8, 14, 19 et 23 ci-dessus. Le Comité prie l’État partie de communiquer, dans son prochain rapport périodique, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux autres recommandations et sur l’application du Pacte dans son ensemble.

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