Nations Unies

CAT/C/64/D/783/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

1er octobre 2018

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication n o  783/2016*, **

Communication présentée par :

H. R. E. S. (représenté par des conseils, Angela Stettler et Urs Ebnöther)

Victime(s) présumée ( s ):

L’auteur

État partie :

Suisse

Date de la requête :

15 novembre 2016 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

9 août 2018

Objet :

Expulsion vers la République islamique d’Iran

Question ( s ) de procédure :

Défaut de fondement des griefs

Question ( s ) de fond :

Risque de torture, de traitement inhumain ou dégradant ou d’être tué en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non-refoulement)

Article(s) de la Convention :

3

1.1L’auteur de la communication est H. R. E. S., de nationalité iranienne, né en 1978. Il a présenté une demande d’asile en Suisse, mais celle-ci a été rejetée. Il affirme qu’en le renvoyant de force en République islamique d’Iran, où il craint d’être torturé, soumis à un traitement inhumain ou dégradant ou tué en raison de son homosexualité et de son athéisme, la Suisse violerait l’article 3 de la Convention. Le requérant est représenté par des conseils.

1.2Dans sa communication, le requérant a demandé que des mesures provisoires soient prises pour empêcher son renvoi. Le 18 novembre 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas renvoyer le requérant en République islamique d’Iran tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un citoyen iranien. Il explique qu’il a manifesté des signes de « non‑conformité aux rôles dévolus à chaque sexe » dès l’âge de 5 ou 6 ans. Il dit que, enfant, il s’habillait en fille et souhaitait avoir un corps de fille. Lorsqu’il avait 13 ans, son père l’a surpris habillé en fille et l’a roué de coups. Le requérant déclare que, à l’âge de 15 ans, il a eu des relations sexuelles avec des garçons de sa classe, et plus tard avec des hommes plus âgés.

2.2En 1997, le requérant, âgé de 19 ans, a été envoyé, sur décision de son père et contre son gré, dans un camp militaire pour accomplir son service obligatoire. Il allègue y avoir été violé à plusieurs reprises par des sergents. Il affirme être devenu l’esclave sexuel de l’un d’eux, qui le violait régulièrement après l’avoir surpris avec un autre homme. Il dit avoir profité d’une permission de sortie pour quitter définitivement le camp militaire. Il allègue avoir vécu pendant six mois dans la rue et y avoir été maltraité et violé par des hommes plus âgés. Il avait alors des pensées suicidaires.

2.3Plus tard, le requérant a tenté de prendre un avion pour le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, mais a été intercepté dans sa fuite. Faute d’autre choix, il est rentré dans sa famille. Il a fait une tentative de suicide qui a nécessité son hospitalisation. Son père l’a ensuite dénoncé à la police pour désertion. Le requérant ajoute qu’un tribunal militaire l’a condamné à un mois de prison et lui a enjoint de terminer son service militaire. Il affirme aussi qu’il a été victime de viol en réunion pendant son incarcération.

2.4Après avoir purgé sa peine, le requérant a été renvoyé dans le même camp militaire, où il a de nouveau subi les violences de deux sergents. Il a demandé une permission pour rendre visite à son frère et n’est pas rentré au camp. Il dit avoir connu de nouveau la rue, puis la prison après avoir été pris en flagrant délit de vol.

2.5À sa sortie de prison, le requérant a trouvé refuge chez son oncle, dans le nord du pays. Il a décidé de « purifier son âme » par le jeûne et l’abstinence sexuelle. Au bout de deux ans, en 2002, il est retourné dans sa famille. Ses parents l’ont persuadé de prendre épouse. Le requérant affirme s’être marié en 2001 et avoir divorcé en 2003.

2.6Le requérant dit que sa famille et sa fiancée l’ont forcé à réintégrer l’armée. Il allègue avoir été menacé au moyen d’une arme à feu par un commandant du camp militaire dont il avait découvert les malversations. Il affirme avoir ensuite été arrêté et placé en détention pendant trois mois.

2.7Le requérant a ensuite tenté plusieurs fois de fuir le pays, en vain. Pendant cette période, il a continué à avoir des relations homosexuelles. Entre 2004 et 2009, il a donné des cours particuliers d’anglais et a traduit des thèses du persan vers l’anglais. Grâce à ces revenus réguliers, il a pu louer un bureau à Sari et créer un club de conversation, où de jeunes étudiants pouvaient débattre de questions d’actualité en anglais. Il souhaitait partager ses idées sur la laïcité de l’État et ses réflexions sur la religion, tout en constituant un groupe de militants désireux de faire évoluer la société iranienne traditionnelle. Le requérant n’a exercé ces activités que pendant quelques mois, car il était difficile et également dangereux d’attirer de nouveaux membres, le groupe craignant des mesures répressives de la part des autorités iraniennes.

2.8Vers 2009, le requérant a déménagé avec sa mère à Karaj. De 2010 à 2014, il y a étudié pour devenir interprète. Il allègue avoir rejeté l’islam dès l’âge de 15 ans. Il a ensuite été conforté dans son opposition à la loi islamique traditionnelle par la condamnation à mort de son frère, en 1999, et l’exécution ultérieure de celui-ci.

2.9Le requérant affirme que, en mars 2015, il a eu des relations sexuelles avec l’un de ses élèves, un mineur âgé de 14 ans. Lorsque la famille de l’élève l’a su, l’un de ses membres s’est rendu au domicile du requérant, mais celui-ci était absent. Très anxieux, craignant que la famille de son élève ne l’accuse de viol, le requérant s’est caché pendant un temps, avant de fuir pour l’Europe. Il allègue être arrivé en Suisse le 20 août 2015, après avoir transité par plusieurs pays européens. Il a présenté une demande d’asile en Suisse le même jour. Depuis lors, il a fréquenté des clubs pour homosexuels et entamé une relation avec un homme rencontré au centre pour réfugiés.

2.10Une fois en Suisse, le requérant a pris contact avec Queer Amnesty (une division d’Amnesty International) et a demandé qu’un représentant de l’organisation lui rende visite en détention. Il joint une lettre de Queer Amnesty qui rend compte de sa volonté, s’il est renvoyé en République islamique d’Iran, de lutter contre le fanatisme islamique et de mobiliser le plus grand nombre de personnes possible en faveur de la liberté de religion.

2.11Les 24 août et 12 octobre 2015, le requérant a été interrogé par le Secrétariat d’État aux migrations. Le 4 novembre 2015, celui-ci a rejeté sa demande d’asile , au motif que les viols dont il aurait été victime pendant son service militaire en 1997 et 1998 ne pouvaient pas être pris en considération puisqu’il n’avait quitté la République islamique d’Iran qu’en 2015. Le Secrétariat d’État aux migrations estimait peu probable que le requérant ait eu des problèmes avec les autorités iraniennes et qu’il n’y avait aucune raison de penser que celles-ci connaissaient ou apprendraient son orientation sexuelle, le requérant ayant affirmé qu’il n’avait pas eu de relations homosexuelles depuis qu’il avait fini ses études et qu’il avait en partie renoncé à une vie intime. Les autorités suisses ont considéré qu’il n’y avait pas, à l’heure actuelle, de persécution collective des homosexuels en République islamique d’Iran. Le Secrétariat d’État aux migrations a aussi affirmé que les autorités iraniennes ne savaient pas que le requérant était athée et qu’il n’y avait aucune raison qu’elles le découvrent puisque le requérant n’était pas un militant actif dans l’espace public. Enfin, le Secrétariat d’État aux migrations a fait valoir que lors d’aucun des entretiens le requérant n’avait dit avoir souffert de troubles psychologiques ou d’autres problèmes de santé.

2.12Le 15 novembre 2015, le requérant a formé un recours contre la décision du Secrétariat d’État aux migrations devant le Tribunal administratif fédéral. Dans sa décision, datée du 17 décembre 2015, le tribunal a confirmé les conclusions du Secrétariat d’État aux migrations. Il a lui aussi estimé que le requérant n’avait pas de problèmes avec les autorités iraniennes avant son départ et que son abstinence était volontaire.

2.13Le requérant ajoute qu’il a été suivi par un psychiatre du 10 décembre 2015 à mai 2016 et il joint deux rapports médicaux et une lettre de Queer International corroborant ses déclarations. Il indique qu’il a été hospitalisé pendant une semaine dans un centre psychiatrique à Zurich pour troubles psychiatriques. Selon ses dires, une profonde dépression et un grave trouble de stress post-traumatique, ainsi que de sérieux troubles du comportement et de l’identité affective et sexuelle, ont été diagnostiqués. Il a dû suivre un traitement médicamenteux contre ses tendances suicidaires. Son état de santé mentale l’obligeait à poursuivre sa psychothérapie pour une période indéfinie.

2.14Le 31 décembre 2015, le Secrétariat d’État aux migrations a ordonné au requérant de quitter la Suisse avant le 9 janvier 2016. Les 22 avril et 28 juin 2016, les autorités suisses ont tenté de renvoyer le requérant en République islamique d’Iran par avion, mais celui-ci ne s’est pas présenté à l’aéroport et les vols ont donc été annulés. Le requérant affirme que sa requête n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant soutient que la Suisse manquerait aux obligations que lui impose l’article 3 de la Convention si elle l’expulsait vers la République islamique d’Iran, où il craint d’être torturé, soumis à un traitement inhumain ou dégradant ou tué en raison de son homosexualité et de son athéisme.

3.2Le requérant dit qu’il est homosexuel depuis qu’il est très jeune. Il affirme que, lors de l’entretien concernant sa demande d’asile, les autorités de l’État partie ne l’ont jamais interrogé sur son orientation sexuelle et n’ont jamais mis en doute ses déclarations concernant son homosexualité. Il considère qu’elles n’ont pas bien évalué les risques de maltraitance auxquels il pourrait être exposé en cas d’expulsion. Le requérant déclare que, contrairement à ce qu’affirme le Secrétariat d’État aux migrations, c’est uniquement par peur d’être persécuté qu’il a dû cacher son orientation sexuelle pendant sa scolarité. Il soutient en conséquence que c’est à tort que les autorités ont considéré son abstinence comme volontaire alors qu’elle lui avait été imposée. À cet égard, il mentionne une décision de la Cour de justice de l’Union européenne datée de 2013, selon laquelle il n’est pas permis de s’attendre à ce que, pour éviter d’être persécuté, un demandeur d’asile dissimule son homosexualité dans son pays d’origine, car cela serait contraire à la reconnaissance d’une caractéristique à ce point essentielle à la dignité d’une personne. De plus, le requérant dit que, pendant la procédure d’asile, il n’avait pas voulu admettre avoir eu des relations sexuelles avec un homme plus âgé après avoir achevé ses études en République islamique d’Iran et avec un mineur par la suite.

3.3Le requérant dit qu’il souhaite désormais vivre son homosexualité au grand jour. Contrairement à ce qu’il a déclaré pendant les entretiens, il conserve un intérêt pour les relations sexuelles. Il affirme vouloir vivre sans honte sa sexualité maintenant qu’il fréquente la communauté homosexuelle suisse et a entamé une relation avec un autre homme.

3.4Le requérant affirme que les autorités de l’État partie ont, à tort, instruit sa demande d’asile selon la procédure accélérée, ses deux entretiens avec le Secrétariat d’État aux migrations ayant eu lieu en l’espace d’un mois et demi. Il renvoie aux principes directeurs du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, selon lesquels la procédure accélérée n’est pas adaptée pour instruire les demandes d’asile fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Il se plaint également d’erreurs de procédure, notamment du fait que son conseil a été remplacé juste avant le deuxième entretien, sans qu’il ait pu rencontrer son nouveau conseil au préalable. Il prétend que ses conseils ont fait état de ses problèmes psychologiques mais n’ont pas présenté les rapports médicaux pertinents. Ils n’ont pas non plus demandé un entretien supplémentaire, alors qu’il avait indiqué lors du premier entretien que son histoire était longue et que deux journées entières seraient nécessaires pour la raconter en détail.

3.5De plus, le requérant dit qu’il sera particulièrement en danger s’il est renvoyé car il ne se conforme pas à la religion officielle de la République islamique d’Iran. Il dit qu’il avait un bureau dans son pays d’origine pour diffuser ses idées, que ses voisins savent qu’il est athée et qu’il souhaite consacrer sa vie à la lutte contre le fanatisme religieux, quel que soit le lieu où il réside à l’avenir. L’article 22 du Code pénal iranien réprimant l’apostasie, le requérant craint d’être puni et soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements en République islamique d’Iran.

3.6Enfin, en ce qui concerne le caractère prévisible, réel et personnel du risque d’être torturé qu’il court s’il est renvoyé en République islamique d’Iran, le requérant met en avant les actes de torture qu’il a déjà subis sous la forme de viols répétés pendant son service militaire. À l’appui de ses propos, il cite le rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, qui dénonce « les actes de torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », « notamment le recours persistant à l’amputation, à l’aveuglement et à la flagellation comme formes de châtiment ». Le requérant renvoie à plusieurs autres rapports sur la persécution des homosexuels en République islamique d’Iran. Il indique aussi que la loi iranienne interdit la sodomie et la punit de mort. Il affirme en outre que les châtiments corporels sont d’usage en République islamique d’Iran pour sanctionner des actes tels que les baisers ou autres contacts physiques entre personnes du même sexe.

Informations complémentaires reçues du requérant

4.1Le 15 décembre 2017, le requérant a soumis des informations complémentaires au Comité pour étayer son grief selon lequel il court personnellement un risque d’être torturé s’il est expulsé. Il a demandé que son anonymat soit préservé. Il a appelé l’attention du Comité sur une décision récente du Tribunal administratif fédéral de l’État partie, dans lequel le Tribunal a jugé qu’un apostat risquait personnellement d’être maltraité s’il était renvoyé en Afghanistan.

4.2Le requérant demande au Comité d’examiner sa requête en priorité, compte tenu des effets préjudiciables du risque d’expulsion sur sa santé. Il dit ne pas se sentir en sécurité dans le centre pour demandeurs d’asile où il se trouve, certains de ses codétenus étant homophobes et intolérants envers les incroyants. Il rappelle que, depuis son arrivée dans l’État partie, il a déjà passé une semaine dans un établissement psychiatrique.

Observations de l’État partie sur le fond

5.1Le 18 mai 2017, l’État partie a présenté ses observations sur le fond, en commençant par rappeler les faits et la procédure d’asile engagée en Suisse par le requérant. Il note que les autorités ayant examiné la demande d’asile ont pris dûment en considération les arguments du requérant, sans aucun vice de procédure. Il estime que la communication ne contient aucune nouvelle information susceptible d’invalider les décisions prises par les autorités compétentes. Il soutient donc que l’expulsion du requérant vers la République islamique d’Iran ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

5.2L’État partie indique que, aux termes de l’article 3 de la Convention, aucun État partie n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Eu égard à l’observation générale no 1 (1997) du Comité, sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, l’État partie affirme que le requérant doit établir qu’il court un risque personnel, actuel et sérieux d’être soumis à la torture en cas de renvoi dans son pays d’origine. Il doit y avoir des motifs de croire que le risque de torture est « sérieux ». L’État partie rappelle que les éléments suivants doivent être pris en compte pour déterminer si un tel risque existe : des preuves d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans le pays d’origine ; les allégations de l’auteur selon lesquelles il a été torturé ou maltraité dans un passé récent et les éléments de preuve de sources indépendantes les étayant ; les activités politiques du requérant à l’intérieur ou à l’extérieur de son pays d’origine ; les preuves de la crédibilité du requérant ; et les incohérences factuelles dans ce que le requérant affirme. L’État partie présente ses observations eu égard à ces facteurs.

5.3L’État partie fait remarquer que l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans son pays d’origine. Le Comité doit en effet déterminer si le requérant court « personnellement » un risque d’être torturé dans le pays où il serait renvoyé. Pour que le risque de torture soit considéré comme « prévisible, réel et personnel » aux fins du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, des motifs supplémentaires doivent être attestés. L’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

5.4En ce qui concerne l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, l’État partie reconnaît que, en République islamique d’Iran, le simple fait d’être homosexuel expose à un risque élevé d’être persécuté. Cependant, le Code pénal iranien ne criminalise pas l’homosexualité en tant que telle, mais seulement certains actes homosexuels. À cet égard, l’État partie souligne qu’il est impossible de savoir avec précision combien d’homosexuels ont été effectivement condamnés à la peine de mort et exécutés. En conséquence, la situation dans le pays d’origine du requérant ne constitue pas en soi une raison suffisante de conclure que le requérant risquerait d’être torturé s’il y était renvoyé. L’État partie allègue que les personnes qui restent discrètes et cachent leur homosexualité peuvent vivre librement dans la société iranienne.

5.5En ce qui concerne les allégations du requérant selon lesquelles il aurait été torturé par le passé, l’État partie relève que les violences sexuelles alléguées seraient survenues pendant son service militaire, en 1997, soit il y a plus de vingt ans. Ces événements ne peuvent donc pas être rattachés au départ du requérant pour l’Europe en 2015. L’État partie relève aussi que le requérant a quitté la République islamique d’Iran en 2004 et a séjourné deux semaines en Turquie sans demander de visa. Il fait valoir que le requérant ne craignait donc pas d’être torturé en République islamique d’Iran, puisqu’il y était retourné au bout de deux semaines.

5.6L’État partie rappelle que le requérant a déclaré avoir cessé toute relation homosexuelle depuis la fin de ses études secondaires (depuis l’âge de 19 ans) en raison de l’interdiction générale de l’homosexualité dans son pays et pour préserver la réputation de sa famille. L’État partie fait observer que l’interdiction générale de l’homosexualité en République islamique d’Iran ne suffit pas à établir que le requérant risque d’être victime de mauvais traitements parce qu’il est homosexuel. Il rappelle que le requérant a pris lui-même la décision de s’abstenir de tous actes homosexuels une fois ses études secondaires achevées.

5.7L’État partie fait également observer que le requérant n’a pas eu de différends ou de problèmes particuliers avec les autorités iraniennes. Il rappelle que lorsqu’il était en République islamique d’Iran, le requérant n’a pas exprimé son homosexualité dans l’espace public. On peut donc supposer que les autorités iraniennes ne savent pas que le requérant est homosexuel. L’État partie rappelle en outre que, pendant son entretien avec le Secrétariat d’État aux migrations, le requérant a déclaré ne plus se soucier de sa sexualité.

5.8En ce qui concerne les allégations relatives aux activités politiques du requérant dans son pays d’origine, l’État partie souligne que le requérant a déclaré vouloir lutter contre le fanatisme religieux dans la société iranienne. L’État partie fait valoir que la Constitution iranienne n’incrimine pas l’apostasie , même si celle-ci peut être punie de mort si les juges appliquent la charia. Il rappelle que le requérant n’a jamais été opprimé ni persécuté par les autorités iraniennes pour ses idées, qu’il a exposées surtout dans la sphère privée. L’État partie fait aussi remarquer que le requérant n’a pas milité en tant qu’athée lorsqu’il était en République islamique d’Iran et souligne qu’il n’a pas déclaré s’être livré à des activités politiques depuis son arrivée en Suisse.

5.9De plus, l’État partie relève, dans les déclarations du requérant, des incohérences qui jettent le doute sur la crédibilité de ses allégations. Par exemple, le requérant affirme qu’il a fui la République islamique d’Iran, entre autres raisons, parce qu’il avait eu des relations sexuelles avec un mineur et craignait d’être accusé de viol par la famille de celui-ci. Or l’État partie rappelle que le requérant n’a communiqué cette information au Secrétariat d’État aux migrations que lors de son deuxième entretien, alors qu’il s’agissait apparemment d’une raison déterminante de sa décision de partir. L’État partie relève aussi que le requérant a d’abord dit, lors de son premier entretien, le 12 octobre 2015, qu’il était entré en Europe en traversant la frontière à pied. Or, lors de son deuxième entretien, le 15 novembre 2015, il a indiqué être arrivé en Europe par avion.

5.10L’État partie note que le requérant a affirmé que toute sa famille ainsi que la famille de son ex-femme étaient au courant de son homosexualité. Pourtant, le requérant n’a pas démontré qu’il avait été récemment persécuté par les autorités iraniennes en raison de son orientation sexuelle ni qu’il risquait, pour la même raison, d’être torturé s’il était renvoyé en République islamique d’Iran.

5.11En conclusion, l’État partie considère que le requérant n’a pas établi qu’il y avait des motifs sérieux de penser qu’il courrait personnellement un risque d’être torturé s’il était expulsé vers la République islamique d’Iran. Par conséquent, l’État partie invite le Comité à déclarer que le renvoi du requérant en République islamique d’Iran ne constituerait pas une violation de ses obligations internationales découlant de l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

6.1Le 19 avril 2018, le requérant a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il allègue que l’affirmation de l’État partie selon laquelle il n’a pas eu de relations homosexuelles après l’âge de 19 ou 20 ans est erronée. Il rappelle que, dans sa requête initiale, il a déclaré avoir eu, alors qu’il avait plus de 19‑20 ans, une relation avec un homme dans la ville iranienne de Bandar Abbas, puis une autre, en 2015, avec l’un de ses élèves mineurs. Il souligne que la seule raison pour laquelle il a caché son homosexualité lorsqu’il était étudiant est qu’il craignait d’être persécuté par les autorités iraniennes. Il affirme par exemple qu’à cette époque, les rassemblements homosexuels donnaient lieu à des arrestations. Son abstinence pendant une brève période n’avait donc pas résulté d’un choix, contrairement à ce qu’avait conclu le Tribunal administratif fédéral, mais lui avait été imposée par la société islamique de son pays d’origine. Il considère que, puisque l’État partie ne conteste pas formellement sa version des événements, le Comité devrait accorder l’attention voulue aux faits tels qu’il les a présentés dans sa communication initiale.

6.2Le requérant réitère que sa demande d’asile n’a pas été examinée comme il convenait dans le cadre de la procédure accélérée, qui a donné lieu à deux entretiens en six semaines. Il affirme aussi que les autorités de l’État partie n’ont pas bien évalué le risque qu’il courrait d’être torturé s’il était expulsé en République islamique d’Iran, compte tenu de sa volonté de vivre son homosexualité et son athéisme au grand jour. De plus, les autorités de l’État partie n’ont pas pris en considération les particularités de sa situation, à savoir le fait qu’il avait dû cacher son homosexualité pendant la plus grande partie de sa vie et qu’il avait même fini par envisager de mettre fin à ses jours. Le requérant dit qu’il veut maintenant vivre librement son homosexualité, quel que soit le pays dans lequel il réside.

6.3Le requérant avance que les nombreux traumatismes qu’il a subis du fait de son orientation sexuelle peuvent expliquer pourquoi il a déclaré aux autorités de l’État partie qu’il ne se souciait plus beaucoup de sa sexualité. Il souligne que le certificat médical joint à sa requête initiale témoigne de ses problèmes de santé. Il fait de plus valoir que l’État partie n’a pas tenu compte du fait que, pouvant vivre librement en tant qu’homosexuel en Suisse, il a récemment rendu publique son orientation sexuelle.

6.4Le requérant avance en outre que les autorités de l’État partie ont insisté sur le fait qu’il avait caché son homosexualité à un moment de sa vie dans le but de démontrer qu’en cas de renvoi dans son pays d’origine il pourrait y vivre de nouveau en faisant de même. Il objecte que l’État partie ne peut attendre de lui qu’il cache son orientation sexuelle pour éviter d’être persécuté en République islamique d’Iran.

6.5Le requérant ajoute que l’État partie, après avoir reconnu que l’apostasie et certains actes homosexuels étaient punis de mort en République islamique d’Iran, a toutefois conclu, invoquant un « argument de discrétion », qu’il pouvait y vivre heureux en tant qu’homosexuel et athée dans la sphère privée. Le requérant dit que cet argument est inadmissible selon la Cour européenne des droits de l’homme, qui considère qu’il ne saurait être exigé de personnes déposant une demande de protection internationale fondée sur leur orientation sexuelle qu’elles dissimulent cette dernière. Le requérant estime donc qu’il était important de déterminer s’il risquait personnellement d’être torturé en République islamique d’Iran en tant qu’homosexuel et athée déclaré. Il affirme avoir fait la preuve qu’il risquait personnellement d’être torturé en cas de renvoi dans son pays d’origine, compte tenu à la fois de sa situation particulière et de la situation en République islamique d’Iran.

6.6Le requérant rappelle que, même s’ils remontaient à plusieurs années, les actes de torture qu’il avait subis dans son pays d’origine devaient être pris en considération aux fins de l’examen de son cas selon l’observation générale no 4 (2017) du Comité, relative à l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22. De plus, il insiste sur le fait que ça n’était pas en 1998 qu’il avait été violé en République islamique d’Iran pour la dernière fois, mais plus récemment, puisque, comme il l’avait dit au Secrétariat d’État aux migrations lors de son entretien, il avait été victime d’un viol en réunion pendant son incarcération. Le requérant explique aussi qu’il est retourné en République islamique d’Iran après avoir passé deux semaines en Turquie parce qu’il n’avait plus de ressources et vivait dans la rue. Faute de conseils juridiques en la matière, il ne savait pas qu’il pouvait demander l’asile en Turquie.

6.7Le requérant dit que l’affirmation de l’État partie selon laquelle il ne diffusait pas publiquement ses idées athées est inexacte, puisqu’il avait, en République islamique d’Iran, un bureau où il tenait régulièrement des réunions à cet effet. Il rappelle de plus que, comme il l’a déclaré lors de son premier entretien avec le Secrétariat d’État aux migrations, il a insulté publiquement le prophète Mahomet en présence de ses voisins à l’occasion d’un rassemblement religieux. Il ajoute qu’il a même brûlé un exemplaire du Coran alors qu’il était détenu dans l’État partie et qu’il serait incapable de cacher ses idées en République islamique d’Iran, ce qui l’exposerait à des châtiments corporels pour apostasie et blasphème.

6.8Le requérant affirme aussi être devenu très actif dans l’État partie, où il est en contact avec plusieurs associations de lutte contre le fanatisme. Il a même créé un blog sur lequel il critique l’islam et remet en question l’existence de Dieu. Il a participé activement, dans l’État partie, aux travaux d’une association athée appelée Libres penseurs. En outre, il a récemment raconté son parcours d’homosexuel et d’athée iranien lors d’une réunion de l’association Säkulare Migranten (« migrants laïcs »).

6.9En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel il aurait attendu le deuxième entretien avec le Secrétariat d’État aux migrations pour mentionner ses relations sexuelles avec l’un de ses élèves, le requérant explique qu’il a eu honte de son homosexualité et supposait qu’un tel comportement était également interdit dans l’État partie. Il affirme qu’il n’en a pas parlé lors de son premier entretien d’asile faute d’avoir pu établir la confiance nécessaire avec l’agent qui l’interrogeait. Il soutient également qu’il n’a jamais eu l’intention de prétendre qu’il était venu en Europe par avion, et il réaffirme qu’il a franchi la frontière à pied. À cet égard, il explique que le mot anglais « flight » (« vol » ou « fuite » en français) dans sa déclaration ne renvoyait pas au transport aérien, mais plus généralement à l’idée de fuite de son pays.

6.10En conclusion, le requérant affirme qu’étant ouvertement homosexuel et athée, son expulsion vers la République islamique d’Iran l’exposerait personnellement au risque d’être torturé et mettrait sa vie en danger. S’il était renvoyé, il serait probablement arrêté dès son arrivée à l’aéroport de Téhéran pour être interrogé par les forces révolutionnaires sur son long séjour à l’étranger. Le requérant dit avoir démontré l’existence d’un risque de préjudice irréparable. En conséquence, il affirme que les autorités de l’État partie n’ont pas procédé à une évaluation du risque spécifique et approfondie lorsqu’elles ont statué sur sa demande d’asile.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer si celle-ci est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme le paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête pour ce motif.

7.3Le Comité considère que la communication, dans laquelle le requérant affirme qu’il risque d’être torturé, soumis à un traitement inhumain ou dégradant ou tué s’il est renvoyé en République islamique d’Iran, en raison de son orientation sexuelle, de son athéisme et de ses activités en faveur d’un État laïque, soulève des questions de fond au regard de l’article 3 de la Convention, car les faits et les fondements des allégations du requérant ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. En l’absence de toute objection de l’État partie quant à la recevabilité de la communication, le Comité ne voit aucun obstacle à cette recevabilité et déclare la communication recevable.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la requête en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant en République islamique d’Iran constituerait une violation de l’obligation qu’impose à l’État partie le paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État s’il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’y être soumise à la torture.

8.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture à son retour en République islamique d’Iran. Le Comité relève que, la République islamique d’Iran n’étant pas partie à la Convention, dans l’éventualité d’une violation dans ce pays des droits qu’il tient de la Convention, le requérant serait privé de la possibilité légale de s’adresser au Comité pour obtenir une forme quelconque de protection.

8.4Conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressécourt personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

8.5Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, selon laquelle il apprécie l’existence de « motifs sérieux » et considère que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel lorsqu’il existe, au moment où il adopte sa décision, des faits démontrant que ce risque en lui-même aurait des incidences sur les droits que le requérant tient de la Convention en cas d’expulsion. Les facteurs de risque personnel peuvent inclure, notamment : a) l’origine ethnique du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant et/ou des membres de sa famille ; c) un mandat d’arrêt sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; d) une condamnation par contumace. En ce qui concerne le bien-fondé d’une communication soumise en vertu de l’article 22 de la Convention, la charge de la preuve incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire des arguments circonstanciés montrant qu’il court un risque prévisible, actuel, personnel et réel d’être torturé. Le Comité rappelle qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé mais qu’il n’est pas lié par ces constatations, et qu’il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas.

8.6En l’espèce, pour ce qui est d’évaluer le risque de torture, le Comité prend note des allégations du requérant selon lesquelles il risque d’être soumis à la torture en République islamique d’Iran en raison de son orientation sexuelle, de son athéisme et de ses activités en faveur d’un État laïc. Le Comité prend aussi note des affirmations du requérant selon lesquelles il a été à plusieurs fois victime de violences sexuelles de la part de différents sergents pendant son service militaire en République islamique d’Iran. Le requérant allègue que, suite à ces violences, il a souffert de troubles mentaux et de tendances suicidaires, qui sont corroborés par des rapports médicaux. Le Comité note de plus que le requérant affirme qu’il avait ouvert un club de conversation en République islamique d’Iran pour promouvoir l’athéisme et diffuser ses idées en faveur d’un État laïc, que ses anciens voisins savent qu’il est athée et que, depuis son arrivée en Suisse, il participe activement à la lutte contre le fanatisme islamique dans son pays d’origine. Le Comité relève en outre que le requérant affirme avoir des relations homosexuelles depuis qu’il a 15 ans, d’abord en République islamique d’Iran puis en Suisse.

8.7Le Comité constate que l’État partie reconnaît que la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran peut être légitimement considérée comme préoccupante. Il rappelle que, selon le dernier rapport en date de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, la législation iranienne continue d’autoriser que des châtiments tels que la flagellation ou l’amputation soient infligés aux personnes condamnées pour certaines infractions. Le rapport souligne par exemple que le Gouvernement iranien nie que l’amputation et la flagellation soient des formes de torture et continue d’affirmer qu’il s’agit de moyens efficaces de dissuader les délinquants potentiels. De plus, le Comité relève que l’État partie lui-même a reconnu que, en République islamique d’Iran, le simple fait d’être homosexuel exposait à un risque élevé d’être persécuté, même si le Code pénal iranien n’incriminait pas l’homosexualité en tant que telle, mais seulement certains actes homosexuels (voir supra par. 5.4).

8.8Le Comité prend aussi note de l’argument de l’État partie selon lequel l’existence d’un ensemble de violations systématiques et flagrantes des droits de l’homme dans le pays d’origine ne constitue pas en soi une raison suffisante de conclure que le requérant risque d’être torturé s’il est renvoyé en République islamique d’Iran. Il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel, l’insécurité générale et la situation des droits de l’homme dans son pays d’origine mises à part, le requérant n’a pas démontré aux autorités suisses qui ont examiné sa demande d’asile qu’il courrait personnellement un risque d’être torturé s’il était renvoyé en République islamique d’Iran, en raison de son homosexualité, de son athéisme ou de ses opinions ou activités politiques.

8.9Le Comité relève que le requérant n’a pas affirmé expressément que les violences sexuelles qu’il avait subies pendant son service militaire lui avaient été infligées en raison de son orientation sexuelle ou de son athéisme, ni qu’il avait été insulté ou menacé pour les mêmes motifs après ces événements qui, selon ses déclarations, seraient survenus à des dates non précisées entre 1997 et 1998. Le Comité prend aussi note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle on ne peut pas établir de lien entre les violences en question et le départ du requérant pour l’Europe, en 2015. À cet égard, le Comité rappelle que, bien que des événements passés puissent avoir leur importance, la principale question dont il est saisi est de savoir si le requérant court actuellement un risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en République islamique d’Iran. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que le requérant n’a pas établi qu’il est actuellement exposé à un risque de torture.

8.10Le Comité prend note des certificats médicaux datés de 2016 produits par le requérant, qui indiquent que celui-ci souffrait de troubles de stress post-traumatique, avait des pensées suicidaires et devait, compte tenu de son état de santé mentale, poursuivre une psychothérapie. Le Comité relève toutefois l’absence de preuves permettant d’établir un lien de causalité entre les troubles mentaux du requérant et les actes de torture allégués et, les derniers certificats médicaux datant d’il y a deux ans, de conclure que l’état actuel de la santé mentale du requérant empêche l’État partie d’expulser celui-ci vers la République islamique d’Iran.

8.11Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel, lorsqu’il était en République islamique d’Iran, le requérant n’a pas exprimé son homosexualité dans l’espace public. Il prend aussi note de l’affirmation du requérant selon laquelle son abstinence lui a été imposée et il ne l’a pas choisie, et qu’on ne pouvait attendre de lui qu’il cache son homosexualité en République islamique d’Iran pour échapper aux persécutions. Le Comité prend toutefois également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’interdiction générale de l’homosexualité en République islamique d’Iran ne suffit pas en soi à établir qu’il existe un risque de mauvais traitements. Dans ce contexte, le Comité relève que le requérant n’a pas dit que les autorités iraniennes étaient au courant de son orientation sexuelle, de son athéisme ou de ses opinions politiques, ni qu’il exprimerait son homosexualité dans l’espace public. Il relève de plus que l’État partie considère que les incohérences dans les déclarations faites par le requérant lors des entretiens sur sa demande d’asile jettent le doute sur la crédibilité de ses allégations, et que le requérant explique ces incohérences par son manque de confiance.

8.12En ce qui concerne les allégations du requérant relatives à des irrégularités dans la procédure d’asile, le Comité constate que, selon l’État partie, la procédure d’asile a été objective et n’a pas été entachée d’arbitraire ni n’a représenté un déni de justice. Il estime donc que le requérant n’a pas apporté de preuves convaincantes qui lui permettraient de conclure que la procédure nationale d’asile, dont a connu le Tribunal administratif fédéral, a fait l’objet d’une quelconque irrégularité.

8.13En ce qui concerne les activités politiques du requérant, le Comité note que l’État partie considère que le requérant n’a pas activement et publiquement défendu ses idées et ses convictions, qu’il les a surtout exposées dans la sphère privée et qu’il n’a jamais été opprimé ni persécuté pour ses opinions par les autorités iraniennes. Le Comité note aussi que le requérant a rendu compte de ses activités politiques récentes dans l’État partie, où il a créé un blog pour partager ses idées en faveur d’un État laïc dans son pays d’origine et a participé aux activités d’une association athée. Le Comité considère toutefois que le requérant n’a pas démontré avoir un profil politique particulier qui ferait de lui la cible de persécutions. Il considère aussi que le requérant n’a pas apporté de preuves suffisantes que ses activités politiques seraient d’une telle ampleur qu’elles attireraient l’attention des autorités iraniennes. Il n’a pas non plus produit, pour établir qu’il courrait personnellement un risque d’être torturé s’il était renvoyé en République islamique d’Iran, d’autres éléments de preuve donnant à penser qu’il est recherché par les autorités de son pays d’origine, par exemple par la police ou d’autres services de sécurité.

8.14En ce qui concerne l’allégation du requérant selon laquelle il serait arrêté et interrogé à son retour en République islamique d’Iran en raison de son long séjour à l’étranger, le Comité rappelle que le simple fait qu’un requérant risque d’être arrêté et interrogé ne permet pas de conclure qu’il risque aussi d’être soumis à la torture. Le Comité rappelle que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine du requérant ne suffit pas en soi pour conclure que celui-ci risque personnellement d’être torturé. Sur la base des informations dont il dispose, le Comité conclut que le requérant n’a pas rapporté la preuve que son homosexualité, son athéisme, ses opinions politiques ou ses activités sont d’une telle importance qu’ils attireraient l’attention des autorités de son pays d’origine.

9.Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les informations soumises par le requérant ne sont pas suffisantes pour établir qu’il courrait personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en République islamique d’Iran.

10.En conséquence, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant en République islamique d’Iran ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention par l’État partie.