Nations Unies

CAT/C/64/D/738/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

5 octobre 2018

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 738/2016 * , **

Communication p résentée par :Z, représenté par un conseil

Au nom de :Le requérant

État partie :Suisse

Date de la requête :23 mars 2016 (lettre initiale)

Date de la présente décision:9 août 2018

Objet :Expulsion vers la République démocratique duCongo

Question ( s ) de procédure :

Question ( s ) de fond :Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article ( s ) de la Convention :3

1.1Le requérant est Z, né en 1980, de nationalité congolaise. Il a déposé une demande d’asile en Suisse, mais sa requête a été rejetée. Il fait l’objet d’une décision de renvoi vers la République démocratique du Congo, et soutient que son rapatriement forcé constituerait une violation, par la Suisse, de l’article 3 de la Convention. Il est représenté parMeAlfred waMwanza.

1.2Le 8 avril 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers la République démocratique du Congopendant que sa requête est en cours d’examen par le Comité.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant avait déposé une première demande d’asile en Suisse le 27 octobre 2003. Cette demande a été rejetée par décision finale du Tribunal administratif fédéral le 15 mai 2009 et son renvoi est devenu exécutoire.

2.2Le 11 avril 2011, le requérant a introduit auprès du Secrétariat d’État aux migrations une deuxième demande d’asile en invoquant des éléments nouveaux après sa fuite de la République démocratique du Congo. Sa demande a été rejetée par l’autorité concernée le 17août 2012 et son renvoi de Suisse a été maintenu. Le 17 septembre 2012, l’auteur a introduit un recours auprès du Tribunal administratif fédéral contre cette dernière décision. Le Tribunalne lui a pas donné gain de cause et a confirmé la décision de la juridiction inférieure. Le requérant avait jusqu’au 30 août 2013 pour quitter la Suisse. Cependant, il a introduit une demande de révision de l’arrêt du Tribunal administratif fédéral. La juridiction a de nouveau ordonné une décision de renvoi du territoire.

2.3Le requérant n’a pas quitté la Suisse et a décidé de déposer une demande de reconsidération de la décision du Secrétariat d’État aux migrations le 1erdécembre 2014. Par décision du 12 décembre 2014, le Secrétariat a suspendu l’exécution de son renvoi vers la République démocratique du Congo. Finalement, le 5 janvier 2016, il a rejeté la demande et a confirmé son renvoi de la Suisse. Par conséquent, le requérant a fait un recours le 11 février 2016auprès du Tribunal administratif fédéral. Finalement, par arrêt du 4 mars 2016, le Tribunala déclaré le recours irrecevable. Tous les recours internes sont épuisés et l’auteur craint à tout moment un retour forcé en République démocratique du Congo.

2.4Le requérant craint de rentrer dans son pays à cause des activités auxquelles il a participé après sa fuite et vu qu’il participe toujours au mouvement l’Alliance des patriotes pour la refondation du Congo (APARECO). Le Président du mouvement est Honoré Ngbanda, un dissident du pouvoir actuel. Cette organisation politique a pour but de libérer la République démocratique du Congo de l’occupation actuelle du Rwanda et de ses alliés. LeGouvernement de la République démocratique du Congo attribue à l’APARECO le déclenchement de la rébellion née fin 2009-début 2010 dans la province de l’Équateur, ainsi que la préparation d’un coup d’État avec un chef militaire congolais, le général Faustin Munene.

2.5Depuis 2010, le requérant prétend être très actif au sein de cette organisation. Il aurait assumé des fonctions de cadre au sein de l’APARECO Suisse, Comité de Zurich. Par ailleurs, le requérant indique qu’il prend souvent position en public sur la situation actuelle en République démocratique du Congo. Plusieurs documents et photos prouvant son engagement et son appartenance à ce mouvement politique dissident ont été déposés dans le cadre de ses demandes d’asile.

2.6Suite à ses activités politiques, la famille du requérant qui vit à Kinshasa a subi des persécutions de la part des services de sécurité qui l’accusent d’entretenir des relations avec l’APARECO. Son petit frère a été arrêté par les services de sécurité de la République démocratique du Congo à cause des activités politiques du requérant en Suisse. Par ailleurs, le requérant lui-même subit constamment des menaces de mort par e-mail, courrier et téléphone.

Teneur de la plainte

3.Le requérant soutient qu’il est victime d’une violation de l’article 3 de la Convention par les autorités suisses qui ont ordonné son renvoi vers la République démocratique du Congo où il sera exposé à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Vu son engagement et ses activités politiques en Suisse, les risques qui pèsent sur sa vie et sur son intégrité physique sont importants.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 29 septembre 2016, l’État partie a soumis des observations sur le fond de la communication. Il rappelle que le requérant a soumis une première communication au Comité le 8 juillet 2009 (communication no 394/2009). Le 1er mai 2014, le Comité raya du rôle la communication en question, du fait de l’absence de contact du requérant avec le Comité depuis l’enregistrement de la requête. De suite, il rappelle les faits et les procédures engagées par le requérant en Suisse pour obtenir l’asile. Il note que les autorités compétentes en matière d’asile ont dûment pris en considération les arguments du requérant. Il déclare que la présente communication ne contient aucun élément nouveau susceptible d’infirmer les décisions des autorités compétentes.

4.2L’État partie rappelle qu’en vertu de l’article 3 de la Convention, il est interdit auxÉtats parties d’expulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où ily a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Concernant l’observation générale no1 du Comité (1997) sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22 de la Convention, l’État partie ajoute que l’auteur devrait établir l’existence d’un risquepersonnel, actuel et sérieux d’être soumis à la torture en cas de retour dans le pays d’origine. L’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Il doit y avoir d’autres motifs pour qualifier le risque de torture de « sérieux » (par. 6 et 7). Les éléments suivants doivent être pris en compte pour apprécier l’existence d’un tel risque: preuves de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays d’origine; allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent et preuves indépendantes à l’appui de celles-ci; activités politiques de l’auteur à l’intérieur ou à l’extérieur du pays d’origine; preuves de la crédibilité de l’auteur; et incohérences factuelles dans les affirmations de l’auteur (par. 8).

4.3Pour ce qui est de l’existence d’un ensemble systématique de violation des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives, l’État partie fait valoir que cela ne constitue pas en soi un motif suffisant de penser qu’un individu serait victime de torture à son retour dans son pays d’origine. Le Comité doit déterminersi le requérant risque « personnellement » d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Des motifs supplémentaires doivent exister pour que le risque de torture puisse être qualifié, au sens du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, de « prévisible, réel et personnel ». Le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

4.4L’État partie considère que, même si la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo est préoccupante à plusieurs égards, elle ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure que le requérant risque d’y être victime de torture en cas de renvoi. Le requérant n’a pas démontré qu’il court lui-même personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture en cas de renvoi en République démocratique du Congo.

4.5Pour ce qui est des allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent et de l’existence de preuves indépendantes à ce sujet, l’État partie souligne que les États parties à la Convention ont l’obligation de tenir compte de telles allégations pour évaluer le risque que le requérant concerné soit soumis à la torture s’il était renvoyé dans son pays d’origine. L’État partie rappelle que,dans l’affaire présente, le requérant n’a pas indiqué avoir subi des tortures ou des mauvais traitements dans le passé et il en va de même pour sa première demande d’asile.

4.6En ce qui concerne les activités politiques du requérant dans ou hors de son pays d’origine, l’État partie note que la présente procédure porte uniquement sur les activités politiques que ce dernier affirme exercer en Suisse depuis 2010. Dans sa première procédure d’asile, le requérant faisait valoir qu’il avait exercé des activités politiques en République démocratique du Congo avant son départ de ce pays. Selon l’appréciation des autorités suisses, ces affirmations manquaient toutefois de crédibilité.

4.7Pour ce qui est des activités politiques du requérant en Suisse, l’État partie note que le requérant allègue avoir adhéré à l’Alliance des patriotes pour la refondation du Congo en 2010. Le but de cette organisation serait de libérer la République démocratique du Congo de l’occupation par le Rwanda et les alliés de celui-ci, représentés par le régime actuel du Président Joseph Kabila. Le requérant serait très actif dans cette organisation, se trouvant toujours en première ligne lors de manifestations et prenant publiquement position contre le régime au pouvoir en République démocratique du Congo. Il aurait occupé plusieurs fonctions pour l’organisation. Jusqu’à fin 2011, il aurait été conseillerpour la jeunesse puis, après une réorganisation, il serait devenu secrétaire du Comité urbain de Zurich. Cette fonction consisterait à sensibiliser et à mobiliser les ressortissants congolais de Zurich et à les rendre attentifs aux motivations de l’engagement du mouvement. En raison de son engagement et de son attitude critique générale envers le régime en place, il serait connu au sein de la diaspora congolaise en Suisse.Du fait de ces activités, le requérant aurait reçu, jusqu’au milieu de l’année 2011, plusieurs menaces, notamment de mort, par le biais d’appels téléphoniques, de SMS ou d’e-mails. Son frère cadet aurait été enlevé à Kinshasa depuis plus d’un an. Son épouse serait également surveillée par les services de sécurité, raison pour laquelle il ne pourrait pas avoir de contact avec elle et avec son enfant.

4.8L’État partie ne conteste pas le fait que le requérant exerce depuis environ 2010 un rôle actif au sein de l’APARECO. L’État partie relève que lorsqu’il a étéentendu au sujet des motifs de sa deuxième demande d’asile, il a fourni des informations détaillées sur l’organisation, ses objectifs et ses activités. De même, l’allégation selon laquelle il exercerait la fonction de secrétaire du Comité urbain de Zurich depuis 2011 paraît crédible. Il ressort également des photographies versées au dossier que le requérant a participé, le 13 décembre 2011, à une manifestation devant l’Office des Nations Unies à Genève, lors de laquelle les manifestants exigèrent qu’une procédure pénale internationale soit menée contre les Présidents de la République démocratique du Congo et du Rwanda. Il ressort d’un extrait d’un site Internet versé au dossier devant le Tribunal administratif fédéral qu’une chaîne de télévision de la diaspora congolaise a vraisemblablement diffusé des informations filmées au sujet de cette manifestation.

4.9L’État partie note que, selon les documents versés au dossier par le requérant ainsi que d’autres informations réunies par les autorités internes, l’APARECO constitue une organisation politique active en exil, fondée en 2005 en France par Honoré Ngbanda, un ancien Ministre de la défense et Conseiller pour la sécurité de l’ancien Président de la République démocratique du Congo (auparavant le Zaïre), Mobutu Sese Seko. L’organisation s’oppose essentiellement au Gouvernement du Président actuel, Joseph Kabila, qu’elle considère comme un représentant du Rwanda, et auquel elle reproche des fraudes électorales, de la corruption et une mauvaise gestion du pays. Alors que l’APARECO n’est pas active publiquement en République démocratique du Congo, il existe certains liens avec le parti congolais de l’Union pour la démocratie et le progrès social de l’ancien Premier Ministre et actuel opposant Étienne Tshisekedi. L’APARECO s’est surtout profilée par des actions en France, notamment lorsqu’elle s’est engagée contre la tenue à Kinshasa du Sommet de la francophonie en 2012. À Paris, Bruxelles et Londres, des membres de l’opposition congolaise s’en sont pris à des représentants de la République démocratique du Congo; un lien avec l’APARECO n’a toutefois pas été établi. En Suisse, l’APARECO est apparue publiquement à l’occasion de manifestations isolées, lors desquelles fut exigée la destitution du Gouvernement de Joseph Kabila. Le 6 décembre 2011, plusieurs personnes, dont l’une semble avoir été un membre de l’APARECO, ont forcé l’entrée de l’ambassade de la République démocratique du Congo à Berne.

4.10L’État partie souligne que, même dans l’hypothèse où les autorités congolaises devaient s’intéresser aux activités politiques des ressortissants congolais en exil, il y a lieu d’admettre qu’elles se concentreraient sur les activités de personnes exerçant des fonctions et des activités qui dépassent un engagement politique de base et font apparaître les personnes en question comme des opposants sérieux et potentiellement dangereux. Il est ainsi possible que des dirigeants particulièrement exposés de l’APARECO ou des personnes ayant participé à des attaques contre les représentants du Gouvernement pourraient être exposés à un risque de mauvais traitements en cas de retour en République démocratique du Congo. Toutefois, en l’espèce, l’État partie relève qu’il n’apparaît pas que le requérant se soit exposé politiquement dans la mesure décrite ci-dessus.

4.11L’État partie relève tout d’abord que le requérant n’a rejoint l’APARECO qu’après le rejet définitif de sa première demande d’asile. En ce qui concerne sa participation à une manifestation devant l’Office des Nations Unies à Genève, le 13 décembre2011, les moyens de preuve disponibles ne donnent pas d’indication quant à savoir dans quelle mesure le requérant y a personnellement et publiquement pris position contre le régime en place. Ledossier ne contient pas d’autres preuves concrètes d’une exposition politique particulière du requérant, bien qu’il ait affirmé avoir participé à plusieurs manifestations à Zurich, Berne et Genève, ce qu’a confirmé l’APARECO dans sa lettre du 30 juin 2014. De même, en ce qui concerne la fonction de secrétaire du Comité urbain de Zurich, que le requérantindique occuper depuis 2011 et dans le cadre de laquelle il serait chargéde sensibiliser et de mobiliser la communauté congolaise en exil, le requérant n’a versé aucun moyen de preuve, hormis plusieurs lettres de confirmation de l’APARECO, qui permettrait une estimation objective du type et de l’importance de ses activités. Comme l’a relevé le Tribunal administratif fédéral, lors de son audition, le requérant a affirmé se trouver toujours en première ligne lors de manifestations, mener des délégations, procéder à des interventions envers le régime congolais et être chargéde fournir des arguments lors de conférences de presse. Malgré le rôle important que le requérant affirme avoir exercé, des preuves pertinentes de cet engagement ne se trouvent ni dans le dossier, ni dans des sources publiques. Ce fait porte à croire que le requérant a soit présenté de manière erronée, soit exagéré l’importance de son engagement. En résumé, l’État partie fait valoir qu’il n’existe en l’espèce pas d’éléments concrets selon lesquels le requérant se serait exposé politiquement dans une mesure ayant attiré l’attention des autorités congolaises au point qu’il serait exposé à un risque de poursuites au sens de l’article 3 de la Convention en cas de retour en République démocratique du Congo. L’État partie rappelle que cette appréciation reste la même en tenant compte des motifs de fuite allégués par le requérant dans sa première demande d’asile, qui ont été jugés comme dépourvus de crédibilité par les autorités internes.

4.12Concernant les allégations du requérant au sujet de l’arrestation de son frère et des mesures prisesà l’encontre de sa famille, l’État partie relève que, dans le cadre de sa première procédure d’asile, le requérant adéjà fait valoir des éléments semblables et que les autorités internes les ontalors considérés comme peu crédibles. Le requérant n’a apporté aucun élément supplémentaire ou moyen de preuve dans la deuxième procédure d’asile susceptible de modifier cette appréciation.Les moyens de preuve versés au dossier par le requérant ne conduisent pas à une autre appréciation. En ce qui concerne l’article du journal congolais La Manchette du 8 janvier 2013, quiindique que le requérant serait un membre proéminent de l’APARECO et qu’il aurait participé à des attaques contre des membres d’autorités congolaises en Europe, son contenu diverge à tel point des faits tels qu’ils ont été relatés par le requérant et constatés par les autorités internes qu’il y a lieu de croire qu’il s’agit d’une falsification. Ainsi, ce moyen de preuve ne permet pas non plus de démontrer la prétendue arrestation du frère de l’auteur en République démocratique duCongo. Il en va de même pour les articles du journal La Référence joints à la communication et qui n’ont pas été soumis durant la procédure interne, le premier figurant au dossier comme copie non datée, le deuxième, daté du 13 avril 2011, comme extrait du site Internet de ce journal. Les deux articles citent la mère ou la famille du requérant à Kinshasa, selon lesquelles la famille serait exposée à des poursuites en raison des activités politiques durequérant en Suisse. Tout d’abord, le premier article n’est disponible pour lesautorités suisses que sous forme de copie, revêtant de ce fait une valeur probante limitée. Ensuite, la valeur probante d’articles doit être appréciée en fonction des sources à l’origine de l’information relatée. En l’espèce, les articles ne font que rendre les propos de proches durequérant, ce qui ne saurait constituer une preuve objective des faits relatés. L’État partie relève encore que, dans l’article du 13 avril 2011, ilest mentionné que le frère cadet du requérant aurait disparu le 18 mars 2011, à 19heures, alors que le requérant affirme dans sa communication, le 14 mars 2016, qu’il aurait été arrêté «depuis plus d’une année»;ses allégations ne sont ainsi pas cohérentes avec les preuves soumises. Enfin,ces articles sont à mettre en lien avec l’article du journal La Manchette, au sujet duquel le Tribunal administratif fédérala conclu qu’il s’agissait d’une falsification. L’État partie estime que,pour toutes ces raisons, les articles de journal figurant au dossier sont dépourvus de valeur probante.

4.13S’agissant des transcriptions et copies d’e-mails et de SMS contenant des menaces à l’encontre du requérant, versées au dossier interne et partiellement remises au Comité, l’État partie relève que les autorités internes ont constaté qu’il n’était possible de vérifier ni leur authenticité, ni leur auteur. Ainsi, elles doivent être considérées comme dépourvues de valeur probante. De plus, ces menaces ont cessé après le milieu de l’année 2011, bien que le requérant affirme avoir poursuivi ses activités pour l’APARECO. Elles ne suffisent ainsi pas à démontrer que le requérant serait exposé à un risque de poursuites en cas de retour en République démocratique du Congo.En ce qui concerne les différentes lettres de l’APARECO figurant au dossier, il s’agit à l’évidence de documents de complaisance, qui ne sauraient ainsi être considérés comme prouvant que le requérant serait soumis à un risque de mauvais traitements en cas de retour dans son pays.

4.14L’État partie note que le requérant fait valoir devant le Comité que les autorités internes auraient dû procéder à une instruction complémentaire du dossier, notamment par le biais de l’ambassade de Suisse en République démocratique du Congo. L’État partie rappelle à ce sujet que des renseignements ont été recueillis auprès de l’ambassade de Suisse dans le cadre de la première procédure d’asile. Selon le rapport de l’ambassade du 21 janvier 2009, les documents présentés dans cette procédure étaient dépourvus de valeur probante, ouconstituaient des falsifications, et le requérant n’était pas recherché en République démocratique du Congo. Au vu de ces éléments et de l’ensemble des circonstances de la présente affaire, il n’y avait pas lieu pour les autorités internes de requérir à nouveau des renseignements de l’ambassade.

4.15Au vu de ce qui précède, l’État partie est d’avis que le requérant n’est pas parvenu à démontrer qu’il risquerait d’être soumis, en raison de ses activités politiques en exil, à un risquede traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de retour en République démocratique du Congo.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 14 mai 2017, le requérant a transmis des commentaires relatifs aux observations de l’État partie. Il affirme que l’État partie s’est limité à se fonder sur les arguments du Tribunal administratif fédéral, et notamment son arrêt du 27 août 2013 qui a mis fin à la deuxième procédure d’asile initiée par le requérant. Il considère que cet arrêt ne peut en aucun cas lier le Comité dans l’examen de la requête du requérant en ce qui concerne ses craintes de subir des tortures et des mauvais traitements au sens de l’article 3 de la Convention.

5.2Il considère que l’État partie se fonde en outre sur la première demande d’asile du requérant tandis que la présente requête n’a pas mis en exergue les faits relatifs à cette première procédure dont la décision est déjà entrée en vigueur. La première requête du requérant, qui datait de 2009 et a été classée, se fondait sur des faits antérieurs à sa fuite du pays et différents des faits qui ont motivé la présente requête. Le requérant a débuté ses activités politiques en Suisse en 2010. Autrement dit les faits relatifs à la présente requête et les moyens de preuve produits par le requérant datent d’après 2010. Cette requête résulte du risque de subir des tortures et des mauvais traitements après le rejet définitif de la deuxième demande d’asile. Dans le cadre de la deuxième demande d’asile, le requérant n’a pas fait valoir des faits relatifs à sa première demande d’asile. Il affirme que l’argument de l’État partie se fondant sur la première requête au Comité ne se justifie donc pas.

5.3Le requérant se fonde sur son comportement politique en Suisse, faisant de lui un ennemi du pouvoir. Depuis 2010, il est un membre actif de l’organisation APARECO, mouvement qui ne peut fonctionner officiellement en République démocratique du Congo car ses membres s’exposent à des persécutions graves. Ce mouvement ne peut fonctionner que dans des pays étrangers comme la Suisse où les droits relatifs aux libertés d’expression et d’association sont garantis. Le requérant occupe depuis plusieurs années la fonction de secrétaire de la plus grande ville suisse. Sa nomination a été publiée sur le site Internet de l’APARECO. De ce fait, les autorités congolaises ne peuvent ignorer la personne du requérant car le site de l’organisation est parmi les plus surveillés par les agents du service de renseignement de la République démocratique du Congo. Les photos du requérant, les images sur YouTube, les attestations de l’APARECO et sa carte de membre démontrent l’engagement du requérant contre le pouvoir en République démocratique du Congo.

5.4Le requérant considère qu’il est peu probable que les agents de renseignement ne s’intéressent pas à lui en cas de retour en République démocratique du Congo, car il a subi des menaces depuis la Suisse, dont les expéditeurs ne peuvent être que le pouvoir en place. Il fait valoir aussi les articles de journaux qui prouvent les persécutions subies par sa femme en République démocratique du Congo à cause des activités politiques de son mari en Suisse. En raison de ces persécutions, elle a quitté le pays pour requérir la protection de la Suisse. Sa demande d’asile n’a pas encore fait l’objet d’un examen au fond par l’État partie à cause de l’application du Règlement Dublin III. Le requérant affirme ainsi que les activités qu’il a exercées avec une certaine intensité et de manière permanente et régulière depuis 2010 impliquent un risque accru pour sa personne en République démocratique du Congo. Par ailleurs, les conditions énumérées au paragraphe 8 de l’observation générale no 1 du Comité sont réunies, et les preuves produites par le requérant sont crédibles et cohérentes.

5.5Le requérant rappelle qu’en droit suisse, les motifs d’asile postérieurs à la fuite sont des événements et des circonstances qui se produisent seulement après le départ de l’État d’origine. La menace de persécution dans l’État d’origine pour des motifs qui ne sont pas dans un rapport de causalité avec le départ conduit à la reconnaissance de la qualité de réfugié pour autant que les autres conditions légales soient remplies (persécutions pour un des motifs énumérés dans la loi), mais pas à l’asile. Le requérant soutient que ses activités politiques entrent dans la ligne des motifs d’asile postérieurs à la fuite.

5.6Le 17 novembre 2017, le requérant a transmis en tant que moyen de preuve des photos non datées concernant ses participations aux dernières manifestations contre le régime de Kinshasa devant le Palais des Nations à Genève. Il fait valoir que ces photos ont été publiées sur les réseaux sociaux et les autorités de la République démocratique du Congo, à travers leurs services, en ont sans doute été informées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe5a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il ne peut examiner aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie, en l’espèce, n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles, ni la recevabilité de la requête.

6.3Le Comité considère que la requête soulève des questions substantielles au titre de l’article 3 de la Convention qui doivent être examinées quant au fond. Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité de la communication, le Comité la déclare recevable.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la requête en tenant dûment compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

7.2Concernant le grief tiré par le requérant de l’article 3 de la Convention, le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être victime de torture en cas de retour en République démocratique du Congo. Le Comité rappelle avant tout que l’interdiction de la torture est absolue et non susceptible de dérogation et qu’aucune circonstance exceptionnelle ne peut être invoquée par un État partie pour justifier des actes de torture.Pour évaluer le risque, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.3Le Comité rappelle son observation générale no4 (2017) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, selon laquelle l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture dans un État vers lequel elle est menacée d’expulsion, soit à titre individuel, soit en tant que membre d’un groupe qui risque d’être soumis à la torture dans l’État de destination. Il a pour pratique, en de telles circonstances, de considérer que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel ». Les facteurs de risque personnel peuvent comprendre, notamment : l’origine ethnique du requérant ; les actes de torture subis antérieurement ; la détention au secret ou une autre forme de détention arbitraire et illégale dans le pays d’origine ; la fuite clandestine du pays d’origine en cas de menace de torture. Le Comité rappelle également qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné ; toutefois, il n’est pas lié par ces constatations et évalue librement les informations qui lui sont soumises, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, en tenant compte de toutes les circonstances de chaque affaire.

7.4Le Comiténote que le requérant a soumis une première communication en date du 8juillet 2009 que le Comité a rayée du rôle le 1er mai 2014 du fait de l’absence de contact du requérant avec le Comité depuis l’enregistrement de la requête. Le Comité relève que le requérant soutientdans sa deuxième communication qu’il exerce depuis 2010 un rôle actif au sein de l’APARECO. À cet égard, le Comité observe que l’État partie n’a pas contesté la participation et les fonctions du requérant au sein de l’APARECO.

7.5Concernant les motifs d’asile postérieurs au départ de l’État d’origine, le Comité rappelle que l’engagement du requérant dans des activités politiques en dehors de l’État d’origine pourrait le rendre vulnérable au risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé dans l’État en question.Le Comité fait toutefois observer que, même si l’appartenance du requérant à l’APARECO n’a pas été contestée, il n’a rejoint l’APARECO qu’après le rejet définitif de sa première demande d’asile. Le Comité noteégalement que le requérant ne s’estpas exposé politiquement au point d’intéresser les autorités congolaises, car ces dernières se concentreraient sur des activités qui dépassent un engagement politique de base et font apparaître les personnes en question comme des opposants sérieux et potentiellement dangereux (par exemple,des dirigeants particulièrement exposés de l’APARECO ou des personnes ayant participé à des attaques contre les représentants du Gouvernement de la République démocratique du Congo). Le Comité note en outre que les activités politiques du requérant en Suisse ne constituent pas une activité qui puisse être considérée comme une menace sérieuse et concrète pour le Gouvernement en place. Le Comité constate que si le requérant a effectivement formulé un certain nombre d’allégations, il n’a néanmoins pas clairement et suffisamment établi l’existence d’un risque personnel, actuel, prévisible et réelde torture s’il était renvoyé en République démocratique du Congo.

7.6Le Comité rappelle qu’il lui appartient de déterminer si le requérant court actuellement le risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi en République démocratique du Congo. Le Comité note que le requérant a eu amplement la possibilité d’étayer et de préciser ses griefs, au niveau national, devant l’Office fédéral des migrations et le Tribunal administratif fédéral, mais que les éléments apportés n’ont pas permis aux autorités nationales de conclure que sa participation aux activités politiques pourrait le mettre en danger de subir des actes de torture ou des traitement inhumains ou dégradants à son retour. De plus, le Comité rappelle que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine n’est pas suffisante en soi pour conclure qu’un requérant court personnellement le risque d’être torturé. Sur la base des informations dont il dispose, le Comité conclut que le requérant n’a pas apporté la preuve que ses activités politiques revêtent une importance suffisante pour attirer l’intérêt des autorités de son pays d’origine et conclut que les informations fournies ne démontrent pas qu’il risquerait personnellement d’être torturé ou de subir des traitements inhumains ou dégradants s’il retournait en République démocratique du Congo.

8.Dans ces circonstances, le Comité considère que les informations soumises par le requérant ne sont pas suffisantes pour établir qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en République démocratique du Congo.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi durequérant vers la République démocratique du Congo ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.