Nations Unies

CAT/C/64/D/727/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

10 septembre 2018

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 727/2016 * , **

Communication présentée par :

A. B. (représenté par un conseil, Hana Frankova)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Allemagne

Date de la requête :

5 février 2016 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

9 août 2018

Objet :

Expulsion vers le Bélarus

Question ( s ) de fond :

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine (non-refoulement)

Question ( s ) de procédure :

Fondement des griefs

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est A. B., de nationalité bélarussienne, né en 1979. Sa demande d’asile ayant été rejetée par l’Allemagne, il risque l’extradition en raison de la procédure pénale en cours contre lui au Bélarus. Il soutient que son extradition vers le Bélarus constituerait une violation par l’Allemagne de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil. L’Allemagne a fait la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention le 19 octobre 2001.

1.2Le 10 février, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a demandé à l’État partie, conformément à l’article 114 de son règlement intérieur, de ne pas expulser le requérant tant que la requête serait en cours d’examen.

Exposé des faits

2.1Le requérant soutient qu’il a été détenu par la police bélarussienne pendant quarante‑cinq jours pour avoir transporté des tracts à teneur politique et que sa voiture a été confisquée. Il affirme qu’il a été roué de coups et maltraité par les policiers pendant sa garde à vue. Après sa remise en liberté, il a vu son domicile perquisitionné à plusieurs reprises par la police, qui le soupçonnait de transporter des tracts de la Pologne vers le Bélarus. À l’un de ses retours de Pologne, il a été interrogé par la police qui, en lui montrant une vidéo où on le voyait franchir la frontière entre la Pologne et le Bélarus, l’a accusé d’importer des tracts au Bélarus. Le requérant affirme que les agents ont menacé de l’arrêter pour des infractions liées à la drogue. Il affirme en outre qu’il a été condamné ultérieurement par défaut pour contrebande.

2.2Le requérant est entré en République tchèque, où il a demandé l’asile le 28 octobre 2006. Il a vu sa demande rejetée par le Ministère de l’intérieur en raison de l’incohérence de ses déclarations au sujet de sa condamnation.

2.3En 2010, la Cour européenne des droits de l’homme a adopté une mesure provisoire à l’encontre de la République tchèque et suspendu l’extradition du requérant vers le Bélarus. En conséquence, le 23 avril 2010, le tribunal de district de Pilsen a décidé de ne pas accorder l’extradition du requérant. Il a également constaté au vu des faits et des éléments de preuve présentés, que la Cour européenne avait conclu qu’il existait de bonnes raisons de craindre que la procédure pénale engagée contre le requérant au Bélarus ne serait pas conforme aux articles 3 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les autorités tchèques ont accordé au requérant une protection subsidiaire d’un an, qu’elles ont prolongée ultérieurement tous les six mois, faisant observer que le risque de torture ou de traitements inhumains ou dégradants ne pouvait être exclu.

2.4Le 17 octobre 2013, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu qu’en expulsant le requérant vers le Bélarus, la République tchèque violerait l’article 13, lu conjointement avec l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

2.5Le 17 octobre 2015, le requérant a été arrêté par la police des frontières allemande alors qu’il traversait la frontière germano‑tchèque. L’arrestation était fondée sur une demande d’extradition émise par les autorités bélarussiennes pour des infractions liées à la drogue que le requérant aurait commises en 2006. Le 23 novembre 2015, la Chambre du tribunal régional supérieur de Dresde a autorisé l’extradition du requérant, s’appuyant sur les assurances diplomatiques données par les autorités bélarussiennes selon lesquelles l’intéressé ne serait pas soumis à la torture ou à des mauvais traitements. Le 22 janvier 2016, le tribunal régional a rejeté l’appel du requérant contre la décision d’extradition. Le 10 février 2016, la Cour constitutionnelle fédérale a confirmé la décision d’extradition rendue par le tribunal régional supérieur.

2.6Le requérant soutient qu’il a épuisé tous les recours internes.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son extradition vers le Bélarus constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention car il courrait personnellement le risque d’être persécuté et torturé.

3.2Le requérant craint, s’il rentre au Bélarus, d’être soumis à la torture et à des mauvais traitements en raison de ses opinions politiques, de son soutien à un candidat de l’opposition à l’élection présidentielle et de son attitude critique à l’égard du Bélarus attestée par sa demande d’asile.

3.3Ajoutant que les autorités de l’État partie ne devraient pas s’en remettre aux assurances diplomatiques données par le Gouvernement du Bélarus, il renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme à cet égard.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses premières observations sur la recevabilité, en date du 12 février 2016, l’État partie fait valoir que la requête est irrecevable pour non-épuisement des recours internes, un appel du requérant étant pendant devant la Cour constitutionnelle fédérale.

4.2Dans une note du 19 avril 2016, l’État partie présente des observations complémentaires sur la recevabilité et sur le fond. Il explique que, comme la législation allemande relative à l’extradition ne permet pas de prononcer de longues périodes de détention, le mandat d’arrêt délivré contre le requérant a été annulé en application d’une décision rendue le 3 mars 2016 par le tribunal régional supérieur de Dresde et le requérant a été remis en liberté.

4.3L’État partie demeure convaincu qu’en raison des assurances diplomatiques données par le Bélarus au sujet des conditions de détention et compte tenu de la pratique de respect de ces assurances, l’extradition du requérant serait conforme aux exigences du droit allemand, du droit européen et du droit international, ainsi qu’à la jurisprudence et à la pratique étatique pertinentes. Il ajoute que les circonstances qui ont permis au requérant d’obtenir une protection subsidiaire en République tchèque ne sont pas pertinentes en l’espèce étant donné que la République tchèque n’a pas reçu d’assurances du Gouvernement du Bélarus.

4.4L’État partie demande au Comité de cesser l’examen de la communication au motif que la question est devenue sans objet à la suite de la remise en liberté du requérant.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note du 7 septembre 2016, faisant part de ses commentaires sur les observations de l’État partie relatives aux assurances diplomatiques, le requérant soutient que, selon des rapports d’organes internationaux de surveillance des droits de l’homme, notamment celui du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme au Bélarus, la torture est utilisée dans les prisons au Bélarus. Dans le rapport présenté au Conseil des droits de l’homme à sa trente-deuxième session, le Rapporteur spécial constate en effet que la torture est pratiquée dans les établissements pénitentiaires et exprime ses vives préoccupations au sujet de la mort de Y. P., qui s’est suicidé en prison pour protester contre la torture et les sévices subis lors des interrogatoires et de sa détention.

5.2En ce qui concerne la demande de l’État partie de cesser l’examen de la communication, le requérant fait valoir qu’il n’a été remis en liberté que parce que le Comité a fait droit à une demande de mesures provisoires et que, s’il était mis un terme à l’examen de la communication, il risquerait à nouveau d’être expulsé vers le Bélarus. Le requérant ajoute que sa remise en liberté n’a pas sensiblement modifié la décision pertinente concernant son extradition. À l’appui de cet argument, il fait valoir que l’État partie n’a pas reconnu la violation de ses droits et reste convaincu que l’extradition serait compatible avec le droit allemand, le droit européen et le droit international.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une note du 5 août 2016, l’État partie fait savoir qu’à la suite d’une alerte Interpol publiée par les autorités du Bélarus, le requérant a été arrêté alors qu’il entrait en Allemagne depuis la République tchèque. Le requérant est accusé de s’être livré à un trafic de stupéfiants à plusieurs reprises en septembre 2006, à Grodno. En octobre 2006, il était entré en République tchèque sous un faux nom. Sa véritable identité n’a été connue qu’en décembre 2009, lorsque ses empreintes digitales ont été confirmées par les autorités bélarussiennes. La République tchèque a rejeté plusieurs demandes d’asile présentées par le requérant. Le 23 avril 2010, le tribunal de district de Pilsen a statué que l’extradition du requérant ne pouvait être accordée, en faisant valoir qu’il y avait de bonnes raisons de craindre que la procédure pénale engagée contre lui au Bélarus ne serait pas conforme aux articles 3 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

6.2L’État partie indique que, le 26 octobre 2015, le tribunal régional supérieur de Dresde a ordonné la détention temporaire du requérant aux fins d’extradition. Le tribunal a fondé sa décision sur le fait que les actes décrits étaient des infractions donnant lieu à extradition et qu’il n’existait aucun motif évident faisant obstacle à l’extradition. Le parquet général a été chargé de solliciter des autorités bélarussiennes l’assurance que le requérant serait placé dans un centre de détention conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, aux Règles pénitentiaires européennes et à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela).

6.3L’État partie fait savoir que, le 3 novembre 2015, le Bureau du Procureur général du Bélarus a donné des assurances écrites selon lesquelles, s’il était renvoyé, le requérant ne serait pas extradé vers un État tiers et n’encourrait pas de poursuites pénales sans le consentement des autorités compétentes de la République fédérale d’Allemagne, qu’il ne serait pas poursuivi au pénal pour des infractions ne figurant pas sur la demande d’extradition, qu’il aurait la possibilité de se défendre, notamment avec l’aide d’un avocat, et qu’il ne subirait pas de torture ni de mauvais traitements. L’État partie indique en outre que le Bureau du Procureur général du Bélarus a donné l’assurance que le requérant serait placé dans un centre de détention conforme aux normes internationales relatives au traitement des prisonniers et que les employés de l’ambassade d’Allemagne au Bélarus seraient autorisés à lui rendre visite en détention.

6.4L’État partie ajoute que, le 23 novembre 2015, la Chambre du tribunal régional supérieur de Dresde a rendu une ordonnance d’extradition contre le requérant. Dans sa décision, la Chambre s’est fondée sur les passages du mandat d’extradition préliminaire relatifs à la peine maximale encourue par le requérant en vertu de la législation pénale du Bélarus, sur l’évaluation juridique au regard du droit pénal allemand, ainsi que sur les garanties contraignantes données par le Bureau du Procureur général du Bélarus.

6.5L’État partie fait savoir que, le 23 décembre 2015, à la demande du requérant, le Président de la Chambre du tribunal régional supérieur a désigné un conseiller juridique, qui a fait appel de la décision d’extradition le 12 janvier 2016. Par une ordonnance du 22 janvier 2016, la Chambre du tribunal régional supérieur a rejeté le recours, notamment au motif qu’aucun élément de preuve particulier n’avait été produit pour étayer l’allégation du requérant selon laquelle celui-ci avait été persécuté pour avoir distribué des tracts, et que les préoccupations exprimées par le conseiller juridique désigné par le Président du tribunal étaient fondées sur des hypothèses. En ce qui concerne les assurances données par les autorités bélarussiennes, la Chambre a estimé que rien ne permettait de penser que le requérant risquerait d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements s’il était extradé. Évoquant le statut du requérant en République tchèque, la Chambre a constaté que les autorités tchèques ne lui avaient pas accordé le statut de réfugié mais − pour tenir compte de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme − ne l’avaient admis qu’au titre d’un régime de séjour toléré et avaient suspendu temporairement son expulsion, ce qui ne faisait donc pas obstacle à l’admissibilité de l’extradition. La Chambre a conclu en outre que le requérant ne devait pas être expulsé mais extradé vers la République du Bélarus aux fins de poursuites pénales.

6.6L’État partie note que, le 10 février 2016, la Cour constitutionnelle fédérale a rejeté l’appel du requérant sans motiver sa décision. La procédure d’extradition a été suspendue à la suite de la demande du Comité de ne pas extrader le requérant. Par une lettre datée du 3 mars 2016, le parquet général de Dresde a ordonné la libération immédiate du requérant et la levée du mandat d’arrêt aux fins d’extradition. Le même jour, la Chambre du tribunal régional supérieur de Dresde a annulé le mandat d’arrêt aux fins d’extradition afin de se conformer au principe de proportionnalité. Le Gouvernement du Bélarus a été informé de l’évolution de la situation par une note verbale du 11 mars 2016. L’État partie signale que l’on ignore où se trouve actuellement le requérant.

6.7L’État partie soutient que la requête est dénuée de fondement et réaffirme que l’extradition du requérant pouvait être accordée compte tenu de toutes les assurances données par le Bélarus. Il fait référence à la jurisprudence du Comité selon laquelle la personne concernée doit courir personnellement un risque prévisible et réel d’être soumise à la torture à son retour. Il fait observer que l’existence, dans un pays, de violations des droits de l’homme graves ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir de manière suffisamment certaine qu’un requérant risque d’être soumis à la torture à son retour dans un pays donné. Il souligne aussi que les motifs ne doivent pas se limiter à un simple danger abstrait de voir l’intéressé exposé à un risque particulier, et que la charge de la preuve incombe généralement au requérant.

6.8L’État partie réaffirme que, même si le requérant fait référence à de nombreux rapports sur la situation générale des droits de l’homme au Bélarus, notamment des rapports sur la torture et les mauvais traitements, il n’a fait valoir devant les juridictions nationales comme devant le Comité aucun élément qui atteste l’existence d’un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture. En ce qui concerne la première demande d’asile, l’État partie fait observer que les autorités tchèques n’ont pas jugé dignes de foi les allégations du requérant, notamment lorsque celui-ci a déclaré qu’il s’était politiquement engagé pour soutenir l’opposition, ou qu’il avait été arrêté, que son véhicule avait été saisi, et que son domicile avait été perquisitionné. L’État partie est convaincu que le requérant n’a pas étayé son argument selon lequel les autorités bélarussiennes ont forgé de toutes pièces l’action pénale intentée contre lui en raison de son militantisme politique.

6.9Renvoyant aux critères établis par la Cour européenne des droits de l’homme, l’État partie note que les assurances données en l’espèce ont une teneur suffisante et sont suffisamment précises. Il rappelle que, selon ces assurances, le requérant, s’il est extradé, sera placé dans un centre de détention conforme aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme, et que des représentants de la mission consulaire allemande pourront en tout temps lui rendre visite.

6.10L’État partie signale qu’au cours des nombreuses années de collaboration avec le Bélarus sur les questions d’extradition, celui‑ci a pleinement tenu ses engagements en matière d’assurances et que, dans aucun cas, il ne les a respectés que partiellement. Par conséquent, selon l’État partie, l’accord actuel sur les assurances conclu avec le Bélarus est un mécanisme fiable, qui peut également faire l’objet d’un suivi régulier par l’ambassade d’Allemagne au Bélarus.

Commentaires du requérant sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Dans une note du 27 mars 2017, le requérant affirme que l’État partie a mal évalué son statut de résident en République tchèque. Il explique que cet État lui a accordé une protection internationale sous la forme d’une protection subsidiaire, ce qui ne saurait être considéré comme une suspension temporaire de son expulsion. L’octroi de ce statut par les autorités tchèques démontre que le requérant est exposé à un risque de préjudice grave à son retour, au sens des alinéas a) et b) de l’article 14 de la loi tchèque sur l’asile, qui est conforme à la Directive du Conseil de l’Union européenne applicable, à savoir le risque d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine. Le requérant relève en outre que le visa de tolérance ou la suspension temporaire de l’expulsion correspondent à un statut différent qui n’est pas accordé en vertu d’une décision positive prise dans le cadre d’une procédure de protection internationale et qui n’a aucun rapport avec la Directive du Conseil de l’Union européenne applicable. Il fait valoir qu’en ignorant cette distinction essentielle entre un visa de tolérance et la protection subsidiaire, l’État partie a réduit le caractère international de la protection que lui ont accordée les autorités tchèques.

7.2Le requérant souligne que sa libération a été rendue possible à la suite de la demande de mesures provisoires présentée par le Comité, et que l’État partie n’a pas modifié sa position en ce qui concerne son extradition, se fondant sur toutes les assurances données par les autorités du Bélarus. Il insiste sur le fait qu’un renvoi l’exposerait à un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture ou à de mauvais traitements. En ce qui concerne les assurances diplomatiques, il fait observer que l’État partie n’a pas déterminé si plusieurs critères fixés par la Cour européenne des droits de l’homme étaient remplis, notamment si les autorités locales étaient tenues de respecter les assurances données, si un système efficace de protection contre la torture avait été mis en place, si les autorités étaient disposées à coopérer avec les mécanismes internationaux de surveillance, et si la fiabilité des assurances données avait été dûment examinée par les juridictions du pays d’envoi.

7.3Le requérant a fourni des informations à l’appui de son argument selon lequel des cas de torture et de mauvais traitements avaient été signalés au Bélarus, comme le montrent divers rapports sur la situation des droits de l’homme dans ce pays.

7.4En ce qui concerne l’observation de l’État partie selon laquelle le requérant ne sera pas expulsé mais extradé, le requérant note qu’il n’est pas pertinent de savoir sous quelle forme il serait contraint de retourner au Bélarus car il courrait le risque d’être soumis à la torture ou à de mauvais traitements.

Observations supplémentaires de l’État partie

8.Dans une note du 7 août 2018, l’État partie fait observer, en ce qui concerne le lieu où se trouve le requérant, que rien d’indique que celui-ci réside toujours sur son territoire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention.

9.2Le Comité note tout d’abord que, conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, il ne saurait examiner une communication que si la même question n’a pas été et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il rappelle qu’une communication est considérée comme ayant été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement si cet examen concernait les mêmes parties, les mêmes faits et le même contenu des droits. Il constate qu’une affaire dans laquelle se posait la question des risques encourus par le requérant en cas de retour forcé au Bélarus a été inscrite au rôle de la Cour européenne les droits de l’homme, qui a conclu que le requérant ne devait pas être renvoyé au Bélarus. Il note, toutefois, que cette affaire diffère de la présente espèce car, même si elle concernait la même question et le même requérant, elle visait la République tchèque alors qu’en l’espèce l’État visé est l’Allemagne. En conséquence, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

9.3Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune requête émanant d’un particulier sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il prend note de l’objection préliminaire soulevée par l’État partie selon laquelle, lorsqu’elle a été présentée pour la première fois, la requête était irrecevable pour non‑épuisement des recours internes, une décision de la Cour constitutionnelle fédérale étant attendue. Toutefois, après que la Cour a rendu sa décision finale le 10 février 2016, l’État partie, dans ses observations du 5 août 2016, a fait savoir que tous les recours internes avaient été effectivement épuisés. Le Comité estime en conséquence que les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ne l’empêchent pas de procéder à l’examen de la requête quant au fond.

9.4Le Comité rappelle que, pour être recevable au regard du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 b) de son règlement intérieur, une requête doit apporter le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la requête est manifestement infondée au motif que le mandat d’arrêt aux fins d’extradition a été levé, que le requérant a été remis en liberté et que l’on ignore où il se trouve actuellement. Dans ce contexte, le Comité note que le requérant soutient qu’il n’a été remis en liberté qu’en raison de la mesure provisoire accordée par le Comité, et que l’État partie appliquera la décision d’extradition en se fondant sur les assurances données par les autorités bélarussiennes.

9.5En ce qui concerne ces assurances, le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017) sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, et souligne que les assurances diplomatiques données par un État partie à la Convention vers lequel une personne doit être expulsée ne sauraient servir de moyen détourné pour saper le principe de non‑refoulement énoncé à l’article 3 de la Convention, lorsqu’il existe de sérieux motifs de croire que cette personne risquerait d’être torturée dans cet État. Le Comité note en outre que, par le passé, les autorités tchèques ont accordé au requérant une protection subsidiaire, qu’elles ont prolongée à de multiples reprises au motif que le risque de torture ou de traitements inhumains ou dégradants encouru par celui‑ci au Bélarus ne pouvait être exclu. À cet égard, il regrette que l’État partie ait remis en question la décision prise par les autorités tchèques, ainsi que la décision par laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a estimé qu’en extradant le requérant vers le Bélarus, la République tchèque violerait l’article 13, lu conjointement avec l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

9.6Toutefois, le Comité considère que la communication est devenue sans objet du fait que le requérant a déjà été remis en liberté et qu’il n’existe donc à l’heure actuelle aucun risque prévisible, actuel, personnel et réel qu’il soit renvoyé au Bélarus, et torturé ou maltraité. Dans ces conditions, le Comité estime que le requérant n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, qu’il risquait personnellement d’être victime d’une violation de l’article 3 de la Convention. En conséquence, conformément à l’article 22 de la Convention et à l’article 107 b) de son règlement intérieur, le Comité conclut que la requête est manifestement dénuée de fondement. En prenant cette décision, il sait qu’en tout état de cause, le requérant aurait la possibilité de lui soumettre une nouvelle requête contre l’État partie s’il était de nouveau menacé de renvoi forcé vers le Bélarus.

10.En conséquence, le Comité contre la torture décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 22 de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et à l’État partie.