Nations Unies

CAT/C/44/D/322/2007

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. restreinte*

3 juin 2010

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Quarante-quatrième session

26 avril-14 mai 2010

Décision

Communication no 322/2007

Présentée par:

Eveline Njamba et sa fille Kathy Balikosa(représentées par un conseil, M. Manuel Boti Flid)

Au nom de:

Eveline Njamba et sa fille Kathy Balikosa

État partie:

Suède

Décision sur la recevabilité:

CAT/C/41/D/322/2007

Date de la requête:

11 juin 2007 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

14 mai 2010

Objet:

Expulsion des requérantes de Suède vers la République démocratique du Congo

Questions de procédure:

Néant

Questions de fond:

Expulsion de personnes vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elles risquent d’être soumises à la torture

Articles de la Convention:

3 et 16

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (quarante‑quatrième session)

concernant la

Communication no 322/2007

Présentée par:

Eveline Njamba et sa fille Kathy Balikosa(représentées par un conseil, M. Manuel Boti Flid)

Au nom de:

Eveline Njamba et sa fille Kathy Balikosa

État partie:

Suède

Date de la requête:

11 juin 2007 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 14 mai 2010,

Ayant achevé l’examen de la requête no 322/2007, présentée par Eveline Njamba et sa fille Kathy Balikosa en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Les requérantes sont Eveline Njamba et sa fille Kathy Balikosa, ressortissantes de la République démocratique du Congo (RDC), nées respectivement le 10 avril 1975 et le 4 mars 2001. Elles font l’objet d’un arrêté d’expulsion de la Suède vers la RDC. Bien qu’elles n’invoquent aucune disposition particulière de la Convention, leur requête paraît soulever des questions au regard de l’article 3 et, peut-être, de l’article 16. Elles sont représentées par un conseil, M. Manuel Boti Flid.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la communication à l’attention de l’État partie le 14 juin 2007. Parallèlement, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie de ne pas procéder à l’expulsion des requérantes vers la RDC tant que leur requête serait à l’examen. Le même jour, l’État partie a accédé à la demande.

Rappel des faits exposés par les requérantes

2.1Les requérantes sont originaires de Gemena dans la province de l’Équateur. En 2004, elles ont déménagé à Goma où l’époux de Mme Njamba avait créé une petite entreprise. À l’époque, le frère de celui-ci était commandant dans l’armée congolaise. À Goma, Mme Njamba a découvert que la petite entreprise servait de couverture aux activités réelles de son mari, qui consistaient notamment à aider les rebelles dans la province de l’Équateur et à Goma. Depuis 1998, son époux était impliqué dans des actes de trahison et d’espionnage pour le compte des rebelles, notamment l’achat d’armes pour la rébellion dans la province de l’Équateur. De nombreuses familles voulaient pour cette raison la mort de ce dernier et l’avaient menacé. Mme Njamba connaissait les activités de son époux et celles de son beau-frère, de sorte que beaucoup considéraient qu’elle était leur complice et qu’elle était elle-même impliquée dans des activités en faveur de la rébellion. La police ne la protégeait pas. Au contraire elle avait contribué à divulguer les activités de son époux aux familles qui voulaient se venger de lui.

2.2En décembre 2004, alors que les requérantes étaient à l’église, des combats ont éclaté. Lorsqu’elles sont rentrées chez elles après s’être cachées pendant quelques jours chez des gens, l’époux et les trois autres enfants de Mme Njamba avaient disparu. Mme Njamba soupçonne les milices congolaises de les avoir tués. Selon elle, sa fille et elle-même n’ont survécu que parce qu’elles s’étaient cachées. Durant les combats, les requérantes ont été témoins d’exécutions, de viols et d’actes de torture. Le beau-frère de Mme Njamba, soupçonné de trahison, a été tué.

2.3À la suite de cet incident, les requérantes ont fui la RDC et sont arrivées en Suède le 29 mars 2005. Le jour même, elles ont demandé l’asile. Le 21 mars 2006, leur demande a été rejetée par le Conseil des migrations, qui a conclu que les circonstances qu’elles invoquaient n’étaient pas suffisantes pour leur donner droit au statut de réfugié. Le Conseil a estimé que les requérantes n’étaient pas personnellement menacées dans leur vie et qu’en outre, étant originaires de la province de l’Équateur, elles pouvaient y retourner. Les requérantes ont formé un recours contre cette décision faisant valoir que Mme Njamba était séropositive et qu’en RDC aucun traitement médical n’était disponible.

2.4Le 1er septembre 2006, le recours des requérantes a été rejeté par le Tribunal des migrations. Le Tribunal a fait siennes les conclusions du Conseil des migrations selon lesquelles les circonstances invoquées par les requérantes ne suffisaient pas à établir qu’elles avaient besoin d’être protégées. S’agissant de l’état de santé de Mme Njamba, le Tribunal a statué qu’il ne pouvait être considéré comme présentant les caractéristiques d’une situation de détresse exceptionnelle nécessitant l’application de l’article 6 du chapitre 5 de la loi sur les étrangers de 2005. Le 10 octobre 2006, les requérantes ont saisi la Cour d’appel des migrations, mais l’autorisation d’interjeter appel leur a été refusée le 8 janvier 2007.

2.5Dans une requête adressée au Conseil des migrations le 21 mars 2007, les requérantes ont sollicité un réexamen de leur demande en vertu de l’article 19 du chapitre 12 de la loi sur les étrangers de 2005. Elles ont fait valoir un argument supplémentaire, affirmant qu’elles seraient en danger si elles étaient renvoyées en RDC parce que les personnes refoulées d’Europe étaient automatiquement arrêtées et interrogées à leur arrivée. Le 30 mai 2007, le Conseil des migrations a décidé de ne pas surseoir à l’exécution de l’arrêté d’expulsion. Le 7 juin 2007, il a en outre décidé de ne pas réexaminer la demande des requérantes.

Teneur de la plainte

3.1Les requérantes font valoir qu’elles seraient victimes d’une violation de la Convention si elles étaient expulsées en RDC où elles craignent d’être torturées. Mme Njamba pense qu’elle serait torturée ou tuée par les services de sécurité ou, par vengeance, par les familles qui estiment avoir été trahies par elle, son époux et son beau-frère. Les requérantes font aussi valoir que, dans la pratique, la police secrète arrête et interroge toutes les personnes renvoyées d’un autre pays et qu’il est fréquent qu’elle les torture, les emprisonne arbitrairement ou les exécute. Elles affirment en outre que la situation en matière de sécurité en RDC est précaire et que, de ce fait, le Gouvernement est incapable de garantir la protection de leurs droits fondamentaux.

3.2Des médecins en Suède ont confirmé la séropositivité de Mme Njamba. La requérante affirme que, vu l’inexistence ou la rareté des moyens de traitement en RDC, elle mourrait du sida si elle y était renvoyée. À son retour en RDC, elle aurait à affronter une «mort douloureuse» causée par la maladie, ainsi que la souffrance de laisser sa fille orpheline.

3.3Les requérantes affirment qu’elles ont épuisé les recours internes car tous leurs appels ont été rejetés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 11 décembre 2007, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête. Il reconnaît que tous les recours internes ont été épuisés. Il affirme néanmoins que la communication devrait être déclarée irrecevable conformément au paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention. Il rappelle que l’article 3 n’est applicable que si le requérant risque d’être soumis à la torture telle qu’elle est définie à l’article premier. En conséquence, vu qu’une éventuelle détérioration de l’état de santé de Mme Njamba après son expulsion ne saurait être considérée comme constitutive d’un acte de torture selon la définition de l’article premier, l’État partie fait valoir que la question de savoir si l’exécution de l’arrêté d’expulsion constituerait une violation de la Convention en raison de la séropositivité de Mme Njamba ne relève pas du champ de l’article 3. De plus, selon l’État partie, l’allégation des requérantes selon laquelle elles seront soumises à un traitement contraire à l’article 3 n’est pas étayée par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Il estime que la requête est manifestement dénuée de fondement.

4.2L’État partie admet que la requête peut soulever des questions au regard de l’article 16 de la Convention. Il rappelle néanmoins la jurisprudence du Comité selon laquelle l’aggravation de l’état de santé physique ou mentale d’une personne due à une expulsion ne peut généralement constituer à elle seule, en l’absence d’autres facteurs, un traitement dégradant en violation de l’article 16. Il fait valoir que les requérantes n’ont en l’espèce invoqué aucun autre facteur. En conséquence, la requête, dans la mesure où elle se rapporte à l’article 16, devrait être déclarée irrecevable ratione materiae. Si le Comité concluait que l’article 16 s’applique à la question de l’exécution de la décision d’expulsion, l’État partie estime que les requérantes n’ont pas apporté le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. À cet égard également, la requête est considérée comme manifestement infondée.

4.3Sur le fond, l’État partie note qu’il y a eu une évolution positive dans le sens de la démocratie et de la stabilité en RDC. En particulier, les premières élections démocratiques depuis quarante-six ans ont eu lieu en 2006. La RDC a ratifié la plupart des principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. L’État partie reconnaît que des violations des droits de l’homme sont encore couramment signalées dans le pays, mais qu’elles se produisent le plus souvent dans des zones non contrôlées par le Gouvernement, situées principalement dans l’est de la RDC. L’État partie affirme donc que la situation actuelle en RDC ne semble pas de nature à justifier un besoin général de protection des demandeurs d’asile originaires de ce pays.

4.4Pour ce qui est du risque encouru personnellement par les requérantes d’être soumises à la torture en RDC, l’État partie note que l’organe national qui procède aux entretiens avec les demandeurs d’asile est très bien placé pour évaluer les informations présentées par eux et apprécier la crédibilité de leurs demandes. En l’occurrence, l’entretien ayant duré deux heures, le Conseil des migrations disposait de suffisamment d’informations qui, considérées conjointement avec les faits et documents figurant dans le dossier, l’ont doté d’une solide base pour évaluer le besoin de protection des requérantes en Suède. L’État partie s’appuie sur les décisions du Conseil des migrations et du Tribunal des migrations et sur les motifs énoncés dans ces décisions.

4.5L’État partie considère que l’allégation des requérantes selon laquelle leur expulsion constituerait une violation de la Convention en raison des hostilités en RDC n’a pas été étayée. Les requérantes affirment certes avoir été témoins de terribles violations des droits de l’homme, mais n’ont pas été elles-mêmes victimes d’agressions ou de violences. En conséquence, leurs affirmations quant aux risques de torture ont un caractère général et ne se fondent que sur la situation générale du pays. Ces affirmations n’apportent en rien la preuve que les requérantes courent un risque prévisible, réel et personnel d’être torturées. En outre, l’État partie note que les requérantes ne seront pas renvoyées dans la région orientale de la RDC, mais dans la province de l’Équateur, à l’ouest, où les conditions de sécurité et la situation concernant les droits de l’homme sont bien meilleures. Il rappelle que les requérantes sont nées dans cette province et qu’elles y étaient enregistrées comme résidentes lorsqu’elles ont quitté le pays. Si elles se sont rendues à Goma avant leur départ, elles n’y sont restées que très peu de temps. Les requérantes peuvent éviter tout risque présumé de torture dû à d’éventuelles hostilités dans l’est de la RDC en retournant dans la province de l’Équateur.

4.6En ce qui concerne l’allégation des requérantes selon laquelle leur retour forcé en RDC les exposerait au risque d’être arrêtées, interrogées, emprisonnées et éventuellement soumises à la torture puis tuées par les services de sécurité, l’État partie objecte qu’elle a aussi un caractère général et que les requérantes n’ont invoqué aucune circonstance qui expliquerait pourquoi elles courent personnellement un tel risque. Les requérantes affirment que les personnes renvoyées de force en RDC sont victimes de violences, mais dans les informations généralement disponibles sur le pays l’État partie ne trouve rien qui vienne étayer cette affirmation. Il existe des exemples de personnes ayant été interrogées à leur retour en RDC, mais il n’a été signalé dans ces cas aucun autre abus qu’auraient commis les autorités. L’État partie note en outre que ce n’est que le 21 mars 2007 que les requérantes ont pour la première fois fait état de ces circonstances particulières, dans la nouvelle requête qu’elles ont soumise au Conseil des migrations.

4.7Au sujet du grief tiré de l’article 16, l’État partie, s’appuyant sur la jurisprudence du Comité, relève qu’aucune violation de cette disposition n’a jamais été constatée dans des affaires d’expulsion. Se fondant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il note que la Cour n’a conclu à une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme que dans des circonstances très exceptionnelles où la personne devant être expulsée était en phase terminale du sida et n’aurait pu bénéficier d’un traitement ni d’un soutien social et moral dans le pays de destination. Dans la présente affaire, l’État partie fait valoir qu’il n’existe aucune circonstance exceptionnelle de ce type. De fait, des médicaments antirétroviraux sont disponibles, en principe gratuitement. Concernant l’état de santé de Mme Njamba, l’État partie relève qu’elle n’a pas développé le sida et ne souffre d’aucune maladie liée au VIH. Il ressort de son certificat médical qu’elle n’aura pas besoin de prendre des médicaments dans les toutes prochaines années.

Commentaires des requérantes sur les observations de l’État partie

5.1Le 20 février 2008, les requérantes ont fait savoir qu’elles n’avaient pas de commentaires à formuler sur les observations de l’État partie.

5.2Le 24 juin 2008, les requérantes ont réaffirmé que l’on ignorait toujours où se trouvait l’époux de Mme Njamba et qu’elles le croyaient mort. Elles ont expliqué ne pas avoir voulu mentionner ses activités politiques dans la procédure d’asile parce qu’elles étaient traumatisées par les événements dont elles avaient été témoins. En outre, Mme Njamba n’avait pas voulu mettre son mari en danger en révélant les détails de ses activités politiques aux autorités chargées des demandes d’asile.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Dans une note datée du 8 octobre 2008, l’État partie a fait observer que les éléments nouveaux relatifs aux circonstances ayant entouré la disparition de membres de la famille des requérantes n’avaient jamais été présentés aux autorités suédoises de l’immigration, mais mentionnés pour la première fois dans leur communication au Comité, soit plus de deux ans après leur demande initiale d’asile. Les requérantes n’ont pas fait état de ces circonstances devant le Tribunal des migrations dans leur appel contre la décision du Conseil des migrations. L’État partie rappelle que si un demandeur d’asile souhaite invoquer des circonstances nouvelles comme motif de sa demande d’asile, il dispose d’une voie de recours interne en vertu des articles 18 et 19 du chapitre 12 de la loi sur les étrangers de 2005. Il note que les requérantes n’ont pas fait recours contre la décision du Conseil des migrations de ne pas leur accorder de permis de séjour. Dans leur appel, elles auraient pu exposer les nouvelles circonstances invoquées devant le Comité. Comme elles ne l’ont pas fait, l’État partie considère que la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

6.2En tout état de cause, l’État partie considère que l’affirmation des requérantes selon laquelle elles risquent d’être traitées d’une manière qui constituerait une violation de la Convention au motif des activités de leur époux/père à Goma n’est pas étayée par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Il estime donc que la communication est manifestement infondée. En particulier, il considère qu’il y a de solides raisons de contester la véracité des nouvelles allégations et que la présentation au Comité d’une version complètement nouvelle des faits survenus en RDC, qui n’a pas été exposée aux autorités nationales, appelle un examen attentif de leur récit. Cette nouvelle version des événements doit être étayée par davantage de faits et de détails. Quoi qu’il en soit, les faits tels que les ont présentés les requérantes sont contradictoires et embrouillés, même en l’absence de détails. L’État partie juge en outre étonnant que les requérantes n’aient mentionné aucune de ces circonstances nouvelles dans leur communication initiale au Comité. Lorsqu’elles ont soumis leur plainte, les requérantes n’ont même pas essayé d’expliquer pourquoi ces nouvelles circonstances n’avaient pas été signalées auparavant. Ce n’est qu’en juin 2008 qu’elles ont fourni quelques indications expliquant pourquoi elles n’avaient pas exposé ces circonstances plus tôt (voir par. 5.2). À propos de ces explications, l’État partie a tenu à souligner que dans les premiers stades de la procédure nationale devant le Conseil des migrations, Mme Njamba avait été informée des conséquences de toute déclaration contenant des informations délibérément inexactes ou tronquées. Elle avait aussi été informée que les agents du Conseil des migrations ainsi que l’interprète et le conseiller juridique étaient astreints au secret professionnel. De plus, les raisons avancées par les requérantes n’expliquaient toujours pas pourquoi les nouvelles circonstances n’avaient pas été signalées aux autorités nationales, par exemple dans l’appel contre la décision du 7 juillet 2007 du Conseil des migrations.

6.3L’État partie rappelle que l’article 3 de la Convention ne s’applique que si une personne risque d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention. Il rappelle aussi que, selon la jurisprudence du Comité, la question de savoir si un État partie a l’obligation de ne pas expulser une personne qui risque de se voir infliger une douleur ou des souffrances par une entité non gouvernementale, sans le consentement exprès ou tacite du Gouvernement, est en dehors du champ d’application de l’article 3 de la Convention. Comme l’affirmation récente des requérantes semble porter sur le fait qu’elles risquent d’être tuées par des particuliers par vengeance en raison d’activités qu’aurait menées leur époux ou père, cette question n’entre en tout état de cause pas dans le champ de l’article 3 de la Convention.

6.4En ce qui concerne la disparition présumée de membres de la famille des requérantes, l’État partie réitère que devant les autorités nationales chargées des migrations Mme Njamba n’a indiqué ni que son époux travaillait clandestinement pour les rebelles, ni qu’il risquait d’être tué pour ce motif. Les raisons que les requérantes ont avancées dans leur demande d’asile étaient le conflit généralisé en RDC et la séropositivité de Mme Njamba. Pour l’examen de ces questions, la disparition présumée du reste des membres de la famille n’est pas pertinente. En outre, la question de savoir si un soutien familial serait disponible en cas de retour n’est pas pertinente pour déterminer si Mme Njamba pourrait rentrer en RDC alors qu’elle a été diagnostiquée séropositive au VIH. Elle ne l’est pas parce que sa santé est considérée comme bonne et qu’il existe des possibilités de traitement en RDC. La Cour d’appel des migrations a néanmoins examiné la question de la disparition présumée de membres de la famille. Dans son arrêt, elle a estimé que l’époux et les autres enfants de Mme Njamba se trouvaient encore quelque part en RDC. L’État partie ajoute que dans sa demande d’asile Mme Njamba a donné les nom et adresse d’un oncle maternel dans la province de l’Équateur. Dans la procédure nationale, elle a également indiqué que le frère de son époux était vivant et avait notoirement apporté son aide dans le passé. Il est donc étonnant qu’elle affirme maintenant au Comité qu’il a été tué parce qu’il était soupçonné de trahison. L’État partie note que le Comité international de la Croix-Rouge offre une assistance pour retrouver les membres de familles dispersées par le conflit en RDC, mais que les requérantes ne semblent pas avoir utilisé ce service, alors qu’il est disponible à partir de la Suède. L’État partie maintient que l’on ne peut toujours pas exclure que l’époux et les autres enfants de Mme Njamba soient aujourd’hui encore en vie en RDC.

6.5Au sujet de la séropositivité de Mme Njamba, l’État partie rappelle que des médicaments antirétroviraux sont disponibles, en principe gratuitement, dans les chefs-lieux des 11 provinces de la RDC, qui participent toutes au programme national contre le VIH. Mme Njamba aurait donc accès à des antirétroviraux à son retour dans la province de l’Équateur, d’où elle et sa fille sont originaires. L’État partie donne des détails sur les soins de santé en général disponibles en RDC. Il note que, selon l’ONUSIDA, ces dernières années l’accès aux antirétroviraux s’est considérablement amélioré dans le monde entier, y compris en Afrique. S’agissant du traitement relatif au VIH en RDC en particulier, l’État partie fournit des détails sur sa disponibilité dans les différentes régions du pays. En particulier, il souligne que Médecins sans frontières (MSF) exécute des projets de lutte contre le VIH/sida à Kinshasa, à Goma (dans le Nord-Kivu) et à Bukavu (dans le Sud-Kivu), entre autres. En outre, l’organisme allemand d’assistance GTZ a mis en place des centres de traitement à Kinshasa, Lubumbashi, Bukavu, Kisangani et Mbuji Mayi. De plus, la Banque mondiale, entre autres, contribue à la prise en charge des dépenses de l’État afférentes à la distribution gratuite d’antirétroviraux en RDC.

6.6Face à l’absence de jurisprudence du Comité sur la question de savoir si l’expulsion d’un étranger diagnostiqué séropositif ou malade du sida constituerait une violation de la Convention, l’État partie cite un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme siégeant en Grande Chambre. Dans cette affaire, la requérante était une Ougandaise atteinte du sida, qui affirmait que son retour en Ouganda l’exposerait à des souffrances ainsi qu’à une mort prématurée. La Cour a reconnu que la qualité de vie et l’espérance de vie de la requérante seraient affectées en cas de retour en Ouganda, mais elle a estimé qu’il n’y aurait pas violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme si elle était expulsée vers l’Ouganda. L’État partie souligne qu’en l’espèce Mme Njamba n’a toujours pas présenté de preuves à l’appui de l’allégation selon laquelle sa santé se détériore. Les éléments de preuve dont a été saisi le Comité ne peuvent qu’amener à conclure que l’état de santé de la requérante est bon car l’infection par le VIH n’a pas encore touché son système immunitaire et elle n’a toujours pas besoin de médicaments.

Décision sur la recevabilité

7.1À sa quarante et unième session, le 14 novembre 2008, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’avait pas été et n’était pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2En ce qui concerne l’obligation faite au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention d’épuiser tous les recours internes disponibles, le Comité a noté que les requérantes avaient demandé l’asile le 29 mars 2005. Le Conseil des migrations avait examiné leur demande le 21 mars 2006 et leur appel de la décision de ce dernier avait été rejeté par le Tribunal des migrations de Stockholm le 1er septembre 2006. Les requérantes avaient introduit un nouveau recours devant la Cour d’appel des migrations, mais l’autorisation d’interjeter appel leur avait été refusée le 8 janvier 2007. Elles avaient ensuite adressé au Conseil des migrations une requête en vue du réexamen de leur demande d’asile, qui avait été rejetée le 7 juin 2007. Dans ces circonstances, le Comité a estimé que les requérantes avaient épuisé les recours internes.

7.3En ce qui concerne le problème que poserait l’expulsion de Mme Njamba du fait de sa séropositivité, le Comité a rappelé sa jurisprudence selon laquelle, en général, l’aggravation de l’état de santé physique ou mental d’une personne par suite de son expulsion ne constitue pas, à elle seule, en l’absence d’autres facteurs, un traitement dégradant contraire à l’article 16. Le Comité a pris note de l’attestation médicale présentée par Mme Njamba indiquant qu’elle était séropositive et que le traitement contre le sida n’était pas facile à obtenir en RDC. Il a noté aussi que d’après cette même attestation, Mme Njamba n’avait pas besoin de traitement. En tout état de cause, le Comité a pris note des informations détaillées fournies par l’État partie sur la possibilité d’obtenir des médicaments contre le VIH en RDC (voir par. 6.5). Dans ces circonstances, le Comité a estimé que l’aggravation éventuelle de l’état de santé de Mme Njamba en cas de retour en RDC ne suffit pas en soi à étayer cette allégation, qu’il considère en conséquence irrecevable.

7.4En ce qui concerne le grief tiré du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, le Comité a noté qu’il n’existait aucun autre obstacle à la recevabilité de la requête et que l’affaire devait être examinée au fond. Il a relevé que l’État partie et les requérantes avaient déjà fait parvenir des observations sur le fond de la requête mais avant de rendre sa décision il souhaitait que l’État partie explique si les événements en cours en République démocratique du Congo avaient une incidence sur la décision d’expulser les requérantes.

Observations de l’État partie sur le fond

8.1Le 19 mai 2009, l’État partie a fait de nouvelles observations sur le fond en réponse aux questions posées par le Comité dans sa décision sur la recevabilité. En ce qui concerne la situation générale en RDC, l’État partie affirme que le pays continue d’être en proie à des violences et à l’insécurité, en particulier dans sa partie orientale. En janvier 2008, une conférence de paix a eu lieu à Goma et un accord de paix a été signé mais les affrontements violents n’ont pas cessé et, en août 2008, les combats ont repris entre les forces gouvernementales et les groupes rebelles. Le général Nkunda a appelé à un cessez-le-feu à la fin d’octobre 2008 mais des combats ont continué d’être signalés. Toutefois, ils étaient tous principalement concentrés dans le Nord-Kivu, le Sud-Kivu, et le district d’Ituru dans la province orientale. En janvier 2009, la RDC et le Rwanda ont lancé une opération militaire conjointe contre les rebelles hutus rwandais des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (RDLR) dans le Nord-Kivu. En outre, le général Nkunda − chef du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) − a été arrêté. D’autre part, en mars 2009, le Gouvernement de la RDC et le CNDP ont conclu un accord de paix.

8.2L’État partie rappelle que de nombreuses violations des droits de l’homme continuent d’être commises par différents groupes armés, y compris par les troupes gouvernementales. Des cas de torture, d’enlèvement et d’abus sexuels imputés aux milices et aux forces gouvernementales continuent d’être signalés. Néanmoins, c’est dans les régions qui échappent au contrôle du Gouvernement que la situation en matière de sécurité et de droits de l’homme demeure la plus précaire.

8.3L’État partie fait valoir que, selon la loi sur les étrangers, un étranger qui est considéré comme un réfugié ou comme ayant besoin d’une protection a droit, à quelques exceptions près, à un permis de résidence en Suède. L’expression «étranger ayant besoin d’une protection» a été expliquée plus haut mais il pourrait être ajouté qu’elle désigne également une personne qui a besoin d’une protection en raison d’un conflit armé interne ou externe ou du fait d’autres conflits graves dans son pays d’origine qui font qu’il a de sérieux motifs de craindre d’être victime de graves violations.

8.4En novembre 2008, le Conseil suédois des migrations a adopté une note d’orientation concernant la situation en RDC et ses répercussions sur l’examen des demandes d’asile émanant de ressortissants de ce pays. La note confirmait qu’un conflit interne était en cours dans l’est de la RDC et qu’une réinstallation était envisageable dans les régions stables du pays mais qu’une telle possibilité devait être examinée au cas par cas. Dans le cas des femmes seules en particulier, il fallait vérifier l’existence d’un réseau social et d’un lien avec d’autres parties de la RDC avant de se prononcer sur une réinstallation. De fait, en novembre 2008, le Conseil des migrations a accordé un permis de résidence permanent à une femme seule originaire de la province du Nord-Kivu, pour laquelle il avait conclu qu’une réinstallation dans le pays n’était pas possible, en l’absence d’un lieu ou d’un réseau social dans une autre région.

8.5Dans la présente affaire, l’État partie rappelle que les requérantes sont originaires de la province de l’Équateur et ont un lien étroit avec cette province où, à l’exception de quelques mois passés à Goma avant leur fuite de RDC, elles avaient toujours vécu. En conséquence, dans le cas des requérantes, la question d’une réinstallation dans le pays ne se pose pas dans la mesure où elles ne viennent pas d’une région en conflit et qu’elles sont censées retourner dans leur province natale. L’État partie réaffirme qu’il n’est toujours pas exclu que l’époux et les trois autres enfants de Mme Njamba soient encore en vie et se trouvent en RDC. À supposer que les requérantes n’aient plus aucun proche dans leur village, étant donné qu’elles y ont vécu toute leur vie, on peut raisonnablement présumer qu’elles y trouveront des personnes disposées à les aider. En tout état de cause, les requérantes peuvent demander un réexamen de leur demande par le Conseil des migrations si elles considèrent que la situation a beaucoup changé depuis le dépôt de leur demande initiale et qu’il y a à présent des obstacles à l’exécution des arrêtés d’expulsion.

8.6L’État partie rappelle que les raisons sur lesquelles les requérantes se fondent à présent pour demander l’asile ont changé par rapport à celles qu’elles avaient invoquées dans leur lettre initiale au Comité. En outre, leur description des faits a complètement changé dans l’exposé figurant dans la communication qu’elles ont adressée au Comité. Il fait valoir qu’en vertu de l’article 3, il incombe aux requérantes de présenter des arguments défendables. En tout état de cause, de l’avis de l’État partie, l’affirmation selon laquelle elles risquent d’être soumises à la torture en raison des activités de l’époux de Mme Njamba à Goma n’est ni crédible ni cohérente et manque de véracité. L’État partie se réfère également au fait que les requérantes n’ont pas répondu aux arguments qu’il a formulés dans ses dernières observations. Il souligne en outre qu’elles ne seront pas renvoyées à Goma où elles craignent d’être tuées en représailles contre les activités auxquelles l’époux de Mme Njamba se serait livré.

Observations complémentaires de l’État partie sur le fond

9.1Le 19 mars 2010, l’État partie a communiqué des renseignements en réponse aux questions posées par le secrétariat au nom du Comité, en particulier à la question de savoir quelle incidence cinq rapports d’organes des Nations Unies pourraient avoir sur la décision d’expulser les requérantes de Suède. Étant donné que le Gouvernement ne peut en aucune manière influer sur les décisions d’expulsion, qui relèvent de la compétence exclusive des autorités chargées des migrations, il a demandé au Conseil des migrations de répondre à la question du Comité. Le Conseil maintient sa position, qui est que les requérantes ne courent à l’heure actuelle aucun risque prévisible d’être victimes de violences à leur retour en RDC. Il fait valoir qu’elles n’ont pas apporté de preuves suffisantes pour démontrer qu’elles risquaient d’être soumises à la torture à Gemena, dans la province de l’Équateur, qui n’est pas une zone de conflit. Elles disposeraient dans cette ville d’un réseau social puisque c’est là que Mme Njamba a grandi. Gemena est une grande ville suffisamment sûre pour y vivre sans risquer de devoir se réfugier dans un camp de déplacés. Plusieurs organisations humanitaires y sont installées parce qu’il y règne sécurité et stabilité. En outre, les risques de violences sont moins élevés dans une grande ville que dans les zones rurales. Le Conseil des migrations réaffirme qu’en novembre 2008, il a adopté une note d’orientation (par. 8.4) au sujet de la situation en RDC et des incidences qu’elle peut avoir pour l’examen des demandes d’asile émanant de nationaux de ce pays. Il estime que si les requérantes avaient été originaires d’une zone de conflit, elles auraient pu obtenir un titre de séjour après réexamen de leur demande d’asile s’il avait été établi que leur réinstallation dans le pays n’était pas possible. Il ajoute que du reste si les requérantes estiment que leur situation répond aux critères énoncés dans la note d’orientation ou que la situation en RDC, en particulier dans leur province d’origine, a changé au point de constituer un empêchement à l’exécution de la mesure d’expulsion, elles peuvent solliciter le réexamen de leur demande par le Conseil, en vertu de l’article 19 du chapitre 12 de la loi sur les étrangers.

9.2En ce qui concerne la question de savoir si, au vu des renseignements figurant dans les rapports mentionnés, l’expulsion des requérantes constituerait une violation de l’article 3 de la Convention, l’État partie avance les mêmes arguments que précédemment et souscrit aux vues du Conseil des migrations. Il souligne que les requérantes seraient renvoyées non pas à Goma, où elles craignent d’être tuées en représailles contre les activités auxquelles le mari de Mme Njamba se serait livré, mais dans la province de l’Équateur. Les rapports mentionnés portent essentiellement sur les régions de l’Est de la RDC et ne sont donc pas pertinents en l’espèce. Ils confirment qu’il n’y a eu aucun conflit armé dans la province de l’Équateur depuis de nombreuses années. Certes l’État partie a bien noté que dans ces rapports il est indiqué que des violences sexuelles sont également commises dans la province de l’Équateur, en particulier par des policiers et des militaires en représailles contre les villages rebelles, mais il est clair que les femmes sont plus exposées à la violence dans les zones rurales et les petits villages que dans les villes. Les femmes déplacées sont également plus exposées à la violence que les femmes qui ont un domicile fixe. À ce sujet, l’État renvoie à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire S. M. c. Suède, où elle indique que bien que les violences contre les femmes qui ont été signalées soient alarmantes, une évaluation doit être effectuée pour chaque cas et l’existence d’un risque qu’un requérant soit soumis à des violences ou à la torture doit être déterminée en fonction de sa situation personnelle. Pour l’État partie, les renseignements contenus dans les rapports ne suffisent pas à établir que les requérantes courraient personnellement un risque réel et prévisible de subir des violences − sexuelles ou autres. En outre, l’État partie réaffirme qu’il y a de bonnes raisons de douter de la véracité des nouvelles allégations formulées pour la première fois par les requérantes dans leurs communications datées des 11 et 12 juin 2007, et de s’interroger sur leur non-réponse à ses observations du 8 octobre 2008 et du 19 mai 2009.

9.3Enfin, l’État partie soulève un point de procédure. Il fait valoir qu’en vertu de l’article 22 du chapitre 12 de la loi sur les étrangers de 2005, un arrêté d’expulsion qui n’a pas été prononcé par un tribunal ordinaire expire dans un délai de quatre ans à compter du moment où il devient définitif et n’est plus susceptible de recours. Cette disposition s’applique aux arrêtés d’expulsion qui ne sont pas prononcés à raison d’une infraction pénale, ce qui est le cas en l’espèce. L’arrêté d’expulsion est devenu définitif le 20 décembre 2006, lorsque la Cour d’appel des migrations a rejeté le recours formé par les requérantes contre la décision du Conseil des migrations. L’arrêté d’expulsion deviendra donc caduc le 20 décembre 2010. Étant donné ce qui précède et vu que l’affaire a déjà fait l’objet d’un premier examen par le Comité, l’État partie demande expressément au Comité de se prononcer à sa quarante-quatrième session, en avril-mai 2010. L’État partie souligne également que bien qu’elles soient représentées par un conseil, les requérantes n’ont apporté que des réponses succinctes à ses observations qui, à l’inverse, étaient très détaillées.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant les requérantes en République démocratique du Congo, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

9.3Pour déterminer s’il y a de sérieux motifs de penser que les requérantes risquent d’être soumises à la torture à leur retour dans leur pays, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme en République démocratique du Congo. Il s’agit cependant de déterminer si les requérantes risquent personnellement d’être soumises à la torture dans le pays vers lequel elles seraient renvoyées. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’un individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

9.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 concernant l’article 3, dans laquelle il est indiqué que, pour déterminer, comme il y est tenu, s’il y a des motifs sérieux de croire qu’un requérant risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé, refoulé ou extradé, le Comité doit apprécier l’existence d’un tel risque selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable. Il doit néanmoins être prévisible, réel et personnel, et actuel comme l’a confirmé le Comité dans ses précédentes décisions. Le Comité rappelle que, tout en accordant un poids considérable aux conclusions des organes de l’État partie, il lui appartient d’apprécier librement les faits de chaque cause en tenant compte des circonstances.

9.5Le Comité constate que même si l’État partie conteste certains faits allégués par Mme Njamba, notamment ses affirmations relatives aux activités politiques de son époux, les principales questions que soulève cette communication ont trait au poids juridique devant être attribué aux faits qui ne sont pas contestés, tels que le risque que courraient les requérantes à leur retour. Le Comité note que l’État partie lui-même reconnaît que des violences sexuelles sont commises dans la province de l’Équateur, dans une large mesure dans les villages ruraux (par. 9.2). Il note que depuis la dernière réponse de l’État partie en date du 19 mars 2010 au sujet de la situation générale des droits de l’homme en République démocratique du Congo, un deuxième rapport conjoint sur la situation en République démocratique du Congo établi par sept experts de l’Organisation des Nations Unies a été publié; il fait état de violences d’une ampleur alarmante contre les femmes à travers le pays et conclut que: «la violence contre les femmes, en particulier le viol et le viol collectif commis par des hommes en uniforme comme par des civils, reste un grave problème, y compris dans les régions qui ne sont pas touchées par un conflit armé». En outre, un deuxième rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme et les activités du Haut-Commissariat en République démocratique du Congo ainsi que d’autres rapports de l’ONU mentionnent le nombre alarmant de cas de violence sexuelle à travers le pays, confirmant que ces cas «ne sont pas limités aux zones de conflit armé mais se produisent partout dans le pays». En examinant ces renseignements, le Comité a à l’esprit son Observation générale no 2 concernant l’article 2, dans laquelle il est rappelé que le fait que l’État «n’exerce pas la diligence voulue pour mettre un terme à ces actes, les sanctionner et en indemniser les victimes a pour effet de favoriser ou de permettre la commission, en toute impunité, par des agents non étatiques, d’actes interdits par la Convention…». À la lumière de toutes les informations susmentionnées, le Comité considère que le conflit que connaît la République démocratique du Congo, dont témoignent tous les rapports récents de l’Organisation des Nations Unies, fait qu’il lui est impossible de distinguer des zones particulières du pays qui pourraient être considérées comme sûres pour les requérantes au regard de leur situation actuelle et potentielle.

9.6En conséquence, le Comité considère, après avoir pesé tous les facteurs de ce cas d’espèce et évalué les conséquences juridiques liées à ces facteurs, qu’il y a de sérieux motifs de croire que les requérantes risquent d’être soumises à la torture si elles sont renvoyées en République démocratique du Congo.

10.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que l’expulsion des requérantes vers la République démocratique du Congo constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

11.Le Comité invite l’État partie, conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de la transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises en réponse à cette décision.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra aussi ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]