RESTREINTE*

CAT/C/37/D/259/2004

20 novembre 2006

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente-septième session

(6 – 24 novembre 2006)

DÉCISION

Communication No. 259 /2004

Présentée par:M. N. (représenté par un conseil)

Au nom de:Le requérant

État partie:Suisse

Date de la requête:10 décembre 2004 (lettre initiale)

Date de la présente décision17 novembre 2006

Objet: expulsiondu requérant vers un pays où il risque d’être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Question de fond: risque de torture en cas d’expulsion du requérant vers on pays d’origine

Question de procédure: néant

Article de la Convention: 3

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

Trente-septième session

Concernant la

Communication No. 259 /2004

Présentée par :M. N. (représenté par un conseil)

Au nom de :Le requérant

État partie :Suisse

Date de la requête :10 décembre 2004 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 17 novembre 2006,

Ayant achevé l’examen de la requête No. 259/2004, présentée par M. N. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit projet de décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture.

1.1 Le requérant est M. N., ressortissant bangladais, né le 2 juin 1967, qui est actuellement en attente d’expulsion de la Suisse. Il affirme que son renvoi au Bangladesh constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture. Il est représenté par un conseil. La Convention est entrée en vigueur pour la Suisse le 2 mars 1987.

1.2 Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la communication à l’attention de l’Etat partie le 17 décembre 2004. Dans le même temps, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, a décidé que des mesures provisoires de protection, qui avaient été sollicitées par le requérant, n’étaient pas justifiées dans les circonstances.

Rappel des faits présentés par le requérant

Le requérant affirme qu’il était membre du parti Jatiya (JP) en Bangladesh depuis avril 1988, pour lequel il aurait exercé la fonction de « Organising Secretary of ward No. 29 » (secrétaire exécutif de la cellule No. 29). Il prétend avoir été arrêté à plusieurs reprises en 1991, 1993 et 1995, après avoir participé à des manifestations de protestation organisées par son parti.

Le requérant explique qu’en 1992 il a obtenu un bail pour l’exploitation d’une ferme d’élevage de poisson. Chaque année le bail devait être renouvelé et il était accordé au plus offrant. Le 20 janvier 2000, le requérant a obtenu le bail contre un concurrent nommée E.S., membre de la Ligue Awami (AL), un autre parti politique bangladais. Le 15 ou 16 mars 2000, le requérant déclare avoir reçu un courrier venant de E.S. le sommant de payer une taxe de protection. Huit ou neuf jours plus tard, A., J. et C., partisans de l’AL à la solde d’E.S., ont fait irruption dans son magasin et, comme il refusait de payer, l’ont roué de coups. Le 10 ou 11 avril 2000, le requérant a constaté que tous ses poissons étaient morts. Après avoir mené sa propre enquête, il est arrivé à la conclusion qu’A., J. et C. avaient empoisonné l’eau. Il a essayé de rapporter ces événements à la police, mais cette dernière a refusé de l’entendre censément parce qu’il appartenait au JP.

En mai 2000, de retour chez lui après une réunion du JP à son bureau régional de Mugda, le requérant affirme avoir été arrêté par la police, accusé de possession d’armes illégales, prétendument retrouvées au premier étage du bureau du JP de Mugda par E.S., A., J. et C. et la police. Il aurait été détenu du 5 mai au 6 juin 2000 à la prison centrale de Dhaka. Durant sa détention, il prétend avoir été torturé à trois ou quatre reprises. On l’aurait battu avec un bâton et on lui aurait injecté de l’eau bouillante dans le nez et les oreilles. Il affirme présenter diverses séquelles physiques et psychologiques confirmées par des certificats médicaux: un de ses tympans serait perforé, il souffrirait d’une otite chronique, une partie de ses os auditifs manquerait, il aurait des graves problèmes avec ses cordes vocales, son muscle masticateur serait douloureux, il souffrirait d’une dépression et présenterait des symptômes de stress post-traumatique. Grâce à l’intervention de son frère ainsi que d’autres membres du JP, il aurait été libéré sous caution.

Le 10 juin 2000, le JP aurait organisé une manifestation de protestation à laquelle le requérant aurait pris part. Sur le chemin du retour, son groupe aurait été attaqué par un groupe de partisans de l’AL, dont faisait partie E.S. Lors de cet incident, le requérant aurait réussi à s’enfuir, mais un de ses amis aurait été tué et un autre blessé. Le lendemain, il aurait appris qu’E.S. avait porté plainte contre lui pour le meurtre de son ami et que la police était à sa recherche. Pour cette raison, il a quitté Dhaka et s’est réfugié chez un ami à Gazipur.

Le requérant rapporte que le 19 juin 2000 la police, accompagnée de partisans de l’AL, s’est rendue à la maison du requérant à Dhaka; ils voulaient savoir où il se trouvait. Ils auraient menacé et frappé son frère, le blessant grièvement au point qu’il aurait perdu un bras. Ils auraient également volé de l’argent et des bijoux. Après cet événement, le requérant serait allé vivre chez une cousine à Silhet. Son frère et le leader du JP auraient essayé d’obtenir un non-lieu dans son affaire mais sans succès. Son propre avocat aurait avoué qu’il était certain que le requérant serait déclaré coupable et qu’il ferait mieux de quitter le pays. Un second avocat, mandaté par le frère du requérant et le leader du JP, aurait également estimé qu’il serait préférable que le requérant ne retourne pas au Bangladesh avant la fin de la procédure judiciaire.

Le 13 Septembre 2000, le requérant a quitté le Bangladesh et a rejoint la Suisse le 21 Septembre 2000. Le jour même de son arrivé, il a déposé une demande d’asile. Par décision du 23 octobre 2002, l’Office fédéral des réfugiés (ODR) – actuellement l’Office fédéral des migrations (ODM) – a rejeté cette demande et a ordonné son expulsion du territoire suisse. Le 4 août 2004, la Commission de recours en matière d’asile (CRA) a rejeté l’appel du requérant, confirmant la décision d’expulsion de l’ODR.

Le requérant avance que la CRA justifie essentiellement son jugement du 4 août 2004 par le manque de crédibilité des événements allégués, puisqu’ils n’ont pas pu être confirmés pas les investigations de l’ambassade suisse au Bangladesh. Il réfute ce raisonnement, affirmant que de nombreuses preuves déposées ont été déclarées authentiques par un notaire, qu’elles sont très détaillées, et qu’elles soutiennent son récit sur tous les points. Il s’étonne du manque de détails de l’enquête de l’ambassade suisse, ainsi que de l’absence d’explications sur la procédure suivie et les sources interrogées, et conclut que le résultat est incomplet. Il relève également que la CRA a considéré comme une contradiction le fait qu’il fournisse des attestations de deux avocats, alors qu’il n’en avait mentionné qu’un seul, et explique qu’il n’était simplement pas au courant, au moment de déposer sa demande d’asile en Suisse, que son frère avait mandaté un second avocat pour le représenter et qu’il avait convaincu le premier de continuer à le représenter. Il estime que ce fait n’enlève rien à la crédibilité de ses allégations. Pour ce qui est de l’affirmation de la CRA selon laquelle l’auteur et son groupe n’ont pas été attaqués par un groupe de l’AL au retour de la manifestation du 10 juin, mais que les deux groupes se sont attaqués mutuellement, le requérant précise qu’il était difficile, une fois la lutte engagée, de dire qui avait attaqué qui et qui s’était défendu, mais que cela n’enlevait rien non plus à la crédibilité de son récit.

Le requérant note que la CRA a considéré qu’il est impossible que les membres du JP soient encore persécutés, étant donné que le JP se trouve maintenant représenté dans le gouvernement, et que dans le cas contraire, les tribunaux supérieurs disposeraient de l’indépendance nécessaire pour punir de telles persécutions. Il réfute cet argument, affirmant que, même représentés dans le gouvernement, les membres du JP peuvent être persécutés puisqu’ils constituent toujours une minorité politique. Il ajoute que les deux procédures pénales engagées contre lui sont très probablement liées à ses activités politiques. En réponse à l’argument de la CRA selon lequel même si les choses se sont passées de la façon invoquée par le requérant, il n’aurait pas du quitter le pays, mais chercher de l’aide auprès des autorités bangladaises, il indique qu’il a essayé de porter plainte, mais que les policiers n’ont pas voulu écouter son cas. Finalement, il avance que, même si les tribunaux supérieurs sont indépendants au Bangladesh, comme avancé par la CRA, il lui faudrait croupir plusieurs années en prison, risquant fortement d’être torturé, avant d’avoir accès aux instances judiciaires supérieures.

Teneur de la plainte

Le requérant affirme qu’il y a des raisons sérieuses de croire qu’il serait soumis à la torture s’il était renvoyé au Bangladesh et que son expulsion vers ce pays constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention.

Etant donné les deux plaintes pénales lancées contre lui, il craint d’être arrêté dès son retour au Bangladesh et d’être soumis à la torture, ceci d’autant plus qu’il a déjà été torturé alors qu’il était détenu à la prison de Dhaka. Il fait valoir que les autorités suisses n’ont pas mis en doute ses activités politiques et ajoute que les membres du JP sont encore persécutés, malgré la présence de leur parti dans le gouvernement de coalition.

Finalement, le requérant soutient qu’au Bangladesh la torture est encore couramment utilisée par la police. En outre, de nombreuses personnes décèderaient en prison en résultat de la torture sans que les autorités bangladaises n’entreprennent aucune investigation et n’agissent pour remédier à ce problème. Aucune action ne serait d’ailleurs entreprise quant à la prévention de la torture. A cela s’ajouterait le problème du manque d’indépendance des tribunaux, en particulier des tribunaux des instances inférieures.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la requête

Par note verbale du 15 février 2005, l’Etat partie déclare ne pas contester la recevabilité de la requête. Un délai supplémentaire pour la présentation de ses observations ayant été accordé, le 5 juillet 2005, l’Etat partie formule des observations sur le fond de la requête.

L’Etat partie examine le bien-fondé de la décision de la CRA à la lumière de l’article 3 de la Convention, de la jurisprudence du Comité, et de ses Observations générales. Il relève que le requérant se borne à rappeler au Comité les motifs invoqués devant les autorités suisses et n’apporte aucun élément nouveau permettant de remettre en question la décision de la CRA du 4 août 2004. Il souligne également que le requérant n’explique pas au Comité les incohérences et les contradictions figurant dans ses allégations et relevées par les autorités suisses, mais au contraire les confirme.

L’Etat partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas un motif suffisant pour conclure qu’un individu risquerait d’être victime de tortures à son retour dans son pays, et que des motifs supplémentaires doivent, par conséquent, exister pour que le risque de torture soit qualifié, aux fins du paragraphe 1 de l’article 3, de « prévisible, réel et personnel ». L’Etat partie signale que le requérant se réfère vaguement « aux divers rapports annuels des différentes organisations de droits de l’homme » pour illustrer la situation des droits de l’homme au Bangladesh, et en particulier l’usage fréquent et non réprimé de la torture par les forces de sécurité. L’Etat partie rappelle que, à l’occasion de l’examen de plusieurs communications d’auteurs invoquant le risque d’être torturés en cas de renvoi au Bangladesh, le Comité a pris acte de la situation générale des droits de l’homme au Bangladesh, et en particulier des cas répétés de violence policière sur des prisonniers et opposants politiques ainsi que de l’existence d’actes de tortures imputés à la police et d’affrontement violents entre les opposants politiques. L’Etat partie note que pour apprécier le risque personnel d’être torturé en cas de retour, notamment des auteurs opposés à l’AL, le Comité a, entre autres, qualifié de pertinents le changement de gouvernement après l’élection de 2001, le fait que l’AL est actuellement dans l’opposition, le fait qu’il n’y a plus grand risque que quelqu’un soit harcelé par les autorités à l’instigation de membres de ce parti et le fait que les membres d’un des partis de la coalition au pouvoir n’ont rien à craindre des formations politiques qui la composent.

En ce qui concerne le risque encouru par le requérant d’être arrêté en raison des accusations pénales dont il pourrait être l’objet ainsi que l’allégation de ce dernier selon laquelle il serait inévitablement soumis à la torture en détention, l’Etat partie évoque la jurisprudence constante du Comité selon laquelle le fait que la torture soit pratiquée dans les lieux de détention ne permet pas, en tant que tel, de conclure à une violation de l’article 3 tant que l’auteur n’a pas démontré qu’il risque personnellement d’être victime de tortures. L’Etat partie estime que la situation au Bangladesh telle que décrite par le requérant ne saurait à elle seule constituer un motif suffisant pour conclure qu’il risquerait d’être victime de tortures à son retour dans ce pays.

L’Etat partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle la torture ou les mauvais traitements qu’aurait subis l’auteur par le passé constituent l’un des éléments devant être pris en compte pour apprécier le risque de l’auteur d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements en cas de retour dans son pays. L’Etat partie note que les autorités suisses n’ont contesté à aucun moment de la procédure les graves troubles physiques et psychiques dont l’auteur souffre et pour lesquels il fournit des certificats médicaux. Elles ont toutefois estimé que ces troubles sont liés à d’autres causes que celles avancées, puisque les allégations de l’auteur quant aux mauvais traitements subis lors de sa prétendue détention en mai et juin 2000 à la prison centrale de Dhaka ne sont pas crédibles. L’Etat partie ajoute que, même si les allégations du requérant étaient crédibles, ce dernier ne fournit aucun élément qui permettrait de conclure qu’il courrait toujours le risque d’être torturé en cas de retour.

L’Etat partie n’ignore pas l’existence de fortes rivalités entre les cheffes des deux partis politiques dominants, soit celui de l’AL et celui du Parti national du Bangladesh (actuellement soutenu, entre autres, par le JP). Il note que les autorités suisses n’ont pas mis en cause ni l’appartenance de l’auteur au JP, ni ses activités au sein de ce parti. Cependant, il estime que le requérant ne court pas de risque d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en raison de ses activités politiques. De plus, il remarque que le requérant n’a fait valoir aucun argument fondé sur des activités politiques qu’il aurait exercées hors de son Etat d’origine.

L’Etat partie met en évidences les nombreuses incohérences relatives au récit du requérant, qui avaient été relevées dans la décision de la CRA. En effet, il souligne que le requérant n’explique pas dans quelle mesure les arrestations dont il aurait fait l’objet dans les années 1991, 1993 et 1995 demeureraient pertinentes aujourd’hui pour l’exposer à un risque de tortures. De même, aucune explication n’est fournie pour démontrer que le requérant courrait un risque particulier d’être persécuté alors qu’il est membre d’un parti politique légal qui a participé aux élections et qui est représenté au gouvernement. L’Etat partie ajoute que le requérant n’apporte aucun élément qui permettrait de mettre en doute les résultats des investigations effectuées par l’ambassade de Suisse à Dhaka. Il considère que le fait qu’un notaire aurait confirmé l’authenticité des documents fournis ne saurait être considéré comme déterminant, d’autant plus que le requérant ne clarifie pas les contradictions entre ses allégations concernant les évènements de juin 2000 et le rapport de la police; selon ce dernier, un policier aurait déposé la plainte pénale alors que le requérant prétend que c’est E.S. qui l’aurait déposée.

L’Etat partie s’étonne que les investigations de l’ambassade suisse à Dhaka n’aient fourni aucun indice quant à une éventuelle procédure pénale dirigée contre l’auteur, bien que selon le requérant une plainte pénale a été déposée pour possession illégale d’armes en mai 2000, qu’il a été détenu du 5 mai au 6 juin 2000, qu’il a été libéré sous caution en juin 2000, ou encore qu’il a été dénoncé auprès de la police pour meurtre en juin 2000. Il note également que les circonstances de la défense du requérant ne sont pas claires, et que ce dernier n’explique pas les contradictions mises en évidence par la CRA. L’Etat partie signale que le second avocat est la même personne que le notaire confirmant l’authenticité de certains éléments de preuve, et qu’il présente des coordonnées différentes selon son rôle. L’Etat partie rappelle que les autorités suisses ont conclu à la non crédibilité des allégations quant à l’existence d’une enquête pénale pendante contre le requérant. Il précise que dans l’hypothèse que ces allégations seraient crédibles, selon la jurisprudence du Comité, l’article 3 de la Convention n’offre aucune protection à l’auteur qui allègue simplement craindre d’être arrêté de retour dans son pays.

En conclusion, bien qu’il ne conteste aucunement l’existence des séquelles dont souffre le requérant, l’Etat partie fait siennes les conclusions de la CRA, estimant que, à la lumière des nombreuses contradictions portant sur des points essentiels dans le récit du requérant, il est hautement probable que ces séquelles n’ont pas été causées par des actes de tortures, mais seraient plutôt les conséquences d’un accident ou de conflits personnels. L’Etat partie conclu que rien n’indique qu’il existe des motifs sérieux de craindre que l’auteur serait exposé concrètement et personnellement à la torture à son retour au Bangladesh.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

Par une lettre du 29 septembre 2005, le requérant réitère que, contrairement à l’avis de l’Etat partie, il existe pour lui-même un risque personnel, actuel et sérieux d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers le Bangladesh. Il explique que la situation générale des droits de l’homme au Bangladesh telle que décrite dans la communication avait pour but non pas de constituer à elle seule un motif suffisant pour conclure que le requérant risquerait d’être victime de tortures à son retour dans son pays, mais d’éclairer le contexte dans lequel se situent les évènements qui mettent le requérant personnellement en danger.

Le requérant souligne que le changement de gouvernement après l’élection de 2001 et sa pertinence pour l’évaluation du risque d’être persécuté politiquement ne s’applique pas à sa situation. Il précise ainsi avoir travaillé pour la fraction « Ershad » du JP, qui se trouve toujours dans l’opposition par rapport au présent gouvernement, et donc ses membres serait toujours exposés à des arrestations de police et des tortures. Il affirme que ce fait a été confirmé par le Comité dans sa décision du 21 mai 2005. En outre, il prétend être toujours recherché par la police et que, malgré le fait qu’il ait quitté le pays il y a cinq ans, ses enfants et ses frères sont toujours menacés par ses adversaires. Il ajoute que son frère, qui s’était occupé de ses enfants, avait reçu des menaces telles qu’il avait du s’enfuir en laissant les enfants à la garde d’un oncle, et que depuis personne n’avait eu de ses nouvelles. Il avance que son oncle est à son tour menacé et que la police refuse de protéger sa famille parce qu’elle est toujours à sa recherche. Il ajoute en annexe une lettre de son oncle qui confirme ses dires. Il rappelle que l’Etat partie n’a pas contesté ses activités politiques et que, contrairement à ce que l’Etat partie prétend, il n’allègue pas simplement craindre d’être arrêté à son retour, mais a de sérieux motifs de croire qu’il va être torturé.

Le requérant rappelle qu’il est recherché pour meurtre, et que dès lors, il sera arrêté et emprisonné dès son retour au Bangladesh puisqu’il s’est enfuit alors qu’il avait été libéré sous caution. Il estime qu’ étant donné qu’il a été torturé lors de sa dernière détention, il le sera à nouveau, car la situation s’est aggravée depuis. De plus, il doute que les juges mèneront un procès équitable à son égard, puisque la faction de son parti se trouve toujours dans l’opposition et qu’il aura à combattre des accusations alors même qu’il avait commencé par fuir. Le requérant rappelle que selon le paragraphe 6 de l’Observation générale No 1 du Comité, les tortures futures ne doivent pas être hautement probables, mais qu’il suffit qu’elles dépassent la simple théorie ou des simples soupçons.

Le requérant joint une nouvelle attestation médicale qui confirme que son état psychique correspond à ses allégations de tortures. De même que les autres attestations médicales déjà présentées, le requérant reconnaît que cette attestation ne prouve pas qu’il a été torturé, mais qu’elle rend l’allégation très probable. Il rappelle que l’Etat partie ne conteste pas les graves troubles physiques et psychiques dont il souffre, il conteste toutefois le fait que l’Etat partie les attribue à d’autres causes que les tortures alléguées. Quant au résultat des investigations de l’ambassade suisse à Dhaka, le requérant souligne qu’elles ne fournissent pas de réponses à toutes les questions posées et qu’il n’y a aucune indication à propos des recherches sur lesquelles les résultats se basent. Le requérant constate que, selon l’Etat partie, le seul défaut des documents qu’il a fourni certifiés par un notaire, et qui n’ont pas été jugés faux par l’Etat partie, consiste dans le fait qu’ils ne correspondent pas aux résultats des investigations de l’ambassade.

Le requérant explique l’apparente contradiction concernant l’auteur de la plainte pour meurtre déposée en juin 2000 : il aurait entendu que E.S. aurait déposé ladite plainte contre lui, mais étant donné qu’il n’a jamais vu la plainte, il est possible qu’elle n’ait pas été enregistrée sous le nom de E.S., mais sous celui d’un policier pour donner un caractère plus officiel à l’affaire.

L’auteur estime que concernant les circonstances de sa défense, il n’y a pas de contradictions. Le fait que son premier avocat écrive en novembre 2002 que pour des raisons politiques il ne peut plus conduire sa défense et lui conseille de quitter le pays n’exclu pas qu’il l’ait représenté plus tard. Quant à son second avocat, le fait qu’il ne présente pas ses coordonnées de manière identique en tant que notaire et en tant qu’avocat ne porte pas atteinte à la crédibilité des allégations du requérant. Finalement, pour appuyer la crédibilité de ses déclarations, le requérant présente une photo de son frère sur laquelle il est visible qu’il a perdu son bras. Il conclut qu’il n’est pas acceptable que l’Etat partie se concentre sur quelques contradictions qui ne portent pas sur des points essentiels et ne regardent pas les autres allégations faites. Il réitère le fait qu’étant donné les tortures subies par le passé et ses activités politiques, il est fortement probable qu’il va de nouveau être torturé à son retour au Bangladesh, ce qui constituerait une violation de l’article 3 de la Convention par l’Etat partie.

Délibérations du Comité

Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de la faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Dans le cas d’espèce, le Comité note aussi que tous les recours internes sont épuisés et que l’Etat partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête. Il estime donc que la communication est recevable, et procède à l’examen sur le fond.

Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant au Bangladesh, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite, en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

Pour déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il est renvoyé au Bangladesh, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l’article 3, y compris l’existence d’un ensemble de violations systématiques graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans des circonstances particulières.

Le Comité rappelle son Observation générale sur l’application de l’article 3, selon laquelle « l’existence d’un tel risque de torture doit être appréciée selon des éléments que ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable. » (A/53/44, annexe IX, par. 6).

Dans le cas d’espèce, le Comité note que la principale raison pour laquelle le requérant craint d’être torturé s’il retourne au Bangladesh est qu’il y aurait été torturé lors de sa détention à la prison de Dhaka en mai et juin 2000 et qu’il risquerait d’être arrêté à son retour en raison des accusations pénales qui pèsent contre lui. Le Comité relève que l’Etat partie n’a pas contesté les activités politiques du requérant au Bangladesh. Cependant, en ce qui concerne les séquelles physiques et psychologiques que le requérant présente, l’Etat partie estime qu’elles ont été causées par d’autres événements – accident, conflits personnels – et non pas par les actes de torture tels que décrits par le requérant. Le Comité a pris note des rapports médicaux fournis par le requérant attestant des divers maux dont il souffre, mais estime toutefois qu’ils ne permettent pas de conclure que les séquelles décrites ont été causées par des actes de torture. Il estime également que l’auteur n’a pas prouvé de manière irréfutable que les blessures subies soient l’effet des actions étatiques, comme le prétend l’État partie

Le Comité prend également note de l’argument de l’Etat partie, pour qui, dans la mesure où la Ligue Awami est actuellement dans l’opposition, il n’y a plus grand risque que le requérant soit harcelé par les autorités à l’instigation de membres de ce parti. L’Etat partie fait valoir en outre que le requérant n’a rien à craindre des formations politiques actuellement au pouvoir puisqu’il est membre d’un des partis de la coalition. Tout en prenant acte des informations du requérant qui explique qu’il appartient à une fraction du Parti Jatiya opposée à celle qui est actuellement dans le gouvernement, le Comité ne considère pas que ce fait permettrait à lui seul de conclure que le requérant risque d’être persécuté et torturé par des partisans de la fraction du Parti Jatiya actuellement au gouvernement ou du BNP.

Enfin, en ce qui concerne l’allégation du requérant qui fait valoir qu’il risquerait d’être arrêté à cause des poursuites pénales dont il est actuellement l’objet et qu’en détention il sera inévitablement soumis à la torture, le Comité note que le fait que la torture soit pratiquée dans les lieux de détention ne permet pas, en tant que tel, de conclure à une violation de l’article 3 étant donné que le requérant n’a pas montré qu’il risque personnellement d’être victime de tortures. Le Comité rappelle que, conformément à son Observation générale No. 1, c’est au requérant qu’il incombe de présenter des arguments convaincants et de prouver qu’il risquerait d’être torturé, que les raisons de croire qu’il le serait sont aussi sérieuses qu’il le dit, et que ce risque est personnel et réel. En l’espèce, le Comité prend note de l’argument de l’Etat partie qui affirme qu’après enquête, son ambassade à Dhaka n’a trouvé aucune trace de procédure pénale pendante contre le requérant. Le Comité considère, en outre, que le requérant n’a pas suffisamment étayé ses allégations selon lesquelles il y aurait deux procédures pénales en cours contre lui. En tout état de cause, il est malvenu à invoquer une arrestation à retour au Bangladesh pour des crimes du droit commun qui lui seraient imputés. Le Comité estime, en outre, que l’auteur n’a pas indiqué les motifs pour lesquels il aurait essayé de porter plainte auprès des autorités bangladaises et se serait vu forcé de quitter le pays.

Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que le requérant n’a pas démontré l’existence de motifs sérieux permettant de considérer que son renvoi au Bangladesh l’exposerait à un risque réel, concret et personnel de torture, aux termes de l’article 3 de la Convention.

Par conséquent, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que le renvoi du requérant au Bangladesh ne ferait apparaître aucune violation par l’Etat partie de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais, en espagnol, en français (version originale) et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

----