NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.RESTREINTE*

CAT/C/37/D/279/2005**22 janvier2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente-septième session(6-24 novembre 2006)

DÉCISION

Communication n o 279/2005

Présentée par:

C. T. et K. M. (représentés par un conseil)

Au nom de:

C. T. et K. M.

État partie:

Suède

Date de la requête:

7 septembre 2005 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

17 novembre 2006

Objet: Expulsion avec un risque présumé de torture et de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Risque de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas de renvoi

Article de la Convention: 3

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINESOU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

Trente‑septième session

concernant la

Communication n o 279/2005

Présentée par:

C. T. et K. M. (représentés par un conseil)

Au nom de:

C. T. et K. M.

État partie:

Suède

Date de la requête:

7 septembre 2005 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 17 novembre 2006,

Ayant achevé l’examen de la requête no 279/2005, présentée par C. T. et K. M. au titre de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérants, leur conseil et l’État partie,

Adopte la décision ci‑après au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture.

1.1Les requérants sont C. T., de nationalité rwandaise et de souche hutu, et son fils, K. M., né en Suède en 2003. Ils sont tous les deux en attente d’expulsion de la Suède vers le Rwanda. Bien que les requérants n’invoquent pas de disposition précise de la Convention, leur requête semble soulever des questions au titre de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ils sont représentés par un conseil.

1.2Le 9 septembre 2005, le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser les requérants vers le Rwanda tant qu’il serait saisi de leur requête, conformément au paragraphe 1 de l’article 108 du règlement intérieur du Comité. Le 7 novembre 2005, l’État partie a fait droit à cette demande.

Exposé des faits

2.1Avant son arrivée en Suède le 17 octobre 2002, la requérante vivait à Kigali. Son frère et elle étaient devenus membres du parti PDR‑Ubuyanja entre février et mai 2002. En avril 2002, ils ont assisté à une réunion du parti. À la suite de cette réunion, les chefs du parti, MM. Bizimungu et Ntakirutinka, ont été arrêtés. En mai 2002, la requérante et son frère ont été arrêtés et elle a été enfermée dans un conteneur à Remera (Kigali), avec six autres femmes. Depuis lors, elle n’a plus revu son frère. Elle a été interrogée au sujet de son propre rôle et de celui de son frère dans le parti PDR‑Ubuyanja. Elle a été violée à plusieurs reprises, sous la menace d’être exécutée, et elle est tombée enceinte de son fils, K. M., le deuxième requérant, qui est né en Suède.

2.2En octobre 2002, un militaire a aidé la requérante à s’évader et l’a confiée à un ordre religieux qui a organisé sa fuite en Suède. Le 17 octobre 2002, elle est arrivée en Suède et a demandé l’asile. Le 23 mars 2004, sa demande a été rejetée par le Conseil des migrations pour manque de crédibilité et en raison de l’évolution de la situation au Rwanda après les élections de 2003. Son fils est né en 2003. Le 29 juin 2005, la décision du Conseil des migrations a été confirmée en appel par la Commission de recours des étrangers. Le 7 septembre 2005, la Commission de recours des étrangers a rejeté une nouvelle requête.

Teneur de la plainte

3.1La requérante affirme que si elle était renvoyée au Rwanda elle serait immédiatement arrêtée et torturée par la Direction du renseignement militaire (DRM), en raison de son appartenance au PDR‑Ubuyanja. Elle serait de nouveau violée et interrogée pour qu’elle révèle comment elle s’était évadée. Elle craint même que son fils et elle soient tués.

3.2La requérante affirme également qu’elle serait jugée par les tribunaux Gacaca, mis en place par le Gouvernement pour venger le génocide de 1994. Elle fait valoir qu’elle fait partie des 760 000 Hutus qui doivent être jugés par ces tribunaux, notamment pour son implication présumée dans un massacre à l’hôpital de Kigali.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 19 juin 2006, l’État partie a fait ses observations sur la recevabilité et le fond. Il affirme que la requête est irrecevable car elle est manifestement infondée; il se réfère aux dispositions applicables de la loi sur les étrangers, soulignant qu’elles consacrent le même principe que celui qui figure au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. L’autorité nationale qui conduit les entretiens avec les demandeurs d’asile est naturellement bien placée pour évaluer les informations présentées par eux. Le 9 novembre 2005, des modifications provisoires à la loi de 1989 sur les étrangers ont été adoptées. Elles ont pris effet le 15 novembre 2005, elles devaient rester applicables jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi sur les étrangers le 31 mars 2006. Ces modifications ont ajouté de nouveaux critères sur la base desquels un permis de séjour peut être délivré à des étrangers sous le coup d’une décision définitive de non‑admission sur le territoire ou d’expulsion. L’article 5 b) du nouveau chapitre 2 de la loi sur les étrangers prévoit que si des éléments nouveaux apparaissent concernant l’exécution d’une décision finale de non‑admission ou d’expulsion, le Conseil suédois des migrations peut, à la demande de l’intéressé ou de sa propre initiative, lui accorder un permis de séjour si, entre autres critères, il y a des raisons de supposer que le pays de renvoi refuse de l’admettre sur son territoire ou si des raisons d’ordre médical s’opposent à l’exécution de la décision.

4.2En outre, un permis de séjour peut également être accordé pour d’autres raisons que celles qui ont été mentionnées lorsque des considérations humanitaires urgentes l’exigent. Pour apprécier les aspects humanitaires, il faudrait en particulier tenir compte de la question de savoir si l’étranger se trouve en Suède depuis longtemps et si, eu égard à la situation dans le pays de renvoi, il n’est pas possible d’envisager des mesures coercitives pour appliquer la décision de non‑admission sur le territoire ou d’expulsion. Quand des enfants sont concernés, il faudra aussi accorder une attention particulière à leur situation sociale, à la durée de leur séjour dans le pays et aux liens qui les unissent à l’État partie, ainsi qu’aux préjudices qui peuvent être causés à leur santé et à leur développement. Par ailleurs, si l’étranger a commis des infractions, il conviendra également d’en tenir compte, et un permis de séjour peut être refusé pour des raisons de sécurité. Les décisions rendues par le Conseil des migrations en application de l’article 5 b) du chapitre 2, tel que modifié, ne sont pas susceptibles de recours.

4.3Sur les faits, l’État partie expose les motifs qui sous‑tendent la décision du Conseil des migrations de rejeter la demande d’asile des requérants en application de l’article 2 du chapitre 3 de la loi sur les étrangers, leur demande de permis de résidence pour étrangers ayant besoin d’une autre forme de protection conformément à l’article 3 du chapitre 3 et leur demande de permis de résidence pour des motifs humanitaires au titre du paragraphe 1, alinéa 5, de l’article 4 du chapitre 2. Il a estimé que la situation générale qui règne au Rwanda ne constitue pas en soi un motif suffisant pour accorder l’asile aux requérants, que selon le Représentant spécial de l’Union européenne dans la région, cette situation a connu une évolution positive à la suite des élections générales de 2003, que le PDR‑Ubuyanja a été interdit avant les élections de 2003, et que les personnes ordinaires soupçonnées d’être liées à ce parti ou celles qui y ont joué un rôle actif à un niveau subalterne ne peuvent être considérées comme risquant d’être persécutées ou harcelées et que certaines déclarations de la requérante étaient peu crédibles. L’État partie affirme que même si le Conseil suédois des migrations et la Commission de recours des étrangers ont tous deux estimé qu’il y avait matière à mettre en doute la crédibilité de certaines déclarations de la requérante, ce n’était pas le facteur qui avait déterminé leur décision. Le Conseil suédois des migrations a en effet estimé que par‑delà les facteurs qui l’avaient amené à douter de la crédibilité de la requérante, l’évolution de la situation au Rwanda après les élections de 2003 avait été telle qu’il était improbable que la requérante risque d’y être persécutée en raison de son appartenance au PDR‑Ubuyanja.

4.4Depuis le rejet de la nouvelle demande par la Commission de recours des étrangers le 7 septembre 2005, une autre demande a été déposée le 23 septembre 2005. Le 21 novembre 2005, la Commission de recours des étrangers a renvoyé cette demande au Conseil suédois des migrations, conformément aux dispositions provisoires figurant à l’article 5 b) du chapitre 2 de la loi sur les étrangers de 1989. Le 3 mars 2006, le Conseil a rejeté la demande du fait que les certificats médicaux présentés par les requérants (y compris celui établi par un psychologue le 31 juillet 2005) ne montraient pas que la requérante souffrait d’une maladie mentale ou d’une condition analogue suffisamment grave pour que lui soit octroyé un permis de résidence pour des motifs médicaux. Pour ce qui est du requérant, qui avait alors presque trois ans, le Conseil était d’avis qu’il n’avait pas forgé avec la Suède des liens justifiant l’octroi d’un permis de résidence. Le 16 mars 2006, les requérants ont déposé, auprès du Conseil suédois des migrations, une autre demande de permis de résidence au titre de l’article 5 b) du chapitre 2 de la loi sur les étrangers de 1989. Le 15 août 2006, l’État partie a informé le Comité que, le 5 juillet 2006, le Conseil suédois des migrations avait conclu que les requérants ne remplissaient pas les conditions requises pour obtenir un permis de résidence. Après avoir examiné les avis d’ordre médical et psychologique qui n’avaient pas été présentés auparavant aux autorités suédoises, le Conseil a estimé qu’aucun fait nouveau n’était à signaler et qu’il n’y avait aucun obstacle d’ordre médical à l’exécution de l’arrêté d’expulsion. En outre, s’agissant du requérant, il a réitéré qu’il n’avait pas forgé avec la Suède des liens justifiant l’octroi d’un permis de résidence.

4.5Sur le fond, l’État partie fait siennes les conclusions du Conseil suédois des migrations et de la Commission de recours des étrangers selon lesquelles les déclarations de la requérante au sujet de son rôle dans le PDR‑Ubuyanja étaient vagues. Elle n’a fourni aucun détail sur ce parti, à l’exception du nom de son chef, l’ancien Président de la République Pasteur Bizimungu, et de son secrétaire général, l’ancien Ministre Charles Ntakirutinka. Elle n’a donné aucune précision sur les activités et le programme du parti, se contentant d’affirmer qu’il avait pour objectif de «reconstruire le pays et de donner à chacun ses droits». En outre, elle a modifié au cours de la procédure les informations qu’elle avait données au sujet de la date à laquelle elle était devenue membre du parti. Dans un premier temps, elle avait affirmé qu’elle y avait adhéré en mai 2002 à la suite d’une réunion. Toutefois, après le rejet de la première demande par le Conseil suédois des migrations, elle a changé sa version des faits affirmant qu’elle était devenue membre de ce parti à une date antérieure, en février ou en mars 2002. L’État partie tient à souligner que les nouvelles affirmations de la requérante contredisent la déclaration qu’elle avait faite devant le Conseil suédois des migrations, selon laquelle elle avait participé en avril 2002 à une réunion du parti à des fins d’adhésion.

4.6L’État partie souligne qu’il y a certes plusieurs rapports internationaux faisant état d’arrestations de membres du PDR‑Ubuyanja mais aucun de ces rapports ne confirme que la requérante et son frère aient été arrêtés et détenus. L’État partie note également que, selon des rapports internationaux, plusieurs des personnes arrêtées en raison de leur appartenance présumée au PDR‑Ubuyanja ont été libérées. Quelques personnes seulement avaient été condamnées à des peines de prison par des tribunaux pénaux en raison de leur rôle dans ce parti.

4.7Pour ce qui est du document établi par Pelicicn Dufitumukiza, un ancien représentant de la LIPRODHOR, soumis en guise de preuve par la requérante, l’État partie note qu’il y a sur le plan des faits une incohérence dans ce document en comparaison de ce qu’avaient déclaré les requérants aussi bien au cours de la procédure nationale que devant le Comité. M. Dufitumukiza se réfère à un journal de la LIPRODHOR datant de juillet 2001 selon lequel, à cette date, il n’y avait plus aucun membre encore vivant de la famille de C. T. Or les requérants affirment que la requérante et son frère ont été arrêtés au printemps de 2002, soit presque une année après la date de parution du journal dans lequel la LIPRODHOR affirme avoir trouvé des informations concernant la requérante. Le document n’indique pas qui a informé la LIPRODHOR de l’enlèvement de la requérante et de son frère.

4.8Pour ce qui est de l’affirmation relative aux tribunaux Gacaca, l’État partie fait valoir que même si le système a été critiqué du point de vue des droits de l’homme, la communauté internationale en général, y compris l’Union européenne, l’ont soutenu. Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle la requérante craint d’être jugée par les tribunaux Gacaca pour son implication présumée dans le génocide de 1994, l’État partie appelle l’attention du Comité sur le fait que cette allégation a été formulée pour la première fois dans la nouvelle demande déposée devant la Commission de recours des étrangers le 23 septembre 2005 et alors seulement par référence à une lettre, jointe à la demande, adressée par un certain M. U. à la requérante. Les requérants n’ont fourni aucun détail sur cette allégation ni aux autorités nationales ni au Comité et il n’y a aucun élément concluant pour corroborer cette crainte présumée. Les documents établis par M. Joseph Matata, représentant du Centre de lutte contre l’impunité et l’injustice au Rwanda, présentés par la requérante, ne mentionnent les tribunaux Gacaca que d’une manière générale et ne corroborent pas l’allégation selon laquelle la requérante court personnellement un risque. Le seul élément de preuve à l’appui de cette information est la lettre susmentionnée de M. U. Or cette lettre, qui n’est ni datée ni signée, ne fournit aucun détail concret sur l’enquête pénale présumée ou sur toute accusation pénale dont la requérante ferait encore l’objet au Rwanda. En outre, la lettre n’indique pas qui est son auteur ou comment elle ou il a reçu l’information. Selon l’État partie, cette lettre ne peut être considérée comme un élément de preuve fiable à l’appui de l’allégation selon laquelle en cas d’expulsion la requérante risque d’être traduite devant les tribunaux Gacaca pour actes génocides et encore moins qu’elle risque d’être torturée.

4.9L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle même si le fait d’avoir été torturé par le passé est un des éléments à prendre en compte lors de l’examen d’une requête au titre de l’article 3 de la Convention, le but de l’examen est de déterminer si les requérants risquent actuellement d’être soumis à la torture s’ils sont renvoyés dans leur pays. Dans ces conditions, même s’il était établi que la requérante a effectivement subi des mauvais traitements en 2002, cela ne prouve guère que son renvoi au Rwanda l’exposerait personnellement à un risque prévisible et réel d’être torturée et constituerait, par conséquent, une violation de l’article 3. L’État partie reconnaît que selon certaines informations, jusqu’à leur retrait en octobre 2002 les militaires enlevaient des femmes et des enfants dans les villages qu’ils investissaient pour qu’ils effectuent des corvées, servent les militaires et rendent des services sexuels.

4.10L’État partie fait observer que même si la requérante avait prouvé qu’elle était membre du PDR‑Ubuyanja, qu’elle avait été arrêtée et détenue et qu’elle avait réussi à s’échapper, la situation politique au Rwanda a connu des changements considérables depuis l’arrivée de la requérante en Suède, en particulier après les élections de 2003. Ce parti est interdit et ses activités sont contrôlées par les autorités. Mais il n’y a aucune donnée objective prouvant que des membres ordinaires de ce parti ou leurs proches aient quelque chose à craindre des autorités. Selon la déclaration même de la requérante, elle n’a assisté qu’à une réunion du parti. Si elle y a adhéré, cela n’a pu être qu’à un niveau subalterne. Elle n’a donc rien à craindre des autorités. Pour ces raisons, l’État partie conclut que les requérants n’ont pas démontré qu’ils courent personnellement un risque prévisible et réel d’être torturés s’ils retournaient au Rwanda.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans leurs commentaires du 28 septembre 2006, les requérants se réfèrent à la décision du Conseil suédois des migrations en date du 5 juillet 2006 et appellent l’attention sur sa conclusion selon laquelle il n’y a aucun obstacle d’ordre médical à leur renvoi au Rwanda. Or le Conseil n’a pas pris en compte les effets d’une expulsion au Rwanda sur leur santé. Le Conseil a pris sa décision en dépit d’un rapport médical daté du 2 juin 2006 confirmant les allégations de viol de la requérante et attestant qu’elle souffrait de troubles post‑traumatiques.

5.2Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie selon laquelle le fait que la requérante n’ait pas donné suffisamment de détails sur le PDR‑Ubuyanja montre son manque de crédibilité, la requérante fait valoir qu’un document en danois intitulé «PDK … Parti Démocratique pour le Renouveau‑Ubuyanja (PDR‑Ubuyanja) Udlaendingestyrelsen», daté du 19 juin 2003 donnant des informations générales sur ce parti, était à la disposition du Conseil suédois des migrations. Selon ce document le PDR‑Ubuyanja n’est jamais devenu un véritable parti: il n’a jamais publié de programme, aucune carte d’adhésion n’a été émise et aucune liste officielle de membres n’a été établie. L’intérêt de la requérante pour ce parti s’est manifesté par la participation aux quelques réunions privées qui ont été organisées. En avril 2002, la requérante a participé à une réunion à Kigali avec son frère où ils ont rencontré M. Ntakirutinka qui les a recrutés. La DRM a dû savoir que le frère de la requérante était un employé de M. Ntakirutinka et aurait, rien qu’à ce titre, cherché à arrêter son frère et elle. Le même document indique également que des personnes qui avaient des liens avec des membres, ou qui étaient elles‑mêmes soupçonnées d’être membres, du PDR‑Ubuyanja auraient des problèmes au Rwanda, dans la mesure où elles pourraient être au courant de documents du PDR‑Ubuyanja intéressant les autorités.

5.3Selon les requérants, les autorités suédoises ont accordé peu d’attention à l’opinion du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), exprimée dans un bulletin publié en janvier 2004 après les élections de 2003. Ce document indiquait qu’au début de 2004, presque deux ans après l’arrestation de M. Pasteur Bizimungu et de M. Ntakirutinka, les personnes affiliées au PDR‑Ubuyanja étaient très menacées à l’intérieur du pays. En ce qui concerne les victimes de viol, les requérants citent l’observation suivante faite dans le document: «le délit de viol lui‑même et la manière dont il est commis représentent une grave forme de torture et peuvent rendre nécessaire une protection internationale continue… Les demandes d’asile des victimes devraient être accueillies favorablement au motif que leur refus de revenir au Rwanda est fondé sur des raisons impérieuses en rapport avec les persécutions subies dans le passé…».

5.4La requérante rend compte de ce qui lui est arrivé alors qu’elle était en détention et fait part du contenu d’une lettre émanant d’une femme qui aurait été détenue pendant la même période et corrobore son affirmation selon laquelle elle a été torturée durant sa détention. Depuis lors, l’intéressée a obtenu le statut de réfugié en France. Selon les requérants ce témoignage n’a pas été présenté pendant la procédure interne dans la mesure où la lettre est parvenue après le rejet définitif de la demande de la requérante et il était question d’une amnistie en faveur des familles ayant des enfants dont elle espérait bénéficier.

5.5Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel la déclaration de M. U. n’était ni datée ni signée, les requérants expliquent que seule la traduction en anglais de cette déclaration a été remise aux autorités suédoises et font tenir au Comité l’original manuscrit de la lettre signée par M. U. Ce dernier était un voisin de la requérante à Kigali. Contacté par celle‑ci, qui craignait d’être renvoyée au Rwanda, M. U. s’est déclaré préoccupé par sa sécurité au cas où elle serait expulsée parce qu’il avait appris que son nom avait été cité dans la procédure devant les tribunaux Gacaca en tant que suspecte dans le massacre de Tutsis à l’hôpital CHK de Kigali en avril 1994. Par la suite, il a écrit cette lettre, dont l’original est signé. Le 13 août 2006, C. T. a appelé au téléphone M. U., qui avait alors envoyé un courrier électronique expliquant pourquoi il n’avait pas été possible d’obtenir le document dans lequel la requérante était citée en tant que suspecte. Selon ce courrier, la liste était confidentielle et n’avait pas été publiée par crainte que les suspects fassent défaut. M. U., à qui il a été demandé par la suite d’indiquer le nom de la personne qui lui avait dit que la requérante faisait partie des suspects, à quelle date cela s’était produit, etc., n’a pas répondu.

5.6Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel la requérante n’a invoqué sa mise en cause devant les tribunaux Gacaca qu’à un stade tardif de la procédure, les requérants affirment que cela s’explique par le fait que la procédure devant ces tribunaux est passée par plusieurs stades et que des témoignages plus nombreux ont été recueillis en 2005. C’est seulement lorsqu’elle a parlé à M. U. qu’elle a reçu l’information la concernant. Pour ce qui est de la procédure devant les tribunaux Gacaca, les requérants se réfèrent au rapport de Penal Reform International de juin 2006, dans lequel on peut lire, entre autres, que le Gacaca «soulève de graves inquiétudes quant à la situation des accusés».

5.7Pour ce qui est de l’argument selon lequel il n’y a aucun élément de preuve attestant que des membres du PDR‑Ubuyanja ont été arrêtés ou détenus depuis 2003, le Conseil des requérants indique qu’il a représenté devant les autorités suédoises un demandeur d’asile rwandais qui avait été torturé pendant qu’on l’interrogeait sur son rôle dans le PDR‑Ubuyanja en 2004. Les autorités suédoises ont jugé l’intéressé crédible et lui ont accordé le statut de réfugié en 2005. En ce qui concerne le fait que ni la requérante ni son frère n’ont été mentionnés en tant que détenus dans une des listes d’Amnesty International, les requérants affirment que ces listes étaient incomplètes et que selon le document danois susmentionné «certains détenus figurant sur la liste d’Amnesty n’avaient en fait aucun lien avec le PDR‑Ubuyanja».

5.8Selon les requérants, les incohérences au niveau des dates figurant dans la lettre du représentant de la LIPRODHOR étaient une erreur typographique et un nouveau certificat a été présenté au Comité avec la date exacte. Enfin, les requérants font valoir que, eu égard aux circonstances abominables de la grossesse de la requérante, leur renvoi au Rwanda où ils n’ont aucun proche peut avoir de graves conséquences pour le fils de C. T. étant donné que sa mère ne sera peut‑être pas en mesure de subvenir à ses besoins. Il fréquente actuellement une école maternelle et des examens sont effectués pour déterminer s’il ne souffre pas d’une forme d’autisme.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire, conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note que l’État partie a confirmé dans sa lettre du 15 août 2006 que les recours internes avaient été épuisés.

6.2Le Comité estime qu’il n’y a pas d’obstacle à la recevabilité de la requête. Il la déclare donc recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant les requérants au Rwanda, l’État partie violerait l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

7.2Pour évaluer le risque de torture, le Comité tient compte de tous les éléments pertinents, notamment l’existence, dans le pays considéré, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, l’objectif de cette évaluation est de déterminer si la personne concernée risque personnellement d’être soumise à la torture dans le pays où elle retournerait. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays en question n’est pas en soi un motif suffisant pour conclure que cette personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des raisons supplémentaires de penser qu’elle serait personnellement en danger. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être considérée comme étant exposée au risque d’être torturée dans les circonstances qui sont les siennes.

7.3Le Comité rappelle son observation générale no 1 sur l’article 3 de la Convention, où il est indiqué que, le Comité étant tenu de déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé, refoulé ou extradé, l’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable. Sans être nécessairement hautement probable, le risque doit néanmoins être personnel et actuel. À cet égard, le Comité a établi dans des décisions antérieures que le risque de torture doit être prévisible, réel et personnel.

7.4Le Comité note l’affirmation selon laquelle, en cas de renvoi au Rwanda, les requérants seraient détenus et torturés du fait de l’appartenance de la requérante au PDR‑Ubuyanja, en raison de laquelle elle a été déjà arrêtée et torturée dans le passé. La requérante craint en outre d’être jugée par les tribunaux Gacaca. À ce sujet, sans vouloir se prononcer sur la question de savoir si les tribunaux Gacaca satisfont aux critères d’équité des procès énoncés dans les normes internationales, le Comité estime que la simple crainte de la requérante d’être jugée par eux ne suffit pas en soi pour justifier sa crainte d’être torturée.

7.5En ce qui concerne l’allégation de la requérante selon laquelle elle a déjà été torturée dans le passé en raison de son militantisme politique, le Comité note que l’État partie doute de la crédibilité de la requérante vu le manque de précisions de ses déclarations, son incohérence, le peu d’informations qu’elle a fournies sur le PDR‑Ubuyanja et sur son rôle dans ce parti, et prend acte de l’argument décisif selon lequel elle ne risque pas d’être torturée compte tenu de l’évolution de la situation après les élections de 2003. Le Comité relève que l’État partie n’a contesté ni dans le cadre de la procédure interne ni dans ses observations au Comité les affirmations de la requérante (étayées par deux certificats médicaux) selon lesquelles elle a été plusieurs fois violée en détention et qu’elle est tombée enceinte à la suite d’un de ces viols et a donné naissance à son fils en Suède. En réalité, un examen des décisions des autorités nationales montre que ces certificats médicaux n’ont pas du tout été pris en compte et que la question de savoir si la requérante avait effectivement été violée et quelles avaient été les conséquences de ces viols pour elle et son fils n’a pas été examinée. En conséquence, s’appuyant sur les rapports médicaux fournis et le fait que l’État partie n’a pas contesté l’allégation de la requérante, le Comité considère que cette dernière a bien été violée à plusieurs reprises pendant sa détention et a donc été soumise à la torture dans le passé. Compte tenu des dates de sa détention et de la date de naissance de son fils, le Comité considère qu’il ne fait aucun doute que celui-ci était né d’un viol par des agents de l’État et rappelle donc constamment à la requérante ce qu’elle a subi.

7.6Pour ce qui est de l’argument général de l’État, à savoir que la requérante n’est pas crédible, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle on peut rarement attendre des victimes de torture une exactitude sans faille et que les contradictions qui peuvent exister dans l’exposé des faits par la requérante ne sont pas significatives et ne suscitent pas de doutes quant à la véracité générale de ses allégations, dès lors en particulier qu’il a été démontré qu’elle avait été plusieurs fois violée pendant sa détention. Le Comité tient également compte de la version révisée de la lettre de la LIPRODHOR (par. 5.8), dont l’authenticité n’a pas été contestée par l’État partie, qui confirme l’arrestation de la requérante avec son frère par la Direction du renseignement militaire.

7.7.S’agissant de la situation générale au Rwanda, le Comité considère que les renseignements fournis par les requérants démontrent que des tensions ethniques subsistent dans le pays, ce qui accroît la probabilité que la requérante soit torturée à son retour au Rwanda. Pour les raisons susmentionnées, le Comité estime qu’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risquerait d’être soumise à la torture si elle est renvoyée au Rwanda.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que l’expulsion des requérants vers le Rwanda constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité engage instamment l’État partie, en application du paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, à l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner effet à celles-ci.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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