NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.RESTREINTE*

CAT/C/37/D/227/200314 décembre 2006

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente‑septième session6‑24 novembre 2006

DÉCISION

Communication n o  227/2003

Présentée par:

A. A. C. (représenté par un conseil)

Au nom de:

A. A. C. 

État partie:

Suède

Date de la requête:

6 février 2003 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

16 novembre 2006

Objet: Expulsion au Bangladesh depuis la Suède; expérience passée de la torture; effets de l’expulsion sur la santé mentale

Questions de fond: Risque réel et personnel d’être soumis à la torture; rapport entre santé mentale et traitement dégradant

Questions de procédure: Néant

Articles de la Convention: 3 et 16

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

Trente ‑septième session

concernant la

Communication n o  227/2003

Présentée par:

A. A. C. (représenté par un conseil)

Au nom de:

A. A. C. 

État partie:

Suède

Date de la requête:

6 février 2003 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 16 novembre 2006,

Ayant achevé l’examen de la requête no 227/2003, présentée par A. A. C. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte la décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture ci‑après:

1.1Le requérant est A. A. C., de nationalité bangladaise, né en 1970, qui était en attente d’expulsion depuis la Suède vers le Bangladesh au moment de la présentation de la requête. Il affirme que son renvoi au Bangladesh constituerait une violation par la Suède des articles 3 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 7 février 2003, l’État partie a été prié, en application du paragraphe 1 de l’article 108 du Règlement intérieur du Comité, de ne pas renvoyer le requérant au Bangladesh tant que la requête serait en cours d’examen. Le 24 mars 2003, l’État partie a informé le Comité qu’il avait fait droit à cette demande.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un sympathisant du Bangladesh Freedom Party (BFP) depuis 1992 et en est devenu membre en 1994. En 1995, il a été élu secrétaire à l’information du BFP pour le district de police de Naria. Il avait pour fonctions d’organiser les réunions, de coller des affiches, de rédiger des slogans, de recruter des membres, de faire des discours et de lutter contre le parti qui était au pouvoir à l’époque, l’Awami League. Lorsque les dirigeants nationaux de son parti ont été arrêtés et condamnés pour le meurtre de Sheikh Mujibur Rahman, père du Premier Ministre en exercice et fondateur de l’Awami League, le requérant a organisé des manifestations pour réclamer leur libération. Le 15 août 1997, il a été arrêté alors qu’il manifestait contre l’Awami League. Il a été accusé de posséder illégalement des armes, de fabriquer des bombes et de distribuer de la propagande antigouvernementale. Il a été enfermé dans une cellule du poste de police de Naria, où il est resté 10 jours et a subi des mauvais traitements dont il a encore des séquelles. Il a été libéré en versant un pot‑de‑vin.

2.2Le requérant a quitté Naria pour Dhaka, où il s’est installé chez son oncle maternel. Au bout de quelques jours, des membres de l’Awami League l’ont vu et l’ont suivi jusqu’au domicile de son oncle. La nuit suivante, il a vu des policiers passer la grille d’entrée du domicile de son oncle et s’est enfui par la fenêtre. Il a pris un train jusqu’à Sylhet, où vit sa sœur. Quelques jours plus tard, des policiers sont venus au domicile de sa sœur avec une personne de Naria. Le requérant a réussi à s’enfuir et à se cacher dans les collines de Sylhet.

2.3Au cours de la première semaine de décembre 1997, le requérant est revenu à son domicile de Naria et a repris ses activités politiques. Le 9 janvier 1998, il a été agressé et brutalisé par des sympathisants de l’Awami League alors qu’il rentrait chez lui. Son frère l’a alors conduit dans une autre zone résidentielle où sa femme lui a rendu visite et l’a informé que la police le recherchait en raison d’accusations formulées contre lui et que l’Awami League était aussi venue à leur domicile prendre de l’argent. Sa femme s’est retrouvée enceinte et, un mois avant l’accouchement, le requérant est revenu à Naria, où il a repris, en secret, ses activités politiques.

2.4Dans la nuit du 29 juin 1999, la police l’a arrêté à son domicile et l’a conduit au poste de police. Il a été accusé de posséder illégalement des armes et des explosifs, de fabriquer des bombes et de diffuser de la propagande antigouvernementale. Cette fois, il est resté 15 jours en garde à vue. Au cours de cette période, les policiers l’ont frappé à coups de poing et à l’aide d’un tuyau en métal et lui ont donné des coups de pied. Il a été libéré après versement d’un pot‑de‑vin. Par la suite, il n’a plus osé rester chez lui et a vécu dans trois endroits différents.

2.5En février 2000, le requérant a décidé de revenir à Sonda par bateau mais une voisine l’a averti qu’elle avait entendu dire que deux sympathisants de l’Awami League prévoyaient de l’attendre avec des armes dans le port. Il est donc reparti pour Dhaka puis, au bout d’un certain temps, pour Khulna.

2.6En août 2000, il s’est rendu en Inde pour se faire soigner pour les maux dont il souffrait à la suite des mauvais traitements subis en juin 1999, c’est‑à‑dire des difficultés respiratoires et des douleurs dans le dos. En octobre 2000, lorsqu’il est revenu au Bangladesh, sa famille l’a informé qu’il était accusé de possession illégale d’armes et d’explosifs, de fabrication de bombes et de diffusion de propagande antigouvernementale. Il était aussi accusé d’atteinte à l’ordre public et de trahison, conformément à la loi sur la sûreté nationale. Lors de la visite du Premier Ministre de l’époque dans le district de Shariatpur, la police avait trouvé des explosifs et le requérant avait été considéré comme responsable de leur présence dans le district. Le requérant est resté caché jusqu’à son départ du Bangladesh, le 4 décembre 2000.

2.7Le requérant est arrivé en Suède le 5 décembre 2000 et a demandé l’asile deux jours plus tard. Il a déclaré que, s’il rentrait au Bangladesh, il risquait d’être condamné à au moins 15 ans de prison en raison des fausses accusations retenues contre lui. Il a aussi déclaré qu’il risquait d’être arrêté par la police et soumis à des mauvais traitements et à la torture, puis d’être tué par la police ou par les sympathisants de l’Awami League. Le requérant a indiqué aux autorités suédoises qu’il était en très mauvaise santé et qu’il souffrait d’anxiété, de troubles du sommeil, de cauchemars, de difficultés de concentration et de vertiges. Il entendait les bruits des actes de torture qu’il avait subis et il entendait aussi son fils pleurer. La douleur qu’il ressentait à cause des mauvais traitements était tellement vive qu’il avait du mal à rester assis. Il a aussi présenté des rapports médicaux d’où il ressort qu’en raison de son anxiété il souffre de maux de tête, de vertiges, de troubles du sommeil et, parfois, de difficultés respiratoires. Le requérant a invoqué des rapports d’Amnesty International et du Département d’État des États‑Unis qui, selon lui, confirment que, si la police torture des militants et des opposants politiques pour leur soutirer des informations et pour les intimider, c’est souvent à l’instigation et avec l’appui du pouvoir exécutif. Il a souligné que les policiers coupables de torture n’étaient que rarement punis ou limogés.

2.8Le Conseil des migrations a rejeté sa demande le 9 avril 2001, au motif que le requérant ne pouvait être considéré comme un réfugié en vertu de la Convention de 1951 sur le statut des réfugiés et de la loi suédoise sur les étrangers de 1989. Premièrement, le Conseil a estimé que le requérant ne risquait rien de la part des autorités bangladaises en raison de ses activités politiques puisque le BFP était un parti légal. Ses activités politiques étaient de niveau relativement peu élevé et avaient été autorisées. Deuxièmement, le Conseil n’a pas ajouté foi aux déclarations du requérant concernant les accusations retenues contre lui, car il n’était pas vraisemblable qu’il ait pu être relâché, même contre versement d’un pot‑de‑vin, s’il était accusé de plusieurs délits, nouveaux et anciens. Le Conseil a souligné que le requérant était en possession d’un passeport délivré le 14 août 2000 malgré les accusations formulées à son encontre. Troisièmement, le Conseil a estimé que le requérant avait une chance de faire réexaminer son cas dans le cadre des procédures légales du Bangladesh, qui pouvaient être considérées comme adéquates et impartiales.

2.9Le Conseil des migrations a aussi estimé que le requérant ne pouvait être considéré comme ayant besoin d’une protection conformément à la loi sur les étrangers car les mauvais traitements qu’il avait subis en août 1997 et en juin 1999 n’avaient pas été autorisés par le Gouvernement ou les autorités du Bangladesh mais étaient des actes de cruauté commis par des policiers isolés qui avaient décidé de faire la loi eux‑mêmes. Le Conseil a appliqué le même raisonnement en ce qui concerne les mauvais traitements commis par les militants de l’Awami League. Enfin, le Conseil a estimé que le requérant ne pouvait prétendre à un permis de séjour pour raisons humanitaires.

2.10Dans le recours qu’il a présenté à la Commission de recours des étrangers, le requérant a fait référence aux conclusions de médecins suédois. L’un a conclu que la police avait fait subir au requérant à deux occasions, en 1997 et en 1999, les actes de torture suivants: il aurait été frappé à l’aide d’instruments contondants, comme des poings, et d’une arme; frappé à coups de couteau et de morceaux de verre; brûlé à l’aide d’un tube en métal chauffé; battu sur la plante des pieds à l’aide d’une matraque; suspendu au plafond; soumis à des décharges électriques sur les tempes; victime de tentatives d’étouffement, la tête maintenue sous l’eau dans un tonneau, et par injection d’eau dans les narines; menacé de mort, avec une seringue remplie de poison et un pistolet braqué sur la tempe. Le médecin a estimé que le requérant souffrait de séquelles physiques permanentes, sous la forme de maux de tête chroniques, de douleurs en bas du dos, d’une perte de sensation sur le côté gauche du visage, de faiblesses pouvant atteindre l’ensemble du côté gauche du corps et de vertiges. Le deuxième médecin a attesté que le requérant suivait un traitement médical en Suède depuis le 8 janvier 2001, date à laquelle il était venu en consultation à l’hôpital d’Östhammar et avait été diagnostiqué comme souffrant d’anxiété. Le requérant a consulté d’autres services hospitaliers en janvier et en avril 2001. D’après le certificat médical, il souffrait des symptômes suivants: sentiment d’être poursuivi; peur; méfiance; symptômes physiques le rendant malade à la vue d’une voiture de police; douleurs physiques à la pensée de la torture; troubles du sommeil; cauchemars; absences. Le requérant a aussi avoué penser au suicide. Le médecin a conclu que le diagnostic de troubles post‑traumatiques était vraisemblablement correct et que l’on pouvait parler de «maladie mentale provoquée par des expériences très éprouvantes». Le médecin a également affirmé que certains éléments permettaient de conclure que le requérant était suicidaire. Un troisième médecin a confirmé que le requérant était suivi par son service depuis le 11 juillet 2001 sur la recommandation d’un autre service et du service psychiatrique de l’hôpital Saint‑Göran. Le requérant a été diagnostiqué comme souffrant de dépression et de troubles post‑traumatiques provoqués entre autres par les persécutions et les tortures dont il avait été victime au Bangladesh. Un quatrième médecin, psychiatre, a confirmé ce diagnostic en expliquant que le requérant montrait de très forts signes d’anxiété, souffrait de flashbacks qui le renvoyaient aux actes de torture subis, était dans un état d’agitation constante, était dépressif et avait des difficultés à se concentrer. Le requérant a demandé qu’un médecin soit nommé par la Commission de recours des étrangers pour examiner son dossier médical. Le 23 mai 2002, la Commission a rejeté cette demande, sans fournir d’explications.

2.11Dans son appel, le requérant a déclaré que la décision du Conseil des migrations était incohérente car le Conseil semblait ne pas accorder de crédit à ses déclarations concernant le traitement qu’il aurait subi aux mains des autorités bangladaises. Le Conseil a déclaré qu’il ne mettait pas en doute ses déclarations concernant la torture et les mauvais traitements mais qu’il n’ajoutait pas foi à ses déclarations concernant les arrestations. Dans sa décision du 24 juillet 2002, la Commission de recours des étrangers a confirmé la décision du Conseil des migrations et fait siennes ses conclusions quant aux conditions générales au Bangladesh et le système juridique du pays. La Commission a estimé que le requérant ne pouvait pas être considéré comme un réfugié ou une personne ayant besoin d’une protection en vertu de la loi sur les étrangers et que, «compte tenu de toutes les circonstances», il ne pouvait se voir accorder de permis de séjour pour raisons humanitaires.

2.12Le 4 février 2003, le requérant a été placé en détention provisoire dans l’attente de l’exécution de l’arrêté d’expulsion.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé au Bangladesh, ce qui constituerait une violation de l’article 3 de la Convention de la part de la Suède. Le requérant renvoie aux rapports médicaux (par. 2.10 ci‑dessus) qui concluent qu’il a été soumis à la torture et affirme que les actes de torture qu’il a subis correspondent à ce que les rapports relatifs aux droits de l’homme signalent concernant la torture au Bangladesh. Ces rapports confirment aussi que le pouvoir exécutif est souvent à l’origine de la torture des opposants politiques par la police, que le système judiciaire n’offre pas une protection suffisante aux victimes, que les juridictions inférieures ne sont pas politiquement indépendantes de l’exécutif et que les décisions des juridictions supérieures sont souvent méprisées ou contournées par l’exécutif. Le requérant affirme aussi que les élections de 2001, qui ont vu le Bangladesh Nationalist Party (BNP) succéder à l’Awami League, n’ont pas suffisamment changé la situation politique du Bangladesh pour que les motifs de persécution cessent d’exister et que les personnes accusées à tort en raison de leurs activités politiques soient lavées de ces accusations. Compte tenu de la situation du pays et sachant que ni le Conseil des migrations ni la Commission de recours des étrangers n’ont contesté le fait que le requérant ait été torturé au Bangladesh, le requérant maintient qu’il court personnellement un risque réel et prévisible d’être arrêté et torturé s’il est renvoyé au Bangladesh.

3.2Il affirme en outre que l’exécution de l’arrêté d’expulsion constituerait en soi une violation de l’article 16 de la Convention, compte tenu de son état psychiatrique fragile et des graves troubles post‑traumatiques dont il souffre en raison de la torture à laquelle il a été soumis.

Observations de l’État partie sur la recevabilité sur le fond de la communication

4.1Dans une lettre datée du 24 avril 2003, l’État partie reconnaît que tous les recours internes ont été épuisés mais conteste que la plainte soit suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

4.2L’État partie affirme en outre que le grief de violation de l’article 16 concernant l’exécution de l’arrêté d’expulsion, compte tenu de la santé psychiatrique fragile du requérant et de ses troubles post‑traumatiques, est incompatible avec les dispositions de la Convention. L’État partie invoque l’Observation générale du Comité concernant l’article 3, qui précise que l’interdiction d’expulser une personne vers un autre État s’applique uniquement dans les cas où la personne risque d’être soumise à la torture telle qu’elle est définie à l’article premier de la Convention. Il n’y a aucune référence à «d’autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants» à l’article 3, contrairement à l’article 16. Le but de l’article 16 est plutôt de protéger les personnes privées de liberté ou qui se trouvent de toute autre façon sous le pouvoir ou le contrôle effectif de la personne responsable du traitement ou de la peine en question.

4.3L’État partie rappelle les procédures régissant les demandes d’asile en Suède. En vertu de la loi sur les étrangers, un étranger peut prétendre à un permis de séjour en Suède si, entre autres, il a quitté son pays de nationalité car il est fondé à craindre d’être condamné à mort, de subir des châtiments corporels ou d’être soumis à la torture ou à d’autres traitements ou châtiments inhumains ou dégradants. Au titre du chapitre 8, les autorités nationales doivent examiner les mêmes questions lorsqu’il s’agit de faire appliquer une décision de non‑admission ou d’expulsion. Même lorsqu’une décision de non‑admission ou d’expulsion devient applicable après appel, l’étranger peut obtenir un permis de séjour s’il présente ce qu’il est convenu d’appeler une nouvelle demande à la Commission de recours des étrangers. Un arrêté d’expulsion n’est exécuté que lorsqu’un étranger a refusé de s’y plier volontairement. Les mesures coercitives doivent être limitées au strict nécessaire, être proportionnées et être appliquées en tenant compte de considérations humanitaires et dans le respect de la dignité de la personne. Un étranger peut prétendre à un permis de séjour, entre autres si, pour des raisons humanitaires, il devrait être autorisé à s’installer en Suède. Une maladie grave, physique ou mentale, peut, dans des cas exceptionnels, justifier l’octroi d’un permis de séjour pour raisons humanitaires.

4.4Concernant la teneur de la plainte, l’État partie précise que, lors de son entretien au Conseil des migrations le 1er mars 2001, le requérant a déclaré être politiquement actif au Bangladesh et être membre du BFP. Il a déclaré qu’en raison de ses activités, il avait été persécuté par la police et l’Awami League et avait fait l’objet de fausses accusations. En août 1997, il a été arrêté lors d’une manifestation et placé en détention provisoire pendant 10 jours. Au cours de cette période, il a été maltraité et torturé par la police qui l’a accusé de posséder illégalement des armes, de fabriquer des bombes et de se livrer à des activités subversives. Un pot‑de‑vin a été versé pour sa libération. Au cours de l’entretien, le requérant a expliqué en détail les circonstances qui ont précédé l’agression commise contre sa personne par des sympathisants de l’Awami League le 9 janvier 1998 ainsi que son départ du Bangladesh. Le requérant a expliqué qu’une personne, qui avait son passeport et a versé des pots‑de‑vin à différentes personnes à l’aéroport, l’a escorté jusqu’à l’avion.

4.5Le 9 avril 2001, le Conseil des migrations a rejeté la demande d’asile du requérant et a ordonné son expulsion vers son pays d’origine. Le Conseil des migrations n’a pas estimé que le requérant avait droit à l’asile, avait besoin d’une protection et avait droit à un permis de séjour pour toute autre raison. Le requérant a fait appel de cette décision mais la Commission de recours des étrangers l’a débouté le 24 juillet 2002. Après la décision de la Commission de recours des étrangers, le requérant est entré dans la clandestinité. Il a été retrouvé par la police le 4 février 2003 à l’occasion d’une inspection du travail et placé en détention provisoire.

4.6Sur le fond, l’État partie fait valoir que, s’agissant de la situation générale des droits de l’homme au Bangladesh et des éléments de preuve avancés, le requérant n’a pas étayé l’existence d’un risque personnel et important de torture, selon la définition de l’article premier, qui rendrait son expulsion contraire à l’article 3. En ce qui concerne la situation générale, l’État partie reconnaît qu’elle est problématique mais souligne que, sur le long terme, on note une amélioration progressive. Depuis l’introduction d’un régime démocratique au début des années 90, il n’a pas été fait état d’une oppression systématique des dissidents, et les groupes de défense des droits de l’homme sont en règle générale autorisés à poursuivre leurs activités. Le BNP a repris le pouvoir (après l’avoir occupé de 1991 à 1996 puis avoir été dans l’opposition de 1996 à 2001) à la suite des élections du 1er octobre 2001, qui ont été déclarées libres et régulières. Toutefois, la violence est un élément permanent de la vie politique, avec des heurts entre partisans des différents partis et avec la police lors des meetings et des manifestations. Bien que la Constitution bangladaise interdise la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants, la police aurait recours à la torture, aux brutalités et à d’autres formes de violence lors de l’interrogatoire de suspects. Les actes de torture font rarement l’objet d’enquête, et la police, que le Gouvernement utiliserait à des fins politiques, est peu disposée à ouvrir des enquêtes contre des personnes ayant des liens avec le parti au pouvoir. Les juridictions supérieures sont dans l’ensemble indépendantes et ont rendu des jugements défavorables au Gouvernement dans des affaires qui ont eu un grand retentissement. Il arrive que des personnes soient jugées en leur absence mais cela reste rare. La loi sur la sûreté nationale a été abrogée par le Gouvernement en avril 2001.

4.7En 2002, des membres de la Commission de recours des étrangers de l’État partie se sont rendus au Bangladesh, où ils ont rencontré des membres du Parlement et de l’exécutif et des représentants des ambassades locales et d’organisations internationales; selon le rapport secret rédigé sur cette mission, ils n’ont constaté aucune persécution institutionnelle. S’il est vrai que des personnalités «très en vue» peuvent être arrêtées et harcelées par la police, la persécution politique est rare dans la population en général. Des hommes politiques de premier plan peuvent être faussement accusés de meurtre, d’activités subversives ou de possession d’armes. L’État partie fait observer que le Bangladesh est partie à la Convention depuis 1998 et, depuis 2001, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.8En ce qui concerne le critère du risque réel, personnel et prévisible d’être soumis à la torture qui doit peser sur le requérant dans l’hypothèse d’un retour, critère requis par l’article 3, l’État partie souligne que les autorités suédoises ont explicitement appliqué les dispositions pertinentes de la Convention. De plus, les autorités compétentes sont particulièrement bien placées pour évaluer les demandes d’asile, compte tenu notamment de l’expérience acquise en faisant droit à 629 demandes fondées sur l’article 3 parmi les 1 427 émanant de requérants du Bangladesh que la Suède a reçues en l’espace de 10 ans. En conséquence, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux décisions du Service de l’immigration et de la Commission de recours des étrangers, dont l’argumentation est entérinée par l’État partie.

4.9L’État partie fait valoir que le requérant fonde sa demande sur le risque présumé qu’il encourt d’être soumis à la torture s’il est renvoyé au Bangladesh en raison de son appartenance au BFP et des accusations retenues contre lui en vertu de la loi sur la sûreté nationale, loi qui a été abrogée entre‑temps. Étant donné que le contexte politique du Bangladesh a considérablement évolué avec la défaite électorale, en 2001, du gouvernement de l’Awami League, qui aurait persécuté le requérant, il semble que ce dernier n’ait plus à craindre d’être persécuté par la police et a fortiori d’être soumis à la torture.

4.10En outre, l’État partie fait observer que le requérant n’était pas un cadre du parti et que, comme le souligne la Commission de recours des étrangers dans son rapport (voir par. 4.7 ci‑dessus), les militants de base ne sont que rarement persécutés par les autorités. Même si le requérant peut avoir été soumis à la torture dans le passé, rien ne montre qu’il est encore recherché par la police ou qu’il risquerait d’être persécuté s’il rentrait au Bangladesh maintenant.

4.11L’État partie note que, s’il y a actuellement un risque de persécution de la part de l’Awami League, cette dernière est une entité totalement non gouvernementale et ses actes ne peuvent être attribués aux autorités. D’après la jurisprudence du Comité, de telles persécutions n’entreraient pas dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention. De plus, ces persécutions auraient un caractère local et le requérant pourrait dès lors assurer sa sécurité en s’installant dans une autre région du pays.

4.12L’État partie note que le requérant a repris ses activités politiques en décembre 1997 après avoir été, selon ses dires, libéré en août 1997. Par ailleurs, après sa deuxième période de détention, en juin 1999, il n’a fait aucune tentative pour quitter le pays, restant sur place jusqu’en décembre 2000, à l’exception d’un séjour en Inde en août et en septembre 2000. L’État partie estime que cela montre que le requérant lui‑même ne pensait pas qu’il risquait d’être arrêté et torturé, même à cette époque. L’État partie s’étonne que le requérant, soi‑disant arrêté par la police et accusé de posséder illégalement des armes et de se livrer à des activités subversives en août 1997 et en juin 1999, n’ait eu aucune difficulté à obtenir un passeport des autorités en août 2000.

4.13Concernant le grief au titre de l’article 16, l’État partie renvoie à deux affaires dans lesquelles le requérant souffrait de troubles post‑traumatiques et faisait valoir que son état de santé empêchait son expulsion. Dans G. R. B. c. Suède, le Comité a considéré que l’aggravation de l’état de santé de la personne qui pourrait résulter de son expulsion ne constituerait pas un traitement cruel, inhumain ou dégradant attribuable à l’État partie, au sens de l’article 16 de la Convention, tandis que dans S.V. c. Canada, le Comité a estimé que la requête n’était pas suffisamment étayée.

4.14L’État partie reconnaît que, d’après son dossier médical, le requérant souffre de troubles post‑traumatiques et que sa santé s’est dégradée alors que sa demande d’asile était en cours d’examen. Il considère toutefois que les craintes exprimées par le requérant en ce qui concerne son retour au Bangladesh n’ont pas été étayées. Il note qu’en mars et en avril 2001 le requérant a demandé une dérogation à l’obligation de présenter un permis de travail car on lui avait proposé un emploi. Après la décision de la Commission de recours des étrangers, en juillet 2002, le requérant est resté dans la clandestinité. Lorsqu’il a été retrouvé par la police, il travaillait en tant qu’épicier. L’État partie fait valoir que l’état psychiatrique du requérant, qui ne l’avait pas empêché de travailler, devait être évalué compte tenu de ces éléments. En outre, l’État partie veille à ce que l’exécution de l’arrêté d’expulsion se fasse de manière digne et humaine, compte tenu de l’état de santé du requérant. L’État partie fait donc valoir que l’aggravation de l’état de santé du requérant qui pourrait résulter de son expulsion ne constituerait pas un traitement cruel, inhumain ou dégradant qui lui serait attribuable, au sens de l’article 16 de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre du 18 juillet 2003, le requérant maintient que sa communication est suffisamment étayée aux fins de la recevabilité au titre de l’article 3. Il affirme en outre qu’elle répond aux critères minimaux de l’article 16 et que l’exécution de l’arrêté d’expulsion constituerait une violation de cet article par les autorités suédoises. En dépit de sa santé mentale fragile, il a été placé en détention provisoire et la rapidité avec laquelle l’arrêté d’expulsion devait être appliqué montre qu’il n’aurait pas été exécuté de manière digne et humaine. Il renvoie à un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, qui évoque les critiques dont font l’objet les autorités suédoises, qui exécuteraient les arrêtés d’expulsion sans respecter la dignité des personnes concernées.

5.2Le requérant renvoie, outre aux rapports déjà soumis concernant la situation générale des droits de l’homme au Bangladesh, à un rapport supplémentaire d’Amnesty International. Ce rapport conclut que la pratique de la torture est largement répandue au Bangladesh depuis des années, que les gouvernements successifs ne se sont pas attaqués au problème et que règne un climat d’impunité. Il n’est possible d’engager des poursuites judiciaires contre un agent de l’État, comme un policier, qu’avec l’accord du Gouvernement, qui le donne rarement. Le requérant conteste les affirmations de l’État partie selon lesquelles les militants de base ne font pas l’objet de fausses accusations. Il rappelle aussi au Comité la «déclaration» par laquelle la République populaire du Bangladesh a indiqué qu’elle appliquerait le paragraphe 1 de l’article 14 de la Convention contre la torture «conformément aux lois et textes existants du pays». Le requérant fait valoir que, contrairement aux dispositions de cet article, les victimes de la torture au Bangladesh ne peuvent pas obtenir réparation et ne sont pas indemnisées comme elles le devraient. Il renvoie à la promulgation de la loi relative à l’exonération de responsabilité des participants à l’action commune des forces de l’ordre (Joint Drive Indemnity Act) qui a accordé l’immunité aux responsables militaires et gouvernementaux pour les actes de torture qui auraient été commis au cours de l’opération dite «Cœur pur».

5.3Concernant sa situation personnelle, le requérant réaffirme qu’il court personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture s’il est renvoyé au Bangladesh. Sans contester les statistiques présentées par l’État partie (par. 4.8 ci‑dessus), le requérant fait valoir que l’État partie n’a pas précisé combien de candidats à l’asile obtenaient effectivement l’asile ou un permis de séjour en tant que personnes ayant besoin d’une protection. Il fait valoir également que, comparés à d’autres catégories, les demandeurs d’asile originaires du Bangladesh sont chaque année très peu nombreux. Les services de l’immigration de l’État partie ont donc bien moins d’expérience concernant cette catégorie de personnes que pour d’autres catégories de demandeurs d’asile. Le requérant fait valoir aussi que la situation politique n’a pas fondamentalement changé au Bangladesh. Le BFP est un parti qui, pour autant qu’il existe encore, est dans l’opposition au présent Gouvernement, constitué d’une coalition de quatre partis emmenée par le BNP. Le requérant fait valoir que ni l’État partie ni ses autorités migratoires ne contestent ce fait ou les éléments de preuve concernant les actes de torture qu’il a subis. Il soutient que, dès lors qu’il est établi qu’une personne a déjà été soumise à la torture par le passé, il devrait exister une présomption de risque à venir, sauf si les circonstances ont manifestement changé. Il ajoute qu’un certain nombre de lois, comme le Code de procédure pénale et la loi sur les pouvoirs spéciaux, créent des conditions qui facilitent la torture en permettant à la police d’arrêter une personne pour des motifs vagues ou sans chef d’inculpation et de la garder en détention de manière prolongée. Tout en reconnaissant que la loi sur la sûreté nationale a été abrogée en avril 2001, le requérant fait valoir que la loi sur les pouvoirs spéciaux et les autres textes cités par Amnesty International sont toujours applicables et que l’on ne connaît pas de cas de personnes poursuivies en vertu de la loi sur la sûreté nationale pour lesquelles l’affaire a été classée ou les poursuites abandonnées.

5.4Le requérant explique également (voir par. 4.12 ci‑dessus) qu’il a obtenu son passeport en août 2000, c’est‑à‑dire avant que les accusations de possession illégale d’explosifs et d’armes, de fabrication de bombes, de distribution de propagande antigouvernementale et d’atteinte à l’ordre public n’aient été formulées contre lui.

Observations supplémentaires de l’État partie et commentaires du requérant

6.1Dans une lettre datée du 1er septembre 2003, l’État partie reconnaît que la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance a formulé des remarques au sujet de l’expulsion des demandeurs d’asile déboutés. La Commission a plus spécifiquement fait observer qu’il y avait eu des cas de personnes expulsées contre leur gré à destination de pays inconnus d’elles en raison de la difficulté à établir leur nationalité et des cas d’usage excessif de la force et/ou de méthodes exceptionnelles de contrainte par des fonctionnaires de police lors de l’expulsion de ressortissants étrangers de Suède. L’État partie renvoie à une annexe du rapport dans laquelle il reconnaît qu’il y a eu des expulsions forcées vers des pays qui n’étaient pas le pays d’origine dans des cas où il était difficile de vérifier la nationalité des demandeurs d’asile mais a déclaré que la Commission «[dépeignait] de façon erronée la situation en Suède». L’État partie confirme que l’objectif est toujours de renvoyer les intéressés vers leur pays d’origine ou vers un pays dans lequel ils ont le droit de séjourner légalement.

6.2Dans une lettre datée du 11 novembre 2003, le requérant maintient que les autorités suédoises ont été critiquées non seulement pour avoir renvoyé un demandeur d’asile dans le mauvais pays mais aussi pour la façon dont l’arrêté d’expulsion a été exécuté. Il déclare qu’il s’agit d’une question importante dans son cas et que la façon dont il a été traité par les autorités suédoises constitue une violation de l’article 16 de la Convention.

6.3Dans une lettre datée du 16 novembre 2005, l’État partie fait valoir que, comme il existe maintenant une nouvelle voie de recours, ouverte au titre d’une législation temporaire aux demandeurs de permis de séjour, il conviendrait de déclarer la requête irrecevable pour non‑épuisement des recours internes ou du moins d’en reporter l’examen en attendant le résultat de l’application de la nouvelle procédure. Le 9 novembre 2005, des modifications provisoires à la loi de 1989 sur les étrangers ont été adoptées. Entrées en vigueur le 15 novembre 2005, elles devaient rester applicables jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi sur les étrangers, le 31 mars 2006. Ces modifications ont ajouté de nouveaux critères sur la base desquels un permis de séjour peut être délivré à un étranger sous le coup d’une décision définitive de non‑admission sur le territoire ou d’expulsion. L’article 5 b) du nouveau chapitre 2 de la loi sur les étrangers prévoit que, si des éléments nouveaux apparaissent concernant l’exécution d’une décision finale de non‑admission ou d’expulsion, le Conseil suédois des migrations peut, à la demande de l’intéressé ou de sa propre initiative, lui accorder un permis de séjour si, entre autres critères, il y a des raisons de supposer que le pays de renvoi refusera de l’admettre sur son territoire ou si des raisons d’ordre médical s’opposent à l’exécution de la décision. En outre, un permis de séjour peut également être accordé pour des autres raisons que celles qui ont été mentionnées lorsque des considérations humanitaires urgentes l’exigent. Pour apprécier les aspects humanitaires, il faut en particulier tenir compte de la question de savoir si l’étranger se trouve en Suède depuis longtemps et si, eu égard à la situation dans le pays de renvoi, il n’est pas possible d’envisager des mesures coercitives pour appliquer la décision de non‑admission sur le territoire ou d’expulsion. Par ailleurs, si l’étranger a commis des infractions, il conviendra également d’en tenir compte, et un permis de séjour peut être refusé pour des raisons de sécurité. La décision de non‑admission ou d’expulsion n’est pas exécutée tant que le Conseil des migrations n’a pas fini d’examiner le dossier. Les décisions rendues par le Conseil des migrations en application de l’article 5 b) du chapitre 2 modifié ne sont pas susceptibles de recours. Les demandes déposées auprès du Conseil des migrations en vertu de la nouvelle législation qui sont encore en instance au 30 mars 2006 continueront d’être traitées suivant les modifications provisoires à la loi sur les étrangers. Il en va de même des affaires que le Conseil a décidé d’examiner de sa propre initiative.

6.4Dans une lettre datée du 31 mars 2006, le requérant répond que, le 18 novembre 2005, le Conseil des migrations a décidé de revoir son cas en vertu de la législation provisoire. Le 3 mars 2006, le Conseil a décidé de ne pas lui accorder de permis de séjour et de maintenir l’arrêté d’expulsion. Dans sa lettre datée du 12 avril 2006, le requérant explique que, dans la demande présentée au Conseil, il a réitéré les raisons pour lesquelles il demande l’asile, qu’il avait présentées précédemment au Conseil des migrations, à la Commission de recours des étrangers et au Comité contre la torture. Il a aussi fait référence à de nouveaux éléments médicaux de janvier‑février 2006, qui confirment que le requérant est suivi par des services psychiatriques en Suède depuis 2001 et qu’il a été initialement diagnostiqué comme souffrant de troubles post‑traumatiques.

6.5Le Conseil des migrations a fondé sa décision du 3 mars 2006 sur le fait que ces raisons avaient déjà été examinées par les autorités migratoires et qu’aucun nouvel élément n’était apparu concernant ces raisons et les risques que le requérant courrait s’il était renvoyé au Bangladesh. Le Conseil a donc estimé qu’il ne pouvait obtenir l’asile ou un permis de séjour en tant que personne ayant besoin d’une protection. Deuxièmement, le Conseil a estimé, compte tenu de sa pratique en vertu des modifications provisoires de la loi, qu’un célibataire devait vivre en Suède depuis au moins huit ans avant de pouvoir obtenir un permis de séjour pour ces motifs et que la durée de séjour du requérant, qui était arrivé en Suède en 2000, était insuffisante. Troisièmement, le Conseil a estimé que son dossier médical ne montrait pas qu’il souffrait d’une maladie mentale ou de maux comparables si graves qu’il faille lui accorder un permis de séjour pour raisons médicales, et qu’il pouvait être correctement soigné dans son pays d’origine. Il n’y avait donc aucun motif de lui accorder un permis de séjour pour raisons humanitaires.

6.6Le requérant explique que, le 11 janvier 2006, il est entré en contact avec son frère au Bangladesh, qui l’a informé que la police continuait de s’intéresser à lui ainsi qu’à sa femme et à ses enfants. Ces derniers seraient obligés de se déplacer dans le pays pour éviter la police et les militants de l’Awami League. Le requérant renvoie aux rapports de 2005 du Département d’État des États‑Unis et du Ministère suédois des affaires étrangères pour confirmer que la situation concernant la torture dans les prisons de la police ne s’est pas améliorée mais s’est au contraire aggravée. Le requérant affirme en outre que la pratique restrictive des autorités suédoises concernant l’octroi de permis de séjour lui a causé des souffrances inutiles et constitue en soi une violation de l’article 3 ou de l’article 16 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note que l’épuisement des recours internes n’a pas été contesté par l’État partie dans ses premières observations et que, le 3 mars 2006, les autorités de l’État partie ont pris une décision finale concernant la nouvelle demande présentée par le requérant au titre des modifications provisoires de la loi sur les étrangers de 1989.

7.2Concernant l’argument avancé par le requérant dans sa dernière lettre, en date du 12 avril 2006, selon lequel le traitement auquel il a été soumis de la part des autorités suédoises du fait de la pratique restrictive appliquée par ces dernières pour l’octroi des permis de séjour, ce qui lui a causé des souffrances inutiles, constitue en soi une violation de l’article 3 ou de l’article 16 de la Convention, le Comité considère que le requérant n’a pas suffisamment étayé cette allégation.

7.3En ce qui concerne le grief tiré de l’article 16, relatif à l’expulsion du requérant en dépit de son état de santé mentale, le Comité rappelle sa jurisprudence précédente selon laquelle l’aggravation de l’état de santé physique ou mentale d’une personne due à l’expulsion est généralement insuffisante pour constituer, en l’absence d’autres facteurs, un traitement dégradant en violation de l’article 16. Le Comité prend note des renseignements médicaux présentés par le requérant, à l’effet d’établir qu’il souffre de troubles post‑traumatiques graves causés fort probablement par le traitement qu’il a subi en 1997 et en 1999. Le Comité considère toutefois que l’aggravation de l’état de santé du requérant qui pourrait résulter de son expulsion est en soi insuffisante pour étayer ce grief, qui est donc considéré comme irrecevable.

7.4Concernant le grief de violation de l’article 3 relativement à la torture, le Comité considère, compte tenu en particulier des informations fournies par le requérant au sujet des actes de torture qu’il a subis, qu’il a étayé sa plainte aux fins de la recevabilité. En l’absence d’autre obstacle à la recevabilité, le Comité procède donc à l’examen de la requête quant au fond.

Examen au fond

8.1Le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant au Bangladesh constituerait une violation de l’obligation qu’impose à l’État partie l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ni refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

8.2Le Comité doit examiner s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture à son retour au Bangladesh. Pour évaluer ce risque, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, notamment l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que l’objectif de cette évaluation est de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays dans lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays en question n’est pas en soi un motif suffisant pour établir que cette personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser qu’elle serait personnellement en danger. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

8.3Pour évaluer le risque de torture en l’espèce, le Comité a relevé que le requérant dit avoir été torturé à deux reprises au Bangladesh. Cependant, comme le fait observer l’État partie et selon l’Observation générale du Comité, le fait qu’une personne a déjà été torturée n’est qu’un des éléments qui sont pris en considération pour déterminer si une personne encourt personnellement le risque d’être torturée en cas de renvoi dans son pays d’origine; à cet égard, le Comité doit examiner la question de savoir si la torture a eu lieu récemment, compte tenu des réalités politiques du moment dans le pays concerné. En l’espèce, les actes de torture dont le requérant a été victime se sont produits en 1997 et 1999, ce qui ne saurait être considéré comme un passé récent, et dans des circonstances politiques tout à fait différentes, c’est‑à‑dire au moment où le BFP, parti auquel appartient le requérant, était dans l’opposition au parti alors au pouvoir, l’Awami League.

8.4Le Comité a pris note des allégations concernant la situation générale des droits de l’homme au Bangladesh et des informations selon lesquelles la torture y serait chose courante. Toutefois, cela ne suffit pas pour prouver que le requérant encourrait personnellement le risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Bangladesh. Le Comité constate que les principales raisons pour lesquelles le requérant craint personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Bangladesh sont qu’il y a déjà été soumis à la torture au motif de son appartenance au BFP et qu’il risque d’y être emprisonné et torturé à son retour en raison des poursuites engagées contre lui en vertu de la loi sur la sûreté nationale.

8.5Le Comité note que le requérant et l’État partie divergent complètement quant à la question de savoir si le BFP peut être considéré actuellement comme étant dans l’opposition au gouvernement actuel. Cependant, les renseignements de l’État partie donnent à penser le contraire. Le Comité rappelle que, conformément à son Observation générale, c’est au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables et de prouver qu’il risquerait d’être torturé, que les raisons de croire qu’il le serait sont aussi sérieuses qu’il le dit, et que ce risque est personnel et réel. En l’espèce, le Comité n’est pas convaincu que, compte tenu de la situation politique actuelle au Bangladesh, conjuguée au faible niveau de responsabilité présumé du requérant au sein du BFP, le requérant risque actuellement d’y être torturé en raison de son appartenance au BFP, à un rang ordinaire.

8.6.Le Comité relève également que le requérant et l’État partie sont en désaccord sur la question de la probabilité pour une personne accusée par la police de détention d’armes illégales et d’activités subversives d’obtenir un nouveau passeport. En l’espèce le Comité n’est pas en mesure de délibérer sur cette question, étant donné que le requérant n’a apporté aucun document prouvant qu’il a été inculpé en 1997 ou en 1999 ou encore en 2000, avec les dates exactes auxquelles cela se serait produit.

8.7Concernant les charges qui auraient été retenues contre le requérant au titre de la loi sur la sûreté nationale, le Comité note que l’état des poursuites engagées demeure incertain. Si le requérant ne conteste pas l’argument de l’État partie selon lequel la loi a été abrogée, il met en doute le fait que les affaires pour lesquelles des poursuites avaient été engagées en vertu de cette loi aient été classées ou que les poursuites aient été abandonnées. Faute d’élément indiquant que la police continue de s’intéresser au requérant, le Comité considère que ce dernier n’a pas montré que les poursuites engagées contre lui continueraient en dépit de l’abrogation de la législation pertinente. En conséquence, il juge peu probable que le requérant risque d’être placé en détention et torturé à son retour.

9.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la décision de l’État partie de renvoyer le requérant au Bangladesh ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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