CCPR

Pacte international relatif aux droits civilset politiquesDistr.

RESTREINTE*

CCPR/C/72/D/839/1998

CCPR/C/72/D/840/1998

CCPR/C/72/D/841/1998

30 juillet 2001

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMESoixante-douzième session9-27 juillet 2001

CONSTATATIONS

Communications nos 839/1998, 840/1998 et 841/1998

Présentées par:M. Anthony B. Mansaraj et consortsM. Gborie Tamba et consortsM. Abdul Karim Sesay et consorts

Au nom de:Les auteurs

État partie:Sierra Leone

Date des communications:12 et 13 octobre 1998 (date des lettres initiales)

Décisions antérieures:Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 86 et de l’article 91, communiquée à l’État partie les 13 et 14 octobre 1998 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:16 juillet 2001

Le 16 juillet 2001, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant les communications nos 839/1998, 840/1998 et 841/1998. Le texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]

Annexe

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITREDU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIFSE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIFAUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Soixante-douzième session

concernant les

Communications nos 839/1998, 840/1998 et 841/1998**

Présentées par:M. Anthony B. Mansaraj et consortsM. Gborie Tamba et consortsM. Abdul Karim Sesay et consorts

Au nom de:Les auteurs

État partie:Sierra Leone

Date des communications:12 et 13 octobre 1998 (date des lettres initiales)

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 juillet 2001,

Ayant achevé l’examen des communications nos 839/1998, 840/1998 et 841/1998 présentées au Comité des droits de l’homme par M. Anthony B. Mansaraj et consorts, M. Gborie Tamba et consorts et M. Abdul Karim Sesay et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs des communications et l'État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1Les auteurs des communications sont MM. Anthony B. Mansaraj, Gilbert Samuth Kandu‑Bo et Khemalai Idrissa Keita (communication no 839/1998), Tamba Gborie, Alfred Abu Sankoh (alias Zagalo), Hassan Karim Conteh, Daniel Kobina Anderson, Alpha Saba Kamara, John Amadu Sonica Conteh et Abu Bakarr Kamara (communication no 840/1998), Abdul Karim Sesay, Kula Samba, Nelson Williams, Beresford R. Harleston, Bashiru Conteh, Victor L. King, Jim Kelly Jalloh et Arnold H. Bangura (communication no 841/1998). Les auteurs sont représentés par un conseil.

1.2Le 16 juillet 2001, le Comité a décidé d’examiner ces communications conjointement.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs des communications (présentées les 12 et 13 octobre 1998) étaient, au moment où ils ont présenté leur plainte, en attente d’exécution dans l’une des prisons de Freetown. Sur les 18 auteurs, 12 ont été fusillés le 19 octobre 1998: Gilbert Samuth Kandu‑Bo, Khemalai Idrissa Keita, Tamba Gborie, Alfred Abu Sankoh (alias Zagalo), Hassan Karim Conteh, Daniel Kobina Anderson, John Amadu Sonica Conteh, Abu Bakarr Kamara, Abdul Karim Sesay, Kula Samba, Victor L. King et Jim Kelly Jalloh.

2.2Les auteurs sont tous des membres ou d’anciens membres des forces armées de la République de Sierra Leone. Accusés, notamment, de trahison et de non‑répression d’une mutinerie, ils ont été reconnus coupables par un tribunal militaire de Freetown et ont été condamnés à mort le 12 octobre 1998. La condamnation n’était pas susceptible d’appel.

2.3Les 13 et 14 octobre 1998, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a prié le Gouvernement sierra‑léonais, conformément à l’article 86 du règlement intérieur du Comité, de surseoir à l’exécution des auteurs tant que les communications étaient en cours d’examen par le Comité.

2.4Le 4 novembre 1998, le Comité a examiné la question du refus de l’État partie, en exécutant 12 des auteurs, d’accéder à la demande qui lui avait été adressée en vertu de l’article 86. Le Comité a déploré que l’État partie n’ait pas donné suite à sa demande et a décidé de poursuivre l’examen des communications en question en vertu du Protocole facultatif.

Teneur de la plainte

3.1Le conseil considère qu’en n’accordant pas le droit de faire appel d’une condamnation prononcée par un tribunal militaire, l’État partie a violé le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

3.2Le conseil indique que le droit de faire appel existait à l’origine en vertu du chapitre IV de l’ordonnance de 1961 sur les forces militaires royales sierra‑léonaises, mais que cette ordonnance a été révoquée en 1971.

Observations de l’État partie

4.L’État partie n’a fourni aucune information concernant ces communications, bien que le Comité l’ait invité à le faire à plusieurs reprises.

Délibérations du Comité

5.1Tout État partie qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. premier). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication et d’en mener l’examen à bonne fin, et l’empêche de faire part de ses constatations, est incompatible avec ses obligations.

5.2Indépendamment donc d’une violation du Pacte qui lui est imputée dans une communication, un État partie contrevient gravement aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif s’il adopte une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation du Pacte, ou qui rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur et de nul effet. Dans la présente communication, le conseil fait valoir que les auteurs ont été l’objet de violation de leurs droits au titre du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Une fois qu’il a été notifié de la communication, l’État partie a contrevenu à ses obligations en vertu du Protocole facultatif en procédant à l’exécution des victimes présumées, à savoir Gilbert Samuth Kandu‑Bo, Khemalai Idrissa Keita, Tamba Gborie, Alfred Abu Sankoh (alias Zagalo), Hassan Karim Conteh, Daniel Kobina Anderson, John Amadu Sonica Conteh, Abu Bakarr Kamara, Abdul Karim Sesay, Kula Samba, Victor L. King et Jim Kelly Jalloh, avant que le Comité n’ait mené l’examen à bonne fin et n’ait pu formuler ses constatations. Il était particulièrement inexcusable pour l’État partie d’agir ainsi après que le Comité lui eut demandé, en application de l’article 86 du règlement intérieur, de s’abstenir de le faire.

5.3L’adoption de mesures provisoires en application de l’article 86 du règlement intérieur conformément à l’article 39 du Pacte est essentielle au rôle confié au Comité en vertu du Protocole facultatif. Le non‑respect de cet article, en particulier par une action irréparable comme l’exécution d’une victime présumée ou son expulsion, sape la protection des droits consacrés dans le Pacte que le Protocole facultatif vise à assurer.

5.4Le Comité des droits de l’homme a examiné les communications en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. Il note avec préoccupation que l’État partie n’a donné aucune information permettant d’éclaircir les questions soulevées par les communications. Il rappelle qu’il découle implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que tout État partie doit examiner en toute bonne foi les allégations qui sont dirigées contre lui et apporter au Comité toutes les informations dont il dispose. Étant donné que l’État partie n’a pas coopéré avec le Comité dans l’affaire à l’examen, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs, dans la mesure où elles ont été étayées.

5.5Le Comité a vérifié, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’avait pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note que l’État partie n’a pas fait valoir qu’il restait des recours internes que les auteurs devraient exercer et n’a soulevé aucune objection à la recevabilité de la communication. En se fondant sur les informations qui lui ont été transmises, le Comité conclut que la communication est recevable et procède sans plus tarder à l’examen quant au fond.

5.6Le Comité note l’affirmation des auteurs selon laquelle l’État partie a violé le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte en n’accordant pas le droit de faire appel d’une condamnation prononcée par un tribunal militaire, a fortiori dans une affaire de condamnation à mort. Il note que l’État partie n’a ni réfuté ni confirmé l’allégation des auteurs, mais constate que 12 des auteurs ont été exécutés quelques jours seulement après leur condamnation. Le Comité considère en conséquence que l’État partie a violé le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et, de ce fait, également l’article 6 qui protège le droit à la vie, en ce qui concerne l’ensemble des 18 auteurs des communications. Il ressort clairement de la jurisprudence du Comité qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte, la peine de mort ne peut être prononcée, entre autres sauvegardes, que quand toutes les garanties d’un jugement équitable, y compris le droit de faire appel, ont été respectées.

6.1Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par la Sierra Leone de l’article 6 et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

6.2Le Comité réaffirme sa conclusion selon laquelle l’État partie a commis un manquement grave aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif en exécutant 12 des 18 auteurs avant que l’examen de leur communication n’ait été achevé.

6.3Conformément au paragraphe 3 a de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à Anthony Mansaraj, Alpha Saba Kamara, Nelson Williams, Beresford R. Harleston, Bashiru Conteh et Arnold H. Bangura, un recours utile. Les auteurs ont été condamnés à l’issue d’un procès dans le cadre duquel les garanties fondamentales d’un jugement équitable n’ont pas été respectées. Par conséquent, le Comité considère que les auteurs devraient être remis en liberté sauf si la législation sierra‑léonaise prévoit la possibilité de nouveaux procès respectant toutes les garanties requises par l’article 14 du Pacte. Le Comité considère aussi que les proches parents de Gilbert Samuth Kandu‑Bo, Khemalai Idrissa Keita, Tamba Gborie, Alfred Abu Sankoh (alias Zagalo), Hassan Karim Conteh, Daniel Kobina Anderson, John Amadu Sonica Conteh, Abu Bakarr Kamara, Abdul Karim Sesay, Kula Samba, Victor L. King et Jim Kelly Jallohont droit à une réparation appropriée, sous la forme d’une indemnisation.

6.4Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

Notes