* Adoptées par le Comité à sa quatre-vingtième session (18 octobre - 12 novembre 2021).

Observations finales concernant le rapport valant septième et huitième rapports périodiques du Yémen *

Le Comité a examiné le rapport valant septième et huitième rapports périodiques du Yémen (CEDAW/C/YEM/7-8) à ses 1825e et 1826e séances (voir CEDAW/C/SR.1825 et CEDAW/C/SR.1826), qui se sont tenus le 27 octobre 2021.

A.Introduction

Le Comité accueille avec satisfaction le rapport valant septième et huitième rapports périodiques de l’État partie, qui a été élaboré à partir de la liste de points et de questions établie avant la soumission du rapport (CEDAW/C/YEM/Q/7-8/Rev.1). Il apprécie vivement la présence de la délégation de l’État partie, malgré le conflit armé et les crises humanitaires qui sévissent dans le pays, et se félicite de la présentation orale qu’elle a faite et des précisions apportées en réponse aux questions qu’il a posées oralement au cours du dialogue.

Le Comité félicite la délégation de haut niveau de l’État partie, qui était dirigée par Nabil Abdul Hafeedh Maged Ebrahim, Vice-Ministre et Ministre des affaires juridiques et des droits de l’homme. La délégation comprenait également la Présidente de la Commission nationale pour les femmes, Shafeqa Saeed Abdo Saleh, et des représentants du Ministère des affaires juridiques et des droits de l’homme, du Ministère du travail et des affaires sociales, de la Mission permanente de la République du Yémen auprès de l’Office des Nations Unies et des organisations internationales à Genève.

B.Aspects positifs

Le Comité salue les progrès accomplis, depuis l’examen en 2008 du sixième rapport périodique de l’État partie (CEDAW/C/YEM/CO/6), dans le domaine de la réforme législative, en particulier l’adoption, en 2010, de la loi no 25 portant révision de la loi no 6 de 1990 relative à la nationalité yéménite.

Le Comité salue les efforts déployés par l’État partie pour améliorer son cadre institutionnel et politique en vue d’accélérer l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et de promouvoir l’égalité des genres, notamment l’adoption et la mise en place de ce qui suit :

a)Le Comité national de lutte contre la traite des personnes, en avril 2020, par la décision no 46 de 2012 du Conseil des ministres ;

b)La Commission nationale d’enquête sur les allégations de violations des droits humains, créée par décret présidentiel en 2012 pour enquêter sur les allégations de violations des droits humains commises depuis 2011 ;

c)La Conférence de dialogue national de 2014 et ses résultats, notamment le projet de Constitution de 2015.

Le Comité se félicite qu’en 2009, soit durant la période écoulée depuis l’examen du rapport précédent, l’État partie ait ratifié la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

C.Objectifs de développement durable

Le Comité se félicite du soutien apporté par la communauté internationale aux objectifs de développement durable et préconise le respect de l’égalité des genres en droit (de jure) et dans les faits (de facto), conformément aux dispositions de la Convention, dans tous les aspects de la mise en œuvre du Programme 2030. Il souligne l’importance de l’objectif 5 et de la prise en compte systématique des principes d’égalité et de non-discrimination dans la réalisation des 17 objectifs. Il encourage vivement l’État partie à reconnaître le rôle moteur des femmes dans le développement durable du pays et à adopter des politiques et des stratégies en conséquence.

D.Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre effective de la Convention

Le Comité prend note des effets particulièrement dramatiques de l’instabilité politique et économique dans l’État partie depuis le début du conflit en 2014 et du contrôle politique qu’exercent des autorités de facto dans certaines parties du pays. Il est alarmé par la détérioration de la crise humanitaire qui touche 80 % des Yéménites, dont 9,6 millions sont menacés par la famine ; la situation est aggravée par les entraves à l’accès humanitaire, qui retardent les opérations et les programmes de secours du fait de l’intensification des hostilités et de la pandémie de COVID-19. La situation actuelle a conduit à une régression drastique des droits des femmes, qui constitue un énorme obstacle à la mise en œuvre des droits consacrés par la Convention. Le Comité estime toutefois que l’application de la Convention est le moyen le plus efficace de garantir aux femmes le plein respect et la pleine jouissance de leurs droits, notamment en période de conflit. Il exhorte donc l’État partie à mettre en œuvre les recommandations figurant dans les présentes observations finales en accordant une priorité élevée à la mobilisation nationale et au soutien international, en s’attachant tout particulièrement à collaborer davantage et de façon systématique avec l’équipe de pays des Nations Unies en vue d’assurer la promotion et la protection des droits des femmes sans risque de nouveaux revers. Dans le cadre de la mise en œuvre des recommandations figurant dans les présentes observations finales, le Comité demande à l’État partie de prendre dûment en considération sa recommandation générale no 30 (2013) sur les femmes dans la prévention des conflits, les conflits et les situations d’après conflit.

E.Parlement

Le Comité souligne le rôle essentiel du pouvoir législatif s’agissant de garantir la pleine mise en œuvre de la Convention (voir la déclaration faite par le Comité sur ses relations avec les parlementaires, adoptée à sa quarante-cinquième session). Il invite le Parlement, dans le cadre de son mandat, à prendre les mesures nécessaires en vue de mettre en œuvre les présentes observations finales avant que l’État partie ne soumette son prochain rapport périodique en application de la Convention.

F.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Situation générale

Le Comité est consterné par les effets dévastateurs sur la population civile, en particulier sur les femmes et les filles, du conflit armé en cours dans l’État partie, qui entre dans sa septième année et qui crée une insécurité sociale et économique à grande échelle pour la population, entraînant une pauvreté généralisée, une famine et une dépendance à l’égard de l’aide à la subsistance, aggravées par la pandémie de COVID‑19 et l’épidémie de choléra. Il constate avec préoccupation que la détérioration de l’état de droit et les déplacements internes massifs ont rendu les femmes et les filles encore plus vulnérables à la violence, y compris la violence sexuelle, et ont entraîné une augmentation du nombre de mariages d’enfants et de mariages forcés, ainsi que du nombre de détentions arbitraires et de disparitions forcées par toutes les parties au conflit. Il constate également avec inquiétude que le mandat du Groupe d’éminents experts internationaux et régionaux sur le Yémen n’a pas été renouvelé, ce qui signifie la disparition d’un mécanisme important pour lutter contre l’impunité et faire en sorte que tous les auteurs de violations des droits de l’homme au Yémen aient à répondre de leurs actes.

Le Comité rappelle à l’État partie que les obligations que lui fait la Convention d’éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, y compris la violence à l’égard des femmes et des filles, sont impératives et qu’elles continuent de s’appliquer dans les situations de conflit, comme indiqué dans sa recommandation générale n o 28 (2010) sur les obligations fondamentales des États parties découlant de l’article 2 de la Convention. Il exhorte l’État partie :

a) À se conformer aux obligations mises à sa charge par la Convention, le droit international humanitaire, le droit des réfugiés et le droit pénal, comme indiqué dans la recommandation générale n o 30 (2013) du Comité, de manière à accorder aux femmes et aux filles la protection complémentaire offerte par ces corpus de droit et à assurer l’application immédiate et urgente des recommandations formulées récemment par le Groupe d’éminents experts ( A/HRC/48/20 , par. 89 et 90) ;

b) À autoriser l’accès indépendant des entités des Nations Unies, dont le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, à toutes les zones pour leur permettre de surveiller les violations des droits de l’homme perpétrées contre la population civile, y compris les femmes et les filles, de rassembler des preuves à leur sujet et d’en déterminer l’ampleur et l’étendue ;

c) En association avec les groupes armés non étatiques, à coopérer inconditionnellement et pleinement avec les Nations Unies pour faciliter l’accès rapide, sûr et sans entrave de l’aide humanitaire sur tout le territoire du Yémen, conformément aux résolutions 2139 (2014) et 2165 (2014) du Conseil de sécurité ainsi qu’aux résolutions et accords ultérieurs ;

d) À lutter efficacement contre l’impunité et à s’acquitter de son obligation de prévenir les violations graves des droits humains et les crimes perpétrés contre des femmes et des filles par les forces gouvernementales et les groupes armés non étatiques, de mener des enquêtes sur ces violations et crimes, et de poursuivre et punir leurs auteurs, conformément aux normes internationales.

Préoccupé par l’insuffisance des ressources et fonds obtenus à l’issue des appels humanitaires de l’Organisation des Nations Unies en faveur du Yémen, le Comité demande à la communauté internationale de s’assurer que toutes les annonces de contributions sont intégralement acquittées et d’apporter des contributions supplémentaires pour répondre aux besoins urgents des personnes touchées, en particulier des femmes et des filles.

Les femmes et la paix et la sécurité

Le Comité se félicite de l’approbation du plan d’action national sur les femmes et la paix et la sécurité (2020-2022), conformément à la résolution 1325 (2000) et à d’autres résolutions pertinentes du Conseil de sécurité. Il constate toutefois avec préoccupation que le plan n’est pas doté d’un budget, qu’il n’est pas pleinement représentatif et qu’il n’a pas encore été mis en œuvre. Le Comité est profondément préoccupé par le fait que les femmes yéménites sont systématiquement exclues des négociations de paix officielles et constate que le quota minimum de 30 % de femmes recommandé dans le document final de la Conférence de dialogue national n’a pas été atteint, y compris au sein de la délégation gouvernementale. Le Comité juge essentiel que les femmes prennent réellement part à toutes les étapes des initiatives de paix et de reconstruction, ainsi qu’aux mécanismes de justice transitionnelle et de réconciliation nationale, afin que les priorités et le vécu des femmes touchées par le conflit soient pleinement pris en compte, comme l’exigent la Convention et la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité, de manière à garantir une paix durable.

Le Comité rappelle sa recommandation générale n o 25 (2004) sur les mesures temporaires spéciales et sa recommandation générale n o 30 (2013) et exhorte l’État partie à, en coopération avec les représentants des organisations féminines de la société civile :

a) Garantir la participation réelle et inclusive des femmes d’origines diverses à toutes les étapes du processus de paix, à toutes les initiatives de reconstruction et aux mécanismes de justice transitionnelle, en particulier au niveau de la prise de décisions, aux échelons local et national, et à cette fin, adopter des mesures temporaires spéciales, y compris un quota de 30 % de femmes, conformément à l’article 4 (par. 1) de la Convention et aux recommandations issues de l’Examen périodique universel que le Yémen a acceptées et qui visent à envisager sérieusement d’appliquer un système de quotas dans tous les organes de l’État, comme proposé par la Conférence nationale des femmes. À cette fin, le Comité recommande de mettre en place des programmes de renforcement des capacités pour les femmes qui souhaitent participer à ces processus et initiatives ;

b) Offrir aux organisations féminines et aux organisations de la société civile la possibilité de contribuer au processus de paix en tant qu’acteurs indépendants, par exemple en mettant en place un moyen de communication efficace entre elles et l’équipe de médiation afin de permettre la coordination et la mise en œuvre d’initiatives conjointes pour la prise en compte des priorités des femmes ;

c) Assurer la participation inclusive des femmes à la mise en œuvre du Plan d’action national pour la mise en œuvre de la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité et de l’ensemble du programme du Conseil de sécurité sur les femmes et la paix et la sécurité, ainsi qu’il ressort des résolutions 1325 (2000) , 1820 (2008) , 1888 (2009) , 1889 (2009) , 1960 (2010) , 2106 (2013) , 2122 (2013) , 2242 (2015) , 2467 (2019) et 2493 (2019) du Conseil, notamment en lui allouant des ressources durables et suffisantes, en élaborant des indicateurs pour l’évaluation et le suivi réguliers de sa mise en œuvre et des progrès réalisés, et en prévoyant des mécanismes de responsabilisation ;

d) Aider les comités de sécurité dans les provinces à consulter des femmes dirigeantes, des experts et des acteurs de la société civile concernant les besoins des femmes et des filles en matière de sécurité lorsqu’ils élaborent des politiques relatives au maintien de l’ordre et à la sécurité dans les différentes provinces.

Cadre constitutionnel

Le Comité constate avec préoccupation que, bien que publié en janvier 2015, le premier projet de nouvelle Constitution, fruit du Dialogue national, n’a pas été adopté. Il réaffirme ses préoccupations (CEDAW/C/YEM/CO/6, par. 10) concernant le fait que la Constitution de l’État partie (1991) ne consacre pas le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes, et appelle particulièrement l’attention sur l’article 31 de la Constitution, qui porte atteinte aux femmes en tant que citoyennes indépendantes et libres ayant des droits et des devoirs égaux.

Rappelant les articles 1 er et 2 de la Convention et la cible 5.1 des objectifs de développement durable − mettre fin, partout dans le monde, à toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des filles −, le Comité rappelle ses recommandations précédentes ( CEDAW/C/YEM/CO/6 , par. 11, 31, 39 et 41) et recommande à l’État partie, en respectant un calendrier précis :

a) De reprendre la rédaction de la Constitution, en veillant à ce que les dispositions du projet de 2015 soient harmonisées avec la Convention, et de faire en sorte qu’elle soit rapidement adoptée selon des procédures transparentes et participatives, en tenant compte des vues de toutes les femmes et filles, y compris celles qui ont des opinions divergentes ;

b) D’abroger immédiatement l’article 31 de la Constitution (1991).

Définition de la discrimination à l’égard des femmes et lois discriminatoires

Le Comité prend note avec préoccupation de l’absence d’une définition juridique de la discrimination à l’égard des femmes, qui couvre la discrimination directe et indirecte dans les sphères publique et privée, ainsi que les formes de discrimination croisées. Il reste préoccupé par l’absence d’un cadre juridique concernant les droits des femmes et note la persistance de lois discriminatoires à l’égard des femmes, notamment les articles du Code pénal (1994) relatifs à l’adultère, à la lapidation et au paiement du « prix du sang », et la clémence des peines applicables aux crimes dits « d’honneur ». Il prend également note des dispositions discriminatoires de la loi relative au statut personnel (no 20 de 1992 et modifications), en ce qui concerne la tutelle, le mariage d’enfants, le divorce, la polygamie, l’héritage et la liberté de circulation. Le Comité est conscient que la législation de l’État partie découle de la charia mais il considère qu’il existe une diversité d’opinions et de principes juridiques au sein d’autres systèmes juridiques islamiques, qui permet de procéder à une réforme législative et de supprimer les dispositions discriminatoires.

Rappelant ses précédentes observations finales ( CEDAW/C/YEM/CO/6 , par. 19 et 39) et les liens entre les articles 1 er et 2 de la Convention et la cible 5.1 des objectifs de développement durable, qui consiste à mettre fin à toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des filles sur l’ensemble du territoire, le Comité recommande à l’État partie :

a) D’intensifier ses efforts afin de mieux faire connaître la Convention parmi les femmes, les hommes et les chefs traditionnels et religieux, en diffusant particulièrement des informations relatives aux bonnes pratiques en vigueur dans d’autres pays musulmans concernant l’application de la charia dans le respect de la Convention ;

b) D’adopter une définition de la discrimination à l’égard des femmes conforme à l’article 1 er de la Convention, qui couvre la discrimination directe et indirecte, ainsi que les formes de discrimination croisées, tant dans la sphère publique que privée ;

c) D’abroger toutes les dispositions législatives discriminatoires à l’égard des femmes, notamment celles du Code pénal (1994) et de la loi relative au statut personnel ( n o 20 de 1992 et modifications) ;

d) D’adopter une législation précise et complète pour lutter contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes dans tous les domaines couverts par la Convention.

Violence à l’égard des femmes fondée sur le genre

Le Comité est vivement préoccupé par ce qui suit :

a)Les effets du conflit sur les niveaux déjà élevés de violence fondée sur le genre, y compris la violence sexuelle et domestique, subis par les femmes et les filles au Yémen, ont été exacerbés par les déplacements, la pauvreté et la violence aveugle, et les structures de soutien chargées d’assurer la protection et la réadaptation des victimes, y compris les refuges, ne fonctionnent pas pleinement ;

b)Les cas de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre ne sont toujours pas suffisamment signalés et les auteurs continuent de jouir de l’impunité en raison de facteurs tels que l’acceptation culturelle de la violence domestique et le fait que les intervenants de première ligne (travailleurs sociaux et professionnels de la santé) et les fonctionnaires chargés de l’application de la loi (policiers, procureurs et juges) ne tiennent pas systématiquement compte de la question du genre et manquent souvent d’information et de formation pour s’occuper de tels cas ;

c)Selon des informations, le système national de justice pénale s’est effondré et les plaintes pour violence fondée sur le genre ne font pas l’objet d’enquêtes et de poursuites.

Conformément à sa recommandation générale n o 35 (2017) sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale n o 19, et à sa recommandation générale n o 33 (2015) sur l’accès des femmes à la justice, le Comité rappelle sa recommandation précédente ( CEDAW/C/YEM/CO/6 , par. 17) et recommande à l’État partie :

a) De solliciter le soutien technique des organisations internationales compétentes et de mettre en place un tribunal spécialisé pour poursuivre les auteurs de violations des droits de l’homme, comme l’a annoncé le Gouvernement yéménite à la quarante-cinquième session du Conseil des droits de l’homme (2020), y compris les auteurs des violations signalées par la Commission nationale d’enquête ;

b) D’incriminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, y compris le harcèlement sexuel, notamment sur le lieu de travail, la violence domestique et le viol conjugal, sans exemptions, en veillant à ce que tous les actes de viol soient considérés comme une infraction grave entraînant des sanctions adéquates contre leurs auteurs ;

c) D’achever l’élaboration du projet de loi sur la violence à l’égard des femmes et des filles et d’en assurer la mise en œuvre au moyen d’un plan d’action national doté de ressources suffisantes ;

d) De veiller à ce que suffisamment de fonds publics soient alloués à des refuges inclusifs et accessibles aux femmes victimes de violence sur l’ensemble du territoire et de renforcer les services de soutien médical et psychologique destinés aux victimes, en veillant à ce que ces services soient correctement financés, accessibles, fournis par un personnel qualifié et régulièrement contrôlés ; d’informer les femmes de l’existence de ces services ;

e) De faciliter le signalement des plaintes en levant les restrictions imposées aux organisations non gouvernementales qui défendent les victimes, en créant des unités spéciales dans les postes de police chargées de recevoir et d’enregistrer les plaintes de femmes, et en mettant en place un programme de protection pour les femmes et les témoins ;

f) D’augmenter le nombre de femmes juges, procureurs et agents de police, en veillant à renforcer les capacités de l’ensemble du personnel judiciaire afin de garantir l’application rigoureuse de la législation incriminant la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre et la prise en compte des besoins particuliers des femmes dans le cadre des procédures d’enquête et de jugement ; et instaurer une formation obligatoire pour le personnel médical ;

g) De faciliter l’accès des femmes à toutes les instances judiciaires en supprimant l’obligation qui leur est faite, tant en droit qu’en pratique, d’être accompagnées d’un tuteur masculin, en réduisant les frais et les exigences en matière de documentation, en prévoyant des aménagements procéduraux et des mesures d’accessibilité en cas de besoin, et en améliorant l’information du public, la transparence et la rapidité des procédures judiciaires ;

h) De recueillir des données sur toutes les formes de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, ventilées par âge, région, handicap, lien entre la victime et l’auteur, ainsi que sur le nombre de cas signalés mais non poursuivis, le nombre de déclarations de culpabilité et le type de peines prononcées, le nombre d’acquittements et le montant des indemnités accordées aux victimes.

Mécanisme national de promotion de la condition des femmes

Le Comité constate avec inquiétude qu’en raison du conflit en cours, la Commission nationale des femmes fonctionne avec des moyens très limités et uniquement à Aden, et que les activités du Conseil suprême des affaires féminines ont été suspendues. Il est en outre préoccupé par le fait que la Commission nationale d’enquête ne dispose pas d’un système d’orientation des victimes de la violence fondée sur le genre, notamment vers des services tels que l’aide juridictionnelle, le placement dans un refuge, des services de protection ou des subventions, ni d’un système de protection des témoins.

Conformément à la cible 5.A des objectifs de développement durable, le Comité recommande à l’État partie de relancer toutes les activités de la Commission nationale des femmes et du Comité suprême des affaires féminines, et celles des antennes des directions générales chargées des affaires féminines dans chaque institution de l’État, en leur allouant des ressources humaines, techniques et financières suffisantes pour leur permettre de s’acquitter pleinement de leur mandat de promouvoir et de protéger les droits des femmes et de faire progresser l’égalité des sexes au Yémen. Il recommande également à l’État partie, avec la participation des survivantes, de mettre en place un système d’orientation tenant compte de la dimension de genre afin d’aider et de protéger les victimes de la violence fondée sur le genre, et de prendre des mesures pour protéger les témoins.

Le Comité recommande en outre d’accélérer l’adoption du projet de loi portant création d’une institution nationale indépendante des droits de l’homme, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris), en prêtant attention aux modalités de coopération avec les organisations féminines de la société civile dans le cadre du traitement et du suivi des plaintes relatives aux droits de l’homme.

Stéréotypes discriminatoires et pratiques préjudiciables

Le Comité est préoccupé par la persistance de pratiques préjudiciables dans l’État partie et relève en particulier l’augmentation des cas de mariage d’enfants, mécanisme d’adaptation néfaste adopté par des familles en lien avec le conflit et rendu possible par l’absence d’âge minimum légal du mariage, et la pratique généralisée des mutilations génitales féminines, qui ne sont incriminées dans aucun cas.

Rappelant ses recommandations précédentes ( CEDAW/C/YEM/CO/6 , par. 15, 31 et 35) et la recommandation générale n o 31 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et l’observation générale n o 18 du Comité des droits de l’enfant (2019) sur les pratiques préjudiciables, adoptées conjointement (2019), le Comité exhorte l’État partie à :

a) Éliminer ces pratiques et les justifications culturelles qui s’y rapportent en sensibilisant l’opinion publique, les parents, les chefs religieux et communautaires et les médias, en collaboration avec la société civile et les organisations de femmes, aux effets néfastes de ces pratiques sur l’éducation, la santé et le développement des filles ;

b) Conformément aux résultats de la Conférence de dialogue national de 2014, adopter le projet de disposition constitutionnelle fixant l’âge minimum légal du mariage à 18 ans pour les femmes et les hommes, en veillant à l’harmoniser avec toute révision du projet de loi de 2014 sur l’enfance et la maternité sans risque et du projet de loi sur les droits de l’enfant ;

c) Incriminer le mariage des enfants et toutes les mutilations génitales féminines, sans exception, en poursuivant et en punissant ceux et celles qui ne respectent pas la loi.

Traite et exploitation de la prostitution

Le Comité est préoccupé par :

a)L’augmentation des cas de traite des femmes et des filles dans l’État partie en raison de l’extrême insécurité personnelle et économique causée par le conflit ;

b)Le fait que les femmes et les jeunes filles migrantes sont vulnérables à l’extorsion et à l’exploitation, souvent aux points d’entrée et de sortie des frontières, ont des conditions de vie catastrophiques et sont de plus en plus souvent contraintes de travailler comme domestiques ;

c)L’absence de mesure systématique, telle que des mécanismes d’identification précoce et d’orientation, visant à aider et à protéger les victimes, ainsi que l’absence de toute collecte de données sur l’ampleur de la traite ;

d)Le fait que, malgré son interdiction par la loi, la pratique abominable de l’esclavage se poursuit.

Conformément à sa recommandation générale n o 38 (2020) sur la traite des femmes et des filles dans le contexte des migrations internationales, le Comité exhorte l’État partie à :

a) Élaborer une procédure opérationnelle type à l’intention de tous les intervenants de première ligne, en ciblant particulièrement les gardes frontière, ceux qui travaillent dans des camps de personnes déplacées, le personnel médical, les membres des forces de l’ordre et les travailleurs sociaux, afin de permettre l’identification précoce et l’orientation des victimes de la traite vers des services d’assistance et de protection adaptés à leur sexe ;

b) Recueillir et analyser des données, ventilées par sexe, âge, nationalité, appartenance ethnique et handicap, sur l’ampleur de la traite des personnes à l’intérieur et à l’extérieur de l’État partie, le nombre de procédures pénales engagées et les peines infligées aux auteurs d’infractions liées à la traite ;

c) Coopérer avec les pays voisins pour conclure des accords bilatéraux ou régionaux et adopter d’autres formes de coopération en vue de prévenir la traite des femmes et des filles ;

d) Accélérer l’adoption du projet de loi contre la traite des êtres humains et veiller à ce que la loi soit bien appliquée, notamment par l’élaboration d’un plan national doté d’un financement suffisant ;

e) Ratifier le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants ;

f) Poursuivre quiconque perpétue l’esclavage et lui infliger la peine qui s’impose, en veillant à ce que les femmes et les filles réduites en esclavage soient immédiatement libérées, puissent obtenir des papiers d’identité et bénéficient de services de réadaptation à long terme.

Le Comité constate avec préoccupation que les prostituées sont poursuivies pour racolage, alors que ceux qui les exploitent sont rarement poursuivis.

Le Comité recommande à l’État partie :

a) D’abroger l’article 278 du Code pénal afin que les prostituées ne soient pas arrêtées et poursuivies, de les protéger contre la violence fondée sur le genre et de proposer à ces femmes d’autres possibilités de gagner leur vie, des programmes éducatifs et des programmes de sortie de la prostitution.

Participation à la vie politique et à la vie publique dans des conditions d’égalité

Le Comité salue l’excellente représentation des femmes dans la Conférence de dialogue national (2013-2014) et l’élaboration du projet de Constitution de 2015. Néanmoins, il déplore le net recul de la représentation des femmes constaté actuellement à tous les postes de décision dans la vie politique et publique, soulignant l’absence de femme ministre au gouvernement et leur très faible représentation au parlement, dans les conseils locaux, l’appareil judiciaire et le corps diplomatique.

Conformément au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention et aux recommandations générales n o 23 (1997) sur la participation des femmes à la vie politique et publique et n o 25, le Comité rappelle que l’État partie a accepté les recommandations de l’Examen périodique universel selon lesquelles il s’engage à poursuivre ses efforts pour garantir la représentation des femmes à tous les niveaux du processus politique et leur participation à la vie publique sans discrimination, et recommande à l’État partie :

a) De mener des campagnes de sensibilisation auprès des dirigeants politiques, des chefs traditionnels et religieux, des médias et du grand public, afin que tous comprennent mieux que la participation à part entière, égale, libre et démocratique des femmes à la vie publique et politique, sur un pied d’égalité avec les hommes, est une condition du plein respect des droits humains de ces dernières et est nécessaire à la stabilité politique et au développement économique ;

b) De mener des programmes de renforcement des capacités à l’intention de tous les agents de l’État et employeurs concernés sur le caractère non discriminatoire des mesures temporaires spéciales et leur importance pour l’instauration d’une réelle égalité entre les femmes et les hommes  ;

c) De modifier la loi n o  66 de 1991 sur les partis et organisations politiques, en accord avec les résultats de la Conférence de dialogue national (2014), afin de porter le quota minimum à 30 % pour la représentation des femmes dans les organes de décision aux niveaux national, provincial et local, y compris au sein du Gouvernement et aux niveaux élevés de décision, au parlement, dans l’appareil judiciaire, notamment en nommant des femmes juges au Conseil supérieur de la magistrature, et à tous les niveaux des tribunaux, des organes régionaux décentralisés et de la fonction publique ;

d) D’adopter, dans un premier temps, une loi obligeant les partis politiques à présenter la candidature d’au moins 25 % de femmes aux élections, de prévoir des incitations financières pour la présentation de candidatures féminines, de mettre en place des programmes afin d’aider les candidates à renforcer leurs compétences pour qu’elles puissent mener campagne, devenir des dirigeantes politiques et des négociatrices, de les inciter à prendre part à la prise de décisions et de protéger les candidates contre la violence de genre, les menaces et les campagnes contraires à l’éthique pendant les opérations électorales ;

e) De recueillir des données désagrégées sur la participation des femmes aux postes de décision dans tous les secteurs et à tous les niveaux.

Nationalité

Le Comité constate avec préoccupation que, malgré la révision de la loi sur la nationalité (no 6 de 1990 amendée par la loi no 25 de 2010), les femmes ne jouissent pas des mêmes droits que les hommes et continuent de se heurter à de nombreuses restrictions pour transmettre la nationalité à leurs enfants ou à leur conjoint né à l’étranger et pour conserver leur nationalité en cas de mariage ou de divorce. Les femmes sont également soumises à des restrictions dans la pratique pour obtenir ou renouveler leurs papiers d’identité officiels puisqu’elles doivent être accompagnées d’un tuteur masculin (mahram). Le Comité constate avec vive inquiétude que les personnes handicapées ne peuvent pas acquérir la citoyenneté yéménite par naturalisation. Il constate que ces dispositions discriminatoires, les déplacements massifs dans l’État partie et les difficultés à obtenir des papiers officiels contribuent à l’apatridie des femmes.

Conformément à sa recommandation générale n o 32 (2014) relative aux aspects liés au genre des questions touchant les réfugiées, les demandeuses d’asile et la nationalité et l’apatridie des femmes, le Comité recommande à l’État partie :

a) D’abroger les sections discriminatoires de la loi sur la nationalité pour faire en sorte que les femmes et les hommes jouissent de droits égaux, dans la législation et dans la pratique, en ce qui concerne l’acquisition, la transmission, la conservation et le changement de la nationalité, conformément à l’article 9 de la Convention, y compris le droit de la transmettre à leurs enfants, en tant que citoyennes yéménites naturalisées, et à l’égard des conjoints non nationaux, en veillant à ce que cela comprenne la mise en œuvre rétroactive complète de la loi et l’abolition de toute exigence supplémentaire imposée aux femmes yéménites pour obtenir l’approbation ministérielle préalable en matière de nationalité ;

b) D’abroger l’article 4.B de la loi sur la nationalité, qui est discriminatoire à l’égard des enfants handicapés ;

c) D’émettre des directives à l’intention des fonctionnaires chargés de délivrer les papiers d’identité officiels afin que les femmes n’aient pas besoin d’être accompagnées d’un tuteur masculin pour accéder à ces services ;

d) D’accélérer les procédures visant à fournir des documents d’état civil à tous les groupes en situation difficile, y compris les personnes déplacées à l’intérieur du pays, et d’intensifier les efforts afin de sensibiliser cette population à ses droits fondamentaux et à son droit d’accès aux services publics ;

e) De recueillir des données désagrégées sur l’ampleur du problème de l’apatridie dans l’État partie ;

f) D’envisager de ratifier la Convention relative au statut des apatrides et la Convention sur la réduction des cas d’apatridie.

Éducation

Le Comité :

a)Se déclare gravement préoccupé par la désorganisation des services essentiels qui a une incidence sur l’accès des filles à l’éducation en temps de conflit et précise que plus de 2 millions d’enfants yéménites ne sont pas scolarisés, un nombre qui risque d’être multiplié par deux en raison de la pénurie d’enseignants engendrée par le non-versement des salaires ;

b)Reste profondément préoccupé par le fait que les parties au conflit utilisent les écoles à des fins militaires, transformant ces dernières en cibles susceptibles d’être attaquées, entraînant la fermeture des établissements scolaires et exposant les enfants, notamment les filles, au recrutement par des groupes armés ;

c)A reçu des informations indiquant que de nombreux enfants quittent l’école pour subvenir aux besoins de leur famille suite au décès, à la disparition ou au déplacement de leurs parents ou de leurs tuteurs ;

d)Prend également note des obstacles culturels et financiers qui continuent d’empêcher les filles de rester à l’école, en particulier dans les zones rurales, pour des raisons telles que la pénurie d’enseignantes, les mariages d’enfants et les grossesses précoces, ainsi que les attitudes et les croyances traditionnelles selon lesquelles les filles ne devraient pas être scolarisées ;

e)Prend note avec inquiétude du pourcentage anormalement élevé d’analphabétisme chez les femmes et les filles.

Rappelant sa recommandation générale n o 36 (2017) sur le droit des filles et des femmes à l’éducation, le Comité recommande à l’État partie de faire prendre conscience de l’importance de l’éducation des filles à tous les niveaux pour qu’elles puissent s’émanciper et :

a) De prévoir des budgets spécifiques pour reconstruire les écoles touchées par le conflit et de verser les salaires des enseignants sans délai et dans leur intégralité ;

b) De condamner toutes les attaques contre les écoles, de renforcer les mesures visant à assurer la démilitarisation des écoles et de veiller à ce que les recruteurs qui ciblent les enfants fassent rapidement l’objet d’une enquête, soient poursuivis et sanctionnés ;

c) D’encourager la scolarisation des filles, notamment les filles vivant dans la pauvreté, les filles des zones rurales, les filles enceintes et les mères adolescentes, leur fréquentation de l’école, la poursuite de leurs études et leur réinsertion après un décrochage scolaire, en particulier aux niveaux secondaire et universitaire, en éliminant les coûts directs de l’éducation et en en réduisant les coûts indirects, ainsi qu’en recrutant des enseignantes ;

d) De sensibiliser les parents, les enseignants, les chefs traditionnels et religieux, les filles et les garçons au fait que l’éducation des filles est importante pour l’émancipation économique, le développement personnel et l’autonomie de ces dernières.

Santé

Le Comité est profondément préoccupé par l’effondrement du système de santé et les graves pénuries de médicaments, d’équipements et de personnel, ainsi que par les difficultés d’accès à l’eau potable et aux services d’assainissement et d’hygiène, qui engendrent des conséquences catastrophiques, notamment des épidémies telles que le choléra et la dengue. Deux millions de femmes yéménites seraient menacées par la famine et plus d’un million de mères souffrent déjà de malnutrition aiguë, ce qui entraîne de nombreuses complications sur le plan médical. Il note que l’incapacité de l’État partie à apporter une aide et un soutien adéquats aux personnes dans le besoin, en particulier dans les zones rurales et reculées, a des effets disproportionnés sur la santé des femmes, les empêchant notamment d’accéder aux services et aux informations en matière de santé sexuelle et reproductive, y compris aux services de santé maternelle et infantile, aggravant ainsi le taux de mortalité maternelle au Yémen, qui est le plus élevé au monde. Le Comité est également préoccupé par les éléments suivants :

a)Le manque d’accès à des soins de santé et des services psychologiques pour les femmes et les filles victimes de violence sexuelle et fondée sur le genre, y compris à la contraception d’urgence et à des services d’avortement sécurisés. Dans ce contexte, le Comité note avec préoccupation que l’avortement n’est légal que lorsque la vie de la mère est menacée ;

b)L’obligation qu’ont les femmes qui se déplacent et se rendent dans des établissements sanitaires d’être accompagnées d’un tuteur masculin, à qui elles doivent parfois demander la permission d’acheter des contraceptifs, ce qui restreint encore davantage leur autonomie en matière de choix et de décisions concernant leur santé sexuelle et reproductive ;

c)Le manque d’accès disproportionné aux traitements et à la vaccination contre la COVID-19 compte tenu de l’accès restreint des femmes aux services de santé, à l’enregistrement numérique et à l’information publique, ainsi que des contraintes culturelles et économiques ;

d)L’accès limité des femmes au traitement contre le VIH en raison de la stigmatisation sociale et de la défiance généralisée envers les soignants concernant le respect de la confidentialité.

Conformément à sa recommandation générale n o 24 (1999) sur les femmes et la santé, le Comité recommande à l’État partie :

a) De renforcer le secteur de la santé pour éviter de réduire davantage les infrastructures sanitaires déjà limitées en allouant des ressources budgétaires suffisantes afin que des services de santé peu coûteux et adéquats soient disponibles, et de garantir que des services de santé sexuelle et procréative, en particulier des soins prénatals et postnatals et des services obstétriques d’urgence, soient fournis gratuitement par des professionnels qualifiés de l’accouchement sur l’ensemble du territoire de l’État partie ;

b) D’informer tous les soignants que, conformément à la politique gouvernementale, les femmes qui veulent consulter des professionnels de santé, y compris pour des soins obstétriques, n’ont pas besoin d’être accompagnées d’un homme, et ce quel que soit leur âge ;

c) De mener une action éducative auprès des femmes, des hommes, des filles et des garçons sur la santé sexuelle et reproductive et les droits connexes, notamment sur la planification familiale et les pratiques sexuelles responsables, et de veiller à ce que des contraceptifs modernes et peu coûteux soient disponibles dans l’ensemble du pays, sans que les femmes et les filles ne soient obligées de demander la permission à un accompagnant de sexe masculin ;

d) D’améliorer l’accès des femmes aux traitements et à la vaccination contre la COVID-19 à travers des campagnes d’information ciblant les femmes, en particulier dans les zones rurales, sur l’accès à ces services ;

e) D’élargir la portée du programme national de prévention et de lutte contre le VIH/sida afin de garantir une couverture universelle en matière de dépistage du VIH et la gratuité des médicaments antirétroviraux, en accordant une attention particulière aux adolescentes enceintes dans les zones rurales, aux mères enceintes séropositives et aux enfants nés de mères séropositives, et de solliciter notamment l’assistance technique du Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida, du Fonds des Nations unies pour la population et du Fonds des Nations unies pour l’enfance.

L’avortement non sécurisé est l’une des principales causes de mortalité et de morbidité maternelles. À ce titre, les États parties devraient légaliser l’avortement au moins en cas de viol, d’inceste, de menace pour la vie ou la santé de la femme enceinte ou de graves malformations du fœtus, et assurer aux femmes l’accès à des services d’avortement et des soins après avortement sans risque, notamment en cas de complications résultant d’avortements non sécurisés. Les États parties doivent également supprimer les mesures punitives à l’encontre des femmes qui souhaitent avoir recours à l’avortement. Les États parties devraient en outre organiser les services de santé de manière à ce que le recours à l’objection de conscience n’entrave pas leur accès effectif à des services de santé sexuelle et reproductive, notamment à des services d’avortement et des soins d’après avortement sécurisés.

Autonomisation économique des femmes et avantages sociaux

Le Comité est particulièrement préoccupé par la prévalence de la pauvreté, compte tenu de la situation économique de l’État partie, aggravée par le non-versement des salaires des fonctionnaires des services publics essentiels. Le comité prend note de son incidence sur les femmes, qui sont devenues chefs de ménage et principal soutien économique pour leur famille en raison du conflit, et de l’absence d’activités génératrices de revenus et d’avantages sociaux pour ces dernières.

Rappelant sa recommandation précédente ( CEDAW/C/YEM/CO/6 , par. 27), le Comité recommande incessamment à l’État partie :

a) De verser l’intégralité des salaires à ses fonctionnaires ;

b) De garantir un minimum de 14 semaines de congé de maternité payé, conformément à la Convention (n o  103) concernant la protection de la maternité (révisée en 1952) de l’Organisation internationale du Travail ;

c) De fournir aux femmes touchées par le conflit, en particulier à celles qui sont chefs de famille, des débouchés économiques durables et des avantages sociaux, en veillant à ce qu’elles participent à l’élaboration des stratégies de redressement économique qui favorisent l’égalité des genres, condition préalable nécessaire à la création d’une économie durable après un conflit.

Femmes rurales

Le Comité est préoccupé par la situation précaire des femmes et des filles rurales au Yémen qui, bien qu’elles réalisent la majorité des travaux agricoles et ceux liés à l’élevage, ne sont pas rémunérées et ont un accès extrêmement limité à l’éducation, aux soins de santé, à l’eau et aux services d’assainissement, ainsi qu’aux mécanismes de justice officiels. Le conflit les a en outre privés de leurs droits à la productivité, aux moyens de subsistance et à l’accès à la terre en raison de saisies illégales et de déplacements forcés, et l’isolement des communautés rurales a entravé l’acheminement de l’aide humanitaire.

Conformément à sa recommandation générale n o 34 (2016) sur les droits des femmes rurales, le Comité recommande à l’État partie :

a) De tenir compte de l’impact négatif du conflit sur les femmes et les filles des zones rurales et de veiller à ce que leurs besoins spécifiques soient pris en compte en donnant la priorité à l’acheminement de l’aide humanitaire vers ces communautés, notamment en investissant dans la construction de routes et de réseaux de communication ;

b) De créer des centres de santé dans les zones rurales, proposant des services de santé sexuelle et reproductive et dont le personnel est composé à parts égales de professionnelles de santé ;

c) De faciliter l’accès des femmes et des filles rurales à l’éducation, aux soins de santé, à l’eau potable, aux services d’assainissement et autres services de base, ainsi qu’aux mécanismes de justice formelle et à l’aide juridictionnelle pour donner suite aux plaintes pour discrimination, et de renforcer, notamment à travers la formation, l’action menée par la police contre la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre dans les zones rurales ;

d) De concevoir des interventions spécifiques pour protéger les femmes qui travaillent dans le secteur agricole en veillant à ce qu’elles soient payées pour le travail effectué et qu’elles puissent exploiter d’autres débouchés afin de s’émanciper sur le plan économique, notamment en facilitant l’accès à un soutien financier et technologique, ainsi qu’à la sécurité sociale.

Femmes déplacées et migrantes

Le Comité est préoccupé par ce qui suit :

a)Il y a encore près de 4 millions de personnes déplacées à l’intérieur de l’État partie qui font face à des risques extrêmes en raison du délitement des mécanismes de protection formels et informels, lequel a des effets disproportionnés sur les femmes et les filles, notamment en les exposant à un risque accru de violence sexuelle et fondée sur le genre et au recours croissant à des mécanismes d’adaptation néfastes, tels que le mariage d’enfants et le mariage forcé ;

b)En raison de la fermeture des frontières liée à la pandémie de COVID-19, les migrants bloqués au Yémen, notamment ceux en situation irrégulière, se retrouvent dans une grande précarité, et certains rapports font état de détentions massives et de mauvais traitements, entraînant parfois la mort.

Conformément à sa recommandation générale n o 32 (1999) et à sa recommandation n o 30, le Comité recommande à l’État partie :

a) De fournir aux femmes et aux filles déplacées qui sont victimes de violences fondées sur le genre, notamment de mariage d’enfants et de la traite, un accès gratuit et immédiat à des services médicaux, à l’assistance d’un avocat et à un environnement sûr, ainsi qu’à des soins et services destinés aux femmes, notamment à des services de médecine et de conseil en matière de procréation ;

b) De prendre en compte les risques et les besoins particuliers des migrantes, qui sont soumises à de multiples formes de discrimination croisée, en leur garantissant l’accès aux services essentiels sans crainte d’être détenues parce qu’elles sont en situation migratoire irrégulière ;

c) De mettre fin aux détentions arbitraires et aux déplacements forcés des migrants ;

d) De pourvoir à la formation, à la surveillance et à la supervision des membres de leur police des frontières et de leurs services de l’immigration afin qu’ils tiennent compte des questions de genre et s’interdisent toute pratique discriminatoire envers les migrantes, avec le concours des instances pertinentes.

Femmes en détention

Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de la détention arbitraire, dans l’ensemble de l’État partie, de femmes et de filles qui attendent d’être jugées en vertu de chefs d’accusation immoraux, difficiles à prouver et très probablement fictifs, utilisés comme tactique d’intimidation, notamment pour faire taire les défenseuses des droits humains, et il s’inquiète également que des femmes puissent être emprisonnées pour des délits commis à leur égard et motivés par des idéologies de genre négatives. Le Comité note avec préoccupation que les besoins essentiels des détenues et des enfants qui les accompagnent ne sont pas satisfaits, notamment l’accès aux soins de santé, à la nourriture et à l’hygiène, et qu’elles doivent faire face à la surpopulation, à des mauvais traitements et des actes de torture.

Le Comité recommande à l’État partie :

a) D’appliquer strictement les garanties d’une procédure régulière, en particulier dans les situations où les femmes et les filles sont inculpées pour des délits vaguement définis et doivent répondre à des accusations fondées sur le genre, comme l’adultère, la prostitution ou les crimes dits « d’honneur » ;

b) De mettre en œuvre les Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes, et de faciliter l’inspection des centres de détention par des entités indépendantes ;

c) De libérer immédiatement les femmes qui ont purgé leur peine et d’intensifier les efforts déjà entrepris pour proposer un refuge adapté aux femmes libérées qui sont rejetées par leur famille ;

d) De publier des renseignements transparents sur le nombre de femmes en détention, ventilés par âge, nationalité, groupe ethnique, chefs d’accusation, date d’arrestation et date de condamnation.

Groupes de femmes défavorisés

Le Comité note avec préoccupation que le conflit a aggravé la précarité :

a)Des femmes et des filles handicapées au Yémen en raison de l’interruption des services essentiels et des déplacements forcés qui sont intervenus sans qu’elles ne bénéficient de l’aide nécessaire ;

b)Des femmes et des filles appartenant à la communauté des Muhamasheen, qui sont victimes de graves formes de discrimination, de harcèlement et de violences, de marginalisation, de racisme et d’un accès limité à l’éducation et aux services publics de base, et ne disposent souvent pas d’un certificat de naissance.

Le Comité recommande à l’État partie :

a) De fournir en priorité une aide aux femmes et aux filles handicapées, notamment en les protégeant contre la violence et en leur garantissant l’accès à l’éducation, à l’emploi, aux services de santé et de sécurité sociale, ainsi qu’un accès effectif à la justice ;

b) De sensibiliser le grand public aux droits dont jouissent les membres de la communauté des Muhamasheen, de veiller à ce qu’une carte d’identité nationale, y compris un certificat de naissance, leur soit délivrés afin qu’ils puissent accéder sans entrave aux services publics au même titre que les autres citoyens yéménites, et de sanctionner sévèrement tous les actes de discrimination commis à leur encontre.

Mariage et liens familiaux

Le Comité note avec préoccupation que le conflit a aggravé la subordination des femmes et des filles dans la société yéménite, qui est légalisée par les dispositions de la loi sur le statut personnel, laquelle est discriminatoire à l’égard des femmes en ce qui concerne la liberté de mouvement et de résidence, le mariage, le divorce, la garde des enfants et l’héritage. Dans ce contexte, le comité prend note :

a)De l’augmentation des mariages d’enfants et/ou des mariages forcés, sous prétexte de mieux protéger les filles et de réduire la pression financière qui pèse sur les familles, ces pratiques étant favorisées par des dispositions juridiques en vertu desquelles le consentement de la femme n’est jamais exigé dans le cadre du mariage, peu importe les circonstances, ni sa présence physique pour conclure un contrat de mariage ;

b)Des difficultés rencontrées par les épouses dont le mari a disparu pour quitter les zones touchées par le conflit avec leurs enfants en raison des restrictions relatives à la garde qui les empêchent de voyager avec leurs enfants sans le consentement de leur père ou de leur tuteur.

Le Comité réitère ses recommandations précédentes ( CEDAW/C/YEM/CO/6 , par. 39 et 41) et, conformément à ses recommandations générales n o  21 (1994) sur l’égalité dans le mariage et les rapports familiaux et n o  29 (2013) sur les conséquences économiques du mariage, et des liens familiaux et de leur dissolution, il prie instamment l’État partie :

a) D’ériger le mariage forcé au rang d’infraction pénale, d’annuler tout mariage contracté sans le consentement entier de la femme et de mettre en place des mesures de protection pour les femmes concernées et leurs enfants ;

b) De prendre d’urgence des mesures pour faciliter les déplacements des femmes avec leurs enfants sans l’autorisation du père ou du tuteur et de veiller à ce que les femmes ne se heurtent à des obstacles bureaucratiques à cet égard.

Collecte et analyse des données

Le Comité est préoccupé par l’absence générale de données statistiques ventilées par sexe, âge, appartenance ethnique, handicap, emplacement géographique et situation socioéconomique, qui sont indispensables pour évaluer avec précision la situation des femmes, déterminer l’ampleur et la nature de la discrimination, élaborer des politiques éclairées et ciblées et assurer le suivi systématique et l’évaluation des progrès accomplis dans la réalisation de l’égalité réelle entre femmes et hommes dans tous les domaines visés par la Convention.

Le Comité invite l’État partie à prendre des mesures de renforcement des capacités et à élaborer un programme de financement des activités concernant les femmes, afin d’améliorer la collecte de données ventilées par sexe et autres critères pertinents, qui sont nécessaires pour évaluer l’impact et l’efficacité des politiques et des programmes visant à prendre systématiquement en compte l’égalité femmes-hommes et à permettre aux femmes d’exercer davantage leurs droits humains. À cet égard, le Comité appelle l’attention sur sa recommandation générale n o  9 (1989) sur les données statistiques concernant la situation des femmes.

Protocole facultatif à la Convention et amendement au paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention

Le Comité invite l’État partie à ratifier le Protocole facultatif à la Convention et à accepter dans les meilleurs délais l’amendement au paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention concernant le temps de réunion du Comité.

Déclaration et Programme d’action de Beijing

Le Comité invite l’État partie à s’appuyer sur la Déclaration et le Programme d’action de Beijing et à continuer d’évaluer l’application de la Convention dans le contexte de l’examen, après 25 ans, de la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme en vue de parvenir à une réelle égalité entre hommes et femmes.

Diffusion

Le Comité prie l’État partie de veiller à diffuser rapidement les présentes observations finales, dans la langue officielle de l’État partie, aux institutions concernées à tous les niveaux (national, régional et local), en particulier au Gouvernement, au Parlement et au corps judiciaire, afin d’en permettre la pleine application.

Assistance technique

Le Comité recommande à l’État partie d’établir un lien entre l’application de la Convention et l’action qu’il mène en faveur du développement, et de faire appel à cette fin à l’assistance technique régionale ou internationale.

Ratification d’autres traités

Le Comité constate que l’adhésion de l’État partie aux neuf principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme contribuerait à favoriser l’exercice effectif par les femmes de leurs droits individuels et de leurs libertés fondamentales dans tous les aspects de la vie . Il l’invite donc à ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, auxquelles il n’est pas encore partie.

Suite donnée aux observations finales

Le Comité regrette que l’État partie ne lui ait pas communiqué d’informations sur les mesures prises pour appliquer les recommandations appelant spécifiquement une action immédiate formulées dans ses observations finales précédentes et le prie de lui communiquer par écrit, dans un délai de deux ans, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour appliquer les recommandations énoncées aux paragraphes 11 c), 14 a), 18 a) et 50 b) ci-dessus.

Établissement du prochain rapport

Le Comité invite l’État partie à présenter son rapport valant neuvième, dixième et onzième rapports périodiques, qu’il doit soumettre en novembre 2025. Le rapport devra être présenté dans les délais et couvrir toute la période écoulée, jusqu’à la date à laquelle il sera soumis.

Le Comité invite l’État partie à se conformer aux directives harmonisées pour l’établissement de rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, englobant le document de base commun et les rapports pour chaque instrument (voir HRI/GEN/2/Rev.6 , chap. I).