NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/92/D/1484/200628 avril 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑douzième session17 mars‑4 avril 2008

CONSTATATIONS

Communication n o  1484/2006

Présentée par:

Josef Lněnička (représenté par M. Jan Sammer, Bureau tchèque de coordination)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

9 février 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 19 juillet 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

25 mars 2008

Objet: Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens

Questions de procédure: Abus du droit de présenter une communication; non‑épuisement des recours internes; griefs non étayés

Questions de fond: Égalité devant la loi; égale protection de la loi

Articles du Pacte: 2 (par. 3) et 26

Articles du Protocole facultatif: 2 et 3

Le 25 mars 2008, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte figurant en annexe en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, en ce qui concerne la communication no1484/2006.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L ’ HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L ’ ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑ vingt ‑ douzième session

concernant la

Communication n o 1484/2006**

Présentée par:

Josef Lněnička (représenté par M. Jan Sammer, Bureau tchèque de coordination)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

9 février 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 mars 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1484/2006, présentée au nom de M. Josef Lněnička en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l ’ article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, datée du 9 février 2006, est M. Josef Lněnička, né le 11 avril 1930 dans l’ancienne Tchécoslovaquie et résidant actuellement aux États‑Unis. Il se déclare victime d’une violation par la République tchèque des articles 12 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il est représenté par Jan Sammer du Bureau tchèque de coordination de Toronto (Canada).

1.2Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Protocole facultatif) est entré en vigueur pour la République tchèque le 22 février 1993.

Rappel des faits présentés par l ’ auteur

2.1L’auteur a été arrêté en 1949 dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Libéré en 1957, il a travaillé dans une mine les onze années suivantes. En 1968, il s’est enfui puis est revenu en 1969. Il s’est construit une maison, a quitté de nouveau l’ancienne Tchécoslovaquie en 1981 pour échapper au régime communiste et est arrivé aux États‑Unis d’Amérique en avril 1982. Il a obtenu la nationalité américaine en 1988 et a donc perdu sa nationalité d’origine. Il a été condamné par défaut par le tribunal de district de Trutnov à une peine d’emprisonnement et à la confiscation de tous ses biens, y compris la moitié de sa maison familiale à Rtynĕ, pour avoir quitté le pays sans autorisation. Il a été entièrement réhabilité en 1990 conformément à la loi no 119/1990 sur la réhabilitation judiciaire.

2.2L’épouse de l’auteur est restée dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Selon l’auteur, elle a été obligée, pour ne pas être expulsée, de conclure un accord avec le Ministère des finances et de racheter la moitié de la maison familiale et de tous les biens. L’auteur lui a envoyé de l’argent pour qu’elle puisse régler les sommes dues.

2.3En 1999, l’auteur a demandé à être indemnisé pour le rachat de la moitié de la maison familiale. Le 18 mars 1999, le Ministère des finances a rejeté sa demande pour le seul motif que l’auteur était devenu citoyen des États‑Unis d’Amérique et avait perdu sa nationalité d’origine. Il a souligné dans sa réponse que l’auteur pouvait «déposer une demande d’indemnisation financière pour les biens confisqués, accompagnée de justificatifs prouvant sa nationalité tchèque». À ce sujet, et en ce qui concerne les recours internes, l’auteur affirme qu’il n’a pas épuisé tous les recours judiciaires existants en République tchèque car il a la conviction que ceux‑ci sont inutiles et qu’il ne veut pas gaspiller de l’argent en frais d’avocats et autres mesures vaines. Il renvoie également à un arrêt de la Cour constitutionnelle tchèque qui a rejeté un recours visant à supprimer la condition de nationalité énoncée par les lois relatives à la restitution. Selon l’auteur, cela constitue une preuve irréfutable de l’inexistence de voies de recours en République tchèque.

Teneur de la plainte

3.L’auteur se dit victime d’une violation de l’article 26 du Pacte parce que la condition de nationalité énoncée par la loi no 87/1991 constitue une discrimination illégale. Il invoque la jurisprudence du Comité dans les affaires Marik c.  République tchèque et Kriz c. République  tchèque, dans lesquelles le Comité a conclu à une violation de l’article 26 par l’État partie. Par la suite, l’auteur s’est dit également victime d’une violation de l’article 12 du Pacte (voir par. 5.1).

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Dans une note du 18 janvier 2007, l’État partie a précisé que le 11 août 1982, le tribunal de district de Trutnov avait ordonné la confiscation de biens de l’auteur, notamment la moitié de ses biens immobiliers (un garage et une maison avec jardin), parce qu’il avait émigré illégalement. Par la suite, en mars 1989, l’État partie a conclu avec l’épouse de l’auteur un accord concernant la propriété détenue en commun par les époux. En vertu de cet accord, l’épouse de l’auteur devait verser à l’État une somme équivalant à la moitié de la valeur totale des biens détenus en commun et devenait la seule propriétaire des biens. À sa demande, elle a obtenu que le Comité national du district de Trutnov revienne sur une partie de ce montant, de sorte qu’elle ne devait plus verser que 157 690 couronnes tchèques au lieu de 271 075. Elle a acquitté la totalité de cette somme le 26 octobre 1989.

4.2L’État partie confirme que l’auteur est devenu citoyen des États‑Unis d’Amérique en 1986 et qu’il a perdu automatiquement sa nationalité tchécoslovaque en vertu du Traité sur la naturalisation conclu par l’ancienne République tchécoslovaque et les États‑Unis d’Amérique en 1928 (Traité sur la naturalisation). En 1990, sur le fondement de la loi no 119/1990 relative à la réhabilitation judiciaire, le jugement de condamnation a été annulé ex lege, y compris la décision de confiscation des biens de l’auteur. La loi prévoyait également les conditions et modalités d’indemnisation des personnes réhabilitées judiciairement, à l’exception des demandes découlant de l’annulation des peines de confiscation, lesquelles étaient visées par la loi no 87/1991 sur la réhabilitation extrajudiciaire, entrée en vigueur le 1er avril 1991. Cette loi disposait notamment qu’une personne répondant aux conditions requises au sens de la loi devait avoir la nationalité de la République fédérative tchèque et slovaque et avoir sa résidence permanente dans le pays.

4.3En août 1991, l’auteur a demandé une indemnisation financière pour la perte des biens qui lui avaient été confisqués lorsqu’il avait émigré. Dans cette requête, il a indiqué qu’il n’avait jamais renoncé à sa nationalité tchécoslovaque et qu’il avait la double nationalité. Il a déposé sa requête auprès de l’Autorité du district de Trutnov et du Ministère des finances, lequel l’a examinée en sa qualité d’autorité compétente. Le 24 septembre 1992, le Ministère des finances a prié l’auteur de fournir la preuve qu’il avait recouvré la nationalité tchécoslovaque, à la lumière du Traité sur la naturalisation, faute de quoi sa demande d’indemnisation ne serait pas acceptée. Fin février 1995, l’épouse de l’auteur a répondu en répétant qu’à son avis l’auteur n’avait jamais renoncé à être citoyen de la République fédérative tchèque et slovaque, et que le Traité sur la naturalisation n’était pas valable puisque des modifications y avaient été apportées. Le Ministère des finances l’a avisée qu’il ne pourrait pas accéder à la demande de l’auteur si celui‑ci ne prouvait pas qu’il était citoyen de l’ancienne République fédérative tchèque et slovaque au moment où il avait soumis sa demande (le 1er avril 1992 au plus tard, date d’expiration du délai prévu pour le dépôt des demandes d’indemnisation).

4.4Le 3 octobre 1995, l’auteur a déposé une nouvelle demande d’indemnisation auprès du Ministère des finances. Celui‑ci a répondu que, même si la Cour constitutionnelle, dans son arrêt no 164/1994, avait annulé la condition de résidence permanente dans la République fédérative tchèque et slovaque pour pouvoir prétendre à une indemnisation, le critère de la nationalité s’appliquait toujours. En mars 1999, compte tenu de l’arrêt no 153/1998 de la Cour constitutionnelle, le Ministère des finances a informé l’auteur qu’il «pouvait prétendre à une indemnisation financière pour les biens confisqués sans qu’il soit nécessaire d’engager une action judiciaire en vue de la restitution des biens ni de rejeter une proposition d’accord concernant cette restitution»; cependant, l’auteur devait apporter une preuve de sa nationalité. Le 21 mars 2000, le Ministère des finances a de nouveau invité l’auteur à fournir un certificat de nationalité. En mai 2000, l’auteur a présenté une attestation datée du 10 mai 2000 indiquant qu’il était citoyen de la République tchèque en vertu du paragraphe 1 de l’article premier de la loi no 193/1999. Le 5 février 2001, le Ministère des finances a rejeté la demande d’indemnisation au motif que, à la date limite du 1er avril 1992, l’auteur ne remplissait pas la condition de nationalité puisqu’il avait obtenu la nationalité tchèque le 10 mai 2000.

4.5Conformément à l’article 10 de la loi no 231/1991 sur la compétence des autorités de la République tchèque au regard des réhabilitations extrajudiciaires, la loi no 58/1969 sur la responsabilité pour les dommages causés par une décision ou une procédure officielle incorrecte d’une autorité de l’État (loi no 82/1998, telle que modifiée) aurait dû être invoquée en relation avec l’article 13 de la loi sur la réhabilitation extrajudiciaire. Selon le Code civil, en tant que personne répondant aux conditions requises au sens de la législation relative aux restitutions, l’auteur avait le droit de saisir un tribunal de sa demande. À la connaissance de l’État partie, l’auteur n’a jamais engagé une action de ce type.

4.6En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie fait valoir que la communication est irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de présenter des plaintes au sens de l’article 3 du Protocole facultatif. Il n’ignore pas que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour la présentation de communications et qu’un simple retard ne constitue pas en soi un abus du droit de présenter une communication. Il rappelle la jurisprudence du Comité qui, quand il s’écoule aussi longtemps, attend une explication raisonnable et objectivement compréhensible. Il affirme que le même raisonnement s’applique en l’espèce, car l’auteur s’est adressé au Comité en 2006, soit plus de cinq ans après que le Ministère des finances a finalement rejeté sa demande d’indemnisation financière, et deux ans environ après l’expiration du délai de trois ans prévu par le Code civil pour saisir un tribunal ordinaire. À ce propos, l’État partie renvoie au délai de six mois fixé pour présenter une requête à la Cour européenne des droits de l’homme (par. 1 de l’article 35 de la Convention européenne des droits de l’homme, par. 1 b) de l’article 46 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et par. 5 de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale). L’auteur ne mentionne aucune circonstance qui justifierait le retard avec lequel il a adressé sa communication au Comité. L’intérêt particulier de l’auteur dans son affaire ne peut pas être considéré comme suffisamment important pour l’emporter sur l’intérêt généralement accepté du maintien du principe de la sécurité juridique. De surcroît l’auteur a déjà soumis la même affaire à un autre organe international.

4.7Quant à l’exigence d’épuisement des recours internes, l’État partie rappelle qu’en mars 1989 une partie des biens immobiliers litigieux a été transférée à l’épouse de l’auteur. Conformément au paragraphe 1 de l’article 13 de la loi sur la réhabilitation extrajudiciaire, une personne répondant aux conditions requises ne peut être indemnisée que pour les biens immobiliers qu’il est impossible de lui restituer (disposition applicable en l’espèce), ou si elle en fait la demande en vertu de l’article 7 de la loi. Toutefois, comme l’auteur n’a pas montré qu’il satisfaisait au critère de nationalité à la date du 1er avril 1992, de sorte qu’il ne remplissait pas les conditions requises pour obtenir une indemnisation financière, le Ministère a rejeté sa demande. Rien ne l’empêchait cependant (et rien ne l’empêche) de saisir un tribunal ordinaire pour demander une indemnisation. L’auteur n’ayant pas montré qu’il avait usé de cette possibilité, l’État partie fait valoir qu’il n’a pas épuisé les recours internes.

4.8En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte et l’argument de l’auteur qui affirme qu’aucun recours interne n’était disponible, l’État partie objecte que par recours utile il ne faut pas comprendre un recours garantissant à l’auteur qu’il obtiendra satisfaction. L’auteur avait et a toujours la possibilité de contester devant les tribunaux le rejet de sa demande par le Ministère des finances. Bien que l’on ne puisse pas préjuger du résultat d’une action, il existe des doutes quant aux chances de succès de ce recours compte tenu de la jurisprudence constante des tribunaux tchèques, y compris la Cour constitutionnelle, en ce qui concerne la condition de nationalité dans le cadre de la procédure de restitution.

4.9En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 26 du Pacte, l’État partie renvoie aux observations qu’il a présentées au Comité dans des affaires analogues, soulignant les circonstances politiques et les conditions juridiques afférentes à la loi sur la restitution. Il rappelle qu’il n’ignorait pas, lors de l’adoption de la loi, qu’il était impossible de réparer toutes les injustices commises sous le régime communiste, et que la Cour constitutionnelle a examiné à maintes reprises la question de savoir si la condition de nationalité était contraire à la Constitution et aux droits et libertés fondamentaux, à laquelle elle a répondu par la négative (voir par exemple l’arrêt no 185/1997). Il précise que les lois de restitution ont été adoptées dans un double objectif: atténuer, dans une certaine mesure, une partie des injustices commises par le passé, et mener à bien rapidement une vaste réforme économique visant à mettre en place une économie de marché. Ces lois s’inscrivaient dans le cadre de la législation visant à transformer la société dans son ensemble, et il a été jugé approprié, compte tenu des réformes économiques, de donner la préférence au rétablissement des relations de propriété au profit des citoyens du pays. La restitution des biens peut être considérée comme une forme de privatisation, c’est‑à‑dire la restitution de la propriété au secteur privé. Les conditions préalables restrictives visaient également à garantir que les biens restitués seraient dûment entretenus.

4.10L’État partie note que, malgré le Traité sur la naturalisation, les personnes qui souhaitaient recouvrer la nationalité tchèque ont eu cette possibilité à partir de 1990, avant l’expiration du délai pour la présentation des demandes de restitution. Toutes les demandes de nationalité soumises entre 1990 et 1992 par des personnes qui avaient acquis la nationalité américaine ont été approuvées. L’État partie ajoute que l’auteur n’a pas présenté de demande au cours de cette période, alors qu’il avait déposé sa demande d’indemnisation financière dès le mois d’août 1991. Il s’est ainsi privé de la possibilité de satisfaire aux critères de la loi sur la réhabilitation extrajudiciaire. Il n’a acquis la nationalité tchèque que sur le fondement d’une loi ultérieure (no 193/1999) relative à la nationalité de certains anciens citoyens tchécoslovaques.

4.11L’État partie note également qu’après le départ de l’auteur, son épouse a continué à utiliser les biens cédés. Par la suite, l’État partie lui a permis de devenir l’unique propriétaire des biens immobiliers, qui sont donc restés dans la famille.

Commentaires de l ’ auteur sur les observations de l ’ État partie

5.1Dans une réponse du 20 février 2007, le conseil affirme que l’article 12 du Pacte a également été violé en 1981, lorsque l’auteur a quitté l’ancienne Tchécoslovaquie, et souligne que l’État partie avait signé le Pacte en 1975. Il note que l’État partie lui‑même reconnaît le caractère discriminatoire de la loi no 87/1991. Quant à l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur aurait dû recouvrer sa nationalité dans le délai fixé pour les restitutions de biens, le conseil fait valoir que l’auteur en a été empêché par la loi no 88/1990, selon laquelle «la nationalité ne peut pas être accordée dans les cas où cela serait en contradiction avec les obligations internationales souscrites par la Tchécoslovaquie» (art. II, par. 3 b)). Selon le conseil, cette loi renvoie au Traité sur la naturalisation.

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur aurait pu engager une action en justice, le conseil fait valoir que la Cour constitutionnelle a mis fin à cette possibilité par son arrêt no 117/1996, dans lequel elle a constaté que même si la personne réhabilitée conservait son droit à la propriété, l’article 23 de la loi no 119/1990 ne lui permettait pas d’acquérir des biens au moyen d’une action en revendication (Code civil). Il rejette également l’allégation d’abus du droit de présenter une communication et la demande de l’État partie que la communication soit déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Il estime que la Convention européenne ne doit pas entrer en ligne de compte, pas plus que les arguments de l’État partie fondés sur la sécurité juridique. Sur la question des recours internes, il rappelle qu’il n’existe pas de recours internes pour les personnes qui n’avaient pas la nationalité tchèque pendant la période en cause, comme l’a confirmé la Cour constitutionnelle dans son arrêt no 33/96 du 4 juin 1997.

5.3Quant aux arguments avancés par l’État partie pour justifier le caractère discriminatoire des lois sur la restitution, le conseil fait observer que l’impossibilité de réparer toutes les injustices peut s’appliquer aux personnes qui ont été exécutées, abattues à la frontière alors qu’elles tentaient de s’enfuir, incarcérées pendant de longues années et renvoyées de l’université et privées de leur emploi, mais ne peut jamais s’appliquer à la propriété, car la réparation est possible dans tous les cas et aurait été des plus facile.

5.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur aurait pu obtenir la nationalité tchèque avant avril 1991, le conseil fait valoir que, compte tenu de la loi no 88/1990, seuls ceux qui sont devenus citoyens américains par erreur, fraude ou corruption avaient cette possibilité.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Pour ce qui est de l’obligation d’épuiser les recours internes, le Comité note que l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas été empêché, et n’est toujours pas empêché, de saisir les tribunaux ordinaires pour réclamer l’indemnisation financière que le Ministère des finances lui a refusée. Il note également que l’État partie reconnaît qu’il existe des doutes quant à la possibilité de succès de ce recours, compte tenu de la jurisprudence constante des juridictions internes, dont la Cour constitutionnelle, en ce qui concerne la condition de nationalité dans les affaires de restitution (voir le paragraphe 4.8). Dans ce contexte, le Comité rappelle que seuls les recours qui sont à la fois disponibles et utiles doivent être épuisés. La loi applicable relative aux biens confisqués ne permet pas la restitution des biens ni l’octroi d’une indemnisation à l’auteur. Après la décision du Ministère de la justice, en date du 5 février 2001, rejetant la demande d’indemnisation, plus aucun recours utile ou raisonnablement disponible ne s’offrait à l’auteur devant la justice tchèque. Dans son arrêt no185/1997, la Cour constitutionnelle de la République tchèque a confirmé qu’elle considérait que la condition de nationalité fixée pour obtenir la restitution était raisonnable. À ce propos, le Comité réaffirme que, lorsque la plus haute juridiction d’un État a statué sur la question objet d’un litige dans un sens tel que toute possibilité de succès d’un recours devant une juridiction interne est exclue, l’auteur de la communication n’est pas tenu d’épuiser les recours internes aux fins du Protocole facultatif. Par conséquent, le Comité estime que l’auteur a suffisamment montré qu’il aurait été inutile pour lui de chercher à attaquer la décision rendue.

6.4Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie pour qui la communication doit être déclarée irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de soumettre une communication au sens de l’article 3 du Protocole facultatif, en raison du temps excessif qui s’est écoulé avant sa soumission au Comité. L’État partie affirme que l’auteur a attendu cinq ans après la date à laquelle le Ministère des finances a rendu sa décision finale pour soumettre sa plainte. Le Comité réaffirme que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour lui adresser des communications et qu’un simple retard dans la soumission d’une plainte ne constitue pas en soi, sauf dans des circonstances exceptionnelles, un abus du droit de présenter une communication. Dans l’affaire à l’examen, étant donné que le conseil de l’auteur indique que celui‑ci est entré en contact avec lui après avoir pris connaissance des constatations que le Comité avait adoptées en 2005 dans les communications no 945/2000 (Marik c. République tchèque, constatations adoptées le 26 juillet 2005) et no 1054/2002 (Kriz c. République tchèque, constatations adoptées le 1er novembre 2005), le Comité ne considère pas que les cinq années de retard constituent un abus du droit de soumettre des communications. En conséquence, il décide que la communication est recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard de l’article 26 du Pacte.

6.5Le Comité note que, dans sa réponse aux observations de l’État partie, le conseil de l’auteur fait valoir que l’article 12 du Pacte a également été violé en 1981, lorsque l’auteur a quitté l’ancienne Tchécoslovaquie. En l’absence d’autres informations, le Comité estime que ce grief n’est pas suffisamment étayé et, en conséquence, le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité doit déterminer si l’application à l’auteur de la loi no 87/1991 a constitué une discrimination, en violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26. Un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26.

7.3Le Comité rappelle les constatations qu’il a adoptées dans les affaires Adam, Blazek, Marik, Kriz , Gratzingeret Ondracka, dans lesquelles il avait conclu à une violation de l’article 26 du Pacte. Étant donné que l’État partie lui‑même est responsable du départ de l’auteur de l’ancienne Tchécoslovaquie pour un autre pays, où il a fini par s’installer définitivement et dont il a obtenu la nationalité, le Comité considère qu’il serait incompatible avec le Pacte d’exiger de lui qu’il remplisse la condition relative à la nationalité tchèque pour obtenir la restitution de ses biens ou, à défaut, une indemnisation.

7.4Le Comité estime que le principe établi dans les affaires mentionnées ci‑dessus s’applique également à l’auteur et que l’application par les tribunaux internes de la condition relative à la nationalité a représenté une violation des droits garantis par l’article 26 du Pacte.

7.5Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation, y compris une indemnisation. Le Comité engage de nouveau l’État partie à revoir sa législation de façon à garantir à tous l’égalité devant la loi et l’égale protection de la loi.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M.  Abdelfattah Amor

En application de la jurisprudence Gobin (communication no 787/1997, Gobin c. Maurice, décision d’irrecevabilité adoptée le 16 juillet 2001), je pense que cette communication est irrecevable, puisque présentée tardivement, soit un retard de cinq ans. Je souhaiterais renvoyer, à cet égard, à mon opinion dissidente sur l’affaire Ondracka (communication no 1533/2006, Zdenek et Ondracka c. République t chèque, constatations adoptées le 31 octobre 2007) dans laquelle le retard était de plus de huit ans. Il est urgent, j’en suis convaincu, que le Comité ait une jurisprudence cohérente et parfaitement lisible sur la question du délai de présentation des communications.

(Signé) M.  Abdelfattah Amor

[Fait en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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