NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/92/D/1413/200523 avril 2008

FRANÇAISOriginal: ESPAGNOL

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑douzième session17 mars‑4 avril 2008

CONSTATATIONS

Communication n o  1413/2005

Présentée par:

José Ignacio de Jorge Asensi (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

25 avril 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 30 juin 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

25 mars 2008

Objet:Irrégularités dans la procédure d’avancement de militaires de carrière

Questions de procédure:Griefs non étayés; incompatibilité avec les dispositions du Pacte

Questions de fond:Procès non équitable; violation du droit d’accès à la fonction publique

Articles du Pacte:14 (par. 1), 19 (par. 2), 25 c)

Article s du Protocole facultatif : 2, 3

Le 25 mars 2008, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no1413/2005 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L ’ HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L ’ ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑douzième session

concernant la

Communication n o  1413/2005*

Présentée par:

José Ignacio de Jorge Asensi (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

25 avril 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 mars 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1413/2005 présentée au nom de José Ignacio de Jorge Asensi en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l ’ article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, datée du 25 avril 2005, est José Ignacio de Jorge Asensi, de nationalité espagnole, né en 1943. Il se déclare victime de violations par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 19, ainsi que de l’article 25 c). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2En date du 6 février 2006, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’examiner en même temps la recevabilité et le fond de la communication.

Exposé des faits

2.1L’auteur, un colonel de l’armée de terre, s’est porté candidat à un concours pour être promu au grade de général de brigade dans la période d’évaluation 1998/99. Conformément à la loi no 17/1989, qui définit le régime applicable aux militaires de carrière, et au règlement complémentaire, la procédure de promotion à ce grade prévoit une évaluation selon des critères fixes obligatoires et deux évaluations discrétionnaires. La procédure fixe consiste en une évaluation des mérites et des compétences des candidats qui aboutit à un classement en fonction duquel les responsables des examens discrétionnaires peuvent faire leur recommandation et leur choix final.

2.2L’évaluation des mérites et des compétences revient au Conseil supérieur de la défense, en tant qu’organe consultatif; il applique des règles objectives d’évaluation qui sont publiques et énoncent des critères objectifs et les barèmes de mérite correspondants. Conformément à ces règles, le Conseil établit une liste de candidats et la soumet au Ministre de la défense qui demande d’abord un rapport écrit au chef d’état‑major de l’armée puis procède à une deuxième évaluation et fait une recommandation qu’il soumet au Conseil des ministres. Ce dernier prend la décision finale. Alors que le Ministre de la défense et le Conseil des ministres ont un pouvoir totalement discrétionnaire pour prendre leur décision, le Conseil supérieur est tenu de ne fonder sa décision que sur les critères définis dans la loi, dont le principal est le mérite.

2.3L’auteur fait valoir que pour le concours auquel il s’était présenté, l’évaluation des candidats n’a pas été effectuée conformément à la procédure décrite et que le Conseil supérieur a arrêté l’ordre final de classement non pas en fonction du mérite des candidats mais par un simple vote secret de ses membres, comme l’attestent les déclarations signées de deux d’entre eux, que l’auteur a pris comme témoins. D’après l’auteur, le système du vote secret est contraire au principe de l’égalité entre les candidats car certains s’en trouvent favorisés par rapport à d’autres. L’auteur fait valoir également que par le vote secret le Conseil supérieur a modifié le classement établi par l’Équipe de travail qui lui avait préparé la tâche pour l’appréciation des mérites et des compétences. À l’appui de ces affirmations, l’auteur joint le témoignage de deux anciens membres du Conseil supérieur. L’un d’eux avait participé au vote du concours pour lequel l’auteur était candidat.

2.4D’après le deuxième témoin, le vote secret était une pratique habituelle pour prendre ce genre de décision. Le témoin affirme qu’alors que l’auteur avait été classé quatorzième par l’Équipe de travail, le Conseil l’avait classé vingt‑sixième et il n’avait donc pas obtenu sa promotion. À son avis, la raison de la perte de points était peut‑être que les affectations les plus récentes de l’auteur, et celles où il avait occupé les plus hautes responsabilités, avaient été à l’étranger. Il n’avait donc pas pu avoir de contacts quotidiens avec certains des hauts gradés membres du Conseil supérieur dont la décision, quand ils votent à bulletin secret, peut être teintée d’une certaine appréciation subjective qui accompagne toujours la connaissance personnelle, directe et régulière, ce qui influence incontestablement le jugement.

2.5L’auteur a formé un recours contentieux administratif auprès du Tribunal suprême, dans lequel il demandait l’annulation des nominations effectuées et le retour au stade où le Ministère de la défense avait fait les évaluations prévues au paragraphe 1 de l’article 86 de la loi no 17/1989. Il évoquait également les évaluations correspondant au cycle de 1997/98 et à celui de 1998/99 et demandait que les résultats le concernant lui soient communiqués et que soit appliquée la procédure de promotion, conformément à la loi no 17/1989. Enfin, il demandait une indemnisation pour le préjudice causé par le mauvais fonctionnement de l’administration, qui consistait en un préjudice matériel tenant au fait qu’il était passé dans la réserve en ayant toujours le grade de colonel, ainsi qu’en préjudices moraux et familiaux et en une atteinte à son honneur.

2.6Le recours a été rejeté par une décision du 25 juillet 2003. Le Tribunal suprême a considéré que, si la législation en vigueur définissait bien les éléments qui doivent être pris en compte pour évaluer le mérite et les compétences, elle n’établit pas de formule arithmétique qui conduirait mécaniquement au résultat du classement. Même si les éléments d’appréciation sont fixés ou préétablis, leur appréciation et la quantification permettaient une marge de décision étendue. L’évaluation devait aboutir pour chacun des candidats à une décision qui détaille tous les éléments et chacun des éléments d’appréciation considérés. Le fait que la décision finale ne soit pas motivée n’avait pas d’incidence préjudiciable devant emporter son annulation si les procédures qui l’avaient précédée comprenaient l’appréciation des éléments mentionnés, étant donné que cette appréciation était suffisante pour que la fonction d’information recherchée au moyen de l’évaluation soit effectivement remplie.

2.7D’après le Tribunal suprême, il ressort du dossier que l’évaluation s’est déroulée en deux étapes: une phase préparatoire réalisée par l’Équipe de travail chargée d’assister le Conseil supérieur de l’armée, qui a dressé une liste des candidats classés conformément aux éléments d’appréciation prévus par la loi; une autre phase, dans laquelle le Conseil lui‑même décide du classement des candidats en fonction de la liste précédente. De l’avis du Tribunal, cette façon de procéder n’est pas la plus correcte étant donné que c’est le Conseil lui‑même qui aurait dû déterminer directement, pour chaque candidat, quels avaient été les éléments d’appréciation considérés et les facteurs et termes de pondération pour chacun. Toutefois, cette irrégularité n’était pas suffisante pour annuler toute la procédure. L’évaluation remplissait une fonction d’information pour les actes discrétionnaires ultérieurs et ne s’imposait pas au Ministre de la défense ni au Conseil des ministres. Ce qui était déterminant c’était de constater que l’évaluation en fonction d’éléments préétablis par un texte avait bien eu lieu et avait donc rempli sa fonction, qui était de donner les éléments d’information nécessaires pour fonder les décisions discrétionnaires ultérieures.

2.8Dans son recours, l’auteur avait demandé au Tribunal de solliciter du Conseil supérieur de l’armée les informations le concernant, notamment la liste des candidats qui avaient fait l’objet de l’évaluation et les points obtenus. Le 15 mars 2002, le secrétaire du Conseil supérieur a fait savoir au Tribunal qu’il n’était pas possible de lui faire tenir le rapport définitif concernant tous les candidats étant donné que les actes du Conseil supérieur avaient un caractère «secret» conféré par le paragraphe 3 de l’article premier de la décision en Conseil des ministres du 28 novembre 1986 rendue conformément à la loi sur les secrets officiels, en vertu duquel les délibérations des conseils supérieurs des trois armées étaient qualifiées génériquement de secrètes. En revanche, le secrétaire a précisé quelle place l’auteur occupait dans chacune des trois évaluations faites pour les candidats de sa promotion. Par une décision du 19 novembre 2002, le Tribunal a accueilli les motifs tenant au caractère secret des renseignements demandés et a rejeté la requête de l’auteur. Le Tribunal n’a pas fait mention des griefs que l’auteur avait également avancés au sujet de l’illégalité du vote secret auquel les membres du Conseil supérieur avaient procédé.

2.9L’auteur a formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel pour se plaindre notamment de la décision du Tribunal suprême de ne pas exiger du Conseil supérieur de l’armée les renseignements relatifs aux évaluations le concernant. Le Tribunal constitutionnel a considéré que les griefs ne relevaient pas du droit à la preuve et du droit de recevoir des renseignements véridiques, qui sont protégés par la Constitution. Lui non plus ne s’est pas prononcé sur les griefs concernant le vote secret du Conseil supérieur. Le recours en amparo a été rejeté en date du 30 mars 2005.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que le refus du Tribunal suprême et du Tribunal constitutionnel d’obtenir des renseignements sur l’évaluation dont il a fait l’objet pour le concours de promotion constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14 et du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Le droit de bénéficier d’un procès équitable doit comporter le droit de pouvoir utiliser tous les moyens licites de preuve utilisés dans une procédure qui porte sur la détermination d’un droit de caractère civil, comme l’accès aux fonctions publiques dans des conditions générales d’égalité. Au nombre des moyens licites de preuve figuraient les informations contenues dans les pièces du dossier administratif concernant l’intéressé. En conséquence, l’auteur considère qu’il n’a pas été entendu avec toutes les garanties voulues dans la procédure judiciaire menée par le Tribunal suprême dont l’arrêt a été confirmé par le Tribunal constitutionnel sans qu’aucun n’ait examiné l’affaire au fond. En l’absence de motif légal pour justifier la décision prise, l’organe judiciaire a empêché l’auteur d’utiliser comme mode de preuve les renseignements portés dans le dossier administratif qu’il avait sollicités. Pour cette raison, il n’a pas pu présenter des prétentions suffisamment étayées par des preuves écrites et les juges n’ont pas disposé de tous les éléments objectifs nécessaires.

3.2Dans sa décision, le Tribunal constitutionnel a affirmé que le Tribunal suprême avait estimé justifié que les renseignements demandés ne lui soient pas communiqués, eu égard à la législation sur les secrets officiels (loi no 9/1968). Or aucun des deux tribunaux ne cite l’article de la loi qui qualifie de secrète la matière sur laquelle portent les informations demandées. D’après l’auteur, la raison en est que cet article n’existe pas. Dans sa réponse au Tribunal suprême, le secrétaire du Conseil supérieur indique que le paragraphe 3 de l’article premier de la décision prise en Conseil des ministres le 28 novembre 1986 qualifie génériquement de secrètes les délibérations des conseils supérieurs des trois armées. D’après l’auteur, le secret ne vise pas les actes relatifs à ces délibérations.

3.3L’auteur fait valoir que le système du vote secret n’est pas prévu par la loi et est contraire au principe de l’égalité entre les candidats étant donné qu’il en favorise certains par rapport aux autres. Ainsi, le Conseil supérieur a commis une violation de l’article 25 c) du Pacte. Il est évident que le nombre de voix obtenues par chaque candidat est étroitement en rapport avec la connaissance que les votants ont de chaque candidat ainsi qu’avec les liens de parenté, les amitiés, les affinités, etc., qui peuvent exister entre eux. En outre, le vote peut être l’objet de négociations préalables entre les votants.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations datées du 18 janvier 2006, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il estime que la décision du Tribunal suprême du 19 novembre 2002 présente un argument suffisamment justifié pour contester les affirmations de l’auteur qui déclare que le droit à la défense lui a été dénié parce que certaines preuves n’ont pas été produites. La réponse du secrétaire du Conseil supérieur de l’armée au Tribunal contenait les explications nécessaires. En particulier, il y était souligné qu’il n’était pas possible de faire parvenir le rapport pour chaque candidat car les délibérations de l’Équipe de travail et celles du Conseil supérieur de l’armée lui‑même étaient classées «secrètes» conformément au paragraphe 3 de l’article premier de la décision prise en Conseil des ministres le 28 novembre 1986 et à l’article 10 de la loi no 51/69 du 26 avril. Le Tribunal a considéré que les moyens de preuve apportés et les explications données par l’autorité militaire étaient suffisants pour qu’il se prononce sur les prétentions de l’auteur. Le Tribunal constitutionnel a indiqué en outre que, pour que le recours fondé sur le droit de présenter des preuves aboutisse, il aurait fallu que le refus de produire ces preuves entraîne un déni réel des droits de la défense. Or aucun argument convaincant n’a été apporté pour montrer que la décision finale sur le recours auprès du Tribunal suprême aurait été favorable à l’auteur si la preuve qui fait l’objet de la controverse avait été apportée et acceptée. L’auteur n’a pas précisé quels étaient les faits qu’il prétendait prouver avec l’information qu’il n’a pas pu obtenir.

4.2Les juridictions internes ont dûment évalué la portée et les conséquences que les irrégularités relevées dans la procédure d’évaluation auraient pu avoir. De plus, elles ont considéré que le droit de diffuser et de recevoir des informations consacré par la Constitution de l’Espagne ne va pas jusqu’à donner aux individus la faculté d’exiger des autorités publiques ou privées certains renseignements déterminés.

4.3Enfin, les tribunaux ont rappelé que le droit d’accéder dans des conditions d’égalité aux fonctions publiques ne consiste pas simplement en un droit à ce que la légalité soit respectée dans le processus de sélection mais que, pour qu’il soit violé, il doit y avoir une atteinte à l’égalité entre les participants, ce qui requiert l’existence de termes de comparaison sur lesquels fonder une éventuelle contestation, termes qui n’ont été présentés à aucun moment. Dans la communication, aucun terme de comparaison n’apparaît aux fins de l’application de l’article 25 c) du Pacte. L’auteur n’a pas exposé les faits qu’il entendait prouver et n’a pas signalé les irrégularités qui se seraient produites pendant la phase préalable à l’adoption des décisions discrétionnaires.

4.4Pour toutes ces raisons, l’État partie considère que la communication devrait être déclarée irrecevable parce qu’elle représente un abus du droit d’invoquer le Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif, et parce que la plainte n’est pas étayée.

Observations de l ’ État partie sur le fond

5.1Dans une note du 7 décembre 2006, l’État partie a indiqué qu’il n’y avait pas de violation du paragraphe 1 de l’article 14, du paragraphe 2 de l’article 19 ni de l’article 25 c). Pour lui, le fait que la promotion d’un militaire au grade de général se fasse en vertu d’une décision discrétionnaire du Gouvernement et comme suite à une proposition également discrétionnaire du Ministre de la défense, en fonction d’informations confidentielles ou secrètes, était compatible avec le Pacte.

5.2L’État partie a réitéré les arguments qu’il avait présentés pour contester la recevabilité. Il a indiqué que, d’après le Tribunal suprême, l’autorité militaire avait exercé le droit qui lui était conféré par les dispositions de la loi sur les secrets officiels et que les moyens de preuve apportés et les explications données étaient suffisants pour permettre aux juges de prendre une décision.

5.3La preuve que l’auteur souhaitait était sans pertinence s’agissant des actes totalement discrétionnaires liés à la défense nationale. Comme l’a souligné le Tribunal constitutionnel, pour que le recours fondé sur le droit à la preuve aboutisse, il aurait fallu que le refus de produire cette preuve entraîne un déni réel des droits de la défense ou, ce qui revient au même, que la preuve ait été déterminante pour la défense. De plus, il n’a pas été montré de façon convaincante que l’issue finale de la procédure devant le Tribunal suprême aurait été favorable à l’auteur si la preuve qui fait l’objet de la controverse avait été administrée et acceptée. L’auteur n’a pas précisé quels faits il prétendait prouver avec les renseignements qui n’ont pas été communiqués et n’a pas mentionné les éléments ou les circonstances qui auraient permis de constater une situation juridique d’un autre candidat, qui aurait été de façon injustifiée favorisé en raison de considérations étrangères aux principes du mérite et des compétences.

5.4Les tribunaux nationaux ont dûment évalué la portée et les incidences que les irrégularités relevées dans la procédure d’évaluation auraient pu avoir. Ainsi, dans son arrêt, le Tribunal suprême a indiqué que ce qui était déterminant c’était de constater que la procédure administrative d’évaluation ayant conduit aux promotions avait comporté, pour chaque candidat, les éléments d’appréciation préétablis par la loi, ce qui fait que la fonction de donner les éléments d’information sur lesquels les actes discrétionnaires qui faisaient l’objet de la plainte devaient être fondés avait bien été remplie. De même, les tribunaux ont souligné que le droit de diffuser et de recevoir des informations consacré par la Constitution ne va pas jusqu’à donner aux individus la faculté d’exiger des autorités publiques ou privées des renseignements déterminés.

5.5Enfin, les tribunaux nationaux ont affirmé que le droit d’accéder aux fonctions publiques dans des conditions d’égalité ne consiste pas simplement en un droit à ce que la légalité soit respectée dans le processus de sélection, mais que pour qu’il soit violé, il doit y avoir une atteinte à l’égalité entre les participants, ce qui requiert l’existence de termes de comparaison sur lesquels fonder une éventuelle contestation, termes qui n’ont été présentés à aucun moment.

5.6Il est évident que le Pacte reconnaît en son article 19 l’exception concernant les secrets officiels, qui est donc parfaitement légitime et qui a été confirmée par les tribunaux nationaux. De plus, dans la communication, aucun terme de comparaison n’apparaît aux fins de l’application de l’article 25 c) et, quoi qu’il en soit, l’auteur n’a jamais précisé les faits qu’il entendait prouver et n’a pas signalé les irrégularités qui se seraient produites pendant la phase préalable à l’adoption des décisions relatives à la promotion au grade de général, qui sont de caractère discrétionnaire.

Commentaires de l ’ auteur

6.1Dans une lettre du 23 mars 2007, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication. Il conteste l’observation de l’État partie qui affirme que le Tribunal a souligné que l’autorité militaire avait exercé les droits qui lui étaient conférés par la loi sur les secrets officiels. Conformément à la législation en vigueur à l’époque, l’autorité militaire à laquelle l’État partie se réfère n’avait pas le pouvoir de décider que telle ou telle matière serait classée secrète. Cette autorité n’a donc exercé aucun droit qui lui aurait été conféré par la loi: ce qu’elle a fait, c’est refuser de façon réitérée de communiquer les renseignements sollicités par l’auteur en prétendant, à tort, qu’il s’agissait d’une matière classée secrète par la loi.

6.2Il est faux de dire que l’auteur n’a pas indiqué les faits qu’il entendait prouver avec les renseignements qui n’ont pas été communiqués. Ces faits figurent dans la demande qu’il a adressée au Tribunal suprême, dans laquelle il est dit, entre autres choses, que pendant le cycle 1998/99 des colonels de sa promotion ont obtenu le grade de général de brigade alors que leurs mérites et leurs compétences étaient inférieurs aux siens, comme il ressort de l’évaluation et du classement effectués par l’Équipe de travail. Il est également dit dans la demande que, en vertu de l’arrêté ministériel no 24/92 intitulé «Normes pour l’évaluation et le classement du personnel militaire de carrière», il doit y avoir un rapport justifiant les différences entre le classement provisoire effectué par l’Équipe de travail et le classement définitif décidé par le Conseil supérieur de l’armée à l’issue d’un vote secret et qui a fait perdre 12 points à l’auteur.

6.3L’auteur rejette l’argument de l’État partie qui affirme que l’évaluation qui a précédé les promotions avait comporté pour chaque candidat les éléments d’appréciation préétablis dans la loi. Les témoignages de deux membres du Conseil supérieur montrent que le classement a été arrêté à l’issue d’un vote secret, ce qui signifie qu’il n’a pas été tenu compte des éléments d’appréciation fixés dans la loi.

6.4En ce qui concerne l’argument selon lequel il n’a pas présenté de terme de comparaison qui auraient permis de déterminer si le droit à l’égalité entre les candidats avait été ou non respecté, l’auteur objecte que le Tribunal l’a empêché de le faire en opposant le caractère secret des évaluations. En outre, dans l’Observation générale du Comité relative à l’article 25 du Pacte, rien n’indique qu’il faille procéder à une comparaison; la seule chose qui est demandée est que l’accès aux fonctions publiques obéisse à des critères objectifs et raisonnables, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

6.5D’après l’auteur, il n’est pas vrai que l’évaluation préalable soit une procédure accessoire du fait que la décision finale est discrétionnaire. Les pouvoirs discrétionnaires conférés par la loi au Ministre de la défense et au Conseil des ministres en ce qui concerne les promotions ne sont pas absolus mais limités. Les pouvoirs du Ministre consistent à apprécier avec une liberté absolue les évaluations réalisées au préalable et le rapport du chef d’état‑major et à recommander librement tout colonel qui est retenu dans ces évaluations. Les pouvoirs du Conseil des ministres consistent à approuver librement les propositions du Ministre de la défense. Il est évident que le Ministre ne peut pas recommander pour une promotion un colonel qui ne figure pas sur la liste des candidats évalués et le Conseil des ministres ne peut pas accorder une promotion à un colonel qui n’a pas fait l’objet d’une évaluation selon les modalités régies par la loi. Toute action qui ne serait pas conforme à la loi, outre qu’elle constitue un acte arbitraire manifeste, est contraire à l’article 25 c) du Pacte. Si l’administration avait suivi la procédure prévue par la loi, il est probable qu’au lieu du classement établi par le Conseil supérieur de l’armée à l’issue du vote secret, les recommandations pour les promotions auraient été différentes et l’auteur aurait pu figurer au nombre des promus. Si les documents figurant dans le dossier des évaluations et des promotions avaient été classés secrets, l’article 112 de la loi no 17/1989, qui accorde aux militaires de carrière le droit de faire un recours auprès de la juridiction contentieuse administrative contre les décisions qui les concernent en matière d’évaluation et de promotion, serait sans effet.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité relève en outre que l’État partie n’a avancé aucun argument tendant à montrer qu’il resterait des recours internes encore ouverts et il décide par conséquent qu’il n’existe pas d’obstacle à l’examen de la communication, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.3L’auteur fait valoir que le refus des autorités espagnoles de lui communiquer des renseignements sur l’évaluation dont il avait fait l’objet pour la promotion au grade de général de brigade constitue une violation du droit à un procès équitable en matière civile, conformément au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Comité considère que ces allégations ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et les déclare en conséquence recevables.

7.4L’auteur fait également valoir que le refus des autorités espagnoles de lui communiquer les renseignements mentionnés constitue une violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Le Comité estime que l’auteur n’a pas étayé cette plainte aux fins de la recevabilité et, par conséquent, qu’il n’est pas nécessaire d’examiner si celle‑ci entre ou non dans le champ d’application de l’article 19 du Pacte. Il considère donc cette partie de la communication comme irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que le vote secret du Conseil supérieur de l’armée est contraire au principe de l’égalité entre les candidats et constitue une violation de l’article 25 c) du Pacte, le Comité considère que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, en quoi cette forme de vote a pu porter atteinte aux droits consacrés par cette disposition. De plus, le Comité estime que le droit d’accéder dans des conditions générales d’égalité aux fonctions publiques est intimement lié à l’interdiction de la discrimination pour les motifs énoncés au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte. Dans le cas présent, l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que le vote secret avait entraîné une situation de discrimination pour l’un des motifs du paragraphe 1 de l’article 2. En conséquence, le Comité estime que cette partie de la communication est irrecevable faute d’être étayée, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

Examen au fond

8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de tous les renseignements communiqués par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2L’auteur affirme que le refus des tribunaux espagnols de lui communiquer des renseignements sur l’évaluation dont il a fait l’objet pour le concours de promotion constitue une violation du droit d’être jugé avec les garanties voulues. À ce propos, le Comité fait observer que, bien que l’article 14 ne précise pas ce qu’il faut entendre par «procès équitable» en matière civile, il convient d’interpréter la notion de «procès équitable» dans le contexte du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte comme exigeant certaines conditions, telles que l’égalité des moyens et l’absence d’arbitraire, d’erreur manifeste ou de déni de justice.

8.3Le Comité relève que le Tribunal suprême a examiné les griefs et les moyens de preuve avancés par l’auteur et que, accédant à la demande de celui‑ ci, il a demandé et obtenu de l’autorité militaire des renseignements au sujet du concours. Au vu des preuves et étant donné que la loi espagnole accorde une grande marge discrétionnaire pour les décisions concernant les promotions des militaires, le Tribunal suprême n’a pas constaté d’irrégularités dont le concours auquel l’auteur a participé aurait été entaché. Le Comité relève en outre que le Tribunal constitutionnel a conclu que l’auteur n’avait pas montré de façon convaincante que la décision finale lui aurait été favorable si les renseignements qu’il demandait avaient été apportés. Le Comité en conclut que les éléments dont il dispose ne montrent pas que la procédure devant le Tribunal suprême et devant le Tribunal constitutionnel ait été arbitraire, entachée d’erreur ou ait constitué un déni de justice, et par conséquent il ne considère pas qu’il y ait eu une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des articles du Pacte.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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