NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/92/D/1515/200628 avril 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑douzième session17 mars‑4 avril 2008

DÉCISION

Communication n o  1515/2006

Présentée par:

Herbert Schmidl (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

4 janvier 2002 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 22 novembre 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

1er avril 2008

Objet:Discrimination fondée sur les origines sudètes d’un ressortissant allemand en ce qui concerne la restitution de biens

Questions de procédure:Non-épuisement des recours internes

Questions de fond:Égalité devant la loi et égale protection de la loi; accès aux tribunaux

Articles du Pacte: 2, 26 et 14

Article du Protocole facultatif:5 (par. 2 b))

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L ’ HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑douzième session

concernant la

Communication n o 1515/2006 *

Présentée par:

Herbert Schmidl (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

4 janvier 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1er avril 2008,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Herbert Schmidl, né en 1923 dans l’ancienne Tchécoslovaquie, résidant actuellement en Allemagne. Il se déclare victime de violations par la République tchèque de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l ’ auteur

2.1L’oncle et la tante de l’auteur possédaient une exploitation agricole dans la région des Sudètes, qui a été intégrée au territoire du Reich allemand entre 1938 et 1945. En mai 1945, la propriété a été occupée par l’Armée rouge, puis confisquée par l’administration tchécoslovaque de l’après-guerre. En 1946, l’auteur et sa famille ont été expulsés de Tchécoslovaquie. La propriété en question ayant été confisquée avant la promulgation du décret no 12/1945 (décret Benĕs), cette confiscation serait illégale. Aucune indemnisation n’a été versée pour la propriété, dont l’auteur affirme être l’unique héritier.

2.2L’auteur a écrit au Ministre tchèque des finances (le Ministre) à trois reprises, le 18 février et le 26 avril 1992 et le 2 août 1998, demandant qu’on lui restitue la propriété. Le 25 août 1998, le Ministre a informé l’auteur que la loi de restitution en vigueur s’appliquait uniquement aux biens confisqués entre 1948 et 1989, que des demandes de restitution similaires portant sur des biens appartenant à des Allemands avaient été rejetées dans le passé et que les autorités de l’État ne répondraient à aucun courrier supplémentaire sur cette question. Dans la même lettre (écrite en réponse à la lettre de l’auteur datée du 2 août 2007), il était déclaré en outre que, puisque le testament en vertu duquel le terrain en question était censé avoir été légué n’était pas valide, l’auteur n’était jamais devenu le propriétaire du bien sur le plan juridique.

2.3Selon l’auteur, la Cour suprême et la Cour constitutionnelle tchèques ont toutes deux déclaré que le fait de ne pas accorder d’indemnisation pour des biens ayant appartenu à des Allemands ou à des Hongrois avant 1948 était «légal et légitime». Il affirme que les Allemands des Sudètes pouvaient être indemnisés s’ils prouvaient leur fidélité à la République tchèque, ce qui n’était pas le cas des nationaux tchèques réclamant une indemnisation. Il dit que l’ancien Premier Ministre Klaus a déclaré que, même si la restitution aux victimes allemandes et hongroises était possible en vertu du droit, elle était politiquement inacceptable.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les recours internes étaient inaccessibles et inefficaces dans son cas. Le Ministre n’a pas répondu à ses demandes d’information au sujet des procédures applicables qui lui auraient permis de contester l’argument selon lequel son cas ne relevait pas de la loi de restitution, et il a refusé de transmettre la plainte de l’auteur à la juridiction compétente. Ainsi, les autorités tchèques l’ont empêché de réclamer en justice la restitution de son bien. En outre, du fait qu’il n’a pas répondu à l’auteur entre 1992 et 1998, le Ministre est responsable du retard excessif dans l’épuisement des recours internes. L’auteur affirme que, ne connaissant pas la juridiction compétente à laquelle s’adresser, il n’aurait pas été en mesure d’obtenir qu’un conseil le représente. De surcroît, l’épuisement des recours internes serait resté sans effet compte tenu des décisions de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle, selon lesquelles la loi de restitution était conforme au droit.

3.2L’auteur soutient que sa plainte est recevable ratione temporis, car elle ne porte pas sur la confiscation de la propriété, qui a eu lieu en 1945, mais sur le refus de l’État partie de la restituer. Il fait valoir que le refus de l’État partie de l’indemniser n’a pas été confirmé jusqu’à la lettre du Ministre datée du 25 août 1998, soit après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Avant cette date, la restitution n’était pas exclue en principe mais dépendait d’«accords intergouvernementaux» entre la République tchèque et l’Allemagne.

3.3L’auteur affirme qu’il y a violation de l’article 2, du fait que l’État partie ne lui a pas versé une indemnisation adéquate pour la perte de sa propriété. Il soutient que le fait de l’avoir privé de son droit d’accéder aux tribunaux constitue une violation de l’article 14. Il affirme en outre que la procédure a subi un retard excessif au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif parce que les efforts qu’il a déployés sur plusieurs années pour obtenir des éclaircissements au sujet des voies de recours applicables n’ont suscité aucune réponse de la part des autorités tchèques.

3.4L’auteur invoque une violation de son droit à la non-discrimination au titre de l’article 26, en ce que les lois de restitution actuellement en vigueur en République tchèque sont discriminatoires à son égard parce qu’il est Allemand d’origine sudète. Il affirme que la loi de restitution écarte les réclamations émanant d’Allemands des Sudètes du fait que a) la loi ne s’applique qu’aux confiscations qui ont eu lieu entre 1948 et 1989 et que b) seuls les nationaux tchèques peuvent réclamer une telle indemnisation. L’auteur soutient en outre qu’il y a discrimination en ce que les ressortissants allemands doivent «prouver leur loyauté», et non les nationaux tchèques. De plus, les nationaux allemands et hongrois doivent prouver qu’ils ont eu la nationalité tchèque sans interruption depuis la fin de la guerre jusqu’en 1990, alors que les nationaux tchèques doivent uniquement prouver qu’ils possèdent cette nationalité au moment où ils déposent leur demande. Le fait que d’autres groupes de victimes aient obtenu une réparation adéquate constitue une discrimination à l’encontre des Allemands des Sudètes en tant que groupe.

3.5L’auteur affirme que la propriété en question a été confisquée illégalement et que pour cette raison il demeure, en tant qu’unique héritier de son oncle et de sa tante, propriétaire du bien. Conformément au décret gouvernemental no 8/1928 GBI, toute confiscation doit être précédée d’une «notification individuelle». L’auteur affirme n’avoir reçu aucune notification concernant le bien en question. Il dit que la confiscation a eu lieu avant l’entrée en vigueur du décret Benĕs, censé être la base légale de la confiscation. Même si l’on considère que la confiscation a eu lieu en vertu du décret, elle demeure illégale car le propriétaire initial était antifasciste et employait des Tchèques sur son exploitation, contre la volonté des Nazis. Selon la sous-section 2 du décret présidentiel, les terres appartenant à des personnes de nationalité allemande ou hongroise ayant participé activement à la lutte pour préserver l’intégrité de la Tchécoslovaquie et la délivrer n’auraient pas dû être confisquées. Enfin, l’auteur soutient que la confiscation était illégale parce qu’elle coïncidait avec un crime de génocide − qu’il affirme être une conséquence de l’expulsion des Allemands des Sudètes.

Observations de l ’ État partie concernant la recevabilité et le fond

4.1Le 17 mai 2007, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il affirme que la communication est irrecevable pour les motifs suivants: non-épuisement des recours internes; ratione temporis; abus du droit de présenter des communications; incompatibilité ratione materiae. En ce qui concerne le non-épuisement des recours internes, il fait valoir que l’auteur n’a jamais soulevé aucun de ces griefs devant les autorités compétentes. Il suppose que la confiscation en question est censée avoir eu lieu en vertu du décret présidentiel no 12/1945, qui est entré en vigueur le 23 juin 1945. Cependant, étant donné que le Pacte n’est entré en vigueur que le 23 mars 1976, il soutient que la communication est irrecevable ratione temporis.

4.2L’État partie invoque la jurisprudence du Comité et avance qu’il y a abus du droit de porter plainte. La lettre initiale de l’auteur au Comité est datée du 4 janvier 2002, soit neuf ans après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, ce qui représente un délai inacceptable pour soumettre une communication au Comité. L’État partie soutient en outre que le droit à la propriété n’est pas reconnu par le Pacte, que le droit à la restitution l’est d’autant moins et que la communication est donc incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte.

4.3Sur le fond, l’État partie affirme que la communication est «dénuée de fondement», car le testament en vertu duquel l’auteur serait devenu propriétaire du bien a été fait le 9 mars 1956. Étant donné que la propriété est censée avoir été confisquée en 1945, l’auteur n’aurait pas pu en devenir le propriétaire légitime. De plus, le testament était non valide ab initio, car conformément à l’article 535 du Code civil en vigueur à l’époque, il aurait dû être rédigé par un seul testateur. Deux personnes ne pouvaient pas rédiger ensemble un testament comme cela a été fait dans le cas d’espèce.

Commentaires de l ’ auteur

5.1Le 12 novembre 2007, l’auteur réaffirme que l’expropriation a eu lieu au début de mai 1945, avant l’entrée en vigueur du décret présidentiel no 12/1945. Selon un document daté du 8 août 1945 et écrit par l’oncle de l’auteur, un fonctionnaire tchèque est arrivé avec des miliciens tchèques pour saisir sa propriété. L’auteur conteste l’argument selon lequel il n’a fait aucun effort pour demander la restitution de son bien et renvoie aux lettres adressées au Ministre (voir  par. 2.2). Il réaffirme que les lois de restitution sont discriminatoires à son égard au sens de l’article 26 pour les raisons exposées au paragraphe 3.4 ci‑dessus.

5.2L’auteur réitère ses arguments concernant la recevabilité de la communication ratione temporis, et insiste sur le fait que la confiscation de la propriété n’était pas légitime et que le refus du Ministre de restituer le bien date du 25 août 1998, donc après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Dans ce contexte, il renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle les violations dont il est fait état s’étant poursuivies après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, la communication est recevable ratione temporis. Quant à l’argument avancé par l’État partie concernant l’abus du droit de porter plainte, il affirme qu’outre ses efforts en vue d’épuiser les recours internes en écrivant au Ministre, il a tenté de régler la question en prenant des initiatives en Allemagne, notamment en sollicitant la «protection diplomatique» à plusieurs reprises devant les tribunaux administratifs, requêtes qui lui ont toutes pris beaucoup de temps.

5.3Quant aux arguments de l’État partie sur le fond, l’auteur réaffirme que la confiscation en question n’était pas légale et que par conséquent, son oncle et sa tante sont restés les propriétaires légitimes jusqu’à leur mort. Au sujet du testament, il conteste l’argument de l’État partie, qui objecte que le document était nul, et se réfère à la légitimité des certificats d’héritage allemands datés du 17 janvier 1997 et du 12 mars 1998, en vertu desquels il a été désigné unique héritier de son oncle et de sa tante. Il affirme en outre qu’en droit allemand, les époux peuvent rédiger leur testament en commun.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2L’État partie a soutenu que la communication était irrecevable, notamment pour non‑épuisement des recours internes. Le Comité note en outre que l’État partie conteste l’affirmation de l’auteur, qui se dit héritier légitime de son oncle et de sa tante, au motif que le testament sur lequel il s’appuie a été déclaré nul. Le Comité constate que les seuls efforts que l’auteur ait entrepris en vue d’épuiser les recours internes dans l’État partie, par contraste avec ceux qu’il a déployés dans son pays de résidence, se résument à quelques lettres adressées au Ministre des finances tchèque, dans lesquelles il demande au Ministre de transmettre sa plainte à l’autorité compétente. Le Comité relève que l’auteur n’a soulevé aucun des griefs formulés dans la présente communication devant une juridiction de l’État partie. Quant à l’argument selon lequel l’épuisement des recours internes n’aurait pas été utile, le Comité fait observer qu’une action en justice aurait permis, entre autres, de clarifier les faits contestés dans le cas de l’auteur, à propos desquels le Comité n’est pas en mesure de se prononcer. Il s’agit en particulier de la question de savoir qui avait la propriété effective du bien en question, et si l’auteur était l’héritier légitime de son oncle et de sa tante. Le Comité considère que c’est à l’auteur lui-même qu’il incombait de déterminer quelle juridiction était normalement compétente en la matière et de déposer la requête appropriée. Il rappelle que l’expression «tous les recours internes disponibles», au sens de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif, vise au premier chef les recours juridictionnels. Pour cette raison, le Comité conclut que la communication est irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif, pour non-épuisement des recours internes.

6.3En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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