NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/92/D/1141/200218 avril 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑douzième session17 mars‑4 avril 2008

DÉCISION

Communication n o  1141/2002

Présentée par:

Rima Gougnina (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Evgeny Gougnin (fils de l’auteur) et Ilkhomdzhon Karimov

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

13 décembre 2002 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision du Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 13 décembre 2002 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

1er avril 2008

Objet: Condamnation à mort après un procès inéquitable avec recours à la torture pendant l’enquête préliminaire

Questions de fond: Torture; procès inéquitable; privation arbitraire de la vie

Question de procédure: Appréciation des faits et des éléments de preuve

Articles du Pacte: 6; 7; 9; 10; 14 et 16

Article du Protocole facultatif: 2

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L ’ HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑douzième session

concernant la

Communication n o 1141/2002 *

Présentée par:

Rima Gougnina (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Evgeny Gougnin (fils de l’auteur) et Ilkhomdzhon Karimov

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

13 décembre 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1er avril 2008,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est Rima Gougnina, de nationalité ouzbèke, née en 1962. Elle présente la communication au nom de son fils, Evgeny Gougnin, et au nom d’une connaissance de son fils, Ilkhomdzhon Karimov, tous deux ressortissants ouzbeks nés en 1980. Au moment de la soumission de la communication au Comité, les intéressés risquaient l’exécution, ayant été condamnés à la peine capitale par la cour de la ville de Tachkent le 28 octobre 2002. L’auteur affirme que son fils et M. Karimov sont victimes de violation, par l’Ouzbékistan, de leurs droits au titre des paragraphes 1, 4 et 6 de l’article 6, de l’article 7, de l’article 9, de l’article 10, des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14, et de l’article 16 du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Lors de l’enregistrement de la communication, le 13 décembre 2002, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de surseoir à l’exécution des intéressés tant que leur cas serait en cours d’examen. Le 11 décembre 2003 et le 25 mai 2004, l’État partie a informé le Comité que, sur décision de la Cour suprême de l’Ouzbékistan, les peines de mort de M. Karimov et M. Gougnin avaient été commuées à vingt ans d’emprisonnement le 18 février 2003 et le 26 mars 2004, respectivement.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 28 octobre 2002, la cour de la ville de Tachkent a reconnu MM. Gougnin, Karimov, et un certain Ismailov, coupables d’avoir prémédité et effectué une attaque à main armée en vue de voler de l’argent, le 8 avril 2002, dans l’appartement d’un certain Chakirov. Chakirov est décédé à la suite des coups de couteau reçus pendant cette attaque. Sa compagne, Akhundzhanova, est également décédée, une semaine plus tard, à la suite des blessures reçues alors qu’elle avait tenté de s’interposer.

2.2La cour de la ville de Tachkent a condamné les intéressés à la peine de mort. M. Ismailov a été condamné à vingt ans d’emprisonnement. Cette décision a été confirmée en appel, le 10 décembre 2002, par l’instance d’appel de la même cour, siégeant en composition différente. Le 18 février 2003, la Cour suprême d’Ouzbékistan a également examiné l’affaire et a confirmé les sentences.

2.3L’auteur admet que son fils et M. Karimov ont bien pris part à l’attaque mais fait valoir qu’ils n’ont pas commis le meurtre. Ils ont avoué leur culpabilité sous la contrainte et la torture suite à leur arrestation. Selon l’auteur, les intéressés auraient été battus et torturés non seulement par les policiers, mais également par des membres de la famille de Chakirov, la victime.

2.4L’auteur ajoute que son fils, Karimov, et Ismailov avaient accepté de commettre le vol. Le plan aurait été élaboré par un certain Pokrepkin, un ami du fils de Chakirov, qui savait que le père de ce dernier disposait d’importantes sommes d’argent. Le soir du 8 avril 2002, Pokrepkin, le fils de l’auteur et Ismailov se sont rendus au domicile de Chakirov; Karimov n’y serait pas allé. Pokrepkin et le fils de l’auteur s’étaient préalablement munis de couteaux de cuisine. Quand Pokrepkin a sonné à la porte et M. Chakirov a ouvert, le premier lui a administré un coup de poing, tentant de l’assommer sans succès. Chakirov se serait réfugié à l’intérieur de l’appartement, suivi par Pokrepkin. Selon l’auteur, son fils et Ismailov se seraient alors enfuis.

2.5Plus tard, Pokrepkin les aurait contactés dans l’appartement de Karimov et les aurait convoqués à une maison de campagne, où il leur aurait expliqué qu’il avait tué Chakirov et sa compagne. Il leur aurait dit de prétendre, au cas où la police remonterait à eux, que c’était Karimov qui avait organisé le crime et que Gougnin avait commis le meurtre. Pokrepkin leur aurait aussi expliqué que le tribunal les condamnerait à quinze ans de prison au maximum. Les trois ont tenté de refuser ces propositions, mais Pokrepkin les aurait menacés de représailles, et aurait affirmé qu’il s’en prendrait également à leurs proches «vu qu’il n’avait plus rien à perdre».

2.6L’auteur fait valoir que l’enquête préliminaire a été conduite de façon superficielle et menée «d’une manière particulièrement accusatoire». Elle invoque ensuite un jugement datant de 1996, où la Cour suprême aurait estimé que les éléments de preuve obtenus par des méthodes illicites étaient irrecevables. L’auteur affirme que ce principe n’a pas été respecté dans le cas de son fils et de M. Karimov puisqu’ils ont été battus et forcés de passer aux aveux. Elle explique que, devant le tribunal, son fils n’avait pas invoqué les actes de torture et les aveux forcés parce qu’il craignait que ses proches subissent des représailles de la part de Pokrepkin.

2.7Selon l’auteur, ce n’est qu’après le jugement en appel, et après avoir obtenu une visite de sa mère où son fils a appris que ses proches n’avaient pas reçu d’argent de Pokrepkin, que son fils a décidé de dire la vérité. Il aurait alors expliqué dans une lettre ce qui se serait réellement passé. Cette lettre a été jointe à la plainte que l’avocat de M. Gougnin a déposée auprès de la Cour suprême avec une demande de révision judiciaire suivant les procédures de supervision (nadzor).

2.8Selon l’auteur, lors de l’interrogatoire mené par les enquêteurs, Pokrepkin aurait affirmé que Gougnin, Ismailov et Karimov lui avaient raconté qu’ils avaient battu Chakirov, mais qu’ils n’avaient pas trouvé d’argent chez lui. Selon l’auteur, en appel, Karimov aurait affirmé que Pokrepkin avait versé 1 000 dollars des États‑Unis à l’enquêteur.

2.9Pour l’auteur, les enquêteurs n’ont pas procédé à la reconstitution du crime, et donc n’ont pu réellement vérifier le rôle joué par chacune des personnes présentes sur les lieux du crime.

2.10En vertu de l’article 23 du Code de procédure pénale ouzbek, l’accusé n’a pas à démontrer son innocence et doit bénéficier du moindre doute qui subsisterait. Or, selon l’auteur, la condamnation de son fils a été fondée sur des éléments de preuve indirects recueillis par les enquêteurs qui n’ont pas pu être confirmés devant le tribunal, ou encore sur les aveux forcés obtenus de son fils et de ses coaccusés, alors que d’autres éléments de preuve qui auraient pu prouver leur innocence ont simplement été perdus pendant l’enquête. En particulier, l’auteur souligne que vu que son fils aurait asséné plusieurs coups de couteau à ses victimes, il aurait donc dû présenter des traces de sang sur les cheveux, ses mains et ses vêtements. Or, aucun examen de ses cheveux, de ses mains ou des dépôts sous ses ongles n’a jamais été effectué, alors que cela aurait été essentiel pour déterminer sa culpabilité.

2.11Selon l’auteur, les faits tels que décrits ci-dessus démontrent que les tribunaux ont examiné cette affaire d’une manière purement formelle. La peine prononcée contre son fils ne correspond pas à sa personnalité. Notamment, le dossier contenait plusieurs attestations positives sur le caractère de son fils, présentées par ses voisins. Selon l’auteur, la Cour, en l’absence de preuves et sans tenir compte des doutes qui auraient dû bénéficier aux accusés, a rendu un arrêt «illicite». La Cour a ainsi failli à son obligation d’impartialité et d’objectivité, et s’est rangée du côté des victimes du meurtre, en soutenant ouvertement la position de l’accusation.

2.12L’auteur fait valoir que la condamnation de son fils était contraire à l’ordonnance de la Cour suprême relative aux jugements des tribunaux, en date du 2 mai 1997, selon laquelle les arrêts prononçant la peine capitale doivent être motivés dans tous les cas, en tenant compte de toutes les circonstances du crime, ses causes et motivations, et également des données qui caractérisent non seulement le condamné, mais également la victime. L’auteur invoque un autre arrêt de la Cour suprême du 20 décembre 1996, où la Cour aurait attiré l’attention des tribunaux sur le fait que la peine capitale est un châtiment exceptionnel, et que la loi n’exige pas d’y recourir obligatoirement.

2.13Le 24 novembre 2003, l’auteur signale qu’elle avait reçu une réponse négative de la Cour suprême à sa demande de grâce pour son fils. La Cour l’aurait informée que cette requête lui avait été transmise par l’administration présidentielle, et qu’après examen du dossier, la Cour n’avait trouvé aucune raison pour modifier le verdict.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que les faits tels qu’elle les présente révèlent une violation, par l’Ouzbékistan, des droits de MM. Gougnin et Karimov au titre des paragraphes 1, 4 et 6 de l’article 6, de l’article 7, de l’article 9, de l’article 10, des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14, et de l’article 16 du Pacte.

Observations de l’État partie

4.1Dans une note verbale du 11 décembre 2003, l’État partie fait valoir que le 18 février 2003, la Cour suprême de l’Ouzbékistan a commué la peine de mort à l’égard de M. Karimov et l’a remplacée par vingt ans d’emprisonnement. Il signale également que la Cour suprême a pris toutes les mesures nécessaires pour surseoir à l’exécution de la peine de mort de M. Gougnin, conformément à la demande du Comité.

4.2Le 25 mai 2004, l’État partie a présenté des informations supplémentaires sur le cas de M. Gougnin. À titre préliminaire, il note que le 26 mars 2004, la Cour suprême a commué la peine de mort à son égard et l’a remplacée par vingt ans d’emprisonnement.

4.3L’État partie rappelle les faits de l’affaire: M. Gougnin, déjà condamné en 2002 à trois ans de déduction punitive de salaire pour vol, a été reconnu coupable, le 28 octobre 2002, par la cour de la ville de Tachkent, de tentative de vol et d’assassinat, et il a été condamné à la peine capitale. Le 10 décembre 2002, la peine de mort a été confirmée en appel. La Cour suprême a examiné son cas le 18 février 2003 et a confirmé la sentence.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2, alinéas a et b, de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà à l’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et note qu’il n’est pas contesté que les recours internes ont été épuisés.

5.3Le Comité constate que l’auteur affirme, sans donner plus de détails, que son fils et M. Karimov ont été privés des droits qui leur sont garantis par les articles 9 et 16 du Pacte. En l’absence de toute autre information utile à ce sujet, il considère que cette partie de la communication est irrecevable, car elle n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité comme l’exige l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4Le Comité note que les allégations de l’auteur sur la manière dont les tribunaux ont traité le cas de MM. Gougnin et Karimov et ont qualifié leurs actes peuvent soulever des questions au titre des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte. Il relève cependant que ces allégations ont trait essentiellement à l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux de l’État partie. Il rappelle que c’est généralement aux tribunaux des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit prouvé que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. En l’espèce, le Comité estime qu’en l’absence, dans le dossier, de pièces, de procès-verbaux ou autres informations semblables qui lui auraient permis de vérifier si le procès a effectivement été entaché de tels vices, cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif, faute d’avoir été suffisamment étayée.

5.5Le Comité note que les allégations de l’auteur relatives aux aveux forcés obtenus de MM. Gougnin et Karimov soulèvent des questions au titre des articles 7, 10, et 14, paragraphe 3 g), du Pacte. Il note également que l’État partie n’a pas présenté d’observations à ce sujet. Il note, néanmoins, que les allégations de l’auteur sont formulées de façon très générale. L’auteur ne fournit pas, par exemple, de description spécifique, ni en ce qui concerne les méthodes de torture dont ont été prétendument victimes les intéressés ni sur l’identité exacte de ceux qui sont responsables d’actes de torture. Aucun certificat médical n’a été présenté à l’appui de ses dires. Le Comité note également que ces allégations ont été formulées pour la première fois dans le cadre de la présente communication et qu’aucune mention de torture ou de mauvais traitement ne figure, en ce qui concerne le fils de l’auteur, dans les copies de l’appel interjeté auprès de la cour d’appel ou dans la plainte adressée à la Cour suprême. Le seul document contenant une telle allégation, bien que formulée encore plus sommairement que celle qui figure dans la présente communication, est la demande de grâce présidentielle, signée par l’auteur de la communication à une date non établie. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’auteur n’a pas pu suffisamment étayer cette allégation à des fins de recevabilité et déclare cette partie de la communication irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.6Pour ce qui est des allégations faites par l’auteur au titre de l’article 6 du Pacte, le Comité note que la peine de mort a dans les deux cas été commuée en 2003 et 2004. Par conséquent, il considère que ce grief est devenu sans objet. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité.]

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