NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.RESTREINTE*

CAT/C/42/D/324/20075 mai 2009

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTUREQuarante‑deuxième session(27 avril‑15 mai 2009)

DÉCISION

Communication n o 324/2007

Présentée par:

M. X (représenté par un conseil)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Australie

Date de la requête:

2 mai 2007 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

30 avril 2009

Objet: Expulsion du requérant de l’Australie vers le Liban

Questions de procédure: Demande de mesures provisoires de protection

Questions de fond: Risque d’être soumis à la torture et à des traitements inhumains dans le pays de renvoi

Article de la Convention: 3

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

− Quarante ‑deuxième session −

concernant la

Communication n o 324/2007

Présentée par:

M. X (représenté par un conseil)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Australie

Date de la requête:

2 mai 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 30 avril 2009,

Ayant achevé l’examen de la requête no 324/2007, présentée au Comité contre la torture au nom de M. X en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte la décision ci‑après au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention.

1.1L’auteur de la communication, datée du 2 mai 2007, est M. X, un Palestinien né au Liban en 1960, actuellement placé dans le centre de détention de Villawood (Australie). Il a demandé l’asile politique en Australie mais sa demande a été rejetée et il risque d’être renvoyé contre son gré au Liban. Il affirme qu’en l’expulsant, l’Australie commettrait une violation des droits garantis à l’article 3 de la Convention contre la torture. Il est représenté par un conseil.

1.2Quand il a enregistré la requête, le 27 juin 2007, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires et conformément à l’article 108 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas procéder à l’expulsion du requérant tant qu’il n’aurait pas achevé l’examen de la communication.

Rappel des faits présenté s par le requérant

2.1Le requérant est chrétien et est un ancien membre des forces armées libanaises. En 1975, à l’âge de 15 ans, il a rejoint les milices phalangistes (démocrates chrétiens). En 1982, son unité a participé au massacre de Sabra et Chatila.

2.2Peu de temps après, il est devenu un proche assistant du dirigeant de la milice, M. Z; il a eu connaissance d’un certain nombre d’actes illicites commis par la milice. Il a également accompagné M. Z en Suisse pour déposer sur plusieurs comptes en banque, y compris un compte ouvert à son propre nom, des fonds qui avaient été volés à la milice phalangiste. Comme il avait peur qu’on lui fasse un mauvais parti, il s’est mis à faire des photocopies de documents sensibles dans l’idée de se protéger. En 1984, le parti phalangiste, qui jusqu’alors avait été l’allié d’Israël, s’est tourné vers la Syrie. Le parti s’est alors scindé en deux factions: l’une, dirigée par M. Z, était favorable à la Syrie, et l’autre avait le soutien du requérant. Le requérant avait peur que M. Z ne commence à le menacer.

2.3En juillet 1988, le requérant s’est rendu en Allemagne où il a obtenu l’asile. Il a appris que des membres de la milice phalangiste qui avaient participé au massacre de Sabra et Chatila avaient été agressés et tués par d’autres groupes, y compris par le Fatah et le Hezbollah. Il ne s’inquiétait pas parce qu’il pensait qu’au Liban tout le monde le croyait mort.

2.4En 1998, M. Z a retrouvé le requérant en Allemagne et s’est mis à lui envoyer des menaces, et a menacé aussi sa femme et ses enfants, ce qui fait que sa femme l’a quitté. Le requérant a alors payé plusieurs fonctionnaires de police allemands pour assurer la protection de sa femme et de ses enfants. Plus tard, il a été arrêté et inculpé de tentative de corruption à l’égard de fonctionnaires de police. Il a été condamné à un emprisonnement de 4 ans et 3 mois par le tribunal régional de Dusseldorf.

2.5Le requérant avait peur que la publicité faite autour de sa condamnation attire l’attention des autorités libanaises. Après sa libération, il a obtenu un faux passeport slovène et un visa de tourisme pour l’Australie, où il s’est rendu en mars 2002. Le 7 octobre 2002, il a déposé une demande d’asile. Le Département de l’immigration et de la citoyenneté a rejeté la demande le 20 août 2003, considérant qu’il n’était pas réfugié étant donné que le paragraphe F a) et b) de l’article premier de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés exclut de la protection ceux dont on a des raisons sérieuses de penser qu’ils ont commis a) un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité; b) un crime grave de droit commun.

2.6Le Département a considéré que la participation du requérant au massacre de Sabra et Chatila constituait un crime de guerre et un crime contre l’humanité. Étant donné qu’il avait été inculpé de détournement de fonds et d’évasion fiscale en Allemagne et qu’il avait été condamné dans ce pays, le Département a considéré qu’il y avait des «raisons sérieuses» de penser qu’il avait commis des crimes de droit commun graves en dehors de l’Australie.

2.7Le requérant a fait appel de la décision du Département et, le 29 avril 2005, le Tribunal des recours administratifs a annulé la conclusion du Département concernant l’application du paragraphe F a) de l’article premier, estimant qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments à l’appui de cette constatation. Le Tribunal a également annulé la décision concernant le litige fiscal en Allemagne. En revanche, il a confirmé que le paragraphe F b) s’appliquait bien parce que le requérant avait volé de l’argent à M. Z et avait été complice dans le vol d’argent commis par M. Z ou en tout cas qu’il y avait des raisons sérieuses de penser qu’il s’était rendu coupable de ces infractions, et en outre qu’il avait essayé de soudoyer des fonctionnaires de police allemands.

2.8En date du 9 novembre 2005, le requérant a demandé au Ministre de l’immigration et de la citoyenneté d’exercer son pouvoir discrétionnaire à lui conféré par l’article 501J de la loi sur les migrations, qui l’autorise à rendre une décision plus favorable. En date du 31 juillet 2006, le Ministre a refusé d’intervenir.

2.9Le requérant a également reçu une lettre du parquet d’un tribunal d’Allemagne attestant qu’il avait collaboré avec les autorités en portant à leur attention des détails sur le crime organisé, chose qui avait permis d’engager des poursuites contre un certain nombre de criminels, et pour laquelle il risquait d’être victime de représailles.

2.10Le requérant s’est également adressé au Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés pour lui demander une lettre d’appui. Le HCR aurait répondu qu’il avait envoyé une lettre en ce sens au Département le 15 février 2007, mais le requérant dit ne pas en connaître la teneur.

2.11Le requérant a également réussi à obtenir une copie de l’«évaluation de l’affaire au regard des considérations humanitaires et des obligations internationales» faite par le Département le 13 février 2006. Sur la base de cette évaluation, une deuxième demande a été adressée au Ministre pour lui demander d’exercer le pouvoir discrétionnaire à lui conféré par l’article 501J de la loi sur les migrations du 2 mai 2007. Le Ministre a rejeté la deuxième demande en date du 13 juin 2007. Le requérant a donc épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.Le requérant fait valoir que s’il est renvoyé de force au Liban, il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture, en violation des droits garantis par l’article 3 de la Convention. Il souligne que plusieurs rapports gouvernementaux et non gouvernementaux montrent que la torture est courante au Liban et que certains groupes sont plus exposés à ce risque que d’autres. Il fait valoir qu’en tant qu’ancien phalangiste et chrétien qui a attiré l’attention des autorités, il court un grand risque de subir des tortures au Liban. Il affirme qu’il pourrait également être la cible de groupes palestiniens en raison de ses activités passées.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une note du 29 mai 2008, l’État partie a répondu que les allégations du requérant étaient irrecevables car elles étaient manifestement dénuées de fondement. Les griefs concernant la torture que pourraient lui infliger des groupes palestiniens sont incompatibles avec les dispositions de la Convention. Si toutefois le Comité devait déclarer la communication recevable, les griefs du requérant sont considérés comme sans fondement car ils ne sont pas étayés par le moindre élément de preuve et la requête ne tient pas compte de l’évolution récente de la situation au Liban.

4.2Après avoir retracé la chronologie des faits jusqu’à l’arrivée du requérant en Australie, en mars 2002, l’État partie rappelle que le 11 avril 2002 le requérant a demandé assistance à un poste de police de Perth et a été placé en détention aux fins d’immigration. Le 7 octobre 2002, il a déposé une demande de visa de protection, qui a été rejetée le 20 août 2003 par le Département de l’immigration et de la citoyenneté, lequel a conclu qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le requérant avait commis un crime de guerre ou un crime contre l’humanité ainsi qu’un crime de droit commun grave à l’étranger et qu’en application du paragraphe F a) et b) de l’article premier, il ne pouvait donc pas bénéficier de la protection accordée par la Convention relative au statut des réfugiés. Le 15 septembre 2003, le requérant a fait appel de cette décision auprès du Tribunal des recours administratifs.

4.3Le 29 avril 2005, le Tribunal des recours administratifs a conclu qu’il ne pouvait pas être établi que le requérant avait commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. Il a confirmé en revanche qu’il n’avait pas droit à un visa de protection parce qu’il s’était rendu coupable d’infractions de droit commun graves à l’étranger.

4.4Entre‑temps, en avril 2005 les forces syriennes s’étaient retirées du Liban. En 2005 également, des élections parlementaires avaient été organisées au Liban et en juillet 2005 un nouveau Gouvernement favorable à l’indépendance et comportant des membres des Forces libanaises avait été formé. En août 2005, la résolution de 1994 par laquelle le Gouvernement interdisait les Forces libanaises a été annulée.

4.5Le 9 novembre 2005, le requérant a demandé au Ministre de l’immigration et de la citoyenneté d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour lui accorder un visa. Le 13 juillet 2006, le Ministre a décidé qu’il n’était pas dans l’intérêt public d’intervenir. Le 2 mai 2007, le requérant a demandé au Ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour lui accorder un visa, compte tenu de nouveaux éléments d’information.

4.6L’État partie rappelle que l’article 3 de la Convention consacre une obligation absolue de ne pas renvoyer une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Il renvoie à la jurisprudence du Comité, qui a établi que cette obligation devait être interprétée en fonction de la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention. Il rappelle également que la définition de la torture énonce clairement que les souffrances qui constituent la torture doivent être infligées par un agent de la fonction publique ou par toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite.

4.7L’État partie rappelle que l’obligation de ne pas renvoyer quelqu’un porte uniquement sur la torture et ne s’étend pas aux traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants. Si la limite entre la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants n’est pas toujours nette, l’évolution historique de la notion montre que par torture il faut entendre des souffrances intentionnelles et d’une intensité qui va au‑delà d’un traitement ou d’une peine cruel, inhumain ou dégradant.

4.8L’État partie rappelle que chaque cas doit être apprécié individuellement. La question de savoir si le comportement équivaut à une torture dépend de la nature de l’acte allégué et doit présenter un certain degré de gravité qui va plus loin qu’un traitement ou une peine cruel, inhumain ou dégradant. Il ne suffit pas qu’il existe «un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives»; «il doit exister des motifs supplémentaires de penser que l’intéressé serait personnellement en danger». L’État partie rappelle aussi que c’est au requérant qu’il appartient de prouver qu’il court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il est renvoyé dans tel État. Il n’est pas nécessaire que le risque soit «hautement probable», mais il doit être apprécié selon des éléments «qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons».

4.9L’État partie rappelle qu’il incombe au requérant d’apporter un commencement de preuve aux fins de la recevabilité. Il fait valoir que l’allégation du requérant qui affirme qu’il serait soumis à la torture par les autorités libanaises parce qu’il avait été membre des chrétiens démocrates ou des Forces libanaises, qu’il est soupçonné d’avoir détourné des fonds appartenant aux Forces libanaises et qu’il est réputé être politiquement pro‑israélien, est irrecevable car elle est manifestement dénuée de fondement étant donné que le requérant n’apporte aucun élément montrant qu’il court actuellement et personnellement un risque au Liban.

4.10De l’avis de l’État partie, le requérant a certes avancé que différentes circonstances font qu’il est exposé personnellement à un risque mais il ne donne aucune preuve pour montrer que dans la situation actuelle du Liban il attirerait l’attention des autorités pour toutes ces raisons ou que cela équivaudrait à un traitement qui pourrait être considéré comme de la torture au sens de l’article premier de la Convention. Le requérant s’appuie sur des rapports sur la situation dans le pays aujourd’hui dépassés et fait comme si les Forces libanaises n’étaient pas aujourd’hui au Gouvernement. Il ne montre en rien que les autorités auraient un motif quelconque de le soumettre à la torture en raison de ses activités passées ou de ses opinions politiques.

4.11L’État partie relève que le requérant affirme que la publicité faite autour de son implication dans le détournement de fonds risque d’avoir attiré l’attention des autorités et qu’il risque donc d’être arrêté et torturé. Il note qu’il n’a donné aucun élément montrant que son nom a jamais été divulgué, que son implication dans ce vol est connue au Liban, qu’il est recherché par les autorités ou qu’il y aurait le moindre fondement sur lequel il pourrait être détenu ou arrêté dans le contexte de cette affaire. De plus, d’après l’État partie, rien ne montre que le requérant ait en fait jamais détourné les fonds en question. L’État partie conclut que le requérant n’a pas étayé ses allégations et que ses griefs sont donc manifestement dénués de fondement.

4.12À titre subsidiaire, l’État partie fait valoir qu’il n’existe aucun motif sérieux de croire que le requérant serait l’objet de tortures de la part des autorités libanaises. Il cite l’Observation générale du Comité qui indique que l’auteur «doit prouver qu’il risque d’être soumis à la torture et que les motifs de croire que ce risque existe sont aussi sérieux qu’il est décrit plus haut» dans l’Observation générale «et que le risque est encouru personnellement et actuellement. Chacune des deux parties peut soumettre toute information pertinente à l’appui de ses affirmations» (pas d’italique dans l’Observation générale).

4.13L’État partie note que la communication contient quelques renseignements sur la situation au Liban à partir de 2005 et sur le passé du requérant. Même si l’évaluation de l’affaire au regard des considérations humanitaires et des obligations internationales faite le 13 février 2006 a conclu qu’il était possible que le requérant risque d’être exposé à la torture s’il retournait au Liban, l’évaluation de la situation du requérant faite ensuite par les autorités australiennes a conduit à conclure qu’il n’y avait aucun motif sérieux de le penser.

4.14L’État partie reconnaît qu’il existe des rapports indiquant que la torture continue d’être pratiquée au Liban sur la personne de détenus, généralement pendant les enquêtes préliminaires au poste de police ou dans les locaux de l’armée. Des arrestations et des détentions arbitraires visant des groupes particuliers ont également été rapportées. D’après l’État partie toutefois une bonne partie de l’information jointe par le requérant date d’avant 2005, année où les forces syriennes ont quitté le territoire, et depuis le Liban «a fait des progrès considérables dans le domaine des droits de l’homme maintenant qu’il y a un parlement démocratiquement élu et un gouvernement réformateur». De l’avis de l’État partie, si des violations graves des droits de l’homme, y compris des actes de torture, continuent de donner matière à préoccupation, il est clair que la situation politique et la situation des droits de l’homme a changé depuis 2005 dans des aspects importants pour la présente affaire.

4.15L’État partie note que le requérant a fait valoir qu’un certain nombre de facteurs particuliers l’exposent personnellement au risque de torture au Liban. Il réaffirme que les renseignements disponibles au sujet du Liban montrent que le risque d’actes qui peuvent constituer des «tortures» au sens de l’article premier de la Convention contre la torture existe essentiellement pour les détenus. Il faudrait donc que le requérant démontre qu’il court personnellement le risque d’être placé en détention quand il retournera au Liban.

4.16En ce qui concerne l’argument du requérant qui affirme qu’il court un «risque élevé» d’être soumis à la torture par des agents des autorités parce qu’il était autrefois membre des démocrates chrétiens ou des Forces libanaises, l’État partie reconnaît que la situation politique au Liban est toujours caractérisée par l’instabilité. Le climat politique est dans une impasse en raison de tensions entre le gouvernement de coalition du Premier Ministre et ses opposants dirigés par le Hezbollah, alliés du Mouvement patriotique libre du dirigeant chrétien le général Michel Aoun. Toutefois, les Forces libanaises font partie du gouvernement de l’Alliance du 14 mars et ont gagné six sièges sur les 72 obtenus en 2005 par la coalition dirigeante; et un ministre appartient au parti des Forces libanaises. D’après l’État partie, il n’y a donc aucun motif sérieux de croire que quelqu’un serait soumis à la torture par des agents des autorités simplement parce qu’il appartenait jadis aux Forces libanaises.

4.17L’État partie rappelle qu’à l’appui de ses allégations le requérant cite le rapport d’une ONG, qui rend compte de la situation sous l’ancien régime libanais et pendant l’occupation par les forces armées syriennes. Rien n’est dit de la situation politique telle qu’elle prévaut actuellement au Liban et rien ne montre que le requérant serait aujourd’hui persécuté par les autorités en raison de son appartenance passée aux Forces libanaises.

4.18Le requérant a également mentionné explicitement à un autre rapport (de 2005) où il est souligné que la torture est toujours un problème au Liban. Toutefois les exemples donnés sont sans rapport avec sa propre situation. Le requérant n’a donné aucun élément montrant que les anciens membres des Forces libanaises sont actuellement maltraités à l’instigation ou avec l’assentiment des autorités libanaises ou par des individus agissant à titre officiel.

4.19En ce qui concerne l’argument selon lequel son implication dans le détournement de fonds exposerait le requérant à des tortures s’il retournait au Liban, l’État partie affirme qu’il n’y a aucune raison de croire qu’il courrait personnellement un risque. Le requérant n’a donné aucun élément montrant que son implication dans le vol est connue au Liban. Des détails de ce méfait ont bien été donnés dans un journal local allemand, qui expliquait que le requérant avait caché de la drogue pour faire arrêter quelqu’un mais son nom complet n’avait jamais été divulgué. L’État partie explique qu’il a passé en revue les journaux allemands et n’a trouvé aucun article mentionnant le nom du requérant.

4.20L’État partie souligne que M. Z est maintenant décédé, et même si le requérant affirme qu’il a parlé, depuis sa mort, à la femme de M. Z, rien ne donne à penser que celle‑ci était au courant de l’affaire de l’argent volé. L’État partie conclut qu’il n’y a pas de raison de croire que l’implication du requérant dans le vol lui ferait courir un plus grand risque d’être soumis à la torture par un agent de l’État, ou à l’instigation ou avec le consentement exprès ou tacite d’un agent de l’État au Liban.

4.21L’État partie ajoute que, même si les autorités ont connaissance de ce vol, les faits sont prescrits et rien n’indique que des poursuites aient été engagées contre le requérant. Au 14 avril 2008, aucun avis d’Interpol n’existait contre lui, ce qui donne à penser que le requérant n’a pas été condamné au Liban et qu’il n’est pas non plus recherché dans le cadre d’une action en justice en cours, pas plus qu’il n’est sous le coup d’un mandat d’arrestation. De plus, en vertu du Code pénal libanais, le délai de prescription pour détournement de fonds ou pour vol est de dix ans.

4.22Le requérant n’a pas non plus montré que les autorités le recherchaient de quelque manière que ce soit. Il a certes indiqué que d’après son ancienne femme, qui se trouvait au Liban en 2003, et d’après sa mère, en octobre 2005 la police avait demandé des renseignements à son sujet mais aucun élément ne vient corroborer cette information. Le requérant lui‑même a pris contact avec le consulat du Liban à Sydney en octobre 2007 pour demander un document de voyage à son nom, à la demande du Gouvernement australien.

4.23L’État partie note que, certes le requérant ne fait pas valoir explicitement qu’il risquerait d’être soumis à la torture par des agents des autorités libanaises en raison de sa participation au massacre de Sabra et Chatila, mais de toute façon rien n’indique qu’il est recherché dans ce contexte. De plus, une loi d’amnistie générale adoptée en 1991 déclare l’amnistie pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis avant le 28 mars 1991 et s’applique au massacre en question. D’après des renseignements recueillis par l’État partie, aucun membre du parti phalangiste ni du parti des Forces libanaises qui aurait participé au massacre n’a jamais été inculpé. Rien n’indique que les autorités au pouvoir aujourd’hui procèdent à la détention de personnes ou torturent ces personnes en raison de leur participation à ce massacre et rien ne montre non plus que le nouveau Gouvernement voudrait incarcérer quiconque pour ce motif.

4.24Même si une opinion «pro‑Israël» pourrait être imputée à quelqu’un du fait de son appartenance présente ou passée aux Forces libanaises, pour les raisons données au sujet de l’appartenance du requérant aux Forces libanaises dans le passé, il ne semble pas qu’il y ait de raisons de croire que le requérant courrait personnellement, actuellement, un risque en raison d’une opinion qui pourrait lui être imputée du fait de son appartenance passée aux Forces libanaises.

4.25L’État partie relève le grief du requérant qui affirme qu’il risquerait de subir un préjudice équivalant à la torture de la part de groupes palestiniens et du Hezbollah en raison de sa participation au massacre de Sabra et Chatila, de sa promotion à des échelons supérieurs du parti par la suite et de ses opinions pro‑israéliennes, et que le Gouvernement libanais n’exerce aucun contrôle sur les actions de ces groupes et serait incapable de le protéger.

4.26L’État partie objecte que cette allégation est incompatible avec les dispositions de la Convention étant donné que les actes dont le requérant affirme qu’il serait victime n’entrent pas dans la définition de la «torture» énoncée à l’article premier de la Convention. Il note que dans l’affaire Elmi c. Australie, le Comité avait considéré que, dans des circonstances exceptionnelles caractérisées par l’absence totale d’une autorité étatique, la définition figurant à l’article premier pouvait s’appliquer aux actes de groupes exerçant une autorité quasi gouvernementale. Trois ans plus tard en revanche, le Comité a conclu, dans l’affaire H. M. H. I. c. Australie que la Somalie possédait désormais une autorité étatique sous la forme d’un Gouvernement national de transition, qui avait des relations avec la communauté internationale, encore que quelques doutes puissent exister quant à l’étendue de son pouvoir territorial et à sa longévité. Dans ce cas précis, la situation exceptionnelle décrite dans l’affaire Elmi ne s’appliquait pas et les actes d’entités non gouvernementales en Somalie étaient en dehors du champ d’application de l’article 3 de la Convention.

4.27De l’avis de l’État partie, en dépit d’une perpétuelle instabilité politique, le Liban a un gouvernement et on ne peut pas dire qu’il manque totalement d’autorité centrale. Par conséquent, l’allégation du requérant qui affirme risquer d’être victime de vengeance et d’être agressé par des groupes palestiniens ou par le Hezbollah n’entre pas dans le champ d’application de la Convention et est donc irrecevable.

4.28Le requérant cite l’évaluation des préoccupations humanitaires et des obligations internationales qui a été faite le 13 février 2006 le concernant et affirme que des personnes qui avaient participé au massacre avaient été assassinées − même ailleurs qu’au Liban − en 2002, mais l’État partie fait remarquer qu’il n’y a aucun élément prouvant la réalité de ces assassinats. Rien ne montre que la participation du requérant au massacre était connue au Liban. Le Tribunal des recours administratifs a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que le requérant ait participé directement au massacre et qu’il n’y avait pas de raison de penser qu’il avait commis un crime de guerre ou un crime contre l’humanité. Le Tribunal a conclu qu’il était plausible qu’il ait été promu après le massacre parce qu’il était palestinien.

4.29L’État partie ajoute que les mouvements d’opposition, Hezbollah compris, cherchent à parvenir à un accord d’unité nationale au Liban. Le Hezbollah et le Mouvement patriotique libre ont émis une déclaration commune le 6 février 2006, disant qu’il fallait «tourner la page et pour obtenir une réconciliation nationale globale, tous les dossiers de la guerre doivent être clos». L’État partie conclut que les craintes du requérant à ce sujet ne sont pas étayées par des éléments montrant que dans la situation actuelle il y aurait des motifs suffisants de croire qu’il serait victime de torture de la part de groupes palestiniens ou du Hezbollah.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note du 4 août 2008, le requérant a affirmé que sa communication initiale contenait des éléments suffisants pour montrer l’existence d’un risque de torture s’il était renvoyé contre son gré au Liban. Il note que l’État partie fait valoir que, alors qu’à l’issue de l’évaluation de l’affaire au regard des considérations humanitaires et des obligations internationales faite en février 2006 il avait été jugé qu’il risquait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Liban, ce risque n’existe plus actuellement. Dans le même temps toutefois l’État partie reconnaît que le Liban est dans une situation d’instabilité perpétuelle.

5.2Le requérant fait valoir que malgré les changements récents survenus au Liban, la situation ne s’est pas améliorée au point de dissiper le risque de torture qu’il court. La torture n’est pas expressément interdite par la loi libanaise. Depuis l’évaluation de l’affaire au regard des considérations humanitaires et des obligations internationales faite en 2006, des rapports ont été reçus montrant que les autorités libanaises continuent de perpétrer des actes de torture. D’après le requérant, des preuves solides montrent que le Liban est toujours instable et que les autorités n’ont pas un contrôle total sur les milices palestiniennes.

5.3Le requérant note que l’État partie objecte qu’il n’y a aucun élément montrant qu’il a détourné des fonds appartenant aux Forces armées libanaises. Or le détournement de fonds avait été l’un des arguments avancés par le Département de l’immigration pour lui refuser un visa de protection.

5.4En ce qui concerne la remarque de l’État partie qui a affirmé qu’il n’y avait pas de preuve montrant qu’il était recherché actuellement au Liban, le requérant fait valoir que qu’il soit ou non recherché, son retour et sa présence au Liban suffiraient à attirer sur lui une attention préjudiciable des autorités et à l’exposer à un risque de torture.

5.5En ce qui concerne sa peur de subir les représailles des milices palestiniennes, le requérant affirme qu’étant donné ses relations avec les autorités libanaises, il existe un risque réel que les autorités ferment les yeux sur les tortures que lui feraient subir des milices palestiniennes; en effet «elles ne feraient rien pour faire cesser des actes de torture perpétrés contre lui» par les milices palestiniennes si «les autorités libanaises en avaient connaissance».

5.6Le requérant conclut que l’objection de l’État partie qui affirme que le Tribunal des recours administratifs a constaté qu’il n’avait pas commis de crime de guerre ou de crimes contre l’humanité est sans rapport avec l’affaire. D’après lui, le seul fait qu’il soit perçu, ou même soupçonné, par des groupes palestiniens comme ayant participé au massacre de Sabra et Chatila serait un motif suffisant pour faire de lui la cible de représailles.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes. Il note que l’État partie reconnaît que les recours internes ont été épuisés et considère donc que la condition fixée au paragraphe 5 b) de l’article 22 est remplie.

6.4L’État partie fait valoir que la communication est en partie irrecevable parce qu’elle est manifestement dénuée de fondement et que certains griefs de l’auteur n’entrent pas dans le champ d’application de la Convention. Le Comité estime toutefois que les éléments apportés par le requérant soulèvent des questions de fond qui doivent être examinées. En conséquence, le Comité déclare la communication recevable.

Examen au fond

7.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant au Liban, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

7.2Pour évaluer le risque de torture, le Comité tient compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État où le requérant serait renvoyé, d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque dans le pays vers lequel il/elle serait renvoyé(e). Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans son pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. De même, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

7.3Le Comité rappelle son Observation générale no 1 sur l’application de l’article 3 de la Convention en vertu de laquelle il est tenu de déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que l’auteur risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé, refoulé ou extradé, l’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable. Le risque ne doit pas nécessairement être hautement probable, mais il doit être personnel et actuel. À ce sujet, dans des décisions antérieures, le Comité a établi que le risque de torture devait être prévisible, réel et personnel.

7.4Sur la question du fardeau de la preuve, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient normalement au requérant de présenter des arguments valables et que le risque de torture doit être évalué en fonction de motifs qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

7.5En l’espèce, le requérant fait valoir qu’il serait soumis à la torture s’il était expulsé vers le Liban en raison de ses activités passées en tant que membre des Forces libanaises/démocrates chrétiens (Phalangistes), de sa participation au massacre de Sabra et Chatila en 1982, du vol d’argent appartenant aux Forces libanaises et de ses opinions pro-israéliennes. L’État partie a réfuté ces allégations en les considérant comme dénuées de fondement et a fait remarquer que les autorités libanaises ne recherchaient pas le requérant. Le Comité note en outre que le requérant n’a apporté aucun élément de preuve concret pour étayer ses allégations. Rien n’indique qu’actuellement les autorités libanaises recherchent le requérant. En ce qui concerne les persécutions ou les tortures possibles qui pourraient lui être infligées par des groupes palestiniens en raison de ses activités passées et de ses opinions pro-israéliennes, le Comité relève qu’ici encore le requérant n’a pas apporté d’éléments suffisants pour étayer ses allégations.

7.6Le Comité a noté que différents rapports cités par les parties reconnaissent que la torture est toujours un problème au Liban. De l’avis du Comité toutefois le requérant n’a pas apporté d’éléments montrant qu’il est personnellement visé par les autorités ou par des groupes palestiniens ou tout autre groupe armé au Liban. Le Comité considère donc que le requérant n’a pas montré qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il est renvoyé au Liban (qui a ratifié la Convention le 5 octobre 2000). Pour ces raisons, le Comité conclut que le renvoi du requérant au Liban ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi par l’État partie du requérant au Liban ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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