Nations Unies

CCPR/C/SLV/CO/6

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

18 novembre 2010

Français

Original: espagnol

Comité des droits de l’homme

Centième session

Genève, 11-29 octobre 2010

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte

Observations finales du Comité des droits de l’homme

El Salvador

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le sixième rapport périodique d’El Salvador (CCPR/C/SLV/6) à ses 2744e et 2745e séances, les 11 et 12 octobre 2010 (CCPR/C/SR.2744 et 2745). À sa 2767e séance, le 27 octobre 2010, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le sixième rapport périodique d’El Salvador qui contient des renseignements sur les mesures adoptées par l’État partie pour promouvoir l’application du Pacte. Il prend aussi note avec satisfaction de l’attitude ouverte et franche de la délégation qui a répondu aux questions posées par les membres du Comité, des réponses écrites détaillées (CCPR/C/SLV/Q/6/Add.1) données à la liste des points à traiter (CCPR/C/SLV/Q/6), et des renseignements complémentaires apportés oralement.

B.Aspects positifs

3.Le Comité accueille avec satisfaction les mesures législatives suivantes adoptées depuis l’examen du rapport périodique précédent:

a)La création, en vertu du décret exécutif no 5 du 18 janvier 2010, de la Commission nationale de recherche des enfants disparus pendant le conflit armé interne;

b)La création, en vertu du décret exécutif no 57 du 5 mai 2010, de la Commission nationale de réparation pour les victimes de violations des droits de l’homme commises pendant le conflit armé interne;

c)L’adoption du décret no 56 du 4 mai 2010, qui contient des dispositions visant à éviter toute forme de discrimination dans l’administration publique au motif de l’identité de genre ou de l’orientation sexuelle;

d)La création, par le décret exécutif no 1 du 1er juin 2009, du Secrétariat à l’insertion sociale de la présidence de la République;

e)La ratification en 2006 de la Convention no 87 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (1948).

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

4.Le Comité note avec préoccupation qu’il n’existe pas dans l’État partie de mécanisme spécifique pour trancher les cas de divergences éventuelles entre la législation interne et les dispositions du Pacte, et qu’il n’existe pas non plus de procédure permettant de vérifier que les projets de loi sont conformes au Pacte (art. 2 du Pacte).

L’État partie devrait adopter des mesures pour rendre sa législation conforme au Pacte. Il devrait faire en sorte que les projets de loi soient conformes au Pacte et veiller à ce que les juges, les procureurs et les avocats puissent recevoir une formation continue sur les dispositions de cet instrument.

5.Bien que l’État partie ait pris des initiatives en ce qui concerne les violations des droits de l’homme commises dans le passé, comme la reconnaissance publique de responsabilité faite par le Président de la République et les hommages à la mémoire dans le cas précis de l’assassinat de Mgr Óscar Romero, le Comité est préoccupé par le fait que de telles mesures ne sont pas suffisantes pour mettre fin à l’impunité dont jouissent les auteurs de ces violations, constituées notamment, d’après la Commission pour la vérité, par des milliers de morts et de disparitions forcées. Le Comité se déclare de nouveau préoccupé par le maintien en vigueur de la loi d’amnistie générale de 1993, qui empêche toute enquête sur ces faits. La chambre constitutionnelle de la Cour suprême a certes donné en 2000 une interprétation restrictive de la loi d’amnistie, mais le Comité note avec inquiétude que ce précédent judiciaire n’a pas abouti dans la pratique à la réouverture des enquêtes sur ces faits graves. En particulier dans le cas de l’assassinat de Mgr Óscar Romero, les enquêtes, classées en 1993, n’ont pas été rouvertes (art. 2, 6 et 7 du Pacte).

Le Comité renouvelle la recommandation qu’il avait faite tendant à ce que la loi d’amnistie soit abrogée ou soit modifiée de façon à être entièrement compatible avec les dispositions du Pacte. L’État partie devrait lancer activement les enquêtes sur toutes les violations des droits de l’homme dont la Commission pour la vérité a établi l’existence, notamment sur l’assassinat de M gr Ó scar Romero. Il devrait veiller à ce que l es enquêtes aboutissent à l’identification des responsables, à ce que ceux-ci soient jugés et soient condamnés à des peines appropriées, à la mesure de la gravité des crimes commis.

6.Bien que le Code pénal ait été modifié en 1998 de façon à exclure la prescription pour un ensemble de faits graves, comme la torture et les disparitions forcées, le Comité est préoccupé de ce que la prescription ait été appliquée dans le cas de violations graves des droits de l’homme commises dans le passé, comme l’assassinat de six prêtres jésuites et de leurs collaborateurs (art. 2, 6 et 7 du Pacte).

Le Comité recommande de nouveau à l’État partie de revoir les dispositions relatives à la prescription de façon à les rendre parfait ement compatibles avec les obligations découlant du Pacte, afin que des enquêtes soient menées sur les violations des droits de l’homme, que les responsables soient traduits en justice et soient condamn és à des peines à la mesure de la gravité des violations commises (voir l’Observation générale n o 31 du Comité, sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, par. 18).

7.Étant donné la gravité et l’ampleur des violations des droits de l’homme dont la Commission pour la vérité a établi l’existence, le Comité est préoccupé de ce que le contenu du Programme national de réparation ne semble pas couvrir suffisamment tous les aspects du droit à une réparation adéquate, et de ce que le Programme ne prévoit pas la participation des victimes à toutes les phases de sa mise en œuvre et ne soit pas non plus doté d’un budget suffisant ni d’un cadre juridique clair pour son fonctionnement (art. 2 du Pacte).

L’État partie devrait inscrire dans le Progra mme national de réparation tou s les éléments permettant de donner effet au droit à réparation, c’est-à-dire assurant une réadaptation, une indemnisation équitable et suffisante, une satisfaction et la non-répétition. Il devrait également faire en sorte que les victimes participent à toutes les phases de la mise en œuvre et de l’évaluation du Programme, affecter expressément un budget et dé finir le cadre juridique permettant au Programme de fonctionner comme il convient .

8.Bien que le rôle de l’Inspection générale de la Police nationale civile ait été renforcé de façon qu’elle puisse surveiller et contrôler les actes des fonctionnaires de la police, et bien que des mesures aient été prises pour assurer une formation continue dans le domaine des droits de l’homme aux élèves de l’École de la sécurité publique, le Comité est toujours préoccupé par le fait que depuis les années 1990 seulement 139 agents de la Police nationale civile responsables de violations des droits de l’homme aient été démis de leurs fonctions et que d’après les chiffres portés à la connaissance du Comité les acquittements soient très supérieurs aux condamnations. Le Comité est également préoccupé par les informations dénonçant le harcèlement sexuel et professionnel que subissent les femmes membres de la police de la part de leurs collègues et supérieurs (art. 2 et 3 du Pacte).

L’État partie devrait enquêter sérieusement sur toutes les violations des droits de l’homme imputées à des membres de la police, en particulier sur les faits de torture et de mauvais traitements, identifier les responsables, les traduire en justice et les sanctionner non seulement par les mesures disciplinaires voulues mais aussi, selon qu’il convient, par des peines proportionnées à la gravité des infractions. Il devrait également garantir le droit des victimes à une réparation, notamment à une indemnisation juste et appropriée. L’État partie devrait en outre mener des enquêtes sur les plainte s pour harcèlement sexuel et professionnel subi par les femmes de la part des fonctionnaires de police et prendre les sanctions voulues. L’État partie devrait dispenser une formation aux droits de l’homme à tous les fonctionnaires de la Police nationale civile.

9.Le Comité exprime sa préoccupation face à la situation des femmes dans l’État partie, la persistance de stéréotypes et de préjugés concernant le rôle de la femme dans la société, les informations indiquant que le nombre d’assassinats de femmes n’a pas diminué, et a même augmenté, pendant la période couverte par le rapport, l’impunité dont jouissent les auteurs de ces crimes, l’absence de données ventilées relatives aux atteintes à la vie et à l’intégrité des femmes, les taux élevés de violence familiale, l’insuffisance de la coordination entre les organismes publics chargés de prévenir les actes de violence familiale et le fait que les femmes demeurent sous-représentées dans l’administration publique et dans les fonctions électives (art. 3, 6, 7 et 25 du Pacte).

L’État partie devrait concevoir et mettre en œuvre des programmes destinés à éliminer les stéréotypes sexuels de la société. Il devrait garantir le droit des femmes victimes de violence d’avoir accès à la justice et d ’obtenir réparation, notamment sous la forme d’une indemnisation juste et adéquate. L’État partie devrait également enquêter sur les actes de violence contre les femmes en u sant de tous les moyens à sa disposition, et en particulier élucider les cas d’assassinats de femmes, identifier les responsables, les traduire en justice et les condamner à des peines appropriées, et mettre en place un système statistique adéquat qui permette de recueillir des données ventilées relatives à la violence à l’égard des femmes. L’État partie devrait en outre renforcer la coordination entre les organismes chargés de prévenir et de punir les actes de v iolence familiale afin que leur action soit plus efficace . Il devrait enfin veiller à ce que les responsables soient identifiés, traduits en justice et dûment sanctionnés, et adopter des mesures spécialement destinées à continuer d’accroître la participation des femmes dans l’administration publique et aux fonctions électives.

10.Le Comité exprime son inquiétude face à l’existence dans le Code pénal de dispositions criminalisant toutes les formes d’avortement, compte tenu des graves répercussions des avortements illégaux sur la vie, la santé et le bien-être des femmes. Le Comité demeure préoccupé par le fait que les femmes qui s’étaient rendues dans des hôpitaux publics pour avorter ont été dénoncées aux autorités judiciaires par le personnel médical et que les procédures judiciaires engagées contre certaines d’entre elles ont parfois abouti à l’imposition de lourdes peines pour avortement, voire pour homicide, les juges ayant une interprétation très large de cette infraction. Bien que la chambre constitutionnelle de la Cour suprême ait considéré qu’en cas de nécessité impérieuse, une femme faisant l’objet d’une procédure pénale pour avortement pouvait être exonérée de sa responsabilité pénale, le Comité est préoccupé par le fait que ce précédent judiciaire n’ait pas été suivi par d’autres juges et n’ait jamais entraîné l’abandon des poursuites pénales engagées contre des femmes accusées d’avortement (art. 3 et 6 du Pacte).

Le Comité recommande une nouvelle fois à l’État partie de revoir sa législation relative à l’avortement pour la rendre compatible avec les dispositions du Pacte. L’État partie devrait prendre des mesures pour empêcher que les femmes qui se rendent dans un hôpital public pour avorte r ne soient dénoncées par le personnel médical ou administratif. Dans l’attente d’une modification de la législation en vigueur, l’État partie devrait mettre fin à la criminalisation des femmes qui ont recours à l’avortement . L’État partie devrait entamer un dialogue nati onal sur le droit des femmes à la santé sexuelle et procréative.

11.Le Comité exprime sa préoccupation quant à la situation du travail domestique des femmes et des filles dans l’État partie, qui affecte principalement les rurales, les autochtones et celles qui sont particulièrement vulnérables. Le Comité est inquiet de ce que les employées domestiques soient soumises à des conditions de travail particulièrement rigoureuses, se caractérisant notamment par un nombre d’heures de travail excessif et une rémunération insuffisante, voire inexistante (art. 3 et 26 du Pacte).

L’État partie devrait adopter des mesures efficaces pour remédier au traitement discriminatoire que subissent les employées domestiques, notamment en matière de conditions de travail.

12.Le Comité se déclare préoccupé par le taux élevé d’abandon scolaire dans l’État partie, principalement chez les filles rurales (art. 2, 3 et 24 du Pacte).

L’État partie devrait prendre toutes l es mesures voulues pour améliorer la persévérance scolaire à tous les niveaux de l’enseignement, en particulier parmi les filles rurales.

13.Le Comité est préoccupé par la situation de la traite des personnes, qui affecte principalement les femmes, par le fait que seul une infime minorité de cas a donné lieu à des enquêtes, des jugements et des condamnations et par le nombre limité de centres d’accueil pour les victimes de la traite (art. 3, 7 et 8 du Pacte).

L’État partie devrait enquêter efficacement sur le phénomène de la traite des personnes, identifier les responsables, les traduire en justice et leur imposer des peines proportionnées à la gravité de l’infraction commise. Il devrait assurer la protection des droits des victimes de la traite, notamment en veillant à ce qu’il existe un nombre suffisant de centres d’accueil pour ces personnes. Il devrait également recueillir des statistiques fiables afin de pouvoir combattre ce fléau avec efficacité.

14.Le Comité s’inquiète de ce que la garde à vue puisse durer jusqu’à soixante-douze heures et être prolongée d’autant sur décision judiciaire (art. 9 du Pacte).

L’État partie devrait envisager de revoir la législation relative à la garde à vue de façon à la rendre compatible avec les dispositions du Pacte , afin que la durée de la garde à vue ne dépasse pas quarante-huit heures et qu’elle ne puisse en aucun cas être prolongée une fois que l’intéressé a été présenté à un juge .

15. Le Comité s’inquiète aussi de ce que la durée de la détention provisoire puisse, dans certaines circonstances, atteindre vingt-quatre mois (art. 9 du Pacte).

Les circonstances dans lesquelles la détention provisoire peut être prolongée devraient être interprétées de manière restrictive de sorte qu’il ne soit recouru à la détention provisoire qu’à titre exceptionnel.

16.Bien que l’État partie ait adopté une politique de sécurité citoyenne qui met l’accent non seulement sur la répression des infractions, mais aussi sur la prévention de la criminalité et la réinsertion sociale des personnes qui ont enfreint la loi pénale, le Comité demeure préoccupé par le grand nombre de personnes privées de liberté dans les établissements pénitentiaires de l’État partie, dont les capacités d’accueil sont dépassées, et par le fait qu’une proportion importante de ces détenus n’ont fait l’objet d’aucune condamnation (art. 7, 9 et 10 du Pacte).

L’État partie devrait continuer d’adopter des mesures de substitution à la détention provisoire afin d’éliminer rapidement le problème de la surpopulation dans les prisons.

17.Le Comité se déclare préoccupé par la situation des étrangers qui font l’objet de procédures d’expulsion dans l’État partie, notamment en ce qui concerne les possibilités concrètes qu’ils ont d’être entendus, de bénéficier d’une défense adéquate et de faire réexaminer leur cas par une autorité compétente (art. 13 du Pacte).

L’État partie devrait garantir aux personnes qui font l’ob j et d’une procédure d’expulsion l’exercice effectif de leur droit d’être entendues, de bénéficier d’une défense adéquate et de demander le réexamen de leur cas par une autorité compétente .

18.Le Comité s’inquiète de la situation de marginalisation dans laquelle ont vécu les différents peuples autochtones dans l’État partie, de l’absence de reconnaissance pleine et entière de ces peuples, du fait qu’ils n’ont pas été pris en compte statistiquement lors du recensement de 2007, de l’absence de mesures spéciales visant à promouvoir la réalisation de leurs droits en tant que peuples et de l’absence de mesures de protection des langues ou dialectes autochtones.

L’État partie devrait promouvoir la reconnaissance pleine et entière de tous les peuples autochtones et envisager de ratifier la Convention n o 169 de l’O IT relative aux peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants (1989) ; après consultation et avec le consentement libre et informé de tous les peuples autochtones , prévoir pour le prochain recensement de population des questions en vue de l’identification de ce s peuples , concevoir et mettre en œuvre des politiques publiques pour progresser dans la réalisation effective de leurs droits et adopter des mesures spéciales pour remédier à la situation de marginalisation qu’ils ont connue. Après consultation avec tous les peuples autochtones, l’État partie devrait également adopter des mesures pour redonner de la vitalité à leurs langues et à leurs cultures.

19.L’État partie devrait diffuser le texte de son sixième rapport périodique, de ses réponses écrites à la liste de points à traiter établie par le Comité et des présentes observations finales auprès des organes judiciaires, législatifs et administratifs, de la société civile et des organisations non gouvernementales, ainsi qu’auprès du grand public.

20.Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait faire parvenir au Comité, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 5, 10, 14 et 15.

21.Le Comité demande à l’État partie de faire figurer dans son septième rapport périodique, qui devra lui parvenir au plus tard le 1er juillet 2014, des renseignements spécifiques et à jour sur toutes ses recommandations et sur l’application du Pacte en général. Il lui recommande également d’associer la société civile et les organisations non gouvernementales actives sur son territoire à l’élaboration de son septième rapport périodique.