Nations Unies

CMW/C/GC/2

Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille

Distr. générale

28 août 2013

Français

Original: anglais

Comit é pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille

Observation générale no 2 sur les droitsdes travailleurs migrants en situationirrégulière et des membres de leur famille

Table des matières

Paragraphes Page

I.Introduction1−53

II.Cadre normatif de la protection des droits des travailleurs migrantsen situation irrégulière et des membres de leur famille6−124

A.Troisième partie de la Convention 64

B.Autres instruments juridiques internationaux7−124

III.Protection conférée par la Convention en ce qui concerne les droitsdes travailleurs migrants et des membres de leur familleen situation irrégulière13−796

A.Principes fondamentaux13−176

1.Pouvoir de réglementer l’entrée et le séjour sur le territoire 137

2.Obligation de se conformer aux lois et règlements147

3.Régularisation15−167

4.Coopération internationale (sixième partie)177

B.Non-discrimination (deuxième partie)18−208

C.Protection des droits civils et politiques (troisième partie)21−599

1.Protection contre la violence21−229

2.Protection contre l’arrestation et la détention arbitraires23−359

3.Protection contre les traitements inhumains36−4812

4.Protection dans le cadre des procédures d’expulsion49−5915

D.Protection des droits économiques, sociaux et culturels(troisième partie)60−7917

1.Protection contre l’exploitation par le travail60−6617

2.Droit à la sécurité sociale67−7119

3.Droit de recevoir des soins médicaux d’urgence72−7421

4.Droit à l’éducation 75−7922

I.Introduction

Certaines sources internationales estiment qu’entre 10 et 15 % des migrants internationaux dans le monde sont en situation irrégulière − même si, de par la nature même de la migration irrégulière, il est difficile d’obtenir des données fiables sur l’ampleur de ce phénomène. Si les économies des pays en développement ne peuvent absorber les grands nombres de jeunes hommes et, de plus en plus, de jeunes femmes cherchant un emploi, dans les pays développés le déclin démographique et le vieillissement de la population ont entraîné une diminution de la main‑d’œuvre, et de nombreux secteurs de l’économie y ont ainsi besoin de travailleurs migrants peu et moyennement qualifiés. Or, cette augmentation de la demande ne s’est pas accompagnée d’une augmentation correspondante des migrations régulières. Les employeurs ont donc souvent recours à des travailleurs migrants en situation irrégulière pour combler ce manque.

Afin de dissuader les travailleurs migrants et les membres de leur famille d’entrer sur leur territoire ou d’y demeurer sans être en règle, les États ont de plus en plus recours à des mesures répressives, telles que la criminalisation de la migration irrégulière, la rétention administrative et l’expulsion. La criminalisation de la migration irrégulière encourage et renforce l’opinion selon laquelle les travailleurs migrants et les membres de leur famille en situation irrégulière sont des hors-la-loi, des personnes de seconde classe ou encore des concurrents déloyaux sur le marché de l’emploi et pour l’obtention d’avantages sociaux, ce qui alimente les discours publics hostiles à l’immigration ainsi que la discrimination et la xénophobie. En outre, les travailleurs migrants et les membres de leur famille en situation irrégulière vivent généralement dans la crainte d’être dénoncés aux services de l’immigration par les prestataires de services publics ou d’autres fonctionnaires, ou par des personnes privées, ce qui limite leur possibilité de jouir de leurs droits fondamentaux ainsi que leur accès à la justice, et les rend plus vulnérables à diverses formes d’exploitation et d’abus en matière de travail et autres.

L’expression «travailleurs migrants en situation irrégulière» est définie à l’article 5 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, qui dispose que les travailleurs migrants et les membres de leur famille sont considérés comme dépourvus de documents ou en situation irrégulière s’ils ne sont pas autorisés à entrer, séjourner et exercer une activité rémunérée dans l’État d’emploi conformément à la législation dudit État et aux accords internationaux auxquels il est partie.

Le Comité est d’avis que les expressions «en situation irrégulière» ou «sans papiers» constituent la terminologie appropriée pour désigner ce statut. L’emploi du terme «illégal» pour qualifier les travailleurs migrants en situation irrégulière n’est pas approprié et doit être évité car il tend à stigmatiser les migrants en les associant à la criminalité.

Les travailleurs migrants peuvent se trouver en situation irrégulière parce qu’ils sont entrés dans l’État d’emploi sans autorisation et ne sont donc pas autorisés à y séjourner, y résider ou y travailler, ou parce qu’ils sont demeurés dans cet État après l’expiration de leur visa, ou encore parce qu’ils ne respectent pas les conditions de leur autorisation de séjour. Les migrants en situation régulière peuvent aussi perdre leur statut sans aucune faute de leur part, en raison d’une maladie ou d’autres circonstances imprévues qui les affectent eux-mêmes ou les membres de leur famille. Le Comité souligne que, quelles que soient les modalités du séjour, un travailleur migrant ne peut jamais être privé, en raison de l’irrégularité de sa situation, des droits fondamentaux que lui confère la troisième partie de la Convention.

II.Cadre normatif de la protection des droits des travailleurs migrants en situation irrégulière et des membresde leur famille

A.Troisième partie de la Convention

La troisième partie de la Convention (art. 8 à 35) protège les droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, y compris ceux qui sont en situation irrégulière. La majorité des droits protégés par cette troisième partie sont également énoncés dans toute une série de traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Parmi les droits civils et politiques protégés par la troisième partie, le droit des travailleurs migrants à la liberté et à la sécurité de leur personne (art. 16) et le droit des travailleurs migrants privés de leur liberté d’être traités avec humanité (art. 17) ont été adaptés à la situation de ce groupe de titulaires de droits. Parmi les droits propres aux travailleurs migrants qui ne sont pas expressément protégés par d’autres traités relatifs aux droits de l’homme figurent notamment la protection contre la confiscation ou la destruction non autorisée de leurs documents personnels (art. 21), les garanties procédurales spécifiques en matière d’expulsion (art. 22) et le droit d’avoir recours à la protection et à l’assistance des autorités consulaires et diplomatiques (art. 23). Parmi les droits économiques, sociaux et culturels de tous les travailleurs migrants, le droit au respect de leur identité culturelle (art. 31) et le droit de transférer leurs gains et leurs économies à l’expiration de leur séjour dans l’État d’emploi (art. 32) sont propres à la Convention. En outre, la troisième partie reconnaît à tous les travailleurs migrants et aux membres de leur famille le droit d’être informés (art. 33) et leur impose de se conformer aux lois et règlements de tout État de transit et de l’État d’emploi (art. 34).

B.Autres instruments juridiques internationaux

Le Comité rappelle que la Convention ne prévoit qu’un niveau minimal de protection. L’article 81 (par. 1) précise que rien n’empêche un État partie d’accorder aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille, y compris ceux en situation irrégulière, des droits et libertés plus larges que ceux énoncés dans la Convention, en vertu de son droit ou de sa pratique ou de tout traité bilatéral ou multilatéral auquel il aurait souscrit. Le Comité est d’avis que les États parties doivent interpréter les obligations découlant de la Convention au regard des principaux traités relatifs aux droits de l’homme et autres instruments internationaux pertinents auxquels ils sont parties. Bien que distincts et autonomes, ces traités sont complémentaires et se renforcent mutuellement.

Les droits garantis aux migrants en situation irrégulière par d’autres traités internationaux relatifs aux droits de l’homme ont souvent une portée plus large que ceux qui sont énoncés dans la troisième partie de la Convention. Ces traités prévoient également des droits supplémentaires. Les droits garantis par ces traités s’appliquent à tous les individus, y compris les migrants et autres non-nationaux, sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, y compris la situation au regard de la législation relative à l’immigration.

Par exemple, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques offre une plus grande protection en ce qui concerne le droit de réunion pacifique, le droit de se marier librement et de bénéficier de l’égalité de droits et de responsabilités des époux, le droit des mineurs à une protection spéciale, le droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi, ainsi que les droits des minorités. En outre, d’autres droits énoncés dans le Pacte s’appliquent à tous les travailleurs migrants, que leur situation soit régulière ou irrégulière, comme le droit de former des associations et des syndicats et le droit à la protection de la famille, alors que la Convention fait une distinction entre les travailleurs migrants en situation régulière et ceux qui sont en situation irrégulière. Le Pacte comme la Convention reconnaissent aux migrants le droit de circuler librement et de choisir librement leur lieu de résidence, pour autant qu’ils se trouvent légalement sur le territoire d’un État partie.

De même, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, garantit un plus vaste éventail de droits, dont le droit de grève, le droit de se marier librement, le droit à la protection de la maternité, le droit des enfants et des adolescents à une protection spéciale, le droit à un niveau de vie suffisant, y compris la nourriture et le vêtement, et certains droits culturels. La Convention ne reconnaît ces droits qu’aux travailleurs migrants en situation régulière. Le Pacte reconnaît en outre le droit au travail, le droit à l’orientation et la formation professionnelles, le droit de former des syndicats, le droit à la protection de la famille, le droit au logement et le droit de participer à la vie culturelle. La Convention ne les reconnaît qu’aux travailleurs migrants en situation régulière et aux membres de leur famille. En outre, la plupart des droits économiques, sociaux et culturels énoncés dans la troisième partie de la Convention ont une portée plus restreinte que leurs équivalents énoncés dans le Pacte.

Traités régionaux relatifs aux droits de l’homme

Les traités régionaux relatifs aux droits de l’homme protègent tous les migrants contre le refoulement et l’expulsion collective. Toutefois, les garanties procédurales en matière d’expulsion individuelle énoncées dans ces traités régionaux s’appliquent uniquement aux migrants qui se trouvent légalement sur le territoire d’un État partie. Les droits protégés par la Charte sociale européenne s’appliquent aux étrangers «dans la mesure où ils sont des ressortissants des autres Parties résidant légalement ou travaillant régulièrement sur le territoire de la Partie intéressée», et aux travailleurs migrants et à leur famille «se trouvant légalement sur [le] territoire» des Parties. Il ressort toutefois des avis exprimés par le Comité européen des droits sociaux que la Charte sociale européenne s’applique également aux catégories vulnérables d’enfants migrants sans papiers. En outre, le droit à l’éducation est garanti à tous les enfants migrants, indépendamment de leur situation au regard de la législation relative à l’immigration, dans tous les systèmes régionaux de protection des droits de l’homme.

Organisation internationale du Travail

Les normes internationales du travail adoptées par la Conférence internationale du Travail de l’Organisation internationale du Travail (OIT) s’appliquent aux travailleurs migrants, y compris ceux en situation irrégulière, sauf mention contraire. Les principes et droits fondamentaux au travail énoncés dans les huit Conventions fondamentales de l’OIT s’appliquent à tous les travailleurs migrants, indépendamment de leur nationalité et de leur situation au regard de la législation relative à l’immigration. Conformément à la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail (1998), et à sa procédure de suivi, tous les États membres sont tenus de promouvoir et réaliser les principes concernant les droits fondamentaux consacrés dans ces conventions. Un certain nombre d’autres normes de l’OIT, d’application générale ou énonçant des dispositions particulières aux travailleurs migrants, relatives à l’emploi, l’inspection du travail, la sécurité sociale, la protection des salaires, et la sécurité et la santé au travail, ainsi qu’aux secteurs tels que l’agriculture, la construction, l’hôtellerie et la restauration, et les emplois de domestique, revêtent une importance particulière pour les travailleurs migrants en situation irrégulière. Enfin, les États sont également guidés, dans la formulation de leurs lois et politiques en matière de migration de main-d’œuvre et de protection des travailleurs migrants en situation irrégulière, par les Conventions de l’OIT (no 97) concernant les travailleurs migrants (révisée), 1949, et (no 143) sur les migrations dans des conditions abusives et sur la promotion de l’égalité de chances et de traitement des travailleurs migrants (dispositions complémentaires), 1975, et par les Recommandations nos 86 et 151 qui les accompagnent.

III.Protection conférée par la Convention en ce qui concerne les droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille en situation irrégulière

A.Principes fondamentaux

1.Pouvoir de réglementer l’entrée et le séjour sur le territoire

La Convention établit un équilibre entre, d’une part, le pouvoir souverain des États parties de contrôler leurs frontières et de réglementer l’entrée et le séjour sur leur territoire des travailleurs migrants et des membres de leur famille et, d’autre part, la protection, prévue dans sa troisième partie, des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, y compris ceux qui sont en situation irrégulière. L’article 79 de la Convention traduit cet équilibre.

2.Obligation de se conformer aux lois et règlements

L’article 34 de la Convention dispose qu’aucune disposition de la troisième partie n’a pour effet de dispenser les travailleurs migrants et les membres de leur famille de l’obligation de se conformer aux lois et règlements de tout État de transit ou de l’État d’emploi, ni de l’obligation de respecter l’identité culturelle des habitants de ces États. L’obligation de se conformer aux lois et règlements de tout État de transit ou de l’État d’emploi implique l’obligation de s’abstenir de tout acte qui porterait atteinte dans ces États à la sécurité nationale, à l’ordre public ou aux droits et libertés d’autrui.

3.Régularisation

L’article 35 de la Convention précise que si la troisième partie protège les droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille quelle que soit leur situation au regard de la législation relative à l’immigration, ses dispositions ne sauraient être interprétées comme impliquant la régularisation de ceux qui sont en situation irrégulière, ni comme un droit quelconque à une telle régularisation. Les États parties ne sont donc certes pas tenus de régulariser la situation des intéressés mais, lorsque des travailleurs migrants ou des membres de leur famille se trouvent sur leur territoire en situation irrégulière, ils doivent prendre des mesures appropriées pour que cette situation ne se prolonge pas (art. 69, par. 1). Les États parties doivent par conséquent envisager la possibilité de régulariser la situation de ces personnes au cas par cas, conformément aux dispositions de la législation nationale et aux accords bilatéraux ou multilatéraux applicables, en tenant compte des circonstances de leur entrée, de la durée de leur séjour et d’autres considérations pertinentes, en particulier celles qui ont trait à leur situation familiale (art. 69, par. 2). Lorsque les États parties prennent des mesures législatives pour régulariser les travailleurs migrants, ils doivent veiller à ce que tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille en situation irrégulière aient accès, sans aucune discrimination, aux procédures de régularisation, et s’assurer que ces procédures ne sont pas appliquées d’une manière arbitraire (art. 7 et 69).

Le Comité rappelle que la régularisation est le moyen le plus efficace de remédier à l’extrême vulnérabilité des travailleurs migrants et des membres de leur famille en situation irrégulière. Les États parties devraient donc envisager des mesures, y compris des programmes de régularisation, pour régler la situation des travailleurs migrants et des membres de leur famille qui sont ou risquent de devenir clandestins ainsi que pour prévenir de telles situations (art. 69, par. 1).

4.Coopération internationale (sixième partie)

Les États parties doivent coopérer en vue de promouvoir des conditions saines, équitables, dignes et légales en ce qui concerne les migrations internationales (art. 64, par. 1). Des politiques coordonnées garantissant aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille un accès à des voies régulières de migration, compte tenu des besoins réels ou prévus − à tous les niveaux de compétence − et des ressources en main-d’œuvre active (art. 64, par. 2), sont un élément important de cette coopération. En ouvrant des voies régulières aux migrations, les États parties contribuent aussi à prévenir et à éliminer les mouvements et l’emploi illégaux ou clandestins de travailleurs migrants en situation irrégulière (art. 68).

B.Non-discrimination (deuxième partie)

Le principe de non-discrimination est au cœur de tous les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et de la Charte des Nations Unies. L’article 7 de la Convention indique expressément que la nationalité ne peut être un motif de discrimination. Les organes conventionnels considèrent également que l’interdiction de la discrimination s’applique aussi aux non-ressortissants, comme les travailleurs migrants, indépendamment de leur statut juridique ou de leurs titres d’identité. Les droits énoncés dans la troisième partie de la Convention s’appliquent aussi à tous les travailleurs migrants et aux membres de leur famille, y compris ceux en situation irrégulière. Par conséquent, toute différence de traitement fondée sur la nationalité ou la situation au regard de la législation relative à l’immigration constitue une discrimination, sauf si cette différenciation est justifiée par des motifs prévus par la loi, si elle sert un but légitime au titre de la Convention, et si elle est nécessaire dans les circonstances de l’espèce et proportionnée au but légitime poursuivi.

L’article 7 oblige les États parties «à respecter et à garantir» à tous les travailleurs migrants et aux membres de leur famille les droits reconnus dans la Convention, sans aucune discrimination. Il n’énonce pas de droits autonomes. Son application est limitée, s’agissant des travailleurs migrants et des membres de leur famille en situation irrégulière, aux droits qui sont protégés dans la Convention, et en particulier dans la troisième partie. L’article 7 s’applique à la fois à la discrimination de jure et de facto. À cet égard, la discrimination de jure est celle qui existe dans la législation, et la discrimination de facto, celle qui existe dans les faits ou qui a des effets même si elle n’est pas formellement ou juridiquement reconnue. Les États parties sont tenus de veiller à ce que leurs lois, leurs règlements et leurs pratiques administratives n’opèrent aucune discrimination à l’égard des travailleurs migrants et des membres de leur famille. Le Comité est d’avis que remédier à la discrimination de jure ne suffit pas à garantir l’égalité de facto. Par conséquent, les États parties doivent protéger pour tous les travailleurs migrants les droits garantis par la Convention, en adoptant des mesures positives afin de prévenir, de réduire et d’éliminer les situations et les comportements qui génèrent ou perpétuent une discrimination de facto à leur égard.

L’article 7 interdit toute discrimination directe ou indirecte à l’égard des travailleurs migrants. Selon la jurisprudence d’autres mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme, il y a discrimination indirecte à l’égard des travailleurs migrants lorsqu’une loi, une politique ou une pratique apparemment neutre a une incidence disproportionnée sur leurs droits. Par exemple, exiger des certificats de naissance pour scolariser leurs enfants peut toucher de manière disproportionnée les travailleurs migrants en situation irrégulière, qui souvent ne possèdent pas de tels certificats ou n’ont pu les obtenir.

C.Protection des droits civils et politiques (troisième partie)

1.Protection contre la violence

Les travailleurs migrants en situation irrégulière, en particulier les femmes, courent un risque accru d’être soumis, tant par des acteurs privés, notamment les employeurs, que par des agents de l’État, à des mauvais traitements et d’autres formes de violence telles que les violences sexuelles, les coups, les menaces, la violence psychologique ou la privation de soins médicaux, par exemple. En application du paragraphe 2 de l’article 16, les États parties ont l’obligation de protéger tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille contre la violence, les dommages corporels, les menaces et intimidations, que ce soit de la part de fonctionnaires ou de particuliers, de groupes ou d’institutions. Cette obligation exige des États parties:

a)Qu’ils adoptent et appliquent une législation interdisant de tels actes;

b)Qu’ils ouvrent des enquêtes effectives en cas d’abus ou de violences;

c)Qu’ils en poursuivent les auteurs et leur infligent des peines appropriées;

d)Qu’ils assurent une réparation adéquate aux victimes et aux membres de leur famille;

e)Qu’ils forment les fonctionnaires aux droits de l’homme; et

f)Qu’ils supervisent efficacement le comportement des agents de l’État et réglementent celui des entités privées en vue de prévenir de tels actes.

Les États parties sont également tenus de prendre des mesures efficaces pour lutter contre toutes les manifestations de racisme, de xénophobie et d’intolérance contre les travailleurs migrants et les membres de leur famille, en particulier ceux en situation irrégulière, telles que les crimes motivés par la haine, l’incitation à la haine et les discours haineux, y compris de la part des politiciens et des médias, ainsi que pour sensibiliser le public au caractère criminel de tels actes et promouvoir le respect des droits de l’homme des travailleurs migrants.

2.Protection contre l’arrestation et la détention arbitraires

L’article 16 de la Convention protège le droit des travailleurs migrants et des membres de leur famille à la liberté et à la sécurité de leur personne (par. 1), et dispose que toute vérification de l’identité des travailleurs migrants doit être effectuée conformément à la procédure prévue par la loi (par. 3). Le paragraphe 4 de l’article 16 complète le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en prévoyant en outre que les travailleurs migrants et les membres de leur famille ne peuvent faire l’objet, «individuellement ou collectivement», d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Pour ne pas être arbitraire, l’arrestation ou la détention de travailleurs migrants ou de membres de leur famille, y compris s’ils sont en situation irrégulière, doit être prévue par la loi, servir un but légitime au titre de la Convention, et être nécessaire dans les circonstances de l’espèce et proportionnée au but légitime poursuivi.

Le Comité est d’avis que le fait de franchir la frontière d’un pays sans y être autorisé ou sans être en possession des documents nécessaires, ou de demeurer dans un pays après l’expiration d’un permis de séjour ne constitue pas une infraction. Incriminer l’entrée irrégulière dans un pays va au-delà de l’intérêt légitime des États parties de contrôler et réglementer l’immigration clandestine, et conduit à des détentions inutiles. Si l’entrée et le séjour irréguliers peuvent constituer des infractions administratives, il ne s’agit pas en soi d’atteintes aux personnes, aux biens ou à la sécurité nationale.

Même s’il ne définit pas les motifs autorisant le placement en détention, le paragraphe 4 de l’article 16 dispose que les travailleurs migrants et les membres de leur famille ne peuvent être privés de leur liberté que pour des motifs prévus par la loi et conformément à une procédure légale. En outre, la détention doit servir un but légitime au titre de la Convention et être nécessaire dans les circonstances de l’espèce et proportionnée au but légitime poursuivi.

De l’avis du Comité, toute mesure restreignant le droit à la liberté, qu’elle prévoie ou non un placement en détention, doit être exceptionnelle et toujours fondée sur une évaluation détaillée et individualisée. Il convient d’examiner la nécessité et la pertinence de toute restriction de la liberté, et notamment de vérifier si elle est proportionnée à l’objectif poursuivi. S’il doit y avoir rétention administrative, le principe de proportionnalité impose de n’y avoir recours qu’en dernier ressort et les États parties doivent donner la préférence à des mesures moins coercitives, en particulier des mesures non privatives de liberté, lorsque de telles mesures suffisent à réaliser le but poursuivi. Il convient toujours d’appliquer la mesure la moins intrusive et la moins restrictive possible en fonction de chaque cas.

Une rétention administrative initialement légale et non arbitraire peut devenir arbitraire si elle se poursuit au-delà de la période pour laquelle l’État partie concerné peut la justifier de manière appropriée. Pour éviter qu’une telle situation ne se produise, la loi doit donc prévoir une durée maximale, à l’expiration de laquelle le détenu doit être automatiquement remis en liberté à défaut de justification appropriée. En outre, la rétention administrative ne peut en aucun cas être d’une durée illimitée ou excessive. La raison justifiant le maintien d’un travailleur migrant en détention doit être réexaminée périodiquement, car une détention qui se prolongerait sans justification deviendrait arbitraire. Il est fréquent que la détention préventive de travailleurs migrants soit prolongée en fonction de critères vagues. Une telle détention ne devrait donc être ordonnée qu’après évaluation individuelle de chaque cas et pour la durée la plus brève possible, dans le respect de toutes les garanties procédurales prévues à l’article 16 de la Convention. Lorsqu’un arrêté d’expulsion ne peut être exécuté pour des raisons indépendantes de la volonté du travailleur migrant détenu, l’intéressé doit être remis en liberté afin d’éviter une détention qui risque d’être indéfinie.

Le paragraphe 5 de l’article 16 oblige les États parties à informer les travailleurs migrants et les membres de leur famille qui sont arrêtés des raisons de cette mesure «au moment de leur arrestation» et «si possible dans une langue qu’ils comprennent». Ils doivent de plus les informer «sans tarder» et «dans une langue qu’ils comprennent» des accusations retenues contre eux. Pour s’acquitter de cette obligation, les États parties devraient envisager d’élaborer des formulaires de notification normalisés, contenant notamment des informations sur les recours disponibles, dans les langues les plus fréquemment utilisées ou comprises par les travailleurs migrants en situation irrégulière sur leur territoire. Ces formulaires devraient cependant venir en complément de l’émission d’un mandat dans lequel doivent figurer des données factuelles et les fondements juridiques de l’arrestation.

Le paragraphe 6 de l’article 16 garantit aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille placés en garde en vue ou en détention préventive certains droits qui sont applicables à toute personne soupçonnée d’une infraction.

Le paragraphe 7 de l’article 16 dispose que les travailleurs migrants privés de leur liberté ont le droit de communiquer avec les autorités consulaires ou diplomatiques de leur État d’origine ou d’un État représentant les intérêts de cet État. Il oblige également les États parties à:

a)Informer sans délai lesdites autorités de l’arrestation ou du placement en détention du travailleur migrant concerné, si celui-ci le demande;

b)Faciliter les communications entre l’intéressé et lesdites autorités;

c)Informer sans délai l’intéressé de ce droit et des droits que lui confèrent le cas échéant d’autres traités applicables; et

d)Faciliter les communications et les entretiens avec des représentants desdites autorités, notamment en vue de prendre avec eux des dispositions pour la représentation juridique de l’intéressé.

Pour permettre aux travailleurs migrants détenus d’exercer effectivement les droits prévus à l’alinéa c ci-dessus, les États parties doivent leur fournir les informations pertinentes sans délai, c’est-à-dire lors de l’admission des intéressés dans l’établissement où ils seront privés de liberté ou peu après celle-ci, et de préférence dans une langue qu’ils comprennent. S’agissant de l’alinéa a ci-dessus, le Comité souligne que l’État de la détention ne doit informer les autorités concernées que si le travailleur migrant détenu le demande expressément. En particulier, le placement en détention de travailleurs migrants pouvant avoir besoin d’être protégés ne doit pas être porté à l’attention desdites autorités à l’insu des intéressés et sans leur consentement.

Le paragraphe 8 de l’article 16 dispose que les travailleurs migrants et les membres de leur famille qui se trouvent privés de leur liberté par arrestation ou détention ont le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de leur détention. Si le tribunal juge que la détention est illégale, il doit ordonner la remise en liberté du travailleur migrant détenu. Le Comité considère que le placement en détention automatique des travailleurs migrants et des membres de leur famille en situation irrégulière est incompatible avec le paragraphe 8 de l’article 16 si le recours ouvert ne permet d’obtenir qu’une évaluation formelle de la régularité de l’entrée du travailleur migrant concerné sur le territoire de l’État partie, sans possibilité de remise en liberté si la détention est contraire au paragraphe 4 de l’article 16.

Le Comité est d’avis que toute personne arrêtée et détenue uniquement à des fins de contrôle de sa situation au regard de la législation relative à l’immigration devrait être aussitôt traduite devant un juge ou un autre fonctionnaire habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires pour contrôler la légalité de l’arrestation ou de la détention ainsi que la nécessité de maintenir cette mesure, et ordonner le cas échéant une libération inconditionnelle ou des mesures moins coercitives. La nécessité du maintien en détention et la légalité de cette mesure devraient être réexaminées à intervalles réguliers par un juge ou un autre fonctionnaire habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires. La charge de la preuve doit reposer sur les autorités détentrices, à qui il incombe de démontrer pourquoi l’intéressé ne devrait pas être laissé en liberté. Le travailleur migrant doit avoir accès à une représentation juridique et à des conseils, gratuitement si nécessaire, pour contester la légalité de sa détention. Les enfants, et en particulier les enfants non accompagnés ou séparés, ne devraient jamais être détenus uniquement pour des raisons liées à l’immigration.

Le paragraphe 8 de l’article 16 de la Convention dispose que les travailleurs migrants qui assistent aux audiences ont droit, en cas de besoin, à l’assistance gratuite d’un interprète s’ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue utilisée. De l’avis du Comité, les États parties devraient prendre des mesures efficaces pour garantir que tous les travailleurs migrants placés en centre de rétention, y compris ceux qui optent pour le rapatriement volontaire, soient dûment informés de leurs droits dans une langue qu’ils comprennent, en particulier de leur droit de demander l’assistance consulaire, de contester la légalité de leur détention ou à défaut d’être libérés, et de déposer une demande d’asile, et qu’ils soient informés également des mesures de protection offertes aux victimes et aux témoins dans les affaires de traite des personnes.

Le paragraphe 9 de l’article 16 dispose que les travailleurs migrants et les membres de leur famille victimes d’arrestation ou de détention illégales ont droit à réparation. Ce droit n’est pas subordonné à une violation de l’article 16. Il suffit que l’arrestation ou la détention soit jugée illégale au regard du droit interne ou du droit international. Les États parties doivent veiller à ce que le droit à réparation puisse être effectivement exercé devant l’autorité nationale compétente. Ils doivent également veiller à ce que les travailleurs migrants et les membres de leur famille ne soient pas expulsés tant que leur demande est à l’examen.

3.Protection contre les traitements inhumains

Conformément au paragraphe 1 de l’article 17 de la Convention, les États parties ont l’obligation de veiller à ce que les travailleurs migrants et les membres de leur famille qui sont privés de leur liberté soient traités avec humanité, ainsi qu’avec le respect de leur identité culturelle et de la dignité inhérente à la personne humaine. Afin de respecter la dignité inhérente à la personne humaine des travailleurs migrants et des membres de leur famille privés de liberté, les États parties doivent faire en sorte que les conditions de vie dans les centres de détention pour migrants soient convenables et conformes aux normes internationales applicables. Cela signifie notamment que les migrants doivent disposer d’installations sanitaires adéquates, y compris pour se baigner et se doucher, recevoir une nourriture appropriée (y compris pour ceux qui suivent un régime alimentaire religieux) et de l’eau potable, et avoir la possibilité de communiquer avec des proches ou des amis, de consulter des professionnels de la santé qualifiés, et de pratiquer leur religion, entre autres. Les États parties sont également tenus de veiller à ce que les travailleurs migrants et les membres de leur famille ne subissent aucune forme de traitement inhumain, notamment de violences sexuelles ou physiques, de la part de gardiens ou d’autres détenus. Ils doivent par conséquent:

a)Assurer une formation aux responsables de la surveillance et autres personnels;

b)Autoriser une inspection indépendante et régulière des lieux qui accueillent ou peuvent accueillir des travailleurs migrants privés de leur liberté;

c)Veiller à ce que les travailleurs migrants privés de leur liberté aient accès à des mécanismes de plainte indépendants et efficaces, comprenant les services d’un avocat et d’un interprète;

d)Enquêter sur tout acte de torture ou d’autres formes de mauvais traitements dénoncé dans les lieux accueillant des travailleurs migrants et des membres de leur famille privés de leur liberté; et

e)Traduire les responsables de tels actes en justice.

Le paragraphe 2 de l’article 17 dispose que les travailleurs migrants et les membres de leur famille qui sont inculpés d’une infraction doivent être détenus séparément des condamnés et soumis à un régime approprié à leur condition de personnes non condamnées. En outre, les jeunes prévenus doivent être séparés des adultes et il doit être décidé de leur cas aussi rapidement que possible.

Le paragraphe 3 de l’article 17 souligne le caractère non punitif de la rétention administrative. Il dispose que les travailleurs migrants et les membres de leur famille qui sont détenus du chef d’une infraction à la législation relative à l’immigration doivent être séparés, dans la mesure du possible, des condamnés ou des prévenus. Étant donné que cette forme de détention peut avoir une durée prolongée, les migrants qui font l’objet d’une telle mesure devraient être placés dans des locaux spéciaux, conçus à cet effet. En outre, les travailleurs migrants et les membres de leur famille ne devraient pas être soumis à des restrictions ou à des règles plus sévères que celles qui sont nécessaires pour préserver l’ordre et la sécurité. Le Comité est d’avis que les États parties devraient chercher des formes de substitution à la rétention administrative et n’avoir recours à celle-ci qu’en dernier ressort.

Le Comité est d’avis que la rétention administrative des travailleurs migrants devrait, en règle générale, avoir lieu dans un établissement public. La détention de migrants dans des établissements à gestion privée pose des difficultés particulières du point de vue de la surveillance. Les États parties ne peuvent se soustraire à leurs obligations en matière de droits de l’homme en sous-traitant à des entreprises privées la détention de personnes. S’ils le font, ils doivent veiller à ce que les droits des travailleurs migrants détenus, tels qu’énoncés à l’article 17 de la Convention, soient respectés. Ils doivent aussi s’assurer que le personnel des centres de détention soit formé aux droits de l’homme et sensibilisé aux différences culturelles ainsi qu’aux particularités propres à l’âge et au sexe.

Le paragraphe 4 de l’article 17 rappelle le but essentiel de la justice pénale, qui est l’amendement et la réinsertion sociale des délinquants. Les jeunes délinquants doivent être séparés des adultes et soumis à un régime approprié à leur âge et à leur statut légal, et conforme aux Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté.

Le paragraphe 5 de l’article 17 garantit aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille qui sont détenus ou emprisonnés les mêmes droits que les nationaux en ce qui concerne les visites de leurs proches. Si la législation d’un État partie prévoit des droits de visite particuliers au profit des nationaux privés de liberté, par exemple un contact direct avec les membres de leur famille, elle doit accorder les mêmes droits aux travailleurs migrants qui sont détenus ou emprisonnés, y compris ceux en situation irrégulière. Les États parties doivent aussi éliminer toute discrimination dont les travailleurs migrants détenus pourraient faire l’objet dans la pratique, en levant les obstacles concrets susceptibles de les empêcher de jouir du droit de visite sur un pied d’égalité, par exemple le fait que la détention s’effectue dans un endroit éloigné et d’accès difficile pour leurs proches.

Le paragraphe 6 de l’article 17 exige des États parties qu’ils accordent une attention particulière aux problèmes que la privation de liberté d’un travailleur migrant peut entraîner pour les membres de sa famille, en particulier pour le conjoint et les enfants mineurs. Le Comité est d’avis que les États parties devraient chercher des formes de substitution à la rétention administrative, car celle-ci a souvent des conséquences néfastes, à la fois économiques et psychologiques, pour le conjoint et les enfants.

Le paragraphe 7 de l’article 17 énonce une clause de non-discrimination expresse en ce qu’il dispose que les travailleurs migrants et les membres de leur famille détenus ou emprisonnés jouissent des mêmes droits que les nationaux de l’État d’emploi ou de transit qui se trouvent dans la même situation. Cette disposition a pour effet de faire bénéficier les travailleurs migrants détenus de garanties procédurales supplémentaires en sus de celles déjà prévues à l’article 17, comme le droit de communiquer avec l’extérieur, y compris par téléphone, de consulter des professionnels de la santé, et d’avoir accès à l’éducation, si les nationaux de l’État partie qui se trouvent dans la même situation en bénéficient également.

Cette disposition soulève également la question de la rétention familiale. D’une façon générale, les enfants et les familles avec enfants ne devraient pas être placés en détention, et les États parties devraient toujours privilégier d’autres solutions pour cette catégorie de personnes. Lorsque la rétention familiale ne peut être évitée, il faut garder à l’esprit que le placement en détention d’un enfant doit «n’être qu’une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible», conformément à l’article 37 b) de la Convention relative aux droits de l’enfant. En outre, comme énoncé au paragraphe 1 de l’article 3 de ce même instrument, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans toutes les mesures qui concernent des enfants. Et en application de l’article 37, les États parties doivent veiller à ce que tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d’une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. Ils doivent donc faire en sorte que la détention s’effectue dans des locaux adaptés aux enfants, où ceux-ci puissent avoir accès à des services éducatifs et à des installations de jeux ou de loisirs, ou dans des locaux spécialement adaptés aux familles lorsque l’enfant est détenu avec ses parents. Un enfant ne doit pas être séparé de ses parents contre son gré, à moins que cette séparation ne soit nécessaire dans son intérêt supérieur (art. 9, par. 1, de la Convention relative aux droits de l’enfant). Les mineurs non accompagnés devraient se voir attribuer un tuteur légal, chargé de s’occuper d’eux en dehors du centre de détention.

Les États parties doivent également tenir compte de la situation particulière des travailleuses migrantes en détention. Ils doivent loger les hommes et les femmes séparément, proposer des services de soins de santé adaptés à chaque sexe, et répondre aux besoins particuliers des femmes enceintes, allaitantes et accompagnées de jeunes enfants. Ils devraient éviter de placer en détention les travailleuses migrantes qui sont en fin de grossesse ou qui allaitent. Les Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok) contiennent des directives utiles concernant ce type de situations.

La détention peut avoir un effet particulièrement préjudiciable sur certaines catégories vulnérables de travailleurs migrants et de membres de leur famille, en affectant leur santé physique et mentale. Tel peut être le cas par exemple des victimes de la torture, des personnes âgées qui sont seules, des personnes handicapées et des personnes vivant avec le VIH/sida. Des mesures spéciales devraient être prises pour protéger les personnes vulnérables qui sont privées de leur liberté, notamment pour leur assurer un accès adéquat à des services médicaux, des traitements et des services de conseil. En outre, les travailleurs migrants ou les membres de leur famille qui ont un handicap devraient bénéficier d’«aménagements raisonnables» de façon à donner effet à leur droit de jouir de leurs droits de l’homme et de leurs libertés fondamentales sur un pied d’égalité.

Pour ce qui est du paragraphe 8 de l’article 17, le Comité considère que la détention «dans le but de vérifier s’il y a eu une infraction aux dispositions relatives aux migrations» correspond à toute la durée de la rétention administrative et que, par conséquent, les travailleurs migrants et les membres de leur famille qui se trouvent dans cette situation ne doivent supporter aucun des frais qui en résultent.

Sachant que les travailleurs migrants privés de liberté sont particulièrement vulnérables de par leur situation et l’incertitude qui en découle, le Comité est convaincu de l’importance que revêt une surveillance indépendante dans la prévention de la torture et d’autres formes de mauvais traitements ou d’abus. Les institutions nationales des droits de l’homme, les acteurs concernés de la société civile, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le Comité international de la Croix-Rouge et le Haut‑Commissariat aux droits de l’homme devraient avoir largement accès à tous les lieux où des migrants sont ou peuvent être détenus.

4.Protection dans le cadre des procédures d’expulsion

L’article 22 de la Convention interdit les expulsions collectives et prévoit, dans le cas des expulsions individuelles, des garanties procédurales qui s’appliquent aussi bien aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille en situation régulière qu’à ceux qui sont en situation irrégulière. Même si l’article 22 ne vise que la procédure d’expulsion et non les motifs de fond de la décision en soi, il a pour objet d’empêcher les expulsions arbitraires et d’assurer une protection sur le fond dans certaines situations. Il s’applique à toute procédure dont l’objectif est l’éloignement obligatoire d’un travailleur migrant, qu’elle soit appelée «expulsion» ou autrement dans le droit interne.

Protection de fond contre l’expulsion: le non-refoulement

Le principe de non-refoulement, consacré dans les instruments internationaux et régionaux de protection des droits de l’homme et dans la législation relative aux réfugiés, est l’interdiction de renvoyer une personne de force, de quelque manière que ce soit, vers un pays ou un territoire où cette personne courrait un risque réel d’être victime de persécution ou de graves violences ou atteintes aux droits de l’homme. De l’avis du Comité, cela comprend le risque d’être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, y compris le fait d’être détenu dans des conditions inhumaines et dégradantes et l’impossibilité de recevoir des soins médicaux nécessaires dans le pays de retour, ainsi que le risque d’atteinte au droit à la vie (art. 9 et 10 de la Convention). Le principe de non-refoulement s’applique aussi lorsqu’une personne ne serait pas protégée contre un refoulement subséquent. Le Comité est également d’avis que les migrants et les membres de leur famille devraient être protégés dans les cas où l’expulsion constituerait une immixtion arbitraire dans leur vie privée et leur famille. Les migrants et les membres de leur famille en situation irrégulière qui ont besoin d’une protection internationale devraient eux aussi être protégés contre l’expulsion.

Interdiction des expulsions collectives

Le paragraphe 1 de l’article 22 de la Convention interdit expressément les expulsions collectives et exige que chaque cas d’expulsion soit examiné et tranché sur une base individuelle. Les États parties sont tenus de veiller à ce que leurs procédures d’expulsion prévoient suffisamment de garanties pour que la situation personnelle de chaque travailleur migrant soit réellement et individuellement prise en considération. Cette obligation s’applique à tous les espaces sur lesquels un État partie exerce effectivement sa juridiction, y compris les navires en haute mer.

Garanties procédurales dans les procédures d’expulsion individuelles

Le paragraphe 2 de l’article 22 vise à prévenir les expulsions arbitraires en n’autorisant que les expulsions effectuées «en application d’une décision prise par l’autorité compétente conformément à la loi». Le paragraphe 3 de l’article 22 dispose que la décision d’expulsion doit être notifiée au travailleur migrant concerné dans une langue que celui-ci comprend, et par écrit s’il en fait la demande parce que ce n’est pas systématique; de plus, sauf circonstances exceptionnelles justifiées par la sécurité nationale, la décision doit être dûment motivée. Ces droits sont importants pour garantir une procédure régulière, en ce qu’ils permettent aux travailleurs migrants de préparer leurs arguments contre la décision les concernant. Le droit des intéressés d’être informés de ces droits avant que la décision soit prise, ou au plus tard au moment où elle est prise, a le même objectif.

Le droit de toute personne de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétente (art. 22, par. 4) comprend le droit de demander la suspension de la décision d’expulsion jusqu’à ce que celle-ci soit examinée. Une suspension de la décision n’emporte pas une régularisation de la situation du requérant pendant la procédure, mais elle empêche l’État partie de l’expulser tant qu’une décision finale confirmant l’expulsion n’a pas été rendue. Conformément à l’article 83 de la Convention, les États parties sont tenus de garantir un recours utile, y compris sous la forme d’un examen de l’affaire par l’autorité compétente, aux migrants et aux membres de leur famille dont les droits et libertés reconnus dans la Convention ont été violés. Le Comité fait observer que les migrants et les membres de leur famille doivent disposer du temps et des moyens suffisants pour exercer un tel recours contre une décision d’expulsion, de sorte qu’il soit véritablement donné effet à leur droit de faire examiner leur cas. Lesdits moyens devraient comprendre les services gratuits d’un avocat et d’un interprète si nécessaire, lorsque les circonstances de l’espèce l’exigent. Idéalement, l’autorité compétente qui examine la décision d’expulsion devrait être un tribunal. Le droit d’exercer un recours contre une décision d’expulsion qui est prévu au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention ne peut être restreint que pour «des raisons impératives de sécurité nationale».

Le paragraphe 5 de l’article 22 dispose que si une décision d’expulsion déjà exécutée est par la suite annulée la personne concernée a le droit de demander réparation conformément à la loi. L’État expulsant doit veiller à ce que l’intéressé ait la possibilité de faire valoir sa demande de réparation de l’étranger, par exemple en nommant un représentant légal. En outre, l’État expulsant ne peut invoquer la décision antérieure (annulée) pour refuser à l’intéressé le droit d’entrer de nouveau sur son territoire.

Le paragraphe 6 de l’article 22 dispose que toute personne qui fait l’objet d’une décision d’expulsion doit avoir une possibilité raisonnable, avant ou après son départ, de se faire verser tous salaires ou autres prestations qui lui sont éventuellement dus et de régler toute obligation en suspens. Cette disposition fait pendant au paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention (no 143) de l’OIT sur les migrations dans des conditions abusives et sur la promotion de l’égalité de chances et de traitement des travailleurs migrants (dispositions complémentaires), 1975. La possibilité de faire valoir ses droits et se faire verser tous salaires ou autres prestations doit être effective dans la pratique. Il est souvent difficile pour les travailleurs migrants de faire valoir leurs droits dans l’État d’emploi une fois qu’ils sont revenus dans leur État d’origine, notamment en raison du coût élevé des procédures judiciaires ou des difficultés qu’ils rencontrent pour produire des preuves. C’est pourquoi les États parties devraient, chaque fois que cela est possible, accorder aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille un délai raisonnable avant de les expulser, afin qu’ils puissent demander le versement des salaires et autres prestations qui pourraient leur être dus. Les États parties devraient aussi envisager d’instituer des procédures accélérées ou assorties de délais stricts pour le traitement des demandes de ce type présentées par des travailleurs migrants. Ils devraient de plus conclure des accords bilatéraux aux fins de permettre aux travailleurs migrants qui rentrent dans leur pays d’origine d’avoir accès à la justice dans l’État d’emploi pour déposer des plaintes lorsqu’ils ont été victimes d’abus ou pour réclamer les salaires et prestations qui ne leur ont pas été versés.

Le paragraphe 7 de l’article 22 dispose que les travailleurs migrants et les membres de leur famille qui font l’objet d’une décision d’expulsion peuvent demander à être admis dans un État autre que leur État d’origine, sans préjudice de l’exécution de la décision d’expulsion. L’exercice de ce droit de choisir conféré aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille est subordonné au consentement de l’État tiers.

Le paragraphe 8 de l’article 22 dispose que les travailleurs migrants et les membres de leur famille ne sont pas tenus de prendre à leur charge les frais de leur expulsion. L’État expulsant peut les astreindre à payer leurs frais de voyage, mais il ne peut exiger qu’ils paient les frais de la procédure judiciaire ayant abouti à leur expulsion ni ceux de leur rétention administrative (voir aussi art. 17, par. 8). Le Comité fait toutefois observer que les travailleurs migrants qui se trouvent en situation irrégulière sans que cela soit de leur fait, par exemple parce qu’ils ont été licenciés avant la fin de leur contrat ou parce que leur employeur n’a pas accompli les formalités nécessaires, ne devraient pas avoir à supporter les frais de leur expulsion, ni même les frais de voyage.

Le paragraphe 9 de l’article 22 complète le paragraphe 6 du même article ainsi que le paragraphe 3 de l’article 25, en ce qu’il dispose que l’expulsion des travailleurs migrants et des membres de leur famille ne devrait porter atteinte à aucun droit acquis, tel que le droit de percevoir des salaires et «autres prestations», y compris de bénéficier des prestations de sécurité sociale ou de se voir rembourser les cotisations versées à ce titre. Les États parties devraient par conséquent veiller à ce que les travailleurs migrants et les membres de leur famille puissent être informés du montant des prestations de sécurité sociale qui leur sont dues avant leur expulsion.

Protection consulaire

L’article 23 de la Convention dispose que les travailleurs migrants et les membres de leur famille faisant l’objet d’une décision d’expulsion doivent être informés promptement de leur droit d’avoir recours à la protection et à l’assistance des autorités consulaires ou diplomatiques de leur État d’origine. Il exige aussi des autorités de l’État expulsant qu’elles facilitent l’exercice de ce droit. L’État expulsant doit donc informer sans délai l’intéressé de ce droit, c’est-à-dire au moment où la décision d’expulsion lui est notifiée ou peu après, et de préférence dans une langue qu’il comprend. L’État expulsant doit aussi faciliter les communications avec les autorités consulaires ou diplomatiques de l’État d’origine de l’intéressé.

D.Protection des droits économiques, sociaux et culturels(troisième partie)

1.Protection contre l’exploitation par le travail

Protection contre le travail forcé et obligatoire et le travail des enfants

L’article 11 de la Convention exige des États parties qu’ils prennent des mesures efficaces contre toutes les formes de travail forcé ou obligatoire, y compris les pratiques telles que la servitude pour dettes, la rétention du passeport ou l’enfermement illégal, par exemple. L’article 21 les oblige à veiller à ce que les employeurs et les recruteurs ne confisquent pas ni ne détruisent les documents de voyage ou d’identité des travailleurs migrants. Les États parties devraient dispenser la formation voulue au personnel des forces de l’ordre et veiller à ce que les activités professionnelles majoritairement exercées par des travailleurs migrants, notamment les femmes, comme les emplois domestiques ou certaines formes d’industries du spectacle, soient protégées par le droit du travail et soumises à inspection.

Le paragraphe 1 b) de l’article 25 de la Convention dispose que les lois et règlements relatifs à l’âge minimum d’emploi s’appliquent également aux enfants migrants. Cet âge minimum ne doit pas être inférieur à 15 ans, conformément à l’article 2 de la Convention (no 138) de l’OIT concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi, 1973. De plus, en application de l’article 11 de la Convention, les États parties sont tenus de protéger les enfants migrants qui travaillent contre toute forme d’esclavage ou de prostitution et toute forme de travail susceptible de nuire à leur éducation, leur sécurité, leur moralité et leur santé, comme le fait de travailler pendant de longues heures d’affilée. Les États parties doivent protéger les enfants migrants qui travaillent contre les violences et faire respecter leurs droits à l’éducation, aux loisirs et à la santé au travail.

Égalité de traitement

Le paragraphe 1 de l’article 25 dispose que les travailleurs migrants, quelle que soit leur situation, sont traités comme les nationaux de l’État d’emploi en matière de rémunération et d’autres conditions de travail et d’emploi. Si les États parties peuvent refuser l’accès à leur marché du travail aux travailleurs migrants qui n’ont pas de permis de travail, une fois que la relation d’emploi est créée et jusqu’à ce qu’elle ait pris fin, tous les travailleurs migrants, y compris ceux qui sont en situation irrégulière, ont droit aux mêmes conditions de travail et d’emploi que les autres travailleurs. Les conditions de travail et d’emploi énumérées aux alinéas a et b, respectivement, du paragraphe 1 de l’article 25 constituent des exemples non exhaustifs. Le principe de l’égalité de traitement s’applique aussi à toute autre question assimilée à une condition de travail ou d’emploi dans la législation et les usages de l’État d’emploi, par exemple les dispositions relatives à la protection de la maternité.

Les États parties devraient exiger des employeurs qu’ils indiquent expressément, dans des contrats équitables, signés librement et en pleine connaissance de cause, les conditions d’emploi des travailleurs migrants, y compris lorsque ceux-ci sont en situation irrégulière, dans une langue qu’ils comprennent, en précisant les tâches, les horaires, la rémunération, les jours de repos et les autres conditions de travail. Les États parties devraient prendre des mesures efficaces contre les pratiques telles que le non-paiement des salaires, l’ajournement du paiement jusqu’au départ, le virement des salaires sur des comptes auxquels les travailleurs migrants n’ont pas accès, ou le paiement aux travailleurs migrants, en particulier ceux en situation irrégulière, de salaires inférieurs à ceux versés aux nationaux. Ils devraient aussi multiplier les inspections des lieux où des travailleurs migrants sont habituellement employés et donner pour instruction aux inspecteurs du travail de ne pas communiquer aux services de l’immigration des informations sur la régularité de la situation des travailleurs migrants, car leur fonction principale est d’assurer l’application des dispositions légales relatives aux conditions de travail et à la protection des travailleurs dans l’exercice de leurs activités, conformément au paragraphe 1 a) de l’article 3 de la Convention (no 81) de l’OIT concernant l’inspection du travail dans l’industrie et le commerce, 1947.

Effet horizontal et respect de l’égalité des droits en matière d’emploi

L’article 25 garantit aux travailleurs migrants l’égalité de traitement avec les nationaux en matière de rémunération et d’autres conditions de travail et d’emploi, et précise que ce droit s’applique également dans le cas des contrats de travail privés, quelle que soit la situation du travailleur migrant. Le paragraphe 3 de cet article dispose que l’irrégularité de la situation d’un travailleur migrant en matière de séjour ou d’emploi ne dispense pas l’employeur de ses obligations légales ou contractuelles et ne restreint pas non plus, d’aucune manière, la portée de ces obligations. Les États parties doivent prévoir des sanctions appropriées contre les employeurs qui dérogent au principe de l’égalité de traitement dans le cadre de contrats de travail privés conclus avec des travailleurs migrants en situation irrégulière, et veiller à ce que ces travailleurs puissent avoir accès aux tribunaux du travail ou à d’autres voies de recours judiciaires lorsqu’ils ont été atteints dans leurs droits, sans avoir à craindre d’être expulsés (art. 83). Le Comité estime que pour donner effet à cette disposition les États parties doivent également mettre en place un système de surveillance effective des lieux de travail, en particulier dans les secteurs connus pour employer des travailleurs migrants en situation irrégulière.

Droit d’adhérer à des syndicats

Le droit de s’organiser et de mener des négociations collectives est essentiel pour que les travailleurs migrants puissent exprimer leurs besoins et défendre leurs droits, en particulier par l’intermédiaire de syndicats. L’article 26 de la Convention protège le droit de tous les travailleurs migrants d’adhérer à des syndicats ou à d’autres associations protégeant leurs intérêts, mais ne leur reconnaît pas le droit d’en créer. Toutefois, lue conjointement avec d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, cette disposition peut imposer des obligations plus larges aux États qui sont également parties à ces autres instruments. Par exemple, l’article 2 de la Convention (no 87) de l’OIT concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et le paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques s’appliquent tous deux aux travailleurs migrants en situation irrégulière. L’article 26 protège aussi le droit des travailleurs migrants de participer aux réunions et activités des syndicats et toutes autres associations établies conformément à la loi, et de leur demander aide et assistance. Les États parties doivent veiller à ce que la jouissance de ces droits, y compris le droit de négociation collective, encourage les travailleurs migrants à s’organiser, quelle que soit leur situation au regard de la législation relative à l’immigration, et fournir à ces derniers des informations sur les associations susceptibles de leur prêter assistance.

En ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 26, le Comité relève que les mêmes restrictions sont prévues au paragraphe 1 a) de l’article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il renvoie à la jurisprudence des organes conventionnels concernés pour ce qui est de déterminer quelles restrictions sont permissibles au sens du paragraphe 2 de l’article 26 de la Convention.

2.Droit à la sécurité sociale

Au sujet de la sécurité sociale, le paragraphe 1 de l’article 27 de la Convention prévoit que tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille ont droit à l’égalité de traitement avec les nationaux de l’État d’emploi, pour autant qu’ils remplissent les conditions requises par la législation de cet État et par les traités bilatéraux ou multilatéraux applicables. Dès lors qu’un État partie a adopté une loi prévoyant le versement d’une prestation sociale, que celle-ci soit subordonnée ou non au paiement préalable de cotisations, il ne peut exclure arbitrairement du bénéfice de cette prestation le travailleur migrant qui remplit les conditions prévues par ladite loi, ni limiter son accès à la prestation, car l’interdiction de la discrimination s’applique également au droit à la sécurité sociale. Par conséquent, toute distinction fondée sur la nationalité ou la situation au regard de la législation relative à l’immigration doit être justifiée par des motifs prévus par la loi, servir un but légitime au titre de la Convention, être nécessaire dans les circonstances de l’espèce et proportionnée au but légitime poursuivi. Les États parties jouissent d’une certaine latitude pour apprécier quelles différences justifient − et dans quelle mesure − un traitement différent dans des situations par ailleurs similaires, mais ils doivent néanmoins expliquer en quoi cette différence de traitement, fondée exclusivement sur la nationalité ou la situation au regard de la législation relative à l’immigration, est compatible avec les articles 7 et 27.

Le paragraphe 1 de l’article 27 dispose que le droit des travailleurs migrants à la sécurité sociale est fonction des traités bilatéraux ou multilatéraux applicables, et que les autorités compétentes de l’État d’origine et de l’État d’emploi peuvent à tout moment prendre les mesures nécessaires pour déterminer les modalités d’application de cette prestation. Ainsi qu’il est recommandé dans le Cadre multilatéral de l’OIT pour les migrations de main-d’œuvre, les États parties devraient envisager de conclure des accords bilatéraux, régionaux ou multilatéraux de sorte que les travailleurs migrants, y compris, le cas échéant, ceux qui sont en situation irrégulière, puissent bénéficier d’une couverture et de prestations de sécurité sociale ainsi que de la transférabilité de leurs droits à cet égard. Toutefois, on ne saurait inférer du paragraphe 1 de l’article 27 que les travailleurs migrants sont privés des avantages auxquels ils auraient normalement droit en vertu de la législation applicable dans l’État d’emploi au simple motif que celui-ci n’a pas signé d’accord de réciprocité avec leur pays d’origine.

Le paragraphe 2 de l’article 27 dispose que si la législation applicable prive les travailleurs migrants et les membres de leur famille d’une prestation, l’État partie concerné examine «la possibilité» de rembourser aux intéressés les montants des cotisations qu’ils ont versées au titre de cette prestation, sur la base de l’égalité de traitement avec les nationaux. À cet égard, les États parties doivent donner des raisons objectives chaque fois qu’ils jugent qu’un tel remboursement de cotisations est impossible. La décision de ne pas rembourser les cotisations versées par un travailleur migrant ou un membre de sa famille serait discriminatoire si elle était motivée par la nationalité de l’intéressé ou par sa situation au regard de la législation relative à l’immigration. Le Comité considère en outre que les droits d’un travailleur migrant aux prestations de sécurité sociale ne devraient pas être altérés par un changement de lieu de travail.

L’emploi du terme «cotisations» au paragraphe 2 de l’article 27 n’implique pas que l’expression «sécurité sociale» utilisée au paragraphe 1 du même article ne vise que les régimes contributifs. Une interprétation aussi restreinte serait incompatible avec l’article 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui inclut «les assurances sociales» dans la «sécurité sociale». Rappelant que l’article 9 du Pacte s’applique à tous les travailleurs migrants, quels que soient les papiers qu’ils possèdent ou leur situation au regard de la loi, le Comité considère que la «sécurité sociale» visée à l’article 27 de la Convention couvre également les régimes non contributifs de prestations sociales existants, et que les travailleurs migrants en situation irrégulière doivent pouvoir bénéficier de ces prestations sans discrimination aucune, dans la mesure où elles sont prévues par la législation applicable dans l’État partie concerné.

Le Comité est d’avis que dans les cas de pauvreté et de vulnérabilité extrêmes les États parties devraient assurer une assistance sociale d’urgence aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille en situation irrégulière, y compris des services d’urgence pour les handicapés, aussi longtemps que nécessaire. Il rappelle que, même si de nombreux travailleurs migrants en situation irrégulière ne cotisent pas aux régimes contributifs, ils contribuent au financement des programmes et régimes de protection sociale en payant des impôts indirects.

3.Droit de recevoir des soins médicaux d’urgence

L’article 28 de la Convention dispose que les travailleurs migrants et les membres de leur famille ont le droit de recevoir tous les soins médicaux qui sont nécessaires d’urgence pour préserver leur vie ou éviter un dommage irréparable à leur santé, sur la base de l’égalité de traitement avec les nationaux. Cependant, lu conjointement avec d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, l’article 28 peut imposer des obligations plus larges aux États qui sont également parties à ces autres instruments. L’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels reconnaît à toute personne le droit de jouir du meilleur état de santé susceptible d’être atteint. Par conséquent, les États parties sont tenus de veiller à ce que toute personne, indépendamment de sa situation au regard de la législation relative à l’immigration, ait effectivement accès à des prestations minimales en matière de soins de santé, sans aucune discrimination. Pour le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, cela comprend l’accès aux soins de santé primaires ainsi qu’aux services de soins prophylactiques, thérapeutiques et palliatifs. Le Comité des droits de l’enfant considère quant à lui que tout enfant migrant a le même droit que les enfants qui sont des nationaux de bénéficier de services médicaux, ainsi qu’il est garanti à l’article 24 de la Convention relative aux droits de l’enfant. À cette fin, les États parties doivent veiller notamment à ce que tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille aient accès aux médicaments essentiels et que les enfants migrants soient vaccinés contre les principales maladies infectieuses. Ils doivent aussi donner aux femmes migrantes la possibilité de bénéficier d’un suivi médical adéquat avant et après l’accouchement, de consulter des professionnels de la santé de la procréation et de recevoir des soins obstétriques d’urgence.

Le Comité considère que l’accès aux soins médicaux d’urgence doit être garanti à tous les travailleurs migrants sur la base de l’égalité de traitement avec les nationaux et, partant, sans discrimination aucune. Bien que les soins médicaux n’aient pas à être nécessairement gratuits, l’égalité de traitement exige que les règles appliquées aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille en ce qui concerne le paiement ou l’exonération des frais médicaux soient les mêmes que celles appliquées aux nationaux. Les États parties devraient faire en sorte qu’il soit interdit de facturer des frais excessifs aux travailleurs migrants en situation irrégulière ou d’exiger le paiement immédiat ou la preuve du paiement avant la prestation des services. Aucune personne ne devrait jamais se voir refuser des soins médicaux d’urgence au motif qu’elle ne peut pas les payer. Les États parties devraient aussi veiller à ce que les travailleurs migrants et les membres de leur famille reçoivent des informations sur leurs droits en matière de santé et sur les services médicaux disponibles. Ils devraient en outre dispenser une formation aux médecins et autres professionnels de la santé de sorte que ceux-ci tiennent compte des spécificités culturelles de leurs patients qui sont des travailleurs migrants.

L’article 28 interdit de refuser des soins médicaux aux travailleurs migrants en raison d’une quelconque irrégularité en matière de séjour ou d’emploi. Par conséquent, les États parties ne devraient pas utiliser les services de santé comme un instrument de contrôle de l’immigration, ce qui aurait pour effet de dissuader les travailleurs migrants en situation irrégulière de s’adresser aux établissements de santé publics de crainte d’être expulsés. C’est pourquoi les États parties ne doivent pas exiger de ces établissements qu’ils informent les services de l’immigration de la situation de leurs patients au regard de la législation relative à l’immigration, ou qu’ils échangent avec ces services des informations à ce sujet, et les professionnels de la santé ne devraient pas non plus être tenus de le faire. En outre, les États parties ne doivent pas effectuer des opérations de contrôle de l’immigration dans les centres médicaux ou à proximité de ceux-ci, car cela aurait pour effet de restreindre l’accès des travailleurs migrants et des membres de leur famille à ces établissements.

4.Droit à l’éducation

L’article 30 de la Convention protège «le droit fondamental d’accès à l’éducation» de tous les enfants de travailleurs migrants «sur la base de l’égalité de traitement» avec les nationaux de l’État concerné. Il dispose également qu’un enfant ne peut se voir refuser ou limiter l’accès aux établissements préscolaires ou scolaires publics en raison de sa situation − ou celle de ses parents − au regard de la législation relative à l’immigration. Le Comité est d’avis que, conformément à l’article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les États parties doivent garantir l’accès à l’enseignement primaire gratuit et obligatoire à tous les enfants, y compris ceux des travailleurs migrants et indépendamment de leur situation au regard de la législation relative à l’immigration. Les États parties ont par conséquent l’obligation d’éliminer tous les frais directement liés à la scolarisation, comme les frais de scolarité, et d’atténuer l’incidence que peuvent avoir les frais indirects, comme les dépenses en fournitures scolaires et en uniformes. L’accès des enfants de travailleurs migrants à l’enseignement secondaire doit lui aussi être garanti sur la base de l’égalité de traitement avec les nationaux. C’est pourquoi, dès lors que les enfants qui sont des nationaux ont accès à un enseignement secondaire gratuit, les États parties doivent faire en sorte qu’il en soit de même pour les enfants de travailleurs migrants, quelle que soit leur situation au regard de la législation relative à l’immigration. De même, lorsque les États parties offrent différentes formes d’enseignement secondaire, y compris professionnel, ils devraient les rendre accessibles aux enfants de travailleurs migrants. Le même principe s’applique à l’enseignement préscolaire gratuit et aux systèmes de bourses. C’est pourquoi, dès lors que les enfants qui sont des nationaux ont accès à un enseignement préscolaire gratuit ou à des systèmes de bourses, les États parties doivent faire en sorte qu’il en soit de même pour les enfants de travailleurs migrants, quelle que soit leur situation au regard de la législation relative à l’immigration.

Le Comité relève que les enfants migrants peuvent être la cible de formes multiples de discrimination en raison de leur race, de leur origine ethnique, de leur sexe ou d’un handicap, par exemple. Le principe de l’égalité de traitement exige des États parties qu’ils éliminent toute discrimination à l’égard des enfants migrants dans leurs systèmes éducatifs. Les États parties doivent donc éviter toute ségrégation scolaire et ne pas appliquer des normes de traitement différentes aux enfants de travailleurs migrants, et éliminer toute forme de discrimination à leur égard à l’école. Ils doivent aussi s’assurer que des programmes, des politiques et des mécanismes efficaces sont mis en place pour prévenir toute discrimination envers ces enfants dans le domaine de l’éducation.

Le Comité est également d’avis que, pour garantir l’accès à l’éducation, les États parties ne doivent pas exiger des établissements scolaires qu’ils informent les services de l’immigration de la régularité ou de l’irrégularité de la situation des élèves ou de leurs parents, ou qu’ils échangent avec ces services des informations à ce sujet, ni effectuer des opérations de contrôle de l’immigration dans les écoles ou à proximité de celles-ci, car cela aurait pour effet de restreindre l’accès des enfants de travailleurs migrants à l’éducation. Les États parties devraient aussi faire clairement savoir aux directeurs d’école, aux enseignants et aux parents qu’ils ne sont pas tenus de donner de telles informations, et leur dispenser une formation sur les droits en matière d’éducation des enfants de travailleurs migrants.

Tout en relevant que l’obligation énoncée au paragraphe 3 de l’article 45 de la Convention, qui exige de l’État d’emploi qu’il facilite l’enseignement aux enfants des travailleurs migrants de leur langue maternelle et de leur culture, concerne expressément ceux qui sont en situation régulière, le Comité souligne que le droit au respect de l’identité culturelle (art. 31) est reconnu à tous les travailleurs migrants et aux membres de leur famille, y compris les enfants. Au vu de ces deux dispositions lues conjointement, ainsi que du paragraphe 1 c) de l’article 29 de la Convention relative aux droits de l’enfant, qui s’applique à tous les enfants, le Comité est d’avis que les États parties devraient aussi assurer un enseignement de la langue maternelle aux enfants de travailleurs migrants en situation irrégulière, dès lors que les enfants de travailleurs migrants pourvus de papiers qui ont la même langue maternelle ont cette possibilité.

La possession d’une identité juridique est souvent une condition préalable à l’exercice d’un certain nombre de droits fondamentaux. Les enfants de migrants en situation irrégulière, en particulier ceux qui sont nés dans un État hôte qui ne reconnaît pas leur existence, sont vulnérables tout au long de leur vie. Les États parties sont tenus de veiller à ce que les enfants de travailleurs migrants soient enregistrés rapidement après leur naissance, quelle que soit la situation de leurs parents au regard de la législation relative à l’immigration, et qu’un certificat de naissance et d’autres documents d’identité leur soient délivrés (art. 29). Les États parties ne doivent pas exiger des travailleurs migrants qu’ils présentent un permis de séjour pour enregistrer un enfant, car cela aurait pour effet de dénier aux enfants migrants en situation irrégulière leur droit à être enregistrés à la naissance et, par voie de conséquence, de les priver également d’autres droits, notamment en ce qui concerne l’accès à l’éducation, aux services de santé et à l’emploi. Le fait qu’un travailleur migrant ne s’est pas acquitté de son obligation d’enregistrer un enfant à la naissance ne devrait jamais être invoqué pour refuser à cet enfant l’accès à l’éducation.