Nations Unies

CAT/C/NER/CO/1

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

20 décembre 2019

Original : français

Comité contre la torture

Observations finales concernant le rapport initial du Niger *

1.Le Comité contre la torture a examiné le rapport initial du Niger (CAT/C/NER/1) à ses 1806e et 1809e séances (voir CAT/C/SR.1806 et 1809), les 26 et 27 novembre 2019, et a adopté les présentes observations finales à sa 1821e séance, le 5 décembre 2019.

A.Introduction

2.Le Comité sait gré à l’État partie de lui avoir communiqué son rapport initial, mais regrette sa soumission avec dix-neuf ans de retard. Le Comité apprécie l’occasion qui lui a été donnée d’engager un dialogue avec l’État partie sur les mesures prises par celui-ci pour donner effet aux dispositions de la Convention.

3.Le Comité remercie également l’État partie pour les informations additionnelles transmises.

B.Aspects positifs

4.Le Comité se félicite de la ratification par l’État partie de la quasi-totalité des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

5.Le Comité salue également l’adoption par l’État partie des mesures législatives et institutionnelles ci-après :

a)La loi no 2018-36 du 24 mai 2018, portant statut de la magistrature ;

b)Laloi no 2018-37 du 1er juin 2018, fixant l’organisation et la compétence des juridictions en République du Niger ;

c)La loi no 2017-08 du 31 mars 2017, déterminant les principes fondamentaux du régime pénitentiaire au Niger ;

d)La loi no 2003-025 du 13 juin 2003, modifiant la loi no 61-27 du 15 juillet 1961, portant institution du Code pénal, qui incrimine et sanctionne toutes les formes de mutilations génitales féminines ;

e)L’ordonnance no 2010-86 du 16 décembre 2010 relative à la lutte contre la traite des personnes, qui criminalise la traite à des fins sexuelles, à des fins de travail, y compris l’esclavage et des pratiques similaires à l’esclavage, et à des fins d’exploitation ;

f)La loi no 2011-42 du 14 décembre 2011 fixant les règles applicables à l’assistance juridique et judiciaire et créant un établissement public à caractère administratif dénommé « Agence nationale de l’assistance juridique et judiciaire » ;

g)La loi no 2018-74 du 10 décembre 2018 relative à la protection et à l’assistance aux personnes déplacées internes ;

h)L’établissement d’un comité interministériel chargé de la rédaction des rapports périodiques destinés aux organes conventionnels.

6.En outre, le Comité se félicite de l’établissement par l’État partie de la Commission nationale des droits humains, selon la loi no 2012-44 du 24 août 2012.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture

7.Tout en prenant note des dispositions constitutionnelles prohibant la torture, ainsi que des dispositions légales incriminant, sous d’autres qualifications, certains faits constitutifs de torture ou de mauvais traitements ou assimilables à ceux-ci, le Comité est préoccupé par l’absence d’une définition de la torture ainsi que d’une incrimination spécifique du crime de torture, de sorte que l’article premier de la Convention n’a pas été mis en œuvre et ne peut être invoqué devant les juridictions nationales. Tout en prenant bonne note de l’assurance de l’État partie selon laquelle le processus d’adoption du projet de loi de 2014 incriminant la torture est bien avancé dans le processus parlementaire, le Comité s’inquiète de ce que seule la qualification de « crime » de torture, impliquant la mort de la victime, entraînerait des peines de dix à vingt ans de prison, alors que les peines prévues pour le « délit » de torture seraient seulement de un à cinq ans d’emprisonnement, ce qui est contraire à l’article 4 de la Convention (art. 1er, 2 et 4).

8. L’État partie devrait accélérer le processus d’adoption de la loi incriminant la torture en veillant à sa conformité à la Convention, et notamment en s’assurant qu’elle comprenne une définition et une incrimination du crime de torture conformes aux articles 1 er , 2 et 4 de la Convention. Il devrait également rendre le crime de torture imprescriptible, non sujet à l’amnistie et passible de peines appropriées qui prennent en considération leur gravité, conformément à l’article 4 de la Convention.

Garanties fondamentales

9.Le Comité est préoccupé par de nombreuses lacunes en matière de garanties fondamentales, notamment : a) l’absence de disposition juridique consacrant le droit de toute personne privée de liberté d’être informée de ses droits ainsi que des raisons de son arrestation et des charges éventuelles retenues contre elle ; b) les allégations selon lesquelles des prévenus allophones ou analphabètes signeraient des procès-verbaux les concernant sans en comprendre le contenu ; et c) la prolongation possible de la période de garde à vue jusqu’à trente jours en matière de terrorisme. Le Comité s’inquiète de la procédure par laquelle des médecins désignés par la police certifient qu’un détenu n’a pas été victime de torture (art. 71, al. 5, du Code de procédure pénale). Le Comité rappelle qu’au titre du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), l’absence de certification médicale ne saurait être interprétée comme preuve que la personne n’a pas été soumise à la torture. Dès lors, le Comité est préoccupé par la possibilité que des cas de torture puissent échapper à la procédure en place. De plus, il s’inquiète de ce que l’État partie n’a pas fourni d’informations quant aux enquêtes menées, lorsque les médecins ne sont pas en mesure de conclure à l’absence de torture. Le Comité est de plus préoccupé par la persistance de la pratique de « mise à disposition », visant à déférer un suspect sans mandat devant une instance judiciaire, ce qui constitue une détention arbitraire. Enfin, le Comité s’inquiète des nombreux dépassements du délai légal de garde à vue de quarante-huit heures (art. 71 du Code de procédure pénale), de la tenue incomplète des registres d’écrou ainsi que de rapports faisant état d’obstacles à l’accès à la justice, en raison, notamment, du nombre insuffisant de magistrats et d’avocats sur le territoire national, et des difficultés à bénéficier, en pratique, d’une aide juridictionnelle, malgré l’établissement de l’Agence nationale de l’assistance juridique et judiciaire par la loi no 2011-42, qui a par ailleurs vu sa dotation financière diminuer. Le Comité s’inquiète enfin des difficultés d’accès, en pratique, à un médecin et à un avocat dès l’interpellation, nonobstant la réglementation communautaire de l’Union économique et monétaire ouest-africaine applicable (art. 2).

10. L’État partie devrait :

a) Prendre les mesures nécessaires, y compris législatives, afin de s’assurer que, quels que soient les chefs d’accusation retenus, la durée maximale de garde à vue n’excède pas quarante-huit heures, renouvelable une seule fois dans des circonstances exceptionnelles dûment justifiées, et eu égard aux principes de nécessité et de proportionnalité  ;

b) Garantir que tous les détenus et prévenus bénéficient, en droit et en pratique, de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de leur privation de liberté, notamment la possibilité d’être informés sans délai des accusations portées contre eux et des charges qu’ils encourent, de contacter rapidement un avocat ou de disposer gratuitement d’une aide judiciaire pendant toute la durée de la procédure, d’informer un membre de leur famille ou une autre personne de leur choix de leur détention ou de leur arrestation, de se faire examiner par un médecin indépendant, et de voir leur privation de liberté consignée dans les registres à toutes les étapes  ;

c) Doter tous les lieux de privation de liberté de registres standardisés et strictement tenus  ;

d) Garantir le droit des détenus d’être présentés physiquement devant un juge à l’expiration des quarante-huit heures de garde à vue, au plus tard, ou d’être libérés, et de contester la légalité de leur détention à tout moment de la procédure  ;

e) Poursuivre les efforts engagés afin de mettre un terme définitif, dans l’ensemble des juridictions, à la pratique de « mise à disposition » sans mandat de détenus devant une autorité judiciaire  ;

f) Garantir que les détenus ont le droit de demander, et d’obtenir, un examen médical par un médecin de leur choix, et que les certificats médicaux ne sont jamais utilisés comme preuve que la personne n’a pas été soumise à de la torture. L’État partie devrait de plus fournir au Comité des informations à propos du nombre de cas dans lesquels un tel certificat n’a pas été émis, ainsi que les enquêtes menées dans ces circonstances  ;

g) S’assurer du respect par tous les agents publics, et tout le personnel en lien avec la privation de liberté, des garanties juridiques fondamentales, et faire figurer dans son prochain rapport périodique au Comité des renseignements sur le nombre de plaintes reçues concernant le non-respect des garanties juridiques fondamentales et sur l’issue de ces plaintes  ;

h) Garantir aux justiciables un accès effectif à une justice indépendante, à une défense, et, le cas échéant, à une aide juridictionnelle  ;

i) Veiller à ce que l’examen d’entrée au barreau soit organisé régulièrement, afin d’augmenter le nombre d’avocats disponibles, encourager les avocats à s’installer dans les régions, et allouer les ressources nécessaires afin de faciliter l’accès de toutes les personnes démunies à l’aide juridictionnelle  ;

j) Fournir les ressources humaines et financières nécessaires au bon fonctionnement de l’ Agence nationale de l’assistance juridique et judiciaire , et faciliter la mise en place d’antennes locales.

Détention au secret

11.Le Comité est vivement préoccupé par l’existence d’allégations, non contredites par l’État partie, selon lesquelles certains individus seraient placés en garde à vue ou en détention provisoire dans des lieux tenus secrets, non prévus par la loi, à l’instar de la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure, l’École nationale de police et certains camps militaires.

12. L’État partie devrait  :

a) Fournir au Comité, lors de la présentation du prochain rapport périodique, une liste exhaustive de tous ses lieux de détention ;

b) Fermer tous les lieux de détention non officiels  ;

c) Assurer que toutes les arrestations et détentions, y compris celles impliquant des personnes suspectées d’actes de terrorisme, sont soumises au contrôle de l’autorité judiciaire.

Irrecevabilité des aveux obtenus par la torture

13.Le Comité est particulièrement préoccupé par l’article 415 du Code de procédure pénale, qui dispose que l’« aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation des juges », et accorde dès lors toute latitude au juge pour accepter tout moyen de preuve. Le Comité déplore a fortiori l’absence de disposition législative qui prohibe expressément l’obtention des aveux par la torture et les mauvais traitements (art. 15).

14. L’État partie doit prendre les mesures nécessaires, y compris législatives, afin de garantir que les aveux obtenus par la torture et les mauvais traitements sont systématiquement frappés de nullité, et faire respecter cette obligation dans la pratique.

Détention préventive

15.Le Comité est préoccupé au regard d’allégations selon lesquelles, en dépit des articles 132 à 134 du Code de procédure pénale, les délais de détention préventive sont couramment dépassés au-delà des limites légales, 60 % de la population carcérale étant en attente de jugement. Il s’inquiète en outre du fait que la loi no 2016-21 du 16 juin 2016, modifiant et complétant la loi no 61-33 du 14 août 1961 portant institution du Code de procédure pénale, autorise la détention préventive jusqu’à quatre ans en matière de terrorisme. Enfin, le Comité est préoccupé par le fait que le recours systématique à la détention préventive contribue directement à la surpopulation carcérale (art. 2).

16. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De veiller au contrôle effectif de la pratique de la détention préventive, en s’assurant que celle-ci respecte les dispositions fixant sa durée maximale et qu’elle est aussi brève que possible, exceptionnelle, nécessaire et proportionnelle  ;

b) De promouvoir activement, au sein des parquets et auprès des juges, le recours à des mesures de substitution à la détention préventive, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo)  ;

c) De libérer immédiatement toutes les personnes placées en détention préventive qui y ont déjà passé plus de temps que ne le justifierait la peine de prison maximale dont est passible l’infraction qui leur est reprochée.

Principe de non-refoulement

17.Le Comité est préoccupé quant à certaines dispositions de la loi no 2015-36 du 26 mai 2015 relative au trafic illicite de migrants, qui, en son article 30, autorise la détention de migrants victimes de trafic sans même en préciser les motifs. Tout en accueillant favorablement l’article 38 de ladite loi, qui requiert que le retour soit conforme, notamment, au principe de non-refoulement pour les victimes de torture et de mauvais traitements, le Comité s’inquiète d’allégations reçues, selon lesquelles des individus auraient été éloignés du Niger dans le cadre de procédures administratives ou extraditionnelles, en dépit de risques avérés qu’ils soient exposés à des tortures ou des mauvais traitements dans le pays de renvoi. Le Comité se réfère notamment au cas de 145 ressortissants soudanais renvoyés en Libye en mai 2018, pays qu’ils avaient fui en raison de brutalités subies sur place, ainsi qu’au cas de Saadi Kadhafi, remis aux autorités libyennes en 2014 sur la base d’un accord d’entraide judiciaire avec l’État libyen, en dépit de l’asile qui lui avait été accordé par le Gouvernement nigérien et d’allégations selon lesquelles l’intéressé encourait un risque sérieux de subir des tortures ou des mauvais traitements en cas de renvoi en Libye.

18. L’État partie devrait garantir le respect absolu du principe de non-refoulement consacré dans sa législation et à l’article 3 de la Convention, et s’abstenir ainsi d’e xpulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture ou aux mauvais traitements. Sa législation régissant l’asile et l’expulsion ainsi que l’ensemble des accords d’entraide judiciaire auxquels il est partie devraient en outre reconnaître explicitement le principe de non-refoulement. Les décisions de renvoi devraient faire l’objet d’un examen judiciaire au cas par cas, avec un droit d’appel suspensif. L’État partie devrait aussi f aire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements sur le nombre de personnes expulsées ou extradées, en précisant vers quels pays elles l’ont été, le nombre de décisions judiciaires infirmant ou annulant une expulsion en vertu du principe de non-refoulement, et toute autre mesure pertinente prise.

Enquêtes et poursuites

19.Tout en prenant note des articles 222 et suivants du Code pénal, qui répriment les atteintes à l’intégrité physique et morale, ainsi que de la loi no 2017-08, qui interdit les mauvais traitements sur les personnes privées de liberté, le Comité est préoccupé par l’absence de suites judiciaires données à de multiples allégations de torture et de mauvais traitements perpétrés dans des lieux de privation de liberté tels les commissariats de police, les postes de gendarmerie et les maisons d’arrêt. Il note également les explications orales fournies par l’État partie concernant le décès de Souleymane Labo en détention au commissariat de police de Maradi, en 2014. Le Comité est toutefois vivement préoccupé par les allégations de torture et de mauvais traitements en garde à vue, notamment celle ayant abouti au décès de Harouna Hinsa et de Moussa Douka, ainsi que par les peines excessivement clémentes prononcées à l’encontre d’auteurs d’actes de torture. Le Comité s’inquiète en outre du fait que les dispositions applicables du Code pénal sont sujettes à la prescription, par exemple pour l’affaire non élucidée du charnier de Boultoungoure en 1999, aujourd’hui prescrite. Le Comité est préoccupé, enfin, par le fait que des auteurs d’exactions, de tortures et de mauvais traitements se seraient vu accorder des amnisties, notamment des membres des forces armées ayant échappé à des poursuites en dépit d’actes de répression sanglante lors de la rébellion touareg du début des années 1990, ce qui contrevient à l’article 4 de la Convention et suscite un climat général d’impunité (art. 2, 4, 12 et 13).

20. L’État partie devrait :

a) Veiller à ce que les autorités compétentes ouvrent systématiquement une enquête chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture ou de mauvais traitements a été commis, que les suspects soient dûment traduits en justice et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes  ;

  b) Veiller à ce que la torture soit exclue du champ d'application des lois d'amnistie, et garantir le plein respect du principe absolu et non susceptible de dérogation de l’interdiction de la torture et des mauvais traitements, conformément à l’observation générale n o 2 (2007) du Comité sur l’application de l’article 2 ;

c) Mettre en place un mécanisme de plainte indépendant, efficace, confidentiel et accessible aux victimes dans tous les lieux de garde à vue, les prisons et tous les lieux de privation de liberté  ;

d) Garantir que l’auteur présumé d’actes de torture ou de mauvais traitements est automatiquement suspendu de ses fonctions ou muté pendant la durée de l’enquête, et assurer la protection des victimes, de leur famille et des autres personnes agissant en leur nom contre d’éventuelles représailles menées parce qu’elles ont fait valoir leur droit légitime d’obtenir réparation ;

e) Compiler et diffuser des données statistiques actualisées sur les plaintes déposées, les enquêtes menées, les poursuites intentées et les condamnations prononcées dans les affaires de torture et de mauvais traitements ;

f) Ordonner systématiquement des enquêtes impartiales sur tous les décès suspects en garde à vue ou en détention, assorties d’expertises médico-légales par des médecins dûment formés au Protocole d’Istanbul.

Conditions de détention

21.Malgré les efforts législatifs et institutionnels engagés par l’État partie, et la réhabilitation de plusieurs prisons ces dernières années, le Comité est vivement préoccupé par les conditions de détention, assimilables à des mauvais traitements, qui prévalent dans de nombreux établissements pénitentiaires et commissariats de police du pays. Le Comité s’inquiète de ce que les établissements pénitentiaires sont marqués par l’insalubrité, le manque d’aération et de lumière, l’insuffisance de la nourriture et de l’eau ainsi qu’une surpopulation alarmante (jusqu’à 300 %) qui caractérise certaines maisons d’arrêt. Concernant les prévenus, dont les conditions de détention sont source particulière de préoccupation, le Comité relève le caractère exigu des cellules, le manque de lumière et de ventilation ainsi que de sanitaires, et le fait qu’il n’existe aucune prise en charge de l’alimentation, les prévenus dépendant entièrement de leur famille, s’ils en ont, pour se nourrir et boire. Le Comité déplore également l’absence de séparation effective entre les différentes catégories de détenus, le manque de personnel pénitentiaire suffisamment formé et qualifié, l’absence d’examen médical lors de l’entrée en détention, et le taux alarmant de morbidité et de mortalité en détention, comme dans la maison d’arrêt de Niamey, où le taux de décès des détenus récemment rapporté avoisine 1 %, en raison du paludisme et d’autres maladies, situation exacerbée par l’absence de soins médicaux et de traitements adaptés, les établissements pénitentiaires étant uniquement équipés d’infirmeries (art. 2, 11 et 16).

22. Le Comité exhorte l’État partie à prendre promptement toutes les mesures qui s’imposent afin de rendre les conditions de détention en prison, et dans les lieux de garde à vue, conformes à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), notamment  :

a) Améliorer les conditions matérielles de tous les lieux de privation de liberté, en veillant à ce que les prisonniers aient accès à l’eau, à une alimentation adéquate et suffisante, à des conditions sanitaires décentes et à une aération suffisante au sein des cellules, eu égard aux conditions climatiques  ;

b) Réduire la surpopulation carcérale dans l’ensemble des établissements pénitentiaires, en privilégiant les mesures de substitution à la détention  ;

c) Doter les établissements pénitentiaires et autres lieux de détention de personnel qualifié et formé en suffisance, y compris des gardes professionnels ainsi que du personnel médical comprenant un médecin dans chaque établissement et permettant de dispenser des soins appropriés ;

d) Instituer un examen médical systématique au début de la détention, et constituer pour chaque détenu un dossier médical individuel, exhaustif et confidentiel ;

e) Prendre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre les maladies infectieuses en milieu carcéral, et veiller à ce que tous les cas de décès survenus en détention fassent rapidement l’objet d’enquêtes approfondies et impartiales, y compris d’un examen médico-légal indépendant .

Commission nationale des droits humains et mécanisme national de prévention de la torture

23.Le Comité salue l’établissement de la Commission nationale des droits humains, et accueille favorablement : a) son accréditation au statut A en vertu des Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) ; b) sa mission de recevoir des plaintes, de diligenter des enquêtes et d’effectuer des « visites régulières, notifiées ou inopinées, dans les lieux de détention », selon l’article 19 de la loi no 2012-44 ; et c) l’annonce de la délégation nigérienne d’accepter les recommandations du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants suite à sa visite en 2017. Le Comité souligne néanmoins sa préoccupation quant à l’insuffisance des ressources dont est dotée la Commission, son budget global annuel étant de 300 millions de francs CFA pour 2019, ce qui l’a empêchée d’ouvrir des antennes régionales dans cinq régions du pays (sur les huit programmées). Cette insuffisance de ressources inquiète d’autant plus le Comité qu’il est prévu que la Commission voie son mandat élargi pour exercer le mandat de mécanisme national de prévention, qui devrait être établi depuis 2015.

24. L’État partie devrait  :

a) Doter la Commission nationale des droits humains de ressources suffisantes afin de lui permettre d’accomplir pleinement son mandat, en conformité avec les Principes de Paris, et de compléter son processus de décentralisation  ;

b) Accélérer le processus de mise en place du mécanisme national de prévention, et s’assurer que celui-ci dispose d’un mandat de prévention conforme au Protocole facultatif se rapportant à la Convention, et jouisse de l’indépendance, du personnel, des ressources et du budget nécessaires pour s’acquitter efficacement de son mandat  ;

c) Envisager d’autoriser la publication par le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du rapport de visite de 2017, et solliciter le soutien du Fonds spécial créé par le Protocole facultatif pour la mise en œuvre des recommandations du Sous-Comité.

Traitement des réfugiés et des migrants

25.Le Comité exprime ses préoccupations quant à certaines dispositions de la loi no 2015-36 qui, par son approche répressive de la migration, aurait poussé nombre de migrants à vivre dans la clandestinité, dans des conditions les exposant à de nombreux abus. Le Comité s’inquiète de l’absence d’informations quant aux procédures et responsabilités relatives à l’identification des personnes vulnérables, y compris les victimes de torture ou de mauvais traitements, et nécessitant une protection internationale (art. 11 et 16).

26. L’État partie devrait :

a) Veiller à ce que toutes les allégations de violence ou de recours excessif à la force contre des migrants et des demandeurs d’asile fassent l’objet d’enquêtes rapides, approfondies et impartiales, et à ce que les responsables soient poursuivis et punis  ;

b) Prendre les mesures nécessaires pour offrir des conditions d’accueil décentes et sûres aux demandeurs d’asile et aux migrants en situation irrégulière  ;

c) Mettre au point des directives claires et une formation connexe sur l’identification, parmi les demandeurs d’asile et les migrants, des personnes nécessitant une protection internationale, y compris les victimes d’actes de torture, de mauvais traitements et de traite  ;

d) Ne recourir à la détention des migrants qu’en dernier ressort, en accord avec la délibération no 5 (2018) révisée du Groupe de travail sur la détention arbitraire sur la privation de liberté des migrants.

Violences contre les femmes, pratiques traditionnelles préjudiciables, traite des personnes et esclavage

27. Tout en notant les efforts législatifs et institutionnels engagés par l’État partie pour lutter contre la traite des personnes et l’esclavage, notamment la criminalisation de ces pratiques aux articles 270.1 à 270.5 du Code pénal, le Comité déplore la persistance du phénomène de l’esclavage, et, à ce sujet, le faible taux de poursuites, la légèreté des peines, et le peu de ressources allouées à l’éradication de ces pratiques ainsi qu’à la réhabilitation des victimes. Tout en accueillant favorablement les mesures adoptées par l’État partie pour lutter contre les violences faites aux femmes, notamment la Stratégie nationale de prévention et de réponse aux violences basées sur le genre au Niger, et son plan d’action pour 2017, le Comité s’inquiète de ce que les lois coutumières continuent de coexister avec les lois nationales, ce qui entraîne des pratiques attentatoires aux droits et libertés au titre de la Convention. À cet effet, le Comité s’inquiète de la persistance de la pratique de la wahaya, malgré sa criminalisation par l’article 270.2 du Code pénal et l’ordonnance no 2010-86. Le Comité s’inquiète en outre de la persistance de la pratique des mutilations génitales féminines dans certaines régions et par certains groupes ethniques, malgré son incrimination par l’article 232.2 du Code pénal. Enfin, le Comité exprime sa vive inquiétude relative à l’article 295 du Code pénal, qui pénalise le recours à l’avortement, y compris en cas de viol ou d’inceste. Il s’inquiète de ce que ces restrictions non seulement poussent les femmes à recourir à des avortements clandestins mettant leur vie et leur santé en danger, mais les exposent de plus à des peines criminelles (art. 2 et 16).

28. L’État partie devrait urgemment :

a) Renforcer ses mécanismes institutionnels de lutte contre l’esclavage et la traite, y compris en ressources financières et humaines, et en particulier l’Agence nationale de lutte contre la traite des personnes ;

b) Accélérer le processus d’établissement du fonds d’indemnisation au profit des victimes de la traite des personnes, de l’esclavage et de la torture ;

c) Mener des enquêtes systématiques sur tous les cas d’esclavage et de traite des personnes, et engager des poursuites en vertu des dispositions pénales pertinentes en condamnant les responsables à des peines proportionnelles à la gravité du crime ;

  d) Appliquer systématiquement les dispositions pertinentes du Code pénal réprimant les violences fondées sur le genre et les mutilations génitales féminines, et mener des enquêtes approfondies sur tous les cas, afin que les auteurs soient poursuivis et dûment punis et que les victimes obtiennent réparation ;

e) Poursuivre ses efforts de formation des acteurs de la chaîne pénale sur l’application effective de la loi contre les mutilations génitales féminines, et poursuivre les campagnes de sensibilisation engagées ;

f) Modifier sa législation, de sorte à dépénaliser l’interruption volontaire de grossesse lorsque le fait de mener une telle grossesse à terme causerait pour la femme une souffrance considérable, lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste, et lorsque la grossesse n’est pas viable, et s’assurer que les femmes et les filles ayant recours à l’avortement ainsi que les médecins qui les aident ne font pas l’objet de sanctions pénales ;

g) Garantir que toutes les victimes de violence ont accès à un abri et reçoivent les soins médicaux, l’accompagnement psychologique et l’aide juridictionnelle dont elles ont besoin.

Violences à l’égard des enfants

29.Tout en accueillant avec satisfaction la signature d’un protocole d’accord entre le Gouvernement nigérien et le système des Nations Unies en 2017, qui a permis la libération d’un nombre important de mineurs poursuivis pour association avec des groupes armés, le Comité demeure préoccupé par le maintien en détention de certains mineurs contre lesquels pèsent des charges de terrorisme, et dont le statut juridique ou l’âge ne peuvent être déterminés. Plus généralement, et en dépit des efforts engagés par l’État partie, le Comité s’inquiète de la persistance de pratiques préjudiciables visant les enfants tels les mariages précoces, ainsi que la persistance de certaines pratiques d’esclavage des enfants fondé sur l’ascendance (art. 2, 11, 12, 13 et 16).

30. Le Comité exhorte l’État partie :

a) À engager des enquêtes et des poursuites systématiques concernant les cas suspectés de mariage précoce ou de toute autre forme de maltraitance contre des enfants, afin d’en punir les auteurs et de fournir des réparations aux victimes, y compris des mesures de réhabilitation et des soins de santé qui comprennent un soutien psychologique  ;

b) À m ettre en œuvre la criminalisation de l’esclavage des enfants, en poursuivant systématiquement tous les auteurs du crime d’esclavage d’enfants fondé sur l’ascendance ;

c) À a ccorder le bénéfice du doute au profit des enfants en ce qui concerne leur âge, et à libérer sans condition les enfants soupçonnés d’association avec des groupes armés et à les aiguiller vers des institutions en mesure de leur offrir le soutien et la réhabilitation qu’ils requièrent.

Lutte contre le terrorisme et état d’urgence

31.Conscient des difficultés transfrontalières auxquelles fait face l’État partie, aux prises avec des groupes armés non étatiques menant des attaques sur son territoire, le Comité s’inquiète toutefois de l’impact disproportionné de l’état d’urgence en vigueur et régulièrement reconduit dans les régions de Diffa, de Tillabéri et de Tahoua. Il s’inquiète en outre de la définition du terrorisme introduite par l’ordonnance no 2011-12 du 27 janvier 2011, modifiant et complétant la loi no 61-27 du 15 juillet 1961 portant institution du Code pénal, dont le caractère flou et ambigu entraînerait des arrestations et condamnations arbitraires. Le Comité s’inquiète également au regard d’allégations faisant état d’usage excessif de la force, ainsi que d’arrestations et de détentions arbitraires de journalistes, de défenseurs des droits de l’homme et de membres de l’opposition au titre de la législation antiterroriste. Enfin, le Comité s’interroge sur la capacité de l’État partie à garantir le respect de la Convention par les troupes armées étrangères opérant sur son territoire avec son accord (art. 2, 11, 12 et 16).

32. L’État partie devrait :

a) Faire en sorte que les mesures prises pour lutter contre le terrorisme soient conformes à la Convention, et strictement nécessaires au regard de la situation et des exigences du principe de proportionnalité ;

b) Mener des enquêtes impartiales et approfondies sur toute allégation d’usage excessif de la force, développer des lignes directrices claires sur le recours à la force et aux armes intégrant les principes de légitimité, de nécessité, de proportionnalité et de précaution, et rendre les dispositions législatives et réglementaires régissant le recours à la force conformes aux normes internationales, notamment les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois ;

c) Mener des enquêtes et des poursuites sur tous les cas d’arrestation arbitraire, et procéder à des indemnisations, le cas échéant ; 

d) Renforcer les efforts de publication et de diffusion des informations liées à l’état d’urgence, à l’intention des populations ;

e) Renforcer la protection des personnes déplacées à l’intérieur du pays en raison de l’état d’urgence, et prévenir les actes de mauvais traitements à leur encontre ;

f) S’assurer que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements de personnes accusées de participation à des actes terroristes fassent rapidement l’objet d’enquêtes impartiales et efficaces, et que leurs auteurs soient poursuivis et dûment sanctionnés ;

g) Veiller à ce que toutes les forces armées opérant sur son territoire avec son accord respectent les instruments relatifs aux droits de l’homme et au droit international humanitaire.

Peine de mort

33. Tout en accueillant favorablement l’absence d’exécution depuis 1976, ce qui fait du Niger un État abolitionniste de facto, le processus engagé pour l’abolition, en droit, de la peine de mort, et le processus d’adhésion au Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, le Comité regrette que la peine de mort demeure consacrée par la loi et que des condamnations à la peine de mort soient encore prononcées (art. 16).

34. Le Comité exhorte l’État partie  :

a) À c ommuer toutes les peines de mort déjà prononcées en peines de réclusion et à poursuivre le processus d’abolition formel de la peine de mort, en droit  ;

b) À v eiller à ce que le régime actuel de la peine capitale ne constitue pas une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, en renforçant imm é diatement les garanties juridiques, notamment en garantissant aux condamn é s et à leurs d é fenseurs le plein acc è s à toutes les pi è ces du dossier, et en fournissant aux condamn é s toutes les informations sur leur situation et leurs droits .

Formation sur les dispositions de la Convention

35.Tout en prenant acte des efforts engagés par l’État partie pour dispenser des formations générales en matière de droits de l’homme, notamment, au bénéfice du personnel de police, des forces de défense et de sécurité et des magistrats, le Comité regrette le manque de formations spécifiques sur le contenu de la Convention, ainsi que sur le Protocole d’Istanbul. Il regrette en outre l’absence de mécanisme permettant d’évaluer l’efficacité des programmes de formation (art. 10).

36. L’État partie devrait  :

a) Dispenser systématiquement et régulièrement des formations spécifiques sur l’interdiction absolue de la torture à l’intention de l’ensemble des acteurs susceptibles d’intervenir dans la surveillance, l’interrogatoire ou le traitement des personnes privées de liberté, en veillant à y incorporer des modules de formation continue propres aux dispositions de la Convention, ainsi qu’aux techniques d’enquête non coercitives et au Protocole d’Istanbul  ;

b) Intégrer l’interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements dans les règles et instructions adressées au personnel en lien avec la privation de liberté ;

c) Élaborer et appliquer une méthode permettant d’évaluer l’efficacité des programmes d’enseignement et de formation relatifs à la Convention et au Protocole d’Istanbul ;

d) Dispenser à tous les membres des forces de l’ordre et de défense une formation systématique sur l’usage de la force, compte dûment tenu des Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois.

Réparation

37.Le Comité regrette l’absence de programmes spécifiques de réadaptation en faveur des victimes de torture, qui mettrait en œuvre l’article 14 de la Convention. Il est de plus préoccupé par le retard pris par l’État partie pour la mise en place d’un fonds d’indemnisation au profit des victimes de la traite des personnes, de l’esclavage et de la torture. Le Comité déplore en outre qu’aucune indemnisation n’ait été accordée aux victimes, suite aux violentes manifestations des 16 et 17 janvier 2015, qui ont occasionné des pertes en vies humaines, ainsi que d’importants dégâts matériels, notamment dans des lieux de culte. Enfin, le Comité s’inquiète du fait que selon l’État partie, une action en dommages sous l’égide du droit civil soit vouée à l’échec dans les cas où une procédure pénale a déclaré la non-culpabilité du suspect (art. 14).

38. L’État partie devrait :

a) Conformément à l’observation générale n o 3 (2012) du Comité sur l’application de l’article 14 , prendre les mesures législatives nécessaires pour assurer qu’une procédure civile en réparation puisse être engagée par les victimes de torture ou de mauvais traitements , leur famille ou leur défenseur, indépendamment d’une action pénale éventuelle, en cours ou achevée  ;

b) Établir sans tarder le fonds d’indemnisation au profit des victimes de la traite des personnes, de l’esclavage et de la torture, en veillant à ce qu’il soit doté des ressources humaines et matérielles nécessaires à son bon fonctionnement ;

c) Évaluer pleinement les besoins des victimes et faire en sorte que des services spécialisés de réadaptation soient rapidement disponibles.

Procédure de suivi

39. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir au plus tard le 6 décembre 2020 des renseignements sur la suite qu’il aura donnée à ses recommandations concernant les garanties relative s à la procédure de certificat médical selon l’ article 71 , alinéa 5 , du Code de procédure pénale ; la libération des personnes placées en détention préventive ; la prévention des décès en détention ; et l’ établissement d’un mécanisme national de prévention (voir par 10 f), 16 c), 22 e) et 24 b)) . Dans ce contexte, l’État partie est invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour mettre en œuvre, d’ici la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

40. Le Comité invite l’État partie à envisager d’effectuer la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention par laquelle il reconnaîtrait la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction.

41. Le Comité invite l’ État partie à adhérer aux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie.

42. L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales, et à informer le Comité de ses activités de diffusion.

43. Le Comité prie l’État partie de soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le deuxième, le 6 décembre 2023 au plus tard. À cette fin, il invite l’État partie à accepter d’ici le 6 décembre 2020 la procédure simplifiée d’établissement des rapports, dans le cadre de laquelle le Comité communique à l’État partie une liste de points avant que celui-ci ne soumette le rapport attendu . Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront le deuxième rapport périodique qu’il soumettra en application de l’article 19 de la Convention .