Nations Unies

CAT/C/UKR/CO/6

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

12 décembre 2014

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le sixième rapport périodique de l’Ukraine *

Le Comité contre la torture a examiné le sixième rapport périodique de l’Ukraine (CAT/C/UKR/6) à ses 1254e et 1257e séances, les 5 et 6 novembre 2014 (CAT/C/SR.1254 et CAT/C/SR.1257). À ses 1272e et 1274e séances (CAT/C/SR.1272 et CAT/C/SR.1274), les 18 et 19 novembre 2014, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

Le Comité remercie l’État partie d’avoir soumis son sixième rapport périodique en suivant la procédure facultative pour l’établissement des rapports, qui améliore le dialogue entre les États parties et le Comité et aide les États parties à établir des rapports plus ciblés.

Le Comité apprécie la qualité du dialogue qu’il a eu avec la délégation de l’État partie ainsi que les réponses fournies oralement aux questions et préoccupations soulevées lors de l’examen du rapport.

B.Aspects positifs

Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a adhéré aux instruments internationaux et régionaux ci-après ou les a ratifiés:

a)Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, en 2007;

b)Convention relative aux droits des personnes handicapées, en 2010;

c)Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, en 2010;

d)Convention de 1954 relative au statut des apatrides, en 2013;

e)Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, le 25 mars 2013;

f)Protocole additionnel III aux Conventions de Genève, en 2010;

g)Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, en 2010.

Le Comité accueille avec satisfaction les mesures prises par l’État partie pour réviser sa législation dans des domaines qui relèvent de la Convention, en particulier:

a)L’adoption de la loi sur l’aide juridictionnelle gratuite, le 2 juin 2011;

b)L’adoption du nouveau Code de procédure pénale, qui renforce les garanties contre la détention arbitraire, la torture et les mauvais traitements, et les procès inéquitables, le 13 avril 2012;

c)L’adoption de la loi no 1707-VI portant modification du Code pénal, qui alourdit les peines prévues à l’article 161 (Atteinte à l’égalité des citoyens pour des motifs liés à la race, à l’origine nationale ou aux convictions religieuses), le 5 novembre 2009;

d)L’adoption de la loi no 3739-VI sur la prévention de la traite des êtres humains, le 20 septembre 2011;

e)L’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale, le 19 novembre 2012;

f)L’entrée en vigueur de la loi relative aux garanties d’État concernant l’exécution des décisions de justice, le 1er janvier 2013;

g)L’adoption de la loi sur la protection des droits et libertés des personnes déplacées à l’intérieur du pays, le 20 octobre 2014.

Le Comité accueille également avec satisfaction les mesures prises par l’État partie pour modifier ses politiques, programmes et mesures administratives afin de donner effet à la Convention, en particulier:

a)L’approbation par le décret présidentiel no 311 du cadre de politique générale pour la réforme du système de justice pénale en Ukraine, le 8 avril 2008;

b)L’adoption par décret présidentiel d’une stratégie nationale dans le domaine des droits de l’homme, le 15 octobre 2014.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture

Rappelant ses précédentes observations finales (CAT/C/UKR/CO/5, par.8), le Comité note avec préoccupation que tous les éléments constitutifs de l’infraction de torture telle qu’elle est définie à l’article premier de la Convention n’ont pas été incorporés dans le Code pénal, en particulier en ce qui concerne les poursuites engagées en vertu de l’article127 du Code pénal pour des actes de torture commis par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite, ainsi que l’élément de discrimination, ce qui pourrait créer un vide juridique ouvrant la voie à l’impunité, comme cela a été souligné dans l’Observation générale no 2 (2007) du Comité concernant l’application de l’article 2 par les États parties (art. 1).

L ’ État partie devrait modifier sa législation en introduisant dans le Code pénal une définition de la torture conforme à la Convention qui couvre tous les éléments figurant à l ’ article premier, y compris le fait d ’ infliger des actes de torture lorsque ceux-ci sont commis par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel qui est passible de poursuites en vertu de l ’ article 127 du Code pénal ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite, ainsi que l ’ élément de discrimination.

Poursuites pour actes de torture

Comme dans ses précédentes observations finales, le Comité note avec préoccupation que bien que l’article 127 du Code pénal concerne la torture, les actes constitutifs de torture font souvent l’objet de poursuites au titre des articles 364 (Abus d’autorité ou de fonction), 365 (Excès d’autorité ou des pouvoirs conférés par la fonction) et 373 (Extorsion de dépositions) du Code pénal, ce qui ne permet pas d’établir la responsabilité pénale de tous les auteurs d’actes de torture. Il est également préoccupé par le fait que la torture emporte des peines de deux à cinq ans d’emprisonnement et par le faible nombre de condamnations prononcées pour actes de torture (art. 2 et 4).

L ’ État partie devrait modifier sa législation afin de garantir que toute personne soupçonnée d ’ avoir infligé des actes de torture soit poursuivie en vertu de l ’ article 127 du Code pénal et que des peines à la mesure de la gravité des actes commis soient appliquées, conformément au paragraphe 2 de l ’ article 4 de la Convention.

Garanties fondamentales

Comme cela a déjà été signalé à l’État partie, les garanties juridiques offertes aux personnes détenues sont insuffisantes en ce que celles-ci ne bénéficient pas, dans la pratique, de toutes les garanties fondamentales telles que le droit d’être informées de leurs droits dans une langue qu’elles comprennent, le droit d’être examinées par un médecin indépendant et d’être assistées par un avocat et le droit d’aviser un proche ou un tiers de leur choix dès le début de la privation de liberté, en particulier dans les locaux de la police et les centres de rétention temporaire (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité note que différentes mesures sont actuellement prises mais encourage l ’ État partie à prendre d ’ autres mesures efficaces pour faire en sorte que toutes les personnes détenues bénéficient, en droit et dans la pratique, de l ’ ensemble des garanties juridiques fondamentales dès le début de leur privation de liberté, conformément aux normes internationales. Il devrait notamment:

a) Veiller à ce que toutes les personnes privées de liberté soient informées de leurs droits et puissent avoir rapidement accès à un avocat, conformément à la législation en vigueur, et doter le système d ’ aide juridictionnelle gratuite de ressources financières suffisantes pour qu ’ il puisse fonctionner efficacement;

b) Faire en sorte que les personnes détenues puissent être examinées par un médecin indépendant, de leur choix si elles en font la demande, et que toutes interventions d ’ ordre sanitaire dans les postes de police soient accomplies par du personnel médical qualifié;

c) Veiller à ce que les personnes détenues puissent prévenir un membre de leur famille ou une autre personne de leur choix.

L ’ État partie devrait également créer un registre national unique des détenus contenant des indications concrètes concernant la détention, y compris les transferts, et veiller à ce que la date exacte, l ’ heure et le lieu de la détention y soient consignés dès le début de la privation de liberté, sans attendre l ’ établissement du procès-verbal de détention.

Usage excessif de la force et homicides

Le Comité est préoccupé par les allégations selon lesquelles la police spéciale, la police antiémeutes et d’autres agent de la force publique auraient fait un usage excessif de la force à l’occasion des manifestations populaires qui ont eu lieu à travers tout le pays, en particulier lors de la dispersion de manifestants à Kiev le 30 novembre 2013 et des événements de décembre 2013, ainsi que par les informations indiquant que des manifestants ont été tués entre le 19 et le 21 janvier 2014 et le 18 et le 20 février 2014. Lors des incidents de février 2014, des tireurs embusqués non identifiés ont fait plusieurs morts ainsi que des blessés parmi les manifestants, les policiers et les agents de la force publique. Le Comité est également préoccupé par les autres infractions qu’auraient commises des agents des forces de l’ordre pendant les manifestations de Maidan, notamment par les passages à tabac dont auraient été victimes des membres du personnel médical qui tentaient de secourir les blessés. Les cas d’usage excessif de la force lors des événements survenus à Odessa (2 mai 2014) et à Marioupol (9 mai 2014), au cours desquels plusieurs personnes ont perdu la vie, sont également préoccupants. Des enquêtes sur ces événements ont certes été ouvertes par différents organes gouvernementaux et autres autorités, mais le Comité note avec préoccupation qu’elles ont été lentes, demeurent incomplètes et n’ont pas permis d’établir les responsabilités. D’après les rapports de la Mission de l’ONU de surveillance des droits de l’homme en Ukraine, les enquêtes sur les événements de Maidan «ne progressent guère». Le Comité note en outre que l’État partie n’a pas répondu aux demandes d’information concernant la clôture probable des enquêtes sur l’incendie d’Odessa et les événements de Marioupol (art. 2).

L ’ État partie devrait:

a) Ouvrir et mener à bien sans délai des enquêtes indépendantes, approfondies et efficaces sur toutes les allégations d ’ actes de violence, y compris de torture et de mauvais traitements, commis par des agents des forces de l ’ ordre et poursuivre et punir les responsables, notamment en ce qui concerne les événements de Maidan , Odessa et Marioupol, de manière à combattre l ’ impunité;

b) Créer un mécanisme indépendant de suivi et de contrôle pour garantir la diligence, l ’ efficacité et l ’ impartialité de ces enquêtes;

c) Modifier le Code de procédure pénale afin de rendre obligatoire l ’ enregistrement vidéo des interrogatoires et redoubler d ’ efforts pour équiper tous les lieux de privation de liberté de matériel d ’ enregistrement vidéo ;

d) Créer un mécanisme de plainte réellement indépendant chargé de traiter les cas présumés de torture ou de mauvais traitements et veiller à ce que les personnes qui ont dénoncé des cas de torture et de mauvais traitements soient protégées contre d ’ éventuelles représailles;

e) Faire parvenir au Comité des renseignements sur le nombre de cas de violences commises par des membres des forces de l ’ ordre qui ont donné lieu à une enquête et à des poursuites pour actes de torture et mauvais traitements et sur les peines prononcées contre les personnes reconnues coupables de ces actes.

Usage excessif de la force et graves violations de la Convention dans le contexte des événements survenus récemment dans l’est du pays

Le Comité est vivement préoccupé par les renseignements faisant état d’actes de torture, de mauvais traitements, de disparitions forcées, de privation de la vie et d’autres violations graves de la Convention commises sur le territoire de l’État partie dans le contexte des événements survenus depuis novembre 2013. Nombre de ces renseignements concernent des zones qui ne sont pas sous le contrôle effectif du Gouvernement ukrainien. Le Comité est gravement préoccupé par les conclusions de la Mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine, qui a déclaré que l’état de droit avait été remplacé par la loi de la violence dans les régions de Donetsk et Lougansk, notamment dans les lieux contrôlés par des groupes armés, qui comptent souvent dans leurs rangs des combattants étrangers, où il est avéré que le nombre de blessés a considérablement augmenté et que les armes lourdes et le pilonnage sont employés sans discernement. La Mission a également indiqué que des mesures devaient être prises pour que les responsables aient à répondre de leurs actes. Le Comité juge particulièrement alarmante la conclusion du rapport du Haut-Commissaire aux droits de l’homme selon laquelle «les groupes armés continuent de perpétrer des enlèvements, des actes de torture physique et psychologique, des mauvais traitements et d’autres violations graves des droits de l’homme», et «font régner la peur et l’intimidation» (voir le document A/HRC/27/75) (art. 2, 4, 12, 13, 14, 15 et 16).

Le Comité rappelle l ’ interdiction absolue de la torture énoncée au paragraphe 2 de l ’ article 2 de la Convention, selon lequel «[a] ucune circonstance exceptionnelle, quelle qu ’ elle soit, qu ’ il s ’ agisse de l ’ état de guerre ou de menace de guerre, d ’ instabilité politique intérieure ou de tout autre état d ’ exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture». Il appelle l ’ attention de l ’ État partie sur le paragraphe 5 de son Observation générale n o 2, dans lequel il est précisé que ces «circonstances exceptionnelles» comprennent «toute menace d ’ acte terroriste ou de crime violent ainsi qu ’ un conflit armé, international ou non international». En conséquence, l ’ État partie devrait:

a) Rassembler des informations et ouvrir sans délai des enquêtes approfondies et impartiales sur tous les actes de torture ou autres mauvais traitements, y compris les disparitions forcées et les cas de privation de la vie, commis dans tout territoire sous sa juridiction; conserver des renseignements détaillés sur les personnes ayant subi des traitements inhumains dans les zones qui ne sont pas sous le contrôle du Gouvernement, sur le type de violation de la Convention dont elles ont été victimes, le préjudice causé et, si possible, l ’ identité des auteurs présumés afin de pouvoir s ’ acquitter pleinement de ses obligations au regard de la Convention une fois qu ’ il aura repris le contrôle effectif de ces zones; et faire en sorte que les responsables soient poursuivis et répondent de leurs actes;

b) Veiller à ce que les auteurs présumés de ces actes, y compris ceux qui occupent des postes de commandement et ceux qui ont couvert ces actes en leur donnant une justification légale, soient traduits en justice et, s ’ ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes;

c) Offrir une réparation et des moyens de réadaptation aux victimes, conformément à l ’ Observation générale n o 3 (2012) du Comité sur l ’ application de  l ’ article 14 de la Convention par les États parties.

Détention administrative

Le Comité est préoccupé par le fait que la détention administrative continue d’être utilisée à des fins d’enquête pénale en vertu de la loi sur les infractions administratives, ce qui prive le détenu concerné des garanties de procédure telles que le droit de faire appel de sa privation de liberté (art. 2, 12, 13 et 11).

L ’ État partie devrait faire en sorte de réduire la fréquence et la durée de la détention administrative et de l ’ assortir de toutes les garanties juridiques fondamentales.

Système de justice pour mineurs

Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles il n’existerait pas de système de justice pour mineurs dans l’État partie (art. 2).

L ’ État partie devrait établir un système de justice pour mineurs qui favorise autant que possible les mesures de substitution à la privation de liberté et qui soit conforme aux normes internationales, notamment à l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l ’ administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), aux Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad), aux Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté (Règles de La Havane) et aux Directives relatives aux enfants dans le système de justice pénale.

Violence intrafamiliale

Le Comité accueille avec satisfaction les mesures prises par l’État partie, parmi lesquelles l’adoption de la loi sur la prévention de la violence dans la famille (2001) et la campagne «Stop à la violence!», mais il note avec préoccupation que le taux de violence intrafamiliale demeure élevé. Le Comité est également préoccupé par l’absence de cadre normatif propre à combattre efficacement ce type de violence et par le fait que les victimes ne disposent pas de recours (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Modifier sa législation de manière à renforcer les efforts visant spécifiquement à incriminer, prévenir et combattre la violence intrafamiliale et veiller à ce que la législation relative à la violence au foyer et dans la famille soit effectivement appliquée dans la pratique;

b) Faire en sorte que les plaintes émanant des victimes donnent rapidement lieu à une enquête approfondie et impartiale et que les auteurs des actes dénoncés soient traduits en justice et, s ’ ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées et effectives ;

c) Veiller à ce que les victimes de violence intrafamiliale bénéficient d ’ une protection et de recours utiles, et notamment à ce qu ’ elles aient accès à des services médicaux et juridiques, à un soutien psychosocial, à des réparations, y compris sous forme de mesures de réadaptation, et à des foyers sûrs et dotés de ressources financières suffisantes dans toutes les régions du pays;

d) Veiller à ce que les autorités de police et les autorités judiciaires ainsi que les professionnels de la santé et les travailleurs sociaux reçoivent une formation adaptée pour traiter les cas de violence intrafamiliale, et poursuivre et renforcer les activités de sensibilisation auprès du grand public;

e) Recueillir et faire parvenir au Comité des données ventilées concernant le nombre de plaintes déposées, d ’ enquêtes ouvertes, de poursuites engagées et de condamnations prononcées pour des actes de violence intrafamiliale, en précisant la nature des peines appliquées, les réparations accordées aux victimes et les difficultés rencontrées pour prévenir de tels actes.

Traite des êtres humains

Le Comité salue le Programme national de lutte contre la traite des êtres humains, mais relève avec préoccupation que l’État partie est toujours un pays d’origine et de transit pour la traite, en particulier à des fins d’exploitation sexuelle et d’exploitation par le travail. Il constate également avec inquiétude que les faits de traite ne font pas l’objet d’enquêtes efficaces, que les auteurs ne sont pas punis et que les victimes n’ont pas accès à des recours utiles ni à des mesures de réparation (art. 2, 10, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Continuer de prendre des mesures pour prévenir et éradiquer la traite des êtres humains, notamment appliquer rigoureusement la législation réprimant la traite et allouer les fonds nécessaires au financement du Programme national de lutte contre la traite;

b) Renforcer la coopération internationale pour lutter contre la traite des êtres humains, en particulier à des fins d ’ exploitation sexuelle et d ’ exploitation par le travail, notamment par des accords bilatéraux, et en surveiller les effets;

c) Dispenser aux policiers, aux procureurs, aux juges, aux agents des services de l ’ immigration, aux agents de la police des frontières, aux agents de soutien communautaire et aux psychologues une formation spécialisée concernant les moyens efficaces de prévenir la traite, d ’ enquêter sur les faits de traite et de poursuivre et punir leurs auteurs, qui inclue un enseignement du Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, et continuer de mener, notamment par l ’ intermédiaire des médias, des campagnes nationales de sensibilisation au caractère criminel de ces actes;

d) Procéder à des enquêtes diligentes, efficaces et impartiales sur la traite des personnes et les pratiques connexes et poursuivre et punir les responsables;

e) Offrir un recours utile à toutes les victimes de l ’ infraction de traite, en leur assurant sans délai un soutien psychologique approprié, des soins médicaux, l ’ accès aux prestations d ’ aide sociale, un logement convenable et un permis de travail, indépendamment de leur capacité à participer aux procédures judiciaires contre les trafiquants;

f) Fournir au Comité des données ventilées complètes sur le nombre d ’ enquêtes menées, de poursuites engagées et de condamnations prononcées dans des affaires de traite et sur les mesures de réparation dont ont bénéficié les victimes.

Commissaire parlementaire aux droits de l’hommeet mécanisme national de prévention

Le Comité accueille avec satisfaction les modifications apportées à la loi relative au Commissaire parlementaire aux droits de l’homme (Ombudsman) portant désignation du Bureau du Commissaire en tant que mécanisme national de prévention. Il note toutefois avec préoccupation que le Bureau ne dispose pas des ressources financières et humaines nécessaires pour s’acquitter à la fois du mandat d’institution nationale de protection des droits de l’homme et de celui de mécanisme national de prévention en vertu du Protocole facultatif se rapportant à la Convention (art. 2).

L ’ État partie devrait allouer des ressources financières et humaines supplémentaires pour permettre au mécanisme national de prévention de s ’ acquitter pleinement et efficacement de son mandat conformément au Protocole facultatif se rapportant à la Convention.

Demandeurs d’asile et personnes déplacées à l’intérieur du pays

Le Comité note avec préoccupation que les personnes ayant besoin d’une protection internationale n’ont pas accès aux procédures d’asile, notamment à la procédure de détermination du statut de réfugié, conformément aux normes internationales. Il est également préoccupé par le fait que des demandeurs d’asile sont inutilement détenus, qu’ils ne disposent que de cinq jours pour faire appel des décisions de rejet et que l’accès à l’assistance d’un avocat et aux services d’un interprète ne leur est pas garanti. Le Comité note l’adoption le 20 octobre 2014 de la loi sur les personnes déplacées à l’intérieur du pays mais il est particulièrement préoccupé par le grand nombre de personnes qui ont été déplacées en raison de l’annexion de la Crimée et du conflit armé en cours dans certaines parties du territoire (art. 3, 14 et 11).

L ’ État partie devrait:

a) Veiller à ce que toutes les personnes demandant une protection internationale aient accès à une procédure équitable de détermination du statut de réfugié et soient effectivement protégées contre le refoulement;

b) S ’ abstenir de détenir des demandeurs d ’ asile pendant des périodes prolongées, n ’ utiliser la détention qu ’ en dernier recours et pour une période aussi courte que possible, promouvoir des mesures de substitution à la détention et réviser sa politique pour la mettre en conformité avec les Principes directeurs relatifs aux critères et aux normes applicables à la détention des demandeurs d ’ asile et alternatives à la détention, établis par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés;

c) Envisager d ’ allonger le délai imparti aux demandeurs déboutés pour faire appel, veiller à ce que ceux-ci ne soient pas expulsés immédiatement après la fin de la procédure administrative avant d ’ avoir pu former un recours contre une décision de rejet et faire en sorte qu ’ ils aient accès à l ’ assistance d ’ un avocat et aux services d ’ un interprète;

d) Prendre toutes les mesures nécessaires, conformément aux normes internationales, pour assurer une protection adéquate à toutes les personnes déplacées à l ’ intérieur du pays.

Formation

Le Comité prend note des programmes de formation dont bénéficie le personnel du parquet, des organismes chargés des affaires intérieures et de l’administration pénitentiaire, mais est préoccupé par l’absence de méthodes spécifiques permettant d’évaluer l’efficacité de cette formation et son incidence sur le nombre de cas de torture et de mauvais traitements. Il note aussi avec préoccupation que la formation relative au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) n’est pas dispensée à tous les professionnels de santé qui ont affaire à des personnes privées de liberté et des demandeurs d’asile (art. 10).

L ’ État partie devrait:

a) Développer et renforcer encore les programmes de formation pour que tous les agents publics, en particulier les membres des forces de l ’ ordre, le personnel pénitentiaire, les agents des services de l ’ immigration et les juges, aient une bonne connaissance des dispositions de la Convention;

b) Veiller à ce que les responsables de l ’ application des lois soient formés au Code de conduite pour les responsables de l ’ application des lois (adopté par l ’ Assemblée générale dans sa résolution 34/169 du 17 décembre 1979) et aux Principes de base relatifs au recours à la force et l ’ utilisation des armes à feu par les responsables de l ’ application des lois (adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants) et s ’ y conforment;

c) Dispenser aux responsables et au personnel des services de sécurité et de l ’ armée une formation aux dispositions de la Convention, du droit des droits de l ’ homme et du droit international humanitaire;

d) Dispenser une formation relative au Protocole d ’ Istanbul au personnel médical et autres agents qui ont affaire aux détenus et aux demandeurs d ’ asile dans le cadre du travail d ’ enquête et de collecte de preuves sur des cas de torture;

e) Élaborer des méthodes pour évaluer l ’ efficacité des programmes de formation et leur incidence sur la prévention de la torture et des mauvais traitements et leur interdiction absolue.

Conditions de détention et décès en détention

Comme il l’a indiqué dans ses précédentes observations finales, le Comité demeure préoccupé par les mauvaises conditions dans les lieux de détention, notamment la grave surpopulation, qui donne lieu à des violences entre détenus. Il est également préoccupé par l’état des infrastructures et les mauvaises conditions matérielles d’un certain nombre de prisons, qui ne sont pas conformes aux normes internationales et se sont aggravées ces dernières années dans certaines régions du pays. Il est en outre gravement préoccupé par le taux de mortalité élevé parmi les détenus, qu’il avait déjà constaté, notamment le grand nombre de suicides (art. 2, 11, 12, 13 et 16).

Le Comité réaffirme que l ’ État partie devrait s ’ employer activement à:

a) Renforcer les mesures visant à améliorer les conditions matérielles de détention conformément aux dispositions pertinentes de l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, notamment en rénovant les établissements pénitentiaires existants, en fermant ceux qui sont hors d ’ usage, en construisant de nouveaux établissements et en appliquant les normes internationales les plus élevées en matière d ’ espace vital;

b) Renforcer les mesures visant à réduire la violence entre détenus, y compris lorsqu ’ elle est infligée à l ’ instigation d ’ agents pénitentiaires, en ouvrant des enquêtes indépendantes sur tous les incidents de ce type, en faisant baisser la surpopulation, en améliorant la gestion des prisons et le nombre de détenus par agent pénitentiaire, en formant le personnel pénitentiaire et le personnel médical à la communication avec les détenus et à leur encadrement ainsi qu ’ à la détection des signes de vulnérabilité, et en renforçant la surveillance et l ’ encadrement des détenus vulnérables;

c) Établir un mécanisme indépendant chargé d ’ examiner en toute liberté et impartialité les plaintes des détenus concernant la manière dont ils sont traités et leurs conditions de détention, assurer un suivi efficace de ces plaintes en vue de prendre des mesures correctives et veiller à ce que les détenus qui déposent des plaintes ne fassent pas l ’ objet de représailles et à ce que ceux qui en sont victimes soient protégés et les auteurs des représailles dûment punis;

d) Veiller à ce que tous les cas de décès en détention donnent lieu sans délai à une enquête approfondie, efficace et impartiale et à ce que les personnes soupçonnées d ’ actes de torture, de mauvais traitements physiques ou psychologiques et de négligence volontaire soient poursuivies et, si elles sont reconnues coupables, condamnées à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes; faire en sorte que tous les cas de décès en détention donnent lieu à un examen médico-légal indépendant, autoriser les membres de la famille du défunt à demander une autopsie indépendante et veiller à ce que les tribunaux de l ’ État partie acceptent les résultats des autopsies indépendantes comme éléments de preuve dans les procédures pénales et civiles;

e) Veiller à ce que le Commissaire parlementaire et d ’ autres mécanismes indépendants surveillent tous les lieux de détention et s ’ y rendent régulièrement, y compris dans le cadre de visites inopinées;

f) Continuer à recourir davantage à des solutions de substitution à l ’ incarcération, en tenant compte des dispositions des Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo).

Prestation de soins de santé dans les lieux de détention

Le Comité est profondément préoccupé par la grave détérioration des conditions de santé dans les prisons et la situation sanitaire alarmante, notamment le nombre élevé de détenus morts de la tuberculose. Il note également avec préoccupation l’augmentation de la mortalité chez un grand nombre de détenus souffrant de maladies transmissibles, en particulier du VIH/sida, en raison de la surpopulation, du manque de soins de santé, du manque d’attention portée par le personnel médical aux signes et symptômes des maladies et du fait que les détenus ne sont pas dûment adressés à un spécialiste (art. 2, 10 et 11).

L ’ État partie devrait:

a) Examiner si les ressources en matière de soins de santé disponibles dans les lieux de détention sont appropriées, veiller à ce que les services de soins de santé et l ’ assistance médicale fournis aux détenus et aux prisonniers soient diligents et de haute qualité afin de rendre les conditions de détention conformes aux normes internationales;

b) Assurer le recrutement de personnel médical qualifié;

c) Prévoir un examen médical systématique des détenus comprenant la recherche d ’ éventuelles blessures dans les vingt-quatre heures suivant leur arrivée en prison; faire examiner périodiquement les détenus; dispenser des traitements appropriés, en particulier aux détenus infectés par le VIH/sida et la tuberculose, y compris des médicaments anti rétroviraux, et mettre en œuvre des programmes liés au traitement de la tuberculose ainsi qu ’ à la distribution et au suivi des médicaments pris dans les établissements pénitentiaires sur tout le territoire;

d) Améliorer la qualité et la quantité des rations de nourriture et d ’ eau fournies aux détenus et aux prisonniers et réd uire la surpopulation actuelle.

Réparation, y compris indemnisation et réadaptation

Le Comité est préoccupé par l’absence de dispositions expresses dans la législation interne et de programmes spécifiques d’assistance et de soutien établissant le droit des victimes d’actes de torture et de mauvais traitements à une indemnisation équitable et appropriée, y compris les moyens nécessaires à leur réadaptation la plus complète possible, conformément à l’article 14 de la Convention (art. 14).

L ’ État partie devrait modifier sa législation pour y inclure des dispositions expresses relatives au droit des victimes de torture et de mauvais traitements à une réparation, notamment à une indemnisation équitable et appropriée et aux moyens nécessaires à leur réadaptation la plus complète possible, conformément à l ’ article 14 de la Convention, en ayant également à l ’ esprit les événements récents. Il devrait, dans la pratique, assurer à toutes les victimes de torture ou de mauvais traitements une réparation, notamment une indemnisation équitable et appropriée et les moyens nécessaires à leur réadaptation la plus complète possible, et allouer les ressources nécessaires à la mise en œuvre effective des programmes de réadaptation.

Le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur son Observation générale n o 3 (2012) concernant l ’ application de l ’ article 14 par les États parties, dans laquelle il précise le contenu et la portée de l ’ obligation qui incombe aux États parties de fournir une réparation complète aux victimes de la torture.

Déclarations obtenues par la torture

Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption du nouveau code de procédure pénale, qui prévoit l’irrecevabilité dans les procédures pénales des éléments de preuve obtenus par la torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou par la menace de traitements de ce type, mais relève avec préoccupation qu’une grande importance continue d’être accordée aux aveux dans certains cas (art. 2, 15 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Prendre les mesures nécessaires pour garantir dans la pratique l ’ irrecevabilité dans les procédures judiciaires des aveux obtenus par la torture et les mauvais traitements, en toutes circonstances, conformément à la législation nationale et aux dispositions de l ’ article 15 de la Convention;

b) Améliorer les méthodes d ’ enquête pénale pour mettre fin aux pratiques par lesquelles les aveux constituent des preuves dans les poursuites pénales, parfois en l ’ absence de tout autre moyen de preuve;

c) Donner des informations sur l ’ application des dispositions qui interdisent de considérer comme recevables des preuves obtenues par la contrainte et indiquer si des agents de l ’ État ont été poursuivis et punis pour avoir arraché des aveux de cette manière.

Bizutage et mauvais traitements dans l’armée

Le Comité est préoccupé par les informations indiquant que le bizutage a toujours cours dans l’armée, que les actes de bizutage ne donnent pas lieu à des enquêtes ni à des poursuites et que les victimes ne bénéficient pas de mesures de réparation (art. 2 et 16).

Le Comité réaffirme que l ’ État partie devrait:

a) Renforcer les mesures pour interdire et faire cesser les mauvais traitements dans les forces armées et faire en sorte que toutes les allégations de mauvais traitements fassent l ’ objet d ’ enquêtes diligentes, impartiales et approfondies, établir les responsabilités des auteurs directs et de toutes les personnes concernées dans la chaîne de commandement, poursuivre les responsables et les condamner à des peines à la mesure de la gravité des actes commis, rendre publics les résultats des enquêtes et faire parvenir au Comité des informations sur la suite donnée aux cas confirmés de bizutage dans l ’ armée;

b) Assurer aux victimes une indemnisation et des moyens de réadaptation, notamment une assistance médicale et psychologique appropriée, conformément à l ’ Observation générale n o 3.

Collecte de données

Le Comité regrette l’absence de données complètes et ventilées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations relatives à des actes de torture et des mauvais traitements imputés aux forces de l’ordre, aux forces de sécurité, aux forces armées et au personnel pénitentiaire, ainsi que sur les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, la traite et la violence intrafamiliale et sexuelle.

L ’ État partie devrait rassembler des données statistiques pertinentes pour le suivi de l ’ application de la Convention au niveau national, notamment des données sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations auxquelles ont donné lieu des affaires de torture et de mauvais traitements, d ’ exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, de traite et de violence familiale et sexuelle, ainsi que sur la réparation accordée aux victimes, y compris sous la forme d ’ une indemnisation et de moyens de réadaptation.

Autres questions

Le Comité invite l’État partie à envisager de ratifier les autres instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie: Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, au plus tard le 28 novembre 2015, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations relatives: a) aux garanties juridiques fondamentales; b) aux enquêtes sur toutes les allégations d’usage de la force par des agents des forces de l’ordre; et c) à la collecte de preuves et aux enquêtes sur tous faits de torture, mauvais traitements, disparitions forcées et privation de la vie commis sur le territoire relevant de la juridiction de l’État partie, formulées aux paragraphes 9, 10 a) et 11 a), respectivement.

28.L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le septième, le 28 novembre 2018 au plus tard. À cette fin, le Comité lui soumettra en temps voulu une liste préalable de points à traiter, puisque l’État partie est convenu d’établir son rapport conformément à la procédure facultative.