CCPR

Pacte international relatif aux droits civilset politiquesDistr.

RESTREINTE*

CCPR/C/71/D/687/1996

16 mai 2001

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS/ESPAGNOL

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMESoixante et onzième session19 mars‑6 avril 2001

CONSTATATIONS

Communication no 687/1996

Présentée par:Rafael Armando Rojas García

Au nom de:L’auteur

État partie:Colombie

Date de la communication:30 août 1995 (date de la lettre initiale)

Décisions antérieures:–Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 91, communiquée à l’État partie le 16 avril 1996 (non publiée sous forme de document)

–CCPR/C/62/687/1996 – Décision concernant la recevabilité prise le 18 mars 1998

Date de l’adoption

des constatations:3 avril 2001

Le 3 avril 2001, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations concernant la communication n° 687/1996, au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte des constatations figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SERAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIFAUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

soixante et onzième session

concernant la

Communication n° 687/1996***

Présentée par:Rafael Armando Rojas Garciá

Au nom de:L’auteur

État partie:Colombie

Date de la communication:30 août 1995 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 3 avril 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication n° 687/1996 présentée par M. Rafael Armando Rojas García conformément au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

1.L’auteur de la communication est Rafael Armando Rojas García, de nationalité colombienne, qui saisit le Comité en son nom et en celui de sa mère âgée, de ses deux enfants, de son frère et de deux sœurs, de trois nièces et d’une employée de maison. Toutes ces personnes seraient victimes de violations par la Colombie des dispositions suivantes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques: article 7, paragraphe 3 a de l’article 14, paragraphes 1 et 2 de l’article 17, paragraphe 3 a de l’article 19, articles 23 et 24. Les faits exposés semblent aussi soulever une question au titre du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 5 janvier 1993 à 2 heures du matin, un groupe d’hommes armés et en civil, appartenant aux services techniques du parquet (Cuerpo Técnico de Investigación de la Fiscalía), ont pénétré par effraction dans la maison de l’auteur, en passant par le toit. Ces hommes ont fouillé chacune des pièces de la maison, terrorisant et injuriant les membres de la famille de l’auteur, même les jeunes enfants. Pendant cette perquisition, l’un d’eux a tiré des coups de feu en l’air. Deux autres hommes ont pénétré dans la maison par la porte d’entrée; l’un d’eux a tapé à la machine à écrire une déclaration et a obligé le seul homme adulte de la famille présent (Alvaro Rojas) à la signer, sans lui permettre de la lire ou d’en avoir une copie. Alvaro Rojas ayant demandé s’il était nécessaire d’agir avec tant de brutalité, il lui a été répondu qu’il n’avait qu’à s’adresser au Procureur, Carlos Fernando Mendoza. C’est alors que la famille Rojas a appris que la perquisition avait été ordonnée dans le cadre de l’enquête ouverte à la suite de l’assassinat du maire de Bochalema, Ciro Alfonso Colmenares.

2.2Le même jour, Alvaro Rojas a porté plainte auprès du Procureur de Cúcuta (Procuraduría Provincial de Cúcuta) pour violation de domicile. Cette autorité provinciale a ouvert une enquête, mais celle‑ci n’a jamais été menée à son terme et l’affaire a simplement été classée sans suite le 3 novembre 1993, sans que l’auteur en soit informé. Il a déposé une nouvelle plainte auprès du Procureur délégué à la police judiciaire et administrative de Bogota (Procuraduría General de la Nación, Procuraduría Delegada de la Policía Judicial y Administrativa), plainte qui a également été classée, le 24 juin 1994, prétendument en application du principe non bis in idem. L’auteur a alors saisi le tribunal administratif de Cúcuta, afin d’obtenir réparation pour cette brutale intrusion, avec utilisation d’arme à feu, à son domicile.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que cette brutale descente à son domicile a été une expérience psychologiquement très traumatisante, qui a eu des effets préjudiciables sur la santé de sa sœur invalide, Fanny Elena Rojas García. Celle‑ci est morte le 8 août 1993, la perquisition violente étant considérée comme la cause indirecte du décès. La mère de l’auteur, âgée de 75 ans, ne s’est jamais complètement remise du choc.

3.2L’auteur indique que, loin de mener avec diligence une enquête, les autorités ont tout fait pour couvrir l’incident. Personne n’a jamais cherché à déterminer la responsabilité des autorités qui avaient autorisé l’opération ni des agents qui l’avaient exécutée, notamment de l’homme qui avait tiré un coup de feu dans la chambre où dormaient de jeunes enfants.

3.3L’auteur considère que ces événements constituent des violations de l’article 7, du paragraphe 3 a de l’article 14, des paragraphes 1 et 2 de l’article 17, du paragraphe 3 a de l’article 19 et des articles 23 et 24 du Pacte.

Observations de l’État partie et réponse de l’auteur

4.1Dans une réponse datée du 12 novembre 1996, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, étant donné qu’une procédure disciplinaire est toujours en cours à l’égard des personnes qui ont procédé à la perquisition au domicile de l’auteur.

4.2L’État partie fait valoir en outre que la perquisition s’est déroulée dans le respect de toutes les prescriptions légales énoncées à l’article 343 du Code de procédure pénale et était donc légale. La perquisition avait été ordonnée par un fonctionnaire de justice, Miguel Angel Villamizar Becerra, et a été effectuée en présence d’un procureur (procurador). L’État partie précise que le Procureur général (Fiscalía General) a demandé aux services d’enquête interne (Veeduría) toutes les pièces concernant les responsabilités éventuelles des agents qui ont pris part à l’opération afin de déterminer si une action disciplinaire devait être engagée. L’État partie signale aussi qu’une enquête disciplinaire a été menée par la direction des enquêtes (Dirección Seccional del Cuerpo Técnico de Investigación) et par le Procureur chargé des affaires de la police judiciaire (Procuraduría Delegada para la Policía Judicial); dans les deux cas l’affaire a été classée.

5.Dans ses commentaires datés du 22 janvier 1997, l’auteur réaffirme que la perquisition était illégale, car l’article 343 du Code de procédure pénale ne permet pas des actions «de type commando» menées de nuit, les intrusions domiciliaires par le toit, les coups de feu en l’air, etc. D’après lui, le Procureur chargé des affaires militaires (Fiscal Delegado ante las Fuerzas Armadas) n’était pas présent et le Procureur (procurador) n’est apparu que tout à la fin de l’opération et seulement pour établir un procès‑verbal, dont le frère de l’auteur n’a pas reçu copie. L’auteur réaffirme que la perquisition a eu de très grandes répercussions sur sa famille, dont les membres ont été montrés du doigt, accusés d’être les assassins de l’ancien maire, que sa sœur est morte à la suite de cette descente de police et que sa mère et les jeunes enfants sont toujours traumatisés. Il note que les procédures administratives engagées en 1993 n’ont à ce jour donné aucun résultat.

6.Le 14 octobre 1997, l’État partie a informé le Comité qu’il s’était plusieurs fois enquis de la procédure administrative entamée. Le Procureur général (Fiscalía General de la Nación) a demandé à la direction des enquêtes de Cúcuta (Seccional del Cuerpo Técnico de Investigación) si une action avait été engagée contre l’agent Gabriel Ruiz Jiménez. Au 30 avril 1997, aucune procédure n’avait été engagée. L’État partie s’est de nouveau enquis de l’existence d’une procédure en juin, juillet et août 1997 et à chaque fois la réponse a été négative. Il affirme que l’enquête se poursuit et que par conséquent les recours internes n’ont pas été épuisés.

Décision du Comité concernant la recevabilité

7.1À sa soixante‑deuxième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication et a noté que l’État partie demandait qu’elle soit déclarée irrecevable au motif du non‑épuisement des recours internes. Le Comité a considéré que, dans les circonstances de l’affaire, il convenait de conclure que l’auteur avait essayé avec diligence, mais en vain, de faire usage des recours ouverts afin de déterminer les responsabilités dans la violation de son domicile. Plus de cinq ans après les faits (au moment de la décision concernant la recevabilité), les responsables n’avaient pas été identifiés ni inculpés et encore moins jugés. Le Comité a conclu que dans ces conditions les procédures de recours avaient excédé des «délais raisonnables» au sens du paragraphe 2 b de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 3 a de l’article 14 du Pacte, du paragraphe 3 a de l’article 19 et des articles 23 et 24, le Comité a constaté qu’il s’agissait d’observations de caractère général et qu’elles n’étaient pas étayées par de nouveaux éléments. Ainsi, rien n’indiquait que l’auteur ait été accusé d’une infraction pénale dont il n’avait pas été informé dans le plus court délai (art. 14, par. 3 a) ou qu’il y ait eu atteinte à son droit à la liberté d’expression (art. 19) et l’auteur n’explique pas non plus en quoi l’État se serait immiscé dans sa vie de famille ou n’aurait pas respecté les droits des enfants (art. 23 et 24).

7.3En ce qui concerne les autres allégations – relatives à l’article 7 et aux paragraphes 1 et 2 de l’article 17 du Pacte –, le Comité a estimé qu’elles étaient suffisamment étayées pour être recevables et qu’elles devaient donc être examinées au fond.

Observations de l’État partie sur le fond et commentaires de l’auteur à ce sujet

8.1Dans une réponse datée du 28 décembre 1999, l’État partie réaffirme sa position en ce qui concerne l’irrecevabilité de la communication et considère qu’il n’y a eu aucune violation des articles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

8.2L’État partie signale, comme l’avait déjà fait l’auteur, que les services techniques du parquet de Cúcuta ont découvert une enquête administrative tendant à faire la lumière sur l’incident survenu le 5 janvier 1993 lors de la perquisition au domicile de la famille Rojas García et que, par une ordonnance du 3 novembre 1993, il a décidé le classement sans suite. De même, après l’enquête visant à établir les faits, des investigations préliminaires pour ces mêmes faits ont été ordonnées contre Gabriel Juiz Jiménez qui avait tiré le coup de feu pendant l’opération. D’après le Procureur délégué, il n’y avait pas lieu de poursuivre l’enquête préliminaire étant donné qu’il avait été établi que le Procureur général de la nation, par l’intermédiaire de la direction des services techniques du parquet de Cúcuta, avait engagé et achevé une procédure disciplinaire pour ces mêmes faits, procédure qui avait abouti à une décision de classement (voir par. 2.2).

8.3Par un acte en date du 10 mai 1999, le Procureur général de la nation a réaffirmé que la direction des services techniques du parquet de Cúcuta qui avait engagé la procédure préliminaire disciplinaire à l’encontre de Gabriel Ruiz Jiménez avait décidé de classer l’affaire considérant qu’il avait tiré accidentellement et non par négligence ou par abus de pouvoir, raison pour laquelle il n’y avait pas lieu d’ouvrir une enquête pénale.

8.4En ce qui concerne le traumatisme psychologique causé aux habitants de la maison par la panique, l’État partie affirme qu’il appartient à un expert médical de le déterminer, dans le cadre de la procédure contentieuse administrative qui est en cours.

8.5L’État partie signale que l’auteur a engagé, pour les mêmes faits, devant le tribunal du contentieux administratif du département de Norte de Santander une action en réparation des préjudices qui auraient été causés.

8.6L’État partie ne partage pas l’avis du Comité qui affirme que plus de cinq ans après les faits les responsables des incidents n’ont pas été identifiés ni inculpés. Pour lui, il est clair que la perquisition a été menée par des membres des services techniques du parquet, conformément à l’article 343 du Code de procédure pénale qui dispose:

« Perquisition: justification et conditions. S’il existe des motifs sérieux de supposer que se trouvent dans un bien immeuble, un navire ou un aéronef une personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrestation, ou les armes, instruments ou objets qui ont servi à commettre l’infraction ou qui proviennent de son accomplissement, l’autorité judiciaire ordonne, par une décision motivée, la perquisition et la saisie.

La décision visée au paragraphe précédent n’a pas besoin d’être notifiée.»

8.7Ainsi l’État partie estime que la responsabilité pour une éventuelle irrégularité par les intéressés dans l’exercice de leurs fonctions doit être déduite des enquêtes des autorités compétentes. En ce qui concerne la responsabilité supposée de M. Gabriel Ruiz Jiménez, le Procureur a établi qu’il s’agissait d’un accident.

8.8Pour ce qui est de la durée excessive des procédures de recours internes au regard du paragraphe 2 b de l’article 5 du Protocole facultatif, à laquelle se réfère le Comité, l’État partie fait les remarques suivantes:

1)Depuis les faits, le frère de l’auteur a exercé les recours prévus par la législation nationale auprès du Procureur général de la nation qui, par l’intermédiaire du Procureur délégué à la police judiciaire et administrative de Bogota, a ordonné par une décision du 24 janvier 1994 le classement de l’affaire étant donné que le Procureur général de la nation, par l’intermédiaire de la direction des services techniques du parquet de Cúcuta, avait mené à bien une enquête disciplinaire pour les mêmes faits. L’État partie explique que le simple fait qu’un recours interne n’aboutisse pas ne suffit pas à montrer qu’il n’existe pas d’autres recours ou que tous les recours internes utiles ont été épuisés. Si, dans une affaire comme l’affaire à l’étude, le recours n’est pas approprié, il est évident qu’il n’est pas nécessaire de l’exercer mais qu’il faut en former un autre plus approprié.

2)M. Rojas García a engagé de plus une action en réparation contre l’État auprès du tribunal du contentieux administratif du département de Norte de Santander en se prévalant d’une autre voie de recours; quand l’État partie a reçu la communication, la décision était sur le point d’être rendue. Donc, contrairement à ce que le Comité affirme, les procédures n’ont pas excédé des délais raisonnables étant donné que les circonstances de l’affaire ont exigé que les recours employés soient aussi appropriés et efficaces que possible. Pour que les recours soient appropriés, il faut que leur fonction dans le système interne soit de nature à assurer la protection de la situation juridique à laquelle il a été porté atteinte. La règle vise à produire un effet et ne peut pas être interprétée comme n’ayant pas produit d’effet ou comme ayant eu un résultat manifestement absurde ou déraisonnable. Les autorités compétentes n’ont pas eu l’intention de prolonger les investigations mais toute légèreté de leur part aurait réellement conduit à des décisions absurdes et illogiques.

8.9L’État partie réaffirme que M. Rojas García n’avait pas épuisé les recours internes au moment où il a soumis sa communication au Comité, qui aurait dû la déclarer irrecevable en vertu du paragraphe 2 b de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.1Les observations de l’État partie sur le fond ont été transmises à l’auteur qui, dans une réponse datée du 14 mars 2000, réfute quelques‑uns des arguments avancés. Ainsi il réaffirme qu’une famille qui n’a jamais eu affaire avec la justice a été victime d’une violation de domicile dont les occupants ont été maltraités. Il explique que la perquisition a eu lieu parce qu’on supposait que dans cette maison se trouvaient les criminels et que, quand les agents se sont aperçus qu’il n’y avait que des enfants et des personnes âgées, au lieu de reconnaître leur erreur, ils n’ont fait jusqu’ici que persister.

9.2D’après l’auteur, l’article 343 du Code de procédure pénale ne pouvait pas être appliqué dans le cas du domicile d’une famille honnête sans que les conditions légales les plus élémentaires prévues pour ce genre de cas soient réunies. En faisant violemment irruption dans la maison, par le toit, à 2 heures du matin et en tirant un coup de feu, les agents ont porté atteinte au droit à la protection de la vie, au droit à la vie de famille et à d’autres droits et libertés garantis dans la Constitution de la Colombie.

9.3L’auteur réfute l’argument du Gouvernement qui donne à entendre que plus une enquête dure longtemps moins les décisions sont absurdes et illogiques. L’auteur réitère que, plus de sept années se sont écoulées depuis les faits et que l’affaire n’a toujours pas été réglée.

9.4L’auteur ajoute qu’il serait impératif que les cas arbitraires où il est fait un usage injustifié de la force soient considérés comme des affaires spéciales justifiant un traitement particulier, de façon à pouvoir être étudiées par des organismes internationaux de surveillance et préserver ainsi l’impartialité nécessaire pour qu’un procès soit équitable.

9.5Par une réponse du 10 juillet 2000, l’auteur donne des renseignements sur l’issue de l’action qu’il a engagée contre l’État devant le tribunal du contentieux administratif du département de Norte de Santander afin d’obtenir réparation: le tribunal a décidé de rejeter ses prétentions en invoquant l’absence de preuve et en s’en tenant strictement à l’article 343 du Code de procédure pénale. L’auteur signale que la décision a été attaquée en deuxième instance auprès du Conseil d’État, à Bogota.

9.6L’auteur réaffirme que, d’après des témoins oculaires, la perquisition devait se faire à la maison no 2‑36 et non au no 2‑44 (celle de la famille Rojas García). Il explique aussi que la veuve de Ciro Alfonso Colmenares (maire de Bochalema, dont l’homicide faisait l’objet de l’enquête qui avait donné lieu à la perquisition au domicile de la famille Rojas) lui a assuré qu’elle ne les avait jamais dénoncés. Pour ce qui est du coup de feu tiré par Gabriel Ruiz Jiménez, il affirme que ce n’était pas un accident mais que l’agent avait tiré une fois qu’il était à l’intérieur pour obliger les occupants à aller chercher les clefs de la porte qui donnait sur la rue. Il signale que, quand ils se sont aperçus que vivait dans la maison une fonctionnaire du parquet régional de Pamplona, Cecilia Rojas García, les agresseurs ont changé d’attitude et certains se sont excusés en déclarant s’être trompés.

9.7En ce qui concerne le décès de sa sœur quelques mois après les faits, l’auteur affirme que les autorités n’ont pas déployé les efforts voulus pour montrer l’existence d’un lien de causalité entre la perquisition et sa mort.

Examen quant au fond

10.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui avaient été communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

10.2Le Comité a noté que l’État partie affirmait que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes au moment où il avait adressé sa communication, qui n’aurait pas dû être déclarée recevable. Il note également que selon l’État partie les autorités compétentes n’ont pas eu l’intention de prolonger la procédure mais que toute légèreté de leur part aurait au contraire conduit à des décisions absurdes et illogiques. Le Comité renvoie à ce qu’il a indiqué à ce sujet dans sa décision sur la recevabilité.

10.3Le Comité doit déterminer en premier lieu si les conditions réelles dans lesquelles la perquisition au domicile de la famille Rojas García (irruption au domicile par le toit, à 2 heures du matin, d’hommes en cagoule) s’est déroulée constituent une violation de l’article 17 du Pacte. Dans sa réponse du 28 décembre 1999, l’État partie réaffirme que la perquisition a été effectuée dans le respect de la lettre de la loi, conformément à l’article 343 du Code de procédure pénale. Le Comité ne s’interroge pas sur la légalité de la perquisition, mais il considère que l’article 17 du Pacte oblige à ce que l’immixtion soit non seulement légale mais qu’elle ne soit pas arbitraire. Conformément à son observation générale no 16 (HRI/GEN/1/Rev.4, du 7 février 2000), le Comité estime que la notion d’arbitraire à l’article 17 a pour objet de garantir que même une immixtion prévue par la loi soit conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte et soit, dans tous les cas, raisonnable eu égard aux circonstances de l’affaire. Il estime en outre que l’État partie n’a pas produit suffisamment d’arguments pour justifier l’opération telle que décrite. En conséquence, le Comité conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 17 dans la mesure où l’immixtion au domicile de la famille Rojas García a été arbitraire.

10.4Le Comité ayant constaté qu’il y avait eu violation de l’article 17 du Pacte du fait du caractère arbitraire de la perquisition au domicile de l’auteur, il ne juge pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si la perquisition avait porté atteinte à l’honneur et à la réputation de la famille Rojas García.

10.5Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 7 du Pacte, le Comité constate que l’État partie n’a pas réfuté le traitement que la police a fait subir à la famille Rojas García, tel qu’il est exposé au paragraphe 2.1 ci‑dessus. En conséquence, le Comité décide qu’il y a eu en l’occurrence violation du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie à l’égard de la famille Rojas García de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

12.En vertu du paragraphe 3 a de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de garantir à Rafael A. Rojas García et à sa famille un recours utile sous forme d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constations. Le Comité demande également à l’État partie de rendre publiques ses constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de MM. Nisuke Ando et Ivan A. Shearer

Nous souscrivons à la conclusion du Comité selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 17, dès lors qu’il y a eu immixtion arbitraire au domicile de la famille Rojas García. Nous ne pouvons cependant partager sa conclusion selon laquelle il y a eu en l’espèce violation de l’article 7 (par. 10.3 et 10.5).

De l’avis du Comité (la majorité des membres), le traitement subi par la famille Rojas García aux mains de la police, tel qu’il est décrit au paragraphe 2.1 et que l’État partie n’a pas réfuté, constitue une violation de l’article 7. Il est dit au paragraphe 2.1 que le 5 janvier 1993, à 2 heures du matin, un groupe d’hommes armés et en civil, appartenant au parquet, ont pénétré par infraction dans la maison de l’auteur, en passant par le toit; que ces hommes ont fouillé chacune des pièces de la maison, terrorisant et injuriant les membres de la famille de l’auteur, même les jeunes enfants; et que pendant cette perquisition, l’un de ces hommes a tiré des coups de feu en l’air.

Comme l’auteur lui‑même le déclare, le groupe d’hommes qui a procédé à la perquisition se serait apparemment trompé de maison (n° 2‑44 au lieu du no 2‑36) et lorsqu’ils se sont rendu compte que dans la maison vivait une fonctionnaire du parquet régional, certains de ses membres se sont excusés en déclarant s’être trompés (par. 9.6). L’auteur explique aussi que la perquisition a eu lieu parce que l’on supposait que dans cette maison se trouvaient des criminels mais que, après l’incident, le parquet, au lieu de reconnaître l’erreur, n’a fait jusqu’ici que persister (par. 9.1).

Selon nous, les membres du groupe qui a procédé à la perquisition devaient forcément s’attendre à une vive résistance, voire armée, de la part des occupants de la maison, parce qu’ils supposaient que l’assassin ou les assassins du maire s’y cachaient. C’est ce qui expliquerait les faits relatés au paragraphe 2.1: l’irruption par effraction dans la maison, en passant par le toit, au milieu de la nuit; puis la fouille, pièce par pièce, de la maison, accompagnée sans doute de propos grossiers tenus par les membres du groupe; et le coup de feu accidentel tiré par l’un d’eux. Il y a eu certes erreur de la part du parquet, mais il est douteux que le comportement de ceux qui ont procédé à la perquisition par erreur puisse être qualifié de comportement constituant une violation de l’article 7.

Nous pensons que les auteurs de la perquisition ont agi de bonne foi jusqu’à ce qu’ils se soient rendu compte qu’ils s’étaient trompés de maison. L’État partie maintient que la perquisition de la maison de l’auteur s’est déroulée conformément à la loi. Il affirme aussi que la direction des services techniques du parquet avait engagé une procédure préliminaire sur le coup de feu et estimé que celui‑ci avait été tiré non par négligence mais accidentellement (par. 8.3). Dans ces circonstances, nous concluons que les membres du groupe qui a procédé à la perquisition n’avaient nullement l’intention de terroriser la famille de l’auteur.

Normalement, pour qu’il y ait violation de l’article 7, le fait doit avoir été commis intentionnellement, et l’absence d’intention plaide en faveur de l’exclusion, ou de l’atténuation, de l’illicéité du fait. Cela vaut pour la perquisition opérée par la police en l’espèce. Il s’ensuit qu’à notre avis, il n’y a pas eu en la présente affaire violation de l’article 7.

(Signé) Nisuke Ando(Signé) Ivan A. Shearer

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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