Nations Unies

CCPR/C/CHE/CO/3

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

3 novembre 2009

Français

Original: anglais

Comité des droits de l ’ homme

Quatre-vingt-dix-septième session

Genève, 12-30 octobre 2009

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte

Observations finales du Comité des droits de l’homme

Suisse

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le troisième rapport périodique de la Suisse (CCPR/C/CHE/3) à ses 2657e et 2658e séances, les 12 et 13 octobre 2009 (CCPR/C/SR.2657 et SR.2658), et a adopté les observations finales ci-après à sa 2679e séance (CCPR/C/SR.2679), le 27 octobre 2009.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport périodique de la Suisse, qui a été soumis dans les délais et qui contient des renseignements détaillés sur les mesures adoptées par l’État partie et sur les plans et projets visant à poursuivre la mise en œuvre du Pacte. Il sait gré à l’État partie d’avoir soumis à l’avance des réponses écrites à la liste des points qui lui avait été adressée (CCPR/C/CHE/Q/3/Add.1), ainsi qu’à la délégation pour les renseignements complémentaires détaillés qu’elle a donnés oralement pendant l’examen du rapport et pour les renseignements écrits supplémentaires.

B.Aspects positifs

3.Le Comité, qui prend note de l’attention soutenue accordée par l’État partie à la protection des droits de l’homme, accueille généralement avec satisfaction les mesures législatives et autres ci-après:

a)L’adoption, en 2007, du Code de procédure pénale suisse et de la loi fédérale régissant la procédure pénale applicable aux mineurs, qui doivent l’un et l’autre entrer en vigueur en 2011;

b)La révision de la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions (LAVI) qui est entrée en vigueur en 2009;

c)La révision de la Constitution visant à renforcer les garanties d’accès à la justice et l’indépendance du pouvoir judiciaire;

d)L’adoption, en 2002, de la loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées, entrée en vigueur le 1er janvier 2004;

e)La loi fédérale sur l’usage de la contrainte et de mesures policières, du 20 mars 2008;

f)Le retrait des réserves émises au paragraphe 2 b) de l’article 10 et aux paragraphes 1, 3 d) et f) et 5 de l’article 14 du Pacte.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

4.Le Comité note avec préoccupation que l’État partie maintient ses réserves au paragraphe 1 de l’article 12, au paragraphe 1 de l’article 20, à l’alinéa b de l’article 25 et à l’article 26. En ce qui concerne la réserve à l’article 26 du Pacte, le Comité prend note de l’observation de l’État partie qui a fait savoir qu’il pourrait revoir sa position et envisager de retirer sa réserve quand il aurait ratifié le Protocole no 14 à la Convention européenne des droits de l’homme.

L ’ État partie devrait envisager de retirer ses réserves restantes à l ’ égard du Pacte.

5.Le Comité est préoccupé par l’information donnée dans les réponses écrites à la liste de points à traiter et confirmée par la délégation, selon laquelle, étant donné que les particuliers placés sous la juridiction de la Suisse peuvent s’adresser à la Cour européenne des droits de l’homme, l’État partie n’a pas besoin d’adhérer au Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité relève toutefois que la délégation a affirmé qu’il n’y avait aucun obstacle d’ordre juridique à l’adhésion de l’État partie au Protocole facultatif (art. 2).

L ’ État partie devrait envisager d ’ adhérer au Protocole facultatif se rapportant au Pacte afin de renforcer la protection des droits de l ’ homme des personnes placées sous sa juridiction.

6.Le Comité se dit une nouvelle fois préoccupé par le fait que le respect par l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte sur toute l’étendue de son territoire pourrait être entravé par la structure fédérale qui est la sienne. Il rappelle à l’État partie que, en vertu de l’article 50, les dispositions du Pacte «s’appliquent, sans limitation ni exception aucune, à toutes les unités constitutives des États fédératifs» (art. 2).

L ’ État partie devrait prendre des mesures pour veiller à ce que les autorités de tous les cantons et communes aient connaissance des droits énoncés dans le Pacte et de leur devoir d ’ en garantir le respect, y compris par les tribunaux cantonaux.

7.Le Comité relève avec préoccupation que l’État partie n’a pas encore mis en place une institution nationale ayant une compétence étendue dans le domaine des droits de l’homme, conformément aux Principes de Paris (résolution 48/134 de l’Assemblée générale). Le Comité prend note des renseignements donnés par l’État partie, qui indique qu’il a été décidé, après de vastes consultations, de mettre en place un projet pilote visant à créer un «Centre de compétences dans le domaine des droits de l’homme» au sein des universités, pour une durée de cinq ans, mais il rappelle à l’État partie que les universités ne peuvent s’acquitter que d’une petite partie du mandat conféré à une institution nationale des droits de l’homme (art. 2).

L ’ État partie devrait mettre en place une institution nationale des droits de l ’ homme ayant un mandat étendu dans le domaine des droits de l ’ homme, et la doter de ressources financières et humaines suffisantes, conformément aux Principes de Paris.

8.Le Comité est préoccupé par l’initiative tendant à interdire l’édification de minarets dans le pays et par la campagne d’affichage discriminatoire qui l’accompagne. Il note que l’État partie n’appuie pas cette initiative qui, si elle était votée, mettrait l’État partie dans une situation de non-respect de ses obligations en vertu du Pacte (art. 2, 18 et 20).

L ’ État partie devrait veiller sans relâche à assurer le respect de la liberté de religion et lutter fermement contre l ’ incitation à la discrimination, à l ’ hostilité et à l ’ intolérance.

9.Le Comité est préoccupé par la forte augmentation des incidents à caractère apparemment antisémite qui se produisent dans l’État partie, notamment par les jets de pierres et les menaces verbales qui ont perturbé une réunion à l’hôtel Kempinski à Genève le 2 mars 2009, et par l’incendie volontaire qui a détruit la principale synagogue de Genève en 2007. Le Comité est également préoccupé par les informations selon lesquelles la police de Genève n’aurait pas procédé à des enquêtes approfondies sur les caractéristiques de ces incidents (art. 2, 18, 20 et 26).

L ’ État partie devrait enquêter de manière approfondie sur toute menace de violence visant les communautés religieuses minoritaires, y compris la communauté juive.

10.Le Comité regrette que la Commission fédérale contre le racisme ne soit pas habilitée à engager des actions en justice quand elle est saisie de plaintes pour discrimination raciale et incitation à la haine raciale (art. 2, 20 et 26).

L ’ État partie devrait envisager, comme le Comité l ’ a déjà recommandé, de renforcer le mandat de la Commission fédérale contre le racisme en lui donnant pouvoir pour enquêter sur toutes les affaires de discrimination raciale et d ’ incitation à la haine nationale, raciale ou religieuse ou créer un organe indépendant ayant compétence pour engager des actions en justice dans les affaires de cette nature. De plus, il devrait intensifier ses efforts pour promouvoir la tolérance et le dialogue culturel au sein de la population.

11.Le Comité est préoccupé par la persistance de la violence contre les femmes, notamment de la violence familiale, ainsi que par l’absence d’une législation complète sur la question. Il s’inquiète en particulier de ce que les prescriptions de l’article 50 de la nouvelle loi fédérale sur les étrangers, en particulier l’obligation pour la personne concernée de prouver qu’il lui serait difficile de se réinsérer dans le pays de provenance, créent pour les femmes étrangères, qui sont restées mariées moins de trois ans avec un Suisse ou avec un étranger titulaire d’un permis de séjour et qui sont victimes de violences, des problèmes pour obtenir ou faire renouveler un permis de séjour. Ces dispositions risquent également d’empêcher les victimes de quitter un conjoint violent et de chercher de l’aide (art. 2, 3, 23 et 26).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour combattre la violence contre les femmes, notamment en adoptant une législation complète visant à lutter contre la violence dans la famille et en réprimant toutes les formes de violence à l ’ égard des femmes, et pour garantir que les victimes aient immédiatement accès à des moyens de réparation et de protection. Il devrait poursuivre et punir les responsables. Il devrait également revoir sa législation relative aux permis de séjour de façon à éviter que l ’ application de la loi n ’ ait pour résultat, dans la pratique, de contraindre les femmes à rester avec un conjoint violent.

12.Le Comité est préoccupé par l’incidence élevée des suicides par arme à feu dans l’État partie. À ce sujet, il note avec préoccupation de ce que les personnes qui servent dans l’armée gardent normalement leurs armes de service chez eux. Il accueille avec satisfaction la décision récente tendant à garder toutes les munitions de service dans les locaux de l’armée (art. 6).

L ’ État partie devrait revoir sa législation et ses pratiques afin de restreindre les conditions d ’ accès aux armes à feu et limiter l ’ usage légitime de ces armes. Il devrait mettre fin à la pratique en vertu de laquelle les personnes qui servent dans les forces armées conservent leurs armes d ’ ordonnance à leur domicile. De plus, l ’ État partie devrait mettre en place un registre national des armes à feu détenues par des particuliers.

13.Le Comité note que, en vertu de l’article 115 du Code pénal, «[c]elui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d’une peine privative de liberté…» mais est préoccupé par l’absence de contrôle indépendant ou judiciaire visant à déterminer si la personne qui demande une assistance pour mettre fin à ses jours agit en donnant son consentement complet, libre et éclairé (art. 6).

L ’ État partie devrait envisager de modifier sa législation afin de garantir un contrôle indépendant ou judiciaire pour déterminer si la personne qui demande une assistance au suicide a donné son consentement complet, libre et éclairé.

14.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de brutalités policières à l’égard de personnes en état d’arrestation ou en détention, en particulier des demandeurs d’asile et des migrants. Il demeure préoccupé de ce que la plupart des cantons ne disposent pas de mécanisme indépendant pour enquêter sur les plaintes déposées contre la police. À ce sujet, le Comité réaffirme que la possibilité de porter plainte devant un tribunal ne devrait pas empêcher la création de tels mécanismes. Il est également préoccupé par la représentation généralement faible des minorités dans les rangs de la police, malgré le pourcentage élevé de membres de minorités dans l’ensemble de la population (art. 7).

L ’ État partie devrait veiller à ce que tous les cantons créent un organisme indépendant habilité à enregistrer toutes les plaintes dénonçant l ’ utilisation d ’ une violence excessive, les mauvais traitements ou autres abus commis par la police et à enquêter effectivement sur ces plaintes. Tous les responsables devraient être poursuivis en justice et punis et les victimes devraient être indemnisées. L ’ État partie devrait mettre en place une base de données statistiques nationale sur les plaintes visant la police. Il devrait également intensifier ses efforts pour faire en sorte que les minorités soient suffisamment représentées dans les forces de police.

15.Le Comité note avec préoccupation que le renvoi forcé d’étrangers, qui relève de la compétence des cantons, ne se déroule pas en présence d’observateurs indépendants (art. 7 et 13).

L ’ État partie devrait autoriser la présence d ’ observateurs indépendants lors du renvoi forcé d ’ étrangers.

16.Le Comité note que la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral a changé et qu’il reconnaît désormais que les persécutions qui sont le fait d’agents extérieurs à l’État peuvent constituer un motif d’octroi de l’asile. Il est préoccupé toutefois par des informations faisant état d’expulsions alors que les pays d’origine des intéressés s’étaient déclarés incapables de leur assurer une protection contre des acteurs étrangers à l’État (art. 7 et 13).

L ’ État partie devrait respecter strictement le principe du non-renvoi de personnes soumises à des persécutions de la part d ’ agents extérieurs à l ’ État et garantir l ’ application de la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral sur cette question.

17.Le Comité prend note des efforts consentis par l’État partie pour améliorer les conditions de vie dans les prisons et résoudre le problème de la surpopulation, comme le projet de construction de nouveaux établissements. Il est préoccupé par les conditions de vie toujours mauvaises dans certains établissements et en particulier par la surpopulation de la prison de Champ-Dollon (art. 10).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour améliorer les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires de tous les cantons et résoudre d ’ urgence le problème de la surpopulation, en particulier à la prison de Champ-Dollon.

18.Le Comité prend note des informations selon lesquelles les demandeurs d’asile sont dûment informés qu’ils ont le droit d’être assistés par un avocat et les services d’un avocat sont assurés gratuitement pendant la procédure d’asile ordinaire. Il est toutefois préoccupé par le fait que l’aide judiciaire gratuite peut être soumise à des restrictions quand les demandeurs d’asile déposent une requête dans le cadre de la procédure extraordinaire (art. 13).

L ’ État partie devrait revoir sa législation de façon à accorder gratuitement l ’ assistance d ’ un avocat aux demandeurs d ’ asile pendant toutes les procédures, qu ’ elles soient ordinaires ou extraordinaires.

19.Le Comité relève qu’une aide d’urgence est accordée aux personnes dont la demande d’asile a été rejetée, mais il est préoccupé par les informations indiquant que les conditions de vie de ces personnes sont mauvaises et qu’elles perdent le bénéfice de l’assurance maladie (LAMAL), ce qui restreint leur accès aux soins de santé (art. 13 et 17).

L ’ État partie devrait protéger les droits fondamentaux des personnes dont la demande d ’ asile a été rejetée et permettre à ces personnes d ’ avoir un niveau de vie suffisant et de bénéficier de soins de santé.

20.Le Comité est préoccupé par la réticence de l’État partie à accorder des indemnités ou à assurer une réparation sous une autre forme pour les castrations et les stérilisations forcées effectuées entre 1960 et 1987 (art. 2 et 7).

L ’ État partie devrait réparer cette injustice passée en recourant à diverses formes de réparation, y compris à des moyens non pécuniaires, comme la présentation d ’ excuses publiques.

21.Le Comité prend note avec préoccupation de la modification apportée le 12 juin 2009 au Code civil, qui interdit le mariage ou le partenariat aux personnes sans statut de séjour légal en Suisse. Cette nouvelle disposition va au-delà de la simple réglementation du droit de contracter mariage et de fonder une famille consacré à l’article 23 du Pacte (art. 2, 17, 23 et 26).

L ’ État partie devrait revoir d ’ urgence sa législation afin de la rendre conforme au Pacte.

22.L’État partie devrait diffuser largement dans ses langues officielles son troisième rapport périodique, ses réponses écrites apportées à la liste des points à traiter élaborée par le Comité et les présentes observations finales.

23.Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait faire parvenir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la situation actuelle et sur la suite donnée aux recommandations du Comité figurant dans les paragraphes 10, 14 et 18 ci-dessus.

24.Le Comité prie l’État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique, attendu en 2015, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux autres recommandations et sur l’application du Pacte dans son ensemble.