Nations Unies

CRC/C/82/D/27/2017

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

5 novembre 2019

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 27/2017 * , **

Communication présentée par :

R. K. (représenté par l’organisation non gouvernementale Fundación Raíces)

Victime(s) présumée(s) :

R. K.

État partie :

Espagne

Date de la communication :

20 juillet 2017

Date des constatations :

18 septembre 2019

Objet :

Procédure de détermination de l’âge d’un présumé enfant non accompagné demandeur d’asile

Questions de procédure :

Irrecevabilité ratione personae; non-épuisement des recours internes

Article(s) de la Convention :

3, 8, 12, 18 (par. 2), 20, 22, 27 et 29

Article(s) du Protocole facultatif :

7 c), e) et f)

1.1L’auteur de la communication est R. K., de nationalité guinéenne, né le 1er février 2000. Il se dit victime de violations des articles 3, 8, 12, 18 (par. 2), 20, 22, 27 et 29 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril 2014.

1.2Le 21 juillet 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur l’article 6 du Protocole facultatif, a demandé à l’État partie de ne pas renvoyer l’auteur dans son pays d’origine et de le placer dans un centre de protection des mineurs en attendant que le Comité ait examiné sa communication.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 3 juin 2017, l’auteur est arrivé à Almería, après avoir quitté Nador (Maroc) dans une embarcation de fortune et avoir été secouru par la Croix‑Rouge à l’approche des côtes espagnoles. Il fuyait la Guinée, où il vivait avec sa famille. Ses parents, chrétiens, habitaient le quartier d’Astadi, dont la population est majoritairement musulmane. Ils ont été assassinés lorsque l’auteur avait 14 ou 15 ans, dans le contexte des affrontements entre chrétiens et musulmans. L’auteur est parvenu à s’enfuir, mais les agresseurs l’ont rattrapé, ligoté et blessé aux bras et au thorax avec un rasoir. Ayant réussi à leur échapper de nouveau, il s’est réfugié dans un quartier chrétien, où ses blessures ont été soignées. À son retour chez lui, il a constaté que la maison familiale avait été détruite et brûlée. Il a décidé de partir seul, depuis Conakry, et a traversé le Mali, l’Algérie et le Maroc. Son voyage a duré un an. À la frontière entre le Mali et l’Algérie, il a été intercepté par des Touaregs, qui l’ont retenu captif et maintenu ligoté pendant trois jours. Il est finalement arrivé à Nador, où il a séjourné pendant six mois.

2.2À son arrivée en Espagne, l’auteur a été conduit au commissariat de police d’Almería, où il a été immédiatement placé dans une cellule, dans laquelle il est resté trois jours, aux côtés d’adultes. Il a été nourri mais n’a pas pu se doucher. Le troisième jour, il a été convoqué pour une prise d’empreintes. Bien qu’il ait tout de suite fait savoir qu’il avait 17 ans, sa date de naissance a été établie au 1er janvier 1996, ce qui lui donnait 21 ans.

2.3Le 5 juin 2017, un ordre d’expulsion a été pris à l’égard de l’auteur (ordre no 1461/17). Le 6 juin 2017, par la décision no 1152/2017, le tribunal d’instruction no 1 d’Almería a ordonné que l’auteur soit placé dans le centre d’internement pour étrangers adultes d’Aluche, à Madrid. L’auteur dit qu’il a déclaré être mineur devant le tribunal, qu’il n’a pas bénéficié de l’aide d’un interprète et qu’il n’a pas pu parler à un avocat et ne sait pas s’il en avait un. Il explique qu’après son placement au centre d’Aluche, il a de nouveau signalé qu’il était mineur.

2.4Le 17 juillet, l’organisation SOS Racismo a informé par écrit le Défenseur du peuple et le juge chargé de surveiller les conditions d’internement dans le centre d’Aluche que cinq mineurs, dont l’auteur, étaient présents dans cette structure et risquaient d’être expulsés le 24 juillet 2017. L’auteur dit avoir appris de manière officieuse qu’un vol à destination de la Guinée était prévu pour cette date. Cependant, l’ordre d’expulsion n’étant notifié à l’intéressé que douze heures à l’avance, l’auteur n’avait pas encore été officiellement informé de la date de son départ.

2.5Le 18 juillet 2017, l’auteur s’est rendu à un entretien de demande d’asile. Il dit ne pas avoir été autorisé à présenter une demande de protection internationale en tant que mineur car il n’avait pas de tuteur.

2.6Le 19 juillet 2017, l’auteur a reçu l’acte du tribunal d’instruction no 19 de Madrid lui ordonnant de se soumettre à une procédure de détermination de l’âge.

2.7Le 20 juillet 2017, l’auteur a écrit à l’Ambassade de Guinée en Espagne, au tribunal d’instruction no 1 d’Almería, à la Direction générale de la famille et des mineurs de la Communauté de Madrid, au Défenseur du peuple, au juge chargé de surveiller les conditions d’internement dans le centre d’Aluche et au parquet de la province de Madrid. Dans sa lettre, il priait instamment ces institutions de prendre des mesures de protection en sa faveur, en leur précisant qu’il avait l’apparence physique d’un mineur. Quelques heures plus tard, ayant reçu une copie d’un extrait de son acte de naissance et un certificat de conformité de l’extrait d’acte de naissance, il a envoyé des copies de ces documents aux institutions susmentionnées ainsi qu’au ministère public et au commissariat de la province d’Almería.

2.8Le 28 juillet 2017, l’auteur a informé par écrit le juge chargé de surveiller les conditions d’internement dans le centre d’Aluche, le tribunal d’instruction no 1 d’Almería et le parquet de la province de Madrid qu’il avait reçu les originaux des documents précités. Le même jour, il a été remis en liberté, après avoir passé cinquante-deux jours au centre d’internement d’Aluche. Il a été transféré dans un foyer pour adultes, sans se voir désigner un tuteur et sans bénéficier du traitement et de la protection dus à un mineur.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur allègue qu’en l’espèce, l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré à l’article 3 de la Convention, n’a pas été pris en considération, alors qu’il était un mineur étranger non accompagné demandeur d’asile. Il affirme que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant a été enfreint car, bien qu’il existât un doute ou une incertitude quant à sa minorité, et surtout un risque réel de dommage irréparable, il n’a pas été présumé mineur. Il précise qu’il est en possession de documents prouvant qu’il est mineur, à savoir un extrait d’acte de naissance et un certificat de conformité de l’extrait d’acte de naissance. Il dit subir un préjudice en ce qu’il réside dans un centre pour adultes, lieu totalement inapproprié pour un mineur. De plus, il court le risque que l’ordre d’expulsion le concernant soit exécuté, ce qui signifierait que l’État partie expulserait de son territoire un mineur demandeur d’asile.

3.2L’auteur indique que, bien que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant soit inscrit dans la législation espagnole, aucun protocole unique de détermination de l’âge n’a encore été établi, compte tenu des différences entre les communautés autonomes s’agissant de déterminer ce qui constitue l’intérêt supérieur de l’enfant.

3.3L’auteur se dit également victime d’une violation de l’article 3, lu conjointement avec les articles 18 (par. 2) et 20 (par. 1) de la Convention, au motif qu’il ne s’est pas vu désigner un tuteur ou un représentant, alors que cette désignation constitue une garantie de procédure fondamentale allant dans le sens du respect de l’intérêt supérieur d’un enfant non accompagné. Il affirme que, en le déclarant majeur sur la seule base de son apparence et en ne cherchant pas à vérifier s’il était mineur ou majeur auprès de l’ambassade de son pays d’origine, l’État partie l’a privé de tous les droits que la Convention reconnaît aux mineurs.

3.4L’auteur soutient que le droit à l’identité qu’il tient de l’article 8 de la Convention n’a pas été respecté par l’État partie. Il dit que l’âge constitue un élément fondamental de l’identité et que l’État partie est tenu de ne pas porter atteinte à son identité, ainsi que de conserver et sauvegarder les données qui la constituent.

3.5L’auteur se dit aussi victime d’une violation de l’article 12 de la Convention, car l’État partie ne lui a pas donné la possibilité d’être entendu.

3.6L’auteur affirme en outre que l’article 20 de la Convention n’a pas non plus été respecté, puisque l’État partie ne lui a pas garanti la protection qui lui était due en tant qu’enfant privé de son milieu familial. Il ajoute que l’État partie l’a immédiatement considéré comme majeur, sans tenir compte des documents originaux qu’il a produits et qui indiquaient qu’il était mineur, le privant ainsi de la protection à laquelle il avait droit.

3.7De plus, l’auteur se dit victime d’une violation de l’article 22 de la Convention, car il n’a pas été autorisé à présenter une demande d’asile du fait de sa minorité. Il renvoie à la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, selon laquelle « [l]orsqu’une personne présente une demande de protection internationale à une autorité compétente en vertu du droit national pour enregistrer de telles demandes, l’enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrables après la présentation de la demande ». Il estime que, si ce délai a été fixé à trois jours, c’est pour apporter sécurité et garanties aux demandeurs d’asile, compte tenu des conséquences auxquelles ils sont exposés s’ils restent en situation irrégulière.

3.8Enfin, l’auteur se dit victime d’une violation des articles 27 et 29 de la Convention, car, son intérêt supérieur en tant qu’enfant n’ayant pas été respecté, il n’a pas pu développer pleinement toutes ses facultés. En l’absence d’un tuteur pour le guider, il ne peut pas s’épanouir comme il le devrait à son âge.

3.9Comme solutions possibles, l’auteur propose : a) que l’État partie reconnaisse qu’il est mineur et suspende son renvoi dans son pays d’origine ; b) que l’État partie l’autorise à présenter une demande d’asile en tant que mineur ; c) qu’il soit déclaré sans protection et placé sous la tutelle de la Communauté de Madrid ; d) que lui soient reconnus tous les droits qu’il tient en tant qu’enfant, y compris le droit d’être entendu, le droit de recevoir la protection de l’administration publique, le droit à un représentant légal, le droit à l’éducation et le droit d’obtenir un titre de séjour et un permis de travail qui lui permettent de développer pleinement sa personnalité et de s’intégrer dans la société.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations du 24 novembre 2017, l’État partie affirme que l’auteur a disparu et que les mesures provisoires convenues n’ont plus lieu d’être.

4.2L’État partie estime que la communication est irrecevable ratione personae, au regard des alinéas c) et f) de l’article 7 du Protocole facultatif, car l’auteur est majeur. Il en veut pour preuve que : a) l’auteur n’a pas présenté de documents d’identité officiels contenant des données biométriques vérifiables ; b) le certificat de naissance que l’auteur a produit ne présente pas les caractéristiques nécessaires pour être considéré comme le sien, car il s’agit d’une simple photocopie, qui ne comprend pas de données biométriques ; c) l’auteur a l’apparence d’une personne majeure, comme le montrent les photographies qui ont été prises de lui au moment de son entrée illégale sur le territoire espagnol. L’État partie ajoute qu’en l’absence de preuve crédible de la minorité de l’auteur, considérer la communication comme recevable « ne pourra que profiter aux mafias qui se livrent au trafic de migrants illégaux et auxquelles l’auteur a fait appel contre rémunération ».

4.3De plus, l’État partie précise que, par acte du 19 juillet 2017 adressé à l’hôpital Gregorio Marañón de Madrid, le tribunal d’instruction no 19 a ordonné que soient réalisés des examens médicaux − en l’espèce, une radiographie du poignet et un panoramique dentaire − visant à déterminer si l’auteur était mineur. Les rapports médicaux datés du 20 et du 24 juillet 2017 indiquent que l’âge osseux de l’auteur est estimé à 19 ans, selon l’Atlas de Greulich et Pyle, et que, d’après le panoramique dentaire, l’auteur a au moins 18 ans. L’examen médico-légal a établi que l’auteur était très probablement âgé d’au moins 18 ans.

4.4L’État partie estime également que la communication est irrecevable au regard de l’alinéa e) de l’article 7 du Protocole facultatif, car tous les recours internes n’ont pas été épuisés, étant donné que : a) l’auteur aurait pu demander que des examens médicaux susceptibles de prouver qu’il était mineur soient pratiqués ; b) l’auteur peut demander la révision de toute décision de la Communauté autonome qui ne le reconnaît pas comme mineur et admissible à la protection des mineurs, en application de l’article 780 de la loi de procédure civile ; c) l’auteur peut contester l’ordre d’expulsion et le rejet éventuel de la demande d’asile devant la juridiction administrative contentieuse ; d) l’auteur peut engager une action gracieuse devant les tribunaux civils à des fins de détermination de l’âge, en application de la loi no 15/2015.

4.5De plus, l’État partie avance que, selon l’arrêt no 172/2013 du Tribunal constitutionnel du 9 septembre 2013, concernant le recours en amparo no 952/2013, la décision du ministère public est « éminemment provisoire » et la décision définitive concernant l’âge d’une personne sans papiers est susceptible d’appel devant une juridiction au moyen des recours disponibles, qui, en l’espèce, n’ont pas été épuisés.

Observations de l’État partie sur le fond

5.1Dans ses observations du 19 janvier 2018, l’État partie réitère sa description des faits et expose de nouveau ses arguments quant à la recevabilité de la communication.

5.2En ce qui concerne le grief de l’auteur selon lequel son intérêt supérieur n’aurait pas été respecté, l’État partie soutient que l’auteur peut difficilement être lésé dans son intérêt en tant que mineur alors qu’il existe des preuves médicales objectives de sa majorité. Il ajoute que l’auteur expose son grief en des termes généraux, sans préciser clairement en quoi le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant n’aurait pas été respecté. Ce grief semble reposer sur l’idée que toute procédure médicale de détermination de l’âge établissant la majorité d’une personne constitue une violation de la Convention. L’observation générale no 6 établit le principe de la présomption de minorité en cas d’incertitude, mais ce principe ne s’applique pas lorsqu’il est manifeste que la personne concernée est majeure et que les autorités nationales peuvent donc légalement la considérer comme telle sans qu’il soit nécessaire de procéder à des vérifications. Pourtant, en l’espèce, les autorités ont donné à l’auteur la possibilité de se soumettre à des examens médicaux objectifs, auxquels il a consenti en connaissance de cause.

5.3Il n’y avait pas lieu d’appliquer à l’auteur les dispositions légales visant à protéger les mineurs sans preuves crédibles de sa minorité et sur la seule foi de ses déclarations. L’État partie signale que, lorsque des personnes majeures sont admises dans des centres d’accueil pour mineurs, les mineurs subissent parfois des actes de violence et de maltraitance de la part des majeurs.

5.4S’agissant du grief que l’auteur tire de la violation présumée de son droit à ce que son intérêt supérieur soit respecté, garanti par les articles 18 (par. 2) et 20 (par. 1) de la Convention, l’État partie fait remarquer que l’auteur a été pris en charge par les services sanitaires à son arrivée sur le territoire espagnol et a bénéficié gratuitement des services d’un avocat et d’un interprète, que sa situation a été portée sans délai à la connaissance de l’autorité judiciaire compétente de manière à ce que le respect de ses droits soit garanti, et que le ministère public, qui est l’institution chargée de veiller à l’intérêt supérieur de l’enfant, a été immédiatement informé que l’auteur s’était déclaré mineur. En conséquence, même si l’auteur avait été mineur, ce qui n’est pas le cas, on pourrait difficilement dire qu’il a été privé d’une aide juridique ou qu’il s’est trouvé sans protection.

5.5En ce qui concerne les allégations relatives au droit à l’identité, l’État partie estime que l’auteur n’a pas établi en quoi son droit de préserver son identité a pu être violé. Il ajoute que l’auteur a été enregistré par les autorités espagnoles sous le nom qu’il a donné lorsqu’il est entré illégalement sur le territoire national et que, de fait, c’est cet enregistrement qui lui permet d’exercer ses droits aujourd’hui.

5.6En ce qui concerne le grief de l’auteur selon lequel son droit d’être entendu n’aurait pas été respecté, l’État partie estime que l’auteur a toujours eu la possibilité d’être entendu. Il l’a été lorsqu’il a affirmé être mineur et qu’il s’est vu proposer, sous réserve de son consentement éclairé, des examens médicaux visant à déterminer son âge. Il a pu bénéficier des services d’un conseil, puisqu’il a été à tout moment représenté et défendu par un avocat. L’État partie précise que, le 6 juin 2017, en présence d’un interprète et d’un avocat, l’auteur s’est vu remettre le document d’information sur les droits du détenu en application de la loi sur les étrangers et l’a signé. L’auteur a été entendu et a bénéficié de l’assistance d’un avocat pendant toute la procédure judiciaire le concernant, aussi bien devant le tribunal d’instruction no 5 d’Almería que devant le tribunal d’instruction no 19 de Madrid.

5.7En ce qui concerne les allégations selon lesquelles l’auteur a été privé de son droit à la protection et à l’aide spéciales de l’État partie, prévu par l’article 20 de la Convention, l’État partie estime qu’« en l’espèce, compte tenu qu’il existe des preuves de la majorité de l’auteur, le droit allégué est tout simplement inapplicable ».

5.8L’État partie conteste également l’allégation de violation du droit d’asile au motif que, le 28 juillet 2017, la Sous-Direction générale de l’asile du Ministère de l’intérieur a jugé recevable la demande présentée par l’auteur.

5.9L’État partie affirme aussi qu’il n’y a eu aucune violation des articles 27 et 29 de la Convention, puisque le droit au développement s’applique exclusivement aux mineurs. Il ajoute que l’auteur a été dûment pris en charge dès son arrivée en Espagne.

5.10En ce qui concerne les solutions proposées par l’auteur dans sa communication initiale, l’État partie soutient que l’auteur ne demande ni ne propose aucune mesure permettant de déterminer son âge avec certitude. Il ne propose pas non plus que les données le concernant soient vérifiées auprès des autorités de son pays d’origine supposé. En conséquence, demander à l’Espagne de reconnaître qu’il est impossible d’établir l’âge de l’auteur ne résout aucun problème, dans la mesure où il n’est pas acceptable qu’une personne apparemment majeure doive être considérée comme mineure sur la seule base de ses déclarations. En ce qui concerne la possibilité de contester les décisions du ministère public, l’État partie précise que ces décisions sont « éminemment provisoires », qu’elles peuvent être réexaminées par le procureur lui-même si de nouveaux éléments se présentent, et abrogées et remplacées par les décisions définitives adoptées par d’autres instances. En ce qui concerne les autres griefs de l’auteur, l’État partie souligne que l’auteur a déjà bénéficié de la protection publique et de l’assistance des juges et du ministère public. Enfin, en Espagne, les permis de séjour et de travail ne sont accordés que si les conditions générales prévues par la loi sont réunies.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

6.1Dans ses commentaires du 13 juillet 2018, l’auteur estime que l’affirmation de l’État partie selon laquelle il aurait disparu est sans fondement. Il résidait dans un centre pour adultes, dans le cadre d’un programme financé par le Ministère de l’emploi et de la sécurité sociale, qui assurait le suivi des résidents. Il précise qu’il vit depuis huit mois dans un foyer pour adultes géré par la fédération d’organisations Red Acoge, à Burgos.

6.2L’auteur signale que, le 25 juillet 2017, il a pu soumettre sa demande d’asile. En février 2018, sa carte de demandeur d’asile a été renouvelée par le Bureau de l’asile et du refuge. L’auteur fait remarquer que la date de naissance qu’il a inscrite sur son formulaire de demande d’asile, à savoir le 1er février 2000, est celle qui figure sur les originaux de ses pièces justificatives qui prouvent qu’il est mineur. Or, la date de naissance inscrite sur sa carte de demandeur d’asile est le 1er février 1998, ce qui montre qu’il n’a pas été enregistré en tant que mineur. L’auteur dit que, devant cette incohérence, il a demandé au Bureau de l’asile et du refuge de modifier la date figurant sur sa carte, mais qu’il n’a pas encore reçu de réponse.

6.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel la communication doit être jugée irrecevable ratione materiae, l’auteur dit que, contrairement à ce que l’État partie soutient, il est impossible d’affirmer qu’il est majeur. Il maintient que, conformément à ce qu’atteste son acte de naissance, il est mineur. Il ajoute que l’examen radiologique de détermination de l’âge, à savoir l’évaluation de la radiographie du poignet de la main gauche selon la méthode de Greulich et Pyle, présente une telle marge d’erreur qu’il ne saurait aboutir à des résultats infaillibles, comme en témoigne la littérature scientifique la plus récente.

6.4En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur précise que, selon l’article 7 f) du Protocole facultatif, il n’est pas nécessaire que les recours internes aient été épuisés lorsqu’ils ont peu de chances d’aboutir à une réparation effective. L’auteur soutient que l’ordre d’expulsion ne peut pas être contesté directement devant les tribunaux et qu’il est nécessaire de former un recours, sur lequel l’administration statuera elle-même dans un délai de trois mois et qui n’aura pas d’effet suspensif sur l’ordre d’expulsion.

6.5L’auteur fait observer que le ministère public n’est pas revenu sur sa décision de le considérer comme majeur, bien qu’il ait produit des documents délivrés par l’ambassade de Guinée établissant qu’il était mineur et contredisant les résultats des examens médicaux pratiqués. Il en conclut que, contrairement à ce que l’État partie affirme, les décisions du ministère public ne sont pas strictement provisoires et susceptibles d’être annulées sur présentation de nouveaux éléments.

6.6En ce qui concerne le non‑respect de l’intérêt supérieur de l’enfant au regard de l’article 3 de la Convention, l’auteur réaffirme que l’État partie n’a pas respecté la présomption de minorité, alors qu’il existait un risque imminent de dommage irréparable comme la possibilité d’une expulsion. L’auteur renvoie à l’observation générale conjointe no 4 (2017) du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et no 23 du Comité des droits de l’enfant (2017) sur les obligations des États en matière de droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationales dans les pays d’origine, de transit, de destination et de retour, qui souligne que les documents présentés dans le cadre de la procédure de détermination de l’âge doivent être considérés comme authentiques jusqu’à preuve du contraire, que les déclarations des enfants doivent être prises en considération et qu’en cas d’incertitude sur son âge, le bénéfice du doute doit être laissé à la personne évaluée. L’auteur soutient qu’il aurait dû être immédiatement placé dans un centre pour mineurs ou que, si elles avaient des doutes sur son âge, les autorités espagnoles auraient dû s’adresser aux autorités consulaires guinéennes pour vérifier son identité.

6.7L’auteur ajoute que l’examen médical qu’il a subi ne peut pas être considéré comme objectif ou propre à déterminer son âge avec certitude. Il renvoie à la décision rendue le 9 octobre 2017 par l’Audiencia Nacional, selon laquelle un rapport médical de détermination de l’âge doit toujours prévoir une marge d’erreur d’environ deux ans. L’auteur affirme que cette marge d’erreur n’a pas été appliquée en l’espèce.

6.8En ce qui concerne ses allégations de non-respect de son intérêt supérieur au regard des articles 18 (par. 2) et 20 (par. 1) de la Convention, l’auteur soutient que, contrairement à ce que dit l’État partie, il est impossible d’affirmer que le rôle joué par le ministère public dans la procédure de détermination de l’âge a remplacé de manière adéquate celui qu’aurait joué le tuteur ou représentant légal que les autorités auraient dû lui assigner dès qu’elles ont su qu’il pouvait être mineur. Il ajoute que l’article 20 de la Convention impose aux États parties de prendre des mesures pour assurer la prise en charge et l’hébergement des mineurs privés de leur milieu familial. Il répète qu’il n’a bénéficié d’aucune mesure de la sorte.

6.9En ce qui concerne la violation de son droit à l’identité, l’auteur allègue que l’article 8 de la Convention impose à l’État partie une obligation négative de préserver l’identité de l’enfant et une obligation positive de rétablir cette identité lorsque l’enfant a été privé d’un quelconque élément qui la constitue. Il affirme que l’âge est un élément d’identification de la personne et qu’à ce titre, il doit être protégé par l’article 8. Il explique que son droit à l’identité a été violé par l’État partie, qui lui a attribué et a inscrit sur sa carte de demandeur d’asile une date de naissance différente de celle qui est mentionnée sur les documents délivrés par les autorités de son pays d’origine qui attestent son identité.

6.10L’auteur réaffirme qu’il n’a pas pu exercer son droit d’être entendu, reconnu à l’article 12 de la Convention. Ce droit a été violé dès son arrivée en Espagne lorsque, alors qu’il se disait mineur, les autorités lui ont attribué, lors de son enregistrement, un âge qui n’était pas le sien. De même, au commissariat d’Almería, l’auteur a été détenu dans une cellule alors qu’il avait déclaré être mineur. Il rappelle qu’il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat ni d’un interprète.

6.11L’auteur dit que les conditions de vie dans le centre d’internement ne lui permettaient pas d’exercer pleinement son droit d’être entendu car l’environnement était hostile et inapproprié pour des enfants. De plus, il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat pendant la procédure de détermination de l’âge. Il renvoie à l’observation générale no 12 (2009) sur le droit de l’enfant d’être entendu, selon laquelle les États parties doivent garantir au mineur la possibilité de décider de la manière dont il exercera son droit d’être entendu, que ce soit directement ou par l’intermédiaire d’un représentant, et surtout veiller à ce que le mineur puisse exprimer son opinion en toute liberté et en connaissance de cause, c’est‑à‑dire sans être manipulé ou soumis à une influence ou des pressions indues. Le Comité souligne, au paragraphe 34 de cette observation générale, qu’un enfant ne peut se faire entendre efficacement si le contexte est intimidant, hostile, peu réceptif ou inadapté à son âge. La procédure doit être à la fois accessible et adaptée à l’enfant.

6.12L’auteur observe que l’État partie affirme qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 22 de la Convention dans la mesure où une demande d’asile a été présentée. Or, il rappelle que, le 18 juillet 2017, il a tenté de présenter une demande d’asile alors qu’il se trouvait au centre d’internement , mais que, comme il a déclaré être mineur, il n’y a pas été autorisé. Il n’a pu demander l’asile que le 25 juillet 2017, une fois que le Comité a été saisi de sa requête et a invité l’État partie à adopter des mesures provisoires. L’auteur dit que, au moment où il a soumis sa requête au Comité, il s’était vu refuser l’accès à la procédure d’asile, ce qui l’avait privé de toute protection et placé dans une situation de très grande vulnérabilité, car il risquait l’expulsion, prévue le 24 juillet 2017. L’auteur dit qu’il n’a été autorisé à demander l’asile qu’en tant que personne majeure, comme l’atteste sa carte de demandeur d’asile. Il indique qu’en tant que mineur, il avait le droit de présenter une demande en bénéficiant des protections et des garanties prévues par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, comme le souligne l’observation générale no 6.

6.13En ce qui concerne la violation de l’article 27 de la Convention, l’auteur estime que les conditions nécessaires à son développement physique, mental, spirituel et social n’ont pas été assurées par l’État partie. En particulier, il ne s’est pas vu désigner un tuteur, il n’a pas été accueilli dans un centre de protection des mineurs et il n’a pas reçu l’assistance psychologique dont il avait besoin après le long voyage entrepris depuis son pays d’origine jusqu’aux côtes espagnoles et Almería. L’auteur ajoute que l’État partie n’a pas apporté la preuve qu’il avait bien bénéficié d’une couverture sanitaire.

6.14Enfin, l’auteur dit que l’État partie n’a pas appliqué les mesures provisoires demandées par le Comité, puisqu’après être sorti du centre d’internement, il n’a jamais été transféré dans un centre de protection des mineurs et ne s’est jamais vu désigner un tuteur. Le non‑respect des mesures provisoires constitue une violation de l’article 6 du Protocole facultatif.

Intervention de tiers

7.Le 12 novembre 2018, le Défenseur français des droits a soumis, en qualité de tiers, une intervention portant sur la question de la détermination de l’âge et du placement de mineurs dans des centres pour adultes dans l’attente de leur éloignement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications.

8.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable ratione personae au regard des alinéas c) et f) de l’article 7 du Protocole facultatif au motif qu’elle constitue un abus du droit de présenter une communication, étant donné que l’auteur est majeur et qu’il n’a pas présenté de preuve suffisante et digne de foi attestant le contraire. Le Comité observe toutefois que l’auteur affirme avoir déclaré être mineur à son arrivée en Espagne, qu’il a rendu compte des faits de manière détaillée et cohérente, qu’il a soumis au ministère public et au tribunal d’instruction une copie de son acte de naissance guinéen attestant qu’il était mineur et qu’il n’a reçu aucune réponse de la part de ces autorités. Le Comité observe également que l’ambassade de Guinée a délivré par la suite des documents attestant que l’auteur était mineur. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel il n’est pas possible de recouper les déclarations de l’auteur avec les informations figurant sur l’acte de naissance présenté car celui-ci ne contient pas de données biométriques. Le Comité rappelle que la charge de la preuve ne saurait incomber exclusivement à l’auteur de la communication, d’autant que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours le même accès aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des informations pertinentes. En l’espèce, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel l’État partie aurait dû contacter les autorités consulaires guinéennes pour vérifier son identité s’il avait des doutes sur l’authenticité de l’acte de naissance, mais ne l’a pas fait. En conséquence, le Comité considère que l’article 7 c) du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

8.3Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles, car : a) il aurait pu demander au ministère public de faire réaliser des examens médicaux susceptibles de prouver qu’il était mineur ; b) il aurait pu demander le réexamen de toute décision de la Communauté autonome ne le reconnaissant pas comme mineur, en application de l’article 780 de la loi de procédure civile ; c) il aurait pu contester l’ordre d’expulsion dont il fait l’objet devant la juridiction administrative contentieuse ; d) il aurait pu engager une action gracieuse devant les tribunaux civils à des fins de détermination de l’âge, en application de la loi no 15/2015. Le Comité note également que, selon les déclarations de l’État partie, la décision rendue par le ministère public concernant la détermination de l’âge peut être contestée sur présentation de nouveaux éléments de preuve. Il note toutefois que l’auteur affirme que sa demande de réexamen de la décision le déclarant majeur a été rejetée par le ministère public, bien qu’il ait produit des documents délivrés par l’ambassade de Guinée attestant sa minorité, au motif que les documents en question contredisaient les résultats des examens médicaux pratiqués. Le Comité considère que, dans le contexte de l’expulsion imminente de l’auteur du territoire espagnol, tout recours qui se prolongerait excessivement ou qui ne suspendrait pas l’ordre d’expulsion ne saurait être considéré comme utile. Il constate que l’État partie n’a pas démontré que les recours mentionnés suspendraient l’expulsion de l’auteur. Par conséquent, le Comité considère que l’article 7 e) du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

8.4Le Comité considère que les griefs que l’auteur tire des articles 18 (par. 2), 27 et 29 de la Convention n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 7 f) du Protocole facultatif.

8.5En revanche, le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il soulève au titre des articles 3, 8, 12, 20 et 22 de la Convention au motif que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été pris en considération et qu’aucun tuteur ou représentant n’a été désigné au cours des procédures de détermination de l’âge et de demande d’asile. Il déclare donc que cette partie de la communication est recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 10 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toute la documentation qui lui a été soumise par les parties.

9.2Le Comité doit notamment déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui a déclaré être mineur et présenté son acte de naissance et des documents délivrés par l’ambassade de Guinée pour le prouver, est contraire aux droits consacrés par la Convention. En particulier, l’auteur affirme que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été pris en considération, compte tenu du type de tests médicaux pratiqués pour déterminer son âge et de l’absence de désignation d’un tuteur ou d’un représentant pendant les procédures de détermination de l’âge et de demande d’asile.

9.3Le Comité rappelle que la détermination de l’âge d’une personne jeune qui affirme être mineure revêt une importance capitale, puisque le résultat de cette procédure permet d’établir si la personne en question peut ou non prétendre à la protection nationale en qualité d’enfant. De même, et cela est extrêmement important pour le Comité, la jouissance des droits énoncés dans la Convention est liée à cette détermination. Il est donc impératif que l’âge soit déterminé selon une procédure régulière, dont les résultats pourront être contestés par voie de recours. Tant que les procédures susmentionnées sont en cours, il faudrait accorder à l’intéressé le bénéfice du doute et le traiter comme un enfant. Le Comité rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale tout au long de la procédure de détermination de l’âge.

9.4Le Comité rappelle également qu’en l’absence de documents d’identité ou d’autres moyens appropriés, pour obtenir une estimation éclairée de l’âge, les États devraient procéder à une évaluation complète du développement physique et psychologique de l’enfant, qui soit effectuée par des pédiatres et d’autres professionnels capables de combiner différents aspects du développement. Ces évaluations devraient être faites sans attendre, d’une manière respectueuse de l’enfant, qui tienne compte de son sexe et soit culturellement adaptée, et comporter des entretiens avec l’enfant, dans une langue que celui-ci comprend. Les documents qui sont disponibles devraient être considérés comme authentiques, sauf preuve du contraire, et les déclarations des enfants doivent être prises en considération. Il est également essentiel d’accorder le bénéfice du doute à la personne évaluée. Les États devraient s’abstenir d’utiliser des méthodes médicales fondées sur les analyses osseuses et dentaires, qui peuvent être imprécises, comporter de grandes marges d’erreur, et aussi être traumatisantes et entraîner des procédures juridiques inutiles.

9.5En l’espèce, le Comité constate que : a) afin de déterminer l’âge de l’auteur, qui était sans papiers lorsqu’il est entré sur le territoire espagnol, les autorités ont soumis l’intéressé à des examens médicaux consistant en une radiographie du poignet et un panoramique dentaire, sans qu’aucun examen complémentaire, notamment aucune expertise psychologique, ne soit pratiqué et, d’après les informations dont le Comité dispose, sans que le moindre entretien ne soit conduit avec l’intéressé dans le cadre de cette procédure ; b) à l’issue des examens susmentionnés, il a été établi que l’âge osseux de l’auteur était de 19 ans selon l’Atlas de Greulich et Pyle, et que, d’après le panoramique dentaire, l’auteur avait au moins 18 ans, sans qu’une possible marge d’erreur soit indiquée ; c) sur la base de ces résultats médicaux, le ministère public a rendu une décision établissant que l’auteur était majeur ; d) le ministère public n’a pas tenu compte des documents transmis par l’ambassade de la Guinée attestant que l’auteur était mineur, en vue d’un éventuel réexamen de sa décision.

9.6Le Comité constate toutefois que de nombreux éléments d’information versés au dossier portent à croire quelesexamens osseux manquent de précision, qu’ils comportent une grande marge d’erreur et qu’ils ne sauraient donc être la seule méthode utilisée pour déterminer l’âge chronologique d’une personne jeune qui affirme être mineure et qui présente des documents à l’appui de ses dires.

9.7Le Comité note que l’État partie affirme que l’auteur avait manifestement l’apparence d’un adulte. Il rappelle toutefois son observation générale no 6, dans laquelle il établit qu’il ne faut pas se fonder uniquement sur l’apparence physique de l’individu mais aussi sur son degré de maturité psychologique, que l’évaluation doit être menée scientifiquement et équitablement, dans le souci de la sécurité de l’enfant, de manière adaptée à son statut et à son sexe, et qu’en cas d’incertitude persistante, le bénéfice du doute doit être accordé à l’intéressé, qu’il convient de traiter comme un enfant si la possibilité existe qu’il s’agisse effectivement d’un mineur.

9.8Le Comité prend également note des allégations de l’auteur selon lesquelles aucun tuteur ou représentant n’a été désigné pour défendre ses intérêts en tant que possible enfant migrant non accompagné, ni à son arrivée ni pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis et à l’issue de laquelle il a été déclaré majeur. Il rappelle que les États parties sont tenus d’assurer à tous les jeunes étrangers qui affirment être mineurs, le plus rapidement possible après leur arrivée sur le territoire, l’assistance gratuite d’un représentant légal qualifié et, le cas échéant, d’un interprète. Il considère que le fait de faciliter la représentation de ces jeunes au cours de la procédure de détermination de l’âge constitue une garantie essentielle pour le respect de leur intérêt supérieur et de leur droit d’être entendu. Ne pas le faire constitue une violation des articles 3 et 12 de la Convention, puisque la procédure de détermination de l’âge est le point de départ de l’application de la Convention. Le défaut de représentation adéquate peut donner lieu à une injustice grave.

9.9Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui a affirmé être un enfant et a présenté des preuves à l’appui de ses dires, n’a pas été assortie des garanties nécessaires à la protection des droits que l’auteur tient de la Convention. En l’espèce, compte tenu en particulier de l’examen pratiqué pour déterminer l’âge de l’auteur, du fait que celui-ci n’a pas été accompagné d’un représentant pendant la procédure et du fait que l’acte de naissance qu’il a présenté a été jugé presque automatiquement sans valeur probante, sans même que l’État partie procède à une évaluation en bonne et due forme des informations fournies et, en cas de doute, demande leur confirmation aux autorités consulaires guinéennes, le Comité estime que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été une considération primordiale pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle l’auteur a été soumis, en violation des articles 3 et 12 de la Convention.

9.10Le Comité note également que l’auteur affirme que l’État partie a violé ses droits lorsqu’il a modifié des éléments de son identité en lui attribuant un âge et une date de naissance qui ne correspondaient pas aux informations indiquées sur son acte de naissance, et qu’il n’est pas revenu sur cette décision même après que l’auteur a soumis des documents délivrés par l’ambassade de Guinée prouvant qu’il était mineur. Le Comité considère que la date de naissance d’un enfant fait partie de son identité et que les États parties sont tenus de respecter le droit de l’enfant de préserver son identité sans le priver d’aucun des éléments qui la constituent. Il fait observer qu’en l’espèce, bien que l’auteur ait présenté aux autorités espagnoles une copie de son acte de naissance, l’État partie n’a pas respecté son identité car il a refusé d’accorder toute valeur probante à ce document, sans avoir fait examiner au préalable les informations figurant sur l’acte par les autorités compétentes et sans avoir cherché à vérifier ces informations auprès des autorités du pays d’origine de l’auteur. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a violé l’article 8 de la Convention.

9.11Le Comité doit aussi déterminer si le fait que l’auteur n’ait pas pu demander l’asile en tant que mineur constitue une violation des droits qu’il tient de la Convention. Il note que l’auteur affirme : a) qu’il a tenté de présenter une demande d’asile en tant que mineur et que cela lui a été refusé ; b) que le fait de n’avoir pu soumettre sa demande d’asile l’a exposé au risque d’être expulsé. Le Comité observe également que l’auteur a finalement obtenu une carte de demandeur d’asile, après avoir été considéré comme adulte bien qu’il ait présenté un acte de naissance établissant qu’il était mineur.

9.12À cet égard, le Comité rappelle son observation générale no 6, selon laquelle, « [l]es États devraient […] désigner un tuteur ou un conseiller dès que l’enfant non accompagné ou séparé est identifié en tant que tel et reconduire ce dispositif jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de la majorité ou quitte le territoire et/ou cesse de relever de la juridiction de l’État à titre permanent, conformément à la Convention et à d’autres obligations internationales. […] Tout enfant partie à une procédure de demande d’asile ou à une procédure administrative ou judiciaire devrait bénéficier, outre des services d’un tuteur, d’une représentation légale ». Le Comité estime que le fait que l’auteur ne se soit pas vu désigner un tuteur pour pouvoir demander l’asile en tant que mineur, alors qu’il disposait de documents officiels attestant sa minorité, a eu pour conséquence de le priver de la protection spéciale due aux mineurs non accompagnés demandeurs d’asile et de l’exposer à un risque de dommage irréparable en cas de renvoi dans son pays d’origine, en violation des articles 20 (par. 1) et 22 de la Convention.

9.13Enfin, le Comité prend note des allégations de l’auteur concernant le non-respect par l’État partie de la mesure provisoire consistant à le transférer dans un centre de protection des mineurs. Il rappelle qu’en ratifiant le Protocole facultatif, les États parties ont l’obligation internationale de mettre en œuvre les mesures provisoires demandées en application de l’article 6 du Protocole facultatif, qui visent à prévenir tout préjudice irréparable tant qu’une communication est en cours d’examen et, partant, à assurer l’efficacité de la procédure de présentation de communications émanant de particuliers. En l’espèce, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le transfert de l’auteur dans un centre de protection des mineurs aurait pu faire courir un risque important aux enfants qui se trouvaient dans ce centre. Il fait toutefois observer que cet argument est fondé sur l’hypothèse que l’auteur est majeur. Il estime que le risque encouru est bien plus grand lorsqu’une personne potentiellement mineure est envoyée dans un centre accueillant uniquement des personnes reconnues comme adultes. En conséquence, il considère que la non-application de la mesure provisoire demandée constitue en soi une violation de l’article 6 du Protocole facultatif.

9.14Le Comité des droits de l’enfant, agissant en vertu du paragraphe 5 de l’article 10 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, constate que les faits dont il est saisi sont constitutifs d’une violation des articles 3, 8, 12, 20 (par. 1) et 22 de la Convention et de l’article 6 du Protocole facultatif.

10.En conséquence, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effectivepour les préjudices subis, y compris en lui donnant la possibilité de régulariser sa situation administrative dans l’État partie, en tenant dûment compte du fait que l’auteur était un enfant non accompagné lorsqu’il a présenté sa demande d’asile pour la première fois et en corrigeant la date de naissance sur sa carte de demandeur d’asile. Il est également tenu d’empêcher que de telles violations se reproduisent. à cet égard, le Comité recommande à l’État partie :

a)De veiller à ce que toute procédure visant à déterminer l’âge de jeunes gens affirmant être mineurs soit conforme à la Convention et, en particulier : i) qu’au cours de cette procédure, les documents soumis par les intéressés soient pris en considération et que, dès lors qu’ils ont été établis ou que leur validité a été confirmée par l’État concerné ou son ambassade, leur authenticité soit reconnue ; ii) que les jeunes gens concernés se voient assigner sans délai et gratuitement un conseil juridique qualifié ou un autre représentant, que les avocats privés désignés pour les représenter soient reconnus et que tous les conseils juridiques ou autres représentants soient autorisés à les assister au cours de la procédure ;

b)De faire en sorte qu’un tuteur compétent soit désigné dans les meilleurs délais pour veiller aux intérêts des jeunes demandeurs d’asile non accompagnés qui affirment avoir moins de 18 ans, afin que ceux-ci puissent demander l’asile en qualité de mineurs, même lorsque la procédure visant à déterminer leur âge est en cours ;

c)De mettre en place un mécanisme de réparation efficace et accessible aux jeunes migrants non accompagnés affirmant avoir moins de 18 ans afin qu’ils puissent contester les décisions des autorités les déclarant majeurs dans les cas où la détermination de leur âge n’a pas été assortie des garanties nécessaires à la protection de leur intérêt supérieur et de leur droit d’être entendu ;

d)De dispenser aux agents des services de l’immigration, aux policiers, aux fonctionnaires du parquet, aux juges et aux autres professionnels concernés des formations sur les droits des enfants migrants, et en particulier sur les observations générales conjointes nos 6, 22 et 23 du Comité.

11.Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait ou non violation de la Convention et des deux Protocoles facultatifs s’y rapportant.

12.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. Il demande en outre à l’État partie d’inclure des informations sur ces mesures dans les rapports qu’il présentera au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, l’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement.