NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/GEO/CO/325 juillet 2006

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente‑sixième session1er‑19 mai 2006

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

GÉORGIE

1.Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de la Géorgie (CAT/C/73/Add.1) à ses 699e et 702e séances (voir CAT/C/SR.699 et CAT/C/SR.702), les 3 et 4 mai 2006, et a adopté, à sa 716e séance (CAT/C/SR.716) les conclusions et recommandations ci-après.

A. Introduction

2.Le Comité se félicite que le troisième rapport périodique de la Géorgie ait été présenté en temps voulu et accueille avec satisfaction les renseignements qu’il contient. Il se félicite de ce que la délégation ait été nombreuse et de haut niveau, ce qui a contribué à la qualité du dialogue noué à l’occasion de l’examen du rapport. Il accueille aussi avec satisfaction les réponses fournies oralement et par écrit aux questions posées au cours du dialogue.

3.Le Comité note qu’après l’accession à l’indépendance de l’État partie en 1991, des conflits internes se sont poursuivis sur une partie de son territoire. En particulier, la situation dans les Républiques autonomes autoproclamées d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, qui a fait plus de 215 000 personnes déplacées dans cette dernière, suscite de graves préoccupations. Le Comité tient néanmoins à rappeler à l’État partie qu’aucune circonstance exceptionnelle ne peut être invoquée pour lever l’interdiction absolue de la torture.

B. Aspects positifs

4.Le Comité se félicite de l’adhésion de l’État partie au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 9 août 2005, ainsi que des déclarations faites en vertu des articles 21 et 22 de la Convention et encourage l’État partie à informer les praticiens et le public de la disponibilité de ce mécanisme.

5.Le Comité note aussi que, dans la période écoulée depuis l’examen du dernier rapport, l’État partie a ratifié le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

6.En outre, le Comité prend acte du fait que l’État partie a adhéré à des instruments régionaux ou les a ratifiés, dont la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, la Convention européenne d’extradition et la Convention européenne sur la transmission des procédures répressives.

7.Le Comité note avec satisfaction les efforts actuellement déployés par l’État pour réformer sa législation, ses politiques et ses procédures afin de garantir une meilleure protection des droits de l’homme, notamment du droit de ne pas être soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et en particulier:

a)La révision du Code de procédure pénale, en particulier l’article 144 qui met la législation géorgienne en conformité avec les normes internationales pour ce qui concerne la définition de la torture;

b)L’élaboration du Plan d’action contre la torture en Géorgie, du Plan de mesures visant à réformer et à développer le système pénal ainsi que du Plan national de lutte contre la traite et les efforts faits pour renforcer les institutions de l’État, notamment la création du Département des enquêtes au Ministère de la justice en 2005;

c)L’adoption de nouvelles lois comme la loi sur la violence intrafamiliale en avril 2006 et l’élaboration d’une nouvelle loi sur la traite ainsi que d’un nouveau projet de code pénitentiaire qui sera examiné par le Parlement en 2006;

d)L’affectation par l’État partie de ressources supplémentaires pour améliorer la situation dans les lieux de détention, en particulier l’accès aux soins de santé, à des activités et à des formations, ainsi que les conditions de vie carcérales;

e)Le Mémorandum d’accord de 2004 entre le Ministère de l’intérieur et le Bureau du Médiateur, qui permet au Bureau du Médiateur d’autoriser des groupes de surveillance, composés de représentants d’organisations non gouvernementales, à effectuer des visites inopinées dans tout établissement de détention placé sous la responsabilité du Ministère de l’intérieur.

8.Le Comité prend note avec satisfaction de l’existence d’une permanence téléphonique ouverte 24 heures sur 24 pour le dépôt de plaintes et encourage l’État partie à continuer à faire connaître son existence.

C. Sujets de préoccupation et recommandations

9.Le Comité demeure préoccupé de ce que, malgré d’importantes réformes législatives, l’impunité et l’intimidation continuent de régner dans l’État partie, en particulier en ce qui concerne l’usage d’une force excessive, et notamment de la torture et d’autres formes de mauvais traitements, par les responsables de l’application des lois, tout particulièrement avant et pendant les arrestations, au cours d’émeutes dans les prisons et dans la lutte contre la criminalité organisée (art. 2).

L’État partie devrait donner un plus haut rang dans l’ordre des priorités à l’action qu’il mène pour promouvoir une culture des droits de l’homme en veillant à élaborer et à appliquer une politique de tolérance zéro à tous les niveaux hiérarchiques de sa force de police ainsi qu’à l’égard de l’ensemble du personnel des établissements pénitentiaires. Une telle politique devrait consister à dégager et à traiter les problèmes, ainsi qu’à élaborer un code de conduite à l’intention de tous les responsables, notamment ceux qui participent à la lutte contre la criminalité organisée, et à instituer des contrôles périodiques confiés à un organisme de supervision indépendant.

10.Le Comité note qu’il semble y avoir actuellement une contradiction entre l’article 17 et le paragraphe 4 de l’article 18 de la Constitution dans la mesure où l’article 17 dispose que le droit d’être protégé de la torture est intangible, tandis que le paragraphe 4 de l’article 18 autorise des dérogations à certains droits (art. 2).

Le Comité recommande à l’État partie de mettre le paragraphe 4 de l’article 18 de sa Constitution en conformité avec la Convention. Il lui recommande en outre de faire en sorte que les mesures exceptionnelles adoptées en période d’état d’urgence soient conformes aux dispositions de la Convention.

11.Le Comité s’inquiète de ce que l’État partie ne respecte pas comme il convient l’article 3 de la Convention et en particulier de son recours aux assurances diplomatiques dans la suite qu’il donne aux demandes de refoulement, d’extradition et d’expulsion de personnes accusées d’activités criminelles (art. 3).

Le Comité recommande à l’État partie d’examiner chaque cas individuellement et de ne recourir à la pratique consistant à demander des assurances diplomatiques qu’avec une grande prudence. Il l’invite à lui fournir des détails sur le nombre de personnes qui ont été refoulées, extradées ou expulsées en échange d’assurances ou de garanties diplomatiques depuis 2002, sur le contenu minimum des assurances ou garanties demandées par l’État partie et sur les mesures de suivi qui ont été prises concernant ces différents cas.

12.Le Comité est également préoccupé par le nombre relativement faible de condamnations et de mesures disciplinaires prononcées à l’égard de responsables de l’application des lois eu égard aux allégations nombreuses et largement répandues de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que par le manque d’information du public sur ces affaires (art. 4).

L’État partie est invité à renforcer sa capacité d’enquête, notamment celle des services du Procureur général, afin que soient examinées rapidement et de manière approfondie toutes les allégations de torture et de mauvais traitements et que des statistiques sur les condamnations prononcées et les mesures disciplinaires prises soient régulièrement publiées et portées à la connaissance du public.

13.Le Comité est également préoccupé par les renseignements reçus d’organisations non gouvernementales selon lesquels dans certains cas, les détenus ne sont pas dûment informés de leur droit de s’entretenir avec un conseil ni de leur droit d’être examinés par un médecin de leur choix (art. 6).

L’État partie est invité à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que toutes les personnes détenues soient dûment informées de leurs droits dès leur arrestation et aient accès dans le plus court délai à un avocat et à un médecin de leur choix. L’État partie informera le Comité des mesures spécifiques prises à cet égard.

14.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état d’accords en vertu desquels les citoyens de certains États se trouvant sur le territoire géorgien ne peuvent être transférés à la Cour pénale internationale afin d’être jugés pour crimes de guerre ou crimes contre l’humanité (art. 6 et 8).

Conformément aux articles 6 et 8 de la Convention, l’État partie est invité à prendre toutes les mesures nécessaires pour revoir les termes des accords interdisant le transfert à la Cour pénale internationale de citoyens de certains États se trouvant sur le territoire géorgien.

15.Le Comité s’inquiète de ce qu’aucune information précise ne soit disponible sur les effets de la formation que suivent les responsables de l’application des lois, ni sur l’utilité qu’ont eue ces programmes de formation pour réduire le nombre d’incidents de violence et de mauvais traitements dans les établissements pénitentiaires (art. 10).

L’État partie devrait poursuivre sa coopération avec l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’Organisation des Nations Unies et d’autres organisations internationales et nationales pour élaborer des programmes d’éducation à l’intention des responsables de l’application des lois et des établissements pénitentiaires; il devrait aussi mettre au point et appliquer des méthodes visant à évaluer l’efficacité et l’impact de ces programmes sur la réduction des cas de violence, de mauvais traitements et de torture.

16.Le Comité est préoccupé par le grand nombre de plaintes reçues de détenus ainsi que par les informations selon lesquelles des responsables de l’application des lois portent des masques au cours des raids et n’ont pas de badge d’identité, ce qui fait qu’il est impossible de les identifier si un détenu porte plainte pour torture ou mauvais traitements (art. 2 et 11).

L’État partie devrait faire en sorte que tous les membres du personnel pénitentiaire, y compris les forces spéciales, soient équipés de badges d’identité visibles en tout temps pour garantir la protection des détenus contre tout acte commis en violation de la Convention.

17.Le Comité est particulièrement préoccupé par le grand nombre de morts subites en garde à vue et par l’absence de renseignements détaillés sur les causes de la mort dans chaque cas. Il est également préoccupé par le grand nombre de décès dus à la tuberculose qui sont signalés (art. 6 et 12).

L’État partie est invité à fournir des informations détaillées sur les causes et circonstances de toutes les morts subites survenues dans des établissements pénitentiaires ainsi que sur les enquêtes indépendantes qui ont été menées à cet égard. Le Comité encourage en outre l’État partie à poursuivre sa coopération avec le Comité international de la Croix ‑Rouge et les organisations non gouvernementales en ce qui concerne l’exécution des programmes relatifs au traitement de la tuberculose, à la distribution de médicaments dans les établissements pénitentiaires sur l’ensemble de son territoire et au suivi dans ce domaine.

18.Le Comité est préoccupé par les mauvaises conditions de détention qui règnent dans de nombreux établissements pénitentiaires, en particulier dans les provinces, ainsi que par le surpeuplement de nombreux centres de détention provisoire (art. 11).

Il est recommandé à l’État partie d’envisager: a) de réduire encore la période de détention provisoire; b) de pourvoir plus rapidement les postes vacants dans l’appareil judiciaire; et c) d’utiliser des moyens de détention non carcéraux dans les cas où l’inculpé ne constitue pas une menace pour la société.

19.Le Comité s’inquiète également de ce que les femmes ne bénéficient pas d’une protection suffisante dans les lieux de détention et de ce qu’aucune information ne soit disponible concernant la violence faite aux détenues ou les procédures permettant de déposer plainte (art. 11).

L’État partie est invité à garantir la protection des femmes dans les lieux de détention et à établir des procédures claires de dépôt de plaintes.

20.Le Comité note que si la Constitution et le Code de procédure pénale contiennent des dispositions concernant le droit des victimes à indemnisation, il n’existe pas de lois prévoyant expressément des réparations. Le Comité est également préoccupé de ce qu’aucune information ne soit donnée sur le nombre de victimes ayant bénéficié d’une assistance ou de soins de réadaptation (art. 14).

L’État partie est invité à envisager d’adopter des lois spécifiques en matière d’indemnisation, de réparation et de restitution et de prendre dans l’intervalle des mesures concrètes pour garantir réparation aux victimes et leur assurer une indemnisation juste et suffisante, y compris les moyens leur permettant une réadaptation aussi complète que possible.

21.L’État partie est invité à présenter dans son prochain rapport périodique des données statistiques détaillées, ventilées par crime, origine ethnique et sexe, sur les plaintes relatives à des allégations de torture et de mauvais traitements perpétrés par des responsables de l’application des lois et sur les enquêtes, poursuites et sanctions disciplinaires correspondantes. Des renseignements sont également demandés sur les mesures d’indemnisation et de réadaptation prises en faveur des victimes.

22.L’État partie est invité à diffuser largement les rapports présentés par la Géorgie ainsi que les conclusions et recommandations du Comité, dans les langues appropriées, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales. En outre, le Comité encourage l’État partie à examiner les conclusions et recommandations du Comité avec de nombreux interlocuteurs, y compris les bureaux de médiateurs et les organisations non gouvernementales, et en particulier les organismes qui ont soumis des renseignements à l’État partie et ont participé à l’établissement du rapport.

23.Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 9, 13, 16, 17 et 19 ci-dessus.

24.L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera considéré comme étant son cinquième rapport, avant le 24 novembre 2011.

-----