Nations Unies

CCPR/C/EST/CO/3

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

4 août 2010

Français

Original: anglais

Comité des droits de l ’ homme

Quatre-vingt-dix-neuvième session

Genève, 12-30 juillet 2010

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte

Observations finales du Comité des droits de l’homme

Estonie

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le troisième rapport périodique de l’Estonie (CCPR/C/EST/3) à ses 2715e et 2716e séances, les 12 et 13 juillet 2010 (CCPR/C/SR.2715 et CCPR/C/SR.2716), et a adopté les observations finales ci-après à sa 2736e séance (CCPR/C/SR.2736) le 27 juillet 2010.

A.Introduction

2.Le Comité se félicite de la soumission en temps voulu du troisième rapport périodique de l’Estonie et se déclare satisfait du dialogue constructif qu’il a eu avec la délégation. Il prend acte avec satisfaction des renseignements détaillés qui ont été donnés sur les mesures prises par l’État partie et sur les futurs plans et projets visant à poursuivre la mise en œuvre du Pacte. Le Comité sait également gré à l’État partie d’avoir soumis à l’avance des réponses écrites à la liste des points qui lui avait été adressée, ainsi qu’à la délégation pour les renseignements complémentaires détaillés qu’elle a donnés oralement et par écrit.

B.Aspects positifs

3.Tout en prenant note de l’engagement résolu de l’État partie en faveur de la protection des droits de l’homme, le Comité accueille avec satisfaction les mesures d’ordre législatif et autre suivantes:

a)L’adoption d’un nouveau Code de procédure pénale, entré en vigueur en 2004;

b)L’adoption de la loi sur l’aide aux victimes, entrée en vigueur en 2004;

c)La modification du Code pénal (art. 133), entrée en vigueur en 2007, qui améliore la définition des éléments constitutifs de l’esclavage;

d)Les modifications de la loi sur la police et de la législation connexe, entrées en vigueur en 2008;

e)Les modifications de la loi sur l’emprisonnement;

f)L’adoption de la loi sur l’aide juridictionnelle de l’État, entrée en vigueur en 2005;

g)L’adoption d’une nouvelle loi sur l’exécution des peines, entrée en vigueur en 2010;

h)La nomination du Chancelier de justice en tant que mécanisme national de prévention de la torture.

4.Le Comité accueille en outre avec satisfaction la ratification des instruments suivants ou l’adhésion à ces instruments:

a)Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, entré en vigueur en 2004;

b)Le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, entré en vigueur en 2004;

c)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, entré en vigueur en septembre 2004;

d)Le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, entré en vigueur en juin 2004;

e)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, entré en vigueur en 2007.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

5.Tout en notant les renseignements donnés par l’État partie concernant la compétence, le mandat et les fonctions du Chancelier de justice, le Comité s’inquiète de ce que cette institution n’est toutefois pas suffisamment engagée dans la promotion et la protection des droits de l’homme pour être pleinement conforme aux Principes de Paris (résolution 48/134 de l’Assemblée générale) surtout au regard du rôle qui lui incombe en tant qu’organe de coordination et de facilitation de la coopération entre les institutions de l’État et la société civile (art. 2).

L ’ État partie devrait soit confier au Chancelier de justice un mandat plus étendu lui permettant de promouvoir et protéger plus pleinement tous les droits de l ’ homme, ou atteindre cet objectif par d ’ autres moyens, qui soient pleinement conforme s aux Principes de Paris (résolution 48/134 de l ’ Assemblée générale) et tenir compte à cet égard des dispositions relatives au mécanisme national de prévention du Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

6.Le Comité se félicite de l’adoption de la loi sur l’égalité des sexes de 2004 pour lutter contre les discriminations à l’égard des femmes et de la loi sur l’égalité de traitement de 2008, mais est préoccupé par le nombre de cas de discrimination à l’égard des femmes dans l’État partie, en particulier sur le marché du travail, où l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes est d’environ 40 %. Il s’inquiète également de ce que la compétence du Chancelier de justice et celle du Commissaire à l’égalité des sexes en matière de traitement des plaintes pour discrimination se recoupent, ce qui est susceptible de nuire à l’efficacité de l’une et l’autre institution dans le domaine de l’égalité entre les sexes. En outre, le Comité est préoccupé par l’insuffisance des ressources humaines et financières allouées au Commissariat à l’égalité des sexes, et par le fait que l’État partie n’a pas encore établi le conseil pour l’égalité entre les sexes (art. 3).

L ’ État partie devrait prendre l es mesures voulues pour:

a) Assurer l ’ application effective de la loi sur l ’ égalité des sexes et de la loi sur l ’ égalité de traitement, en particulier pour ce qui est du principe de l ’ égalité de rémunération entre les hommes et les femmes pour un travail de valeur égale;

b) Mener des campagnes de sensibilisation visant à éliminer les stéréotypes sexistes sur le marché du travail et au sein de la population;

c) Assurer l ’ efficacité du système de dépôt de plainte s auprès du Chancelier de justice et du Commissaire à l ’ égalité des sexes , en précisant leurs rôles respectifs;

d) Renforcer l ’ efficacité du C ommissariat à l ’ égalité des sexes en le dotant de ressources humaines et financières suffisantes;

e) Mettre en place le conseil pour l ’ égalité entre les sexes, tel que le prévoit la loi sur l ’ égalité des sexes.

7.Le Comité s’inquiète de ce que la définition contenue dans le Code pénal de l’État partie (art. 122) est trop étroite et non conforme à la définition figurant à l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et à l’article 7 du Pacte (art. 7).

L ’ État partie devrait modifier son Code pénal de façon à assurer la pleine conformité de ses dispositions avec les normes internationales relatives à l ’ interdiction de la torture, en particulier avec l ’ article 7 du Pacte.

8.Le Comité est préoccupé par le fait que l’État partie n’est pas prêt à prendre une initiative et à envisager d’offrir une réparation collective aux personnes qui ont été privées de leur liberté à la suite des événements de la «Nuit de la statue de bronze» en 2007, et qu’il ne prévoit de traiter que les demandes de réparation individuelle qui lui seront adressées (art. 7 et 14).

L ’ État partie devrait se prononcer sur la réparation collective à accorder aux personnes qui ont été privées de leur liberté à la suite des événements de la «Nuit de la statue de bronze» en 2007.

9.Le Comité note les efforts déployés par l’État partie pour lutter contre la traite des femmes et des filles, en particulier le «Plan de développement de la lutte contre la traite des êtres humains (2006-2009)», mais il s’inquiète de la persistance du phénomène de la traite dans l’État partie (art. 8).

L ’ État partie devrait:

a) Redoubler d ’ efforts pour lutter contre la traite des femmes et des filles, notamment dans le cadre de son Plan de développement pour la réduction de la violence (2010-2014);

b) Poursuivre, condamner et punir les responsables;

c) Adopter l es modifications permettant d ’ incorporer une disposition spécifique concernant la traite dans le Code pénal en cours d ’ élaboration au Ministère de la justice; et

d ) Solliciter une coopération internationale accrue sur cette question.

10.Le Comité est préoccupé par le fait que l’entrée dans le pays de couples du même sexe étrangers demeure soumise au système de quotas, même lorsque la relation du couple a été officiellement reconnue à l’étranger et que l’un des deux partenaires réside déjà dans l’État partie (art. 2, 12, 17, 23 et 26).

L ’ État partie devrait revoir sa législation et sa pratique de façon à élargir les droits des couples du même sexe, et en particulier à faciliter l ’ octroi d ’ un permis de séjour aux étrangers dont le partenaire du même sexe réside déjà dans l ’ État partie.

11.Tout en notant qu’une personne dont la demande d’asile a été rejetée peut exercer un recours devant une juridiction administrative, le Comité demeure préoccupé par le fait que, conformément à la loi sur l’octroi d’une protection internationale aux étrangers, le recours n’a pas d’effet suspensif (art. 2 et 13).

Le Comité réitère sa recommandation tendant à ce qu ’ une décision par laquelle une demande d ’ asile est déclarée irrecevable n ’ entraîne pas le déni de l ’ effet suspensif d ’ un recours.

12.Le Comité est préoccupé par le fait que les handicapés mentaux ou leurs tuteurs légaux, le cas échéant, sont souvent privés du droit d’être dûment informés des poursuites dont ils font l’objet et des faits qui leur sont reprochés, du droit à une procédure équitable, ainsi que du droit à une aide juridictionnelle adéquate et efficace. Le Comité est préoccupé en outre par le fait que des experts nommés pour déterminer la nécessité de soumettre un patient à un traitement obligatoire continu sont employés par l’hôpital où se trouve le patient (art. 14).

L ’ État partie devrait veiller à ce que les handicapés mentaux soient dûment informés des poursuites pénales dont ils font l ’ objet et des faits qui leur sont reprochés, et leur garantir la jouissance du droit à une procédure équitable ainsi que du droit à une aide juridictionnelle adéquate et efficace pour assurer leur défense. Il devrait également assurer l ’ impartialité des experts nommés pour déterminer la nécessité de poursuivre le traitement obligatoire auquel est soumis un patient . En outre, l ’ État partie devrait assurer aux juges et aux avocats une formation concernant les droits qui doivent être garantis aux handicapés mentaux traduits devant une juridiction pénale.

13.Tout en notant les améliorations apportées au Code de procédure pénale de façon à réduire la durée des procédures, le Comité demeure préoccupé par le fait qu’il n’existe pas de dispositions spécifiques applicables aux procédures pénales quand l’inculpé est en détention (art. 14).

L ’ État partie devrait revoir son Code de procédure pénale de façon à y intégrer des dispositions prévoyant la nécessité d ’ accélérer la procédure quand l ’ accusé est en détention .

14.Le Comité est préoccupé par le fait qu’il n’a été fait droit qu’à un petit nombre des demandes présentées aux fins de l’exécution d’un service de substitution au service militaire ces dernières années (11 sur 64 en 2007, 14 sur 68 en 2008, et 32 sur 53 en 2009). Il s’inquiète également de l’absence de règles claires pour accepter ou rejeter une demande tendant à l’exécution d’un service de substitution au service militaire (art. 18 et 26).

L ’ État partie devrait préciser les règles selon lesquelles les demandes tendant à l ’ exécution d ’ un service de substitution au service militaire sont accepté e s ou rejeté e s et prendre des mesures pour garantir le droit à l ’ objection de conscience.

15.Tout en notant que l’actuel projet de loi sur la fonction publique, qui a été présenté au Parlement, pourrait contenir une disposition limitant le nombre de fonctionnaires qui ne sont pas autorisés à faire grève, le Comité est préoccupé par le fait que des fonctionnaires qui n’exercent pas l’autorité publique ne bénéficient pas pleinement du droit de grève (art. 22).

L ’ État partie devrait assurer dans sa législation que seul un nombre très restreint de fonctionnaires soit privé du droit de grève.

16.Tout en notant la mise en œuvre du programme «Intégration dans la société estonienne (2000-2007)» et du programme «Intégration estonienne (2008-2013)» par l’État partie, le Comité s’inquiète de ce que les règles concernant la maîtrise de la langue estonienne continuent d’avoir un effet défavorable sur le taux d’emploi et les niveaux de revenu des membres de la minorité russophone, notamment dans le secteur privé. Le Comité est préoccupé également par le fait que la population russophone fait moins confiance à l’État et aux institutions publiques (art. 26 et 27).

L ’ État partie devrait renforcer les mesures visant à intégrer la minorité russophone dans le marché du travail, notamment en ce qui concerne la formation professionnelle et les cours de langue . Il devrait également prendre des mesures pour accroître la confiance de la population russophone vis-à-vis de l ’ État et des institutions publiques.

17.Le Comité s’inquiète de ce que les informations concernant le Pacte, les observations finales du Comité et les rapports soumis par l’État partie ne soient pas diffusées largement, notamment parmi les procureurs, les juges et les avocats. Il s’inquiète également du faible lien existant entre l’État partie et les organisations non gouvernementales, et de ce que les organisations non gouvernementales ne sont pas pleinement associées à l’élaboration des rapports soumis au Comité (art. 2).

L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures voulues pour diffuser le Pacte en estonien et en russe, et mettre pleinement à profit sa maîtrise des technologies de l ’ information pour diffuser les observations finales adoptées par le Comité et les rapports qui lui ont été soumis. L ’ État partie devrait assurer aux procureurs, aux juges et aux avocats une formation concernant le Pacte , renforcer ses liens avec les org anisations non gouvernementales et les consulter lors de l ’ élaboration des rapports périodiques soumis au Comité.

18.Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait faire parvenir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 5 et 6 ci-dessus.

19.Le Comité demande à l’État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique, qui devra lui être soumis d’ici au 30 juillet 2015, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux autres recommandations et sur l’application du Pacte dans son ensemble.