NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/ESP/CO/5

5 janvier 2009

Original : FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-quatorzième sessionGenève, 13- 31 octobre 2008

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT Á L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

ESPAGNE

Le Comité des droits de l’homme a examiné le cinquième rapport périodique de l’Espagne (CCPR/C/ESP/5) à ses 2580 e  et 2581 e  séances, les 20 et 21 octobre 2008 (CCPR/C/SR.2580 et 2581). Il a adopté les observations finales ci-après à sa 2595 e  séance (CCPR/C/SR.2595), le 30 octobre 2008.

A. Introduction

Le Comité accueille avec satisfaction la présentation du cinquième rapport périodique de l’Espagne et se félicite de l’occasion qui lui est ainsi offerte de renouer le dialogue avec l’État partie après plus de 12 ans. Il se réjouit de la qualité des réponses apportées par une délégation compétente, et remercie l’État partie pour ses réponses écrites à la liste de questions (CCPR/C/ESP/Q/5 et Add.1), tout en regrettant néanmoins qu’elles n’aient pas été transmises suffisamment à l’avance pour permettre leur traduction dans les autres langues de travail du Comité.

B. Aspects positifs

GE.09-40134Le Comité accueille avec satisfaction la loi 52/2007 « Ley de la memoria histórica » qui prévoit une réparation pour les victimes de la dictature.

Le Comité se félicite des efforts de l’État partie pour promouvoir l’égalité entre les sexes, et en particulier de l’adoption de la loi 3/2007 du 22 mars 2007 sur l’égalité effective des femmes et des hommes dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la fonction publique et des entreprises privées.

Le Comité accueille avec satisfaction le plan visant à l’amélioration des conditions de détention dans les prisons (Plan de Harmonización et de Creación des Establecimientos Penitenciarios) adopté en décembre 2005, et note avec intérêt le commencement de sa mise en œuvre. Il encourage l’État partie à recourir de plus en plus à des solutions alternatives à la prison.

Le Comité prend note avec satisfaction du plan stratégique de citoyenneté et d’intégration 2007-2010 visant à l’intégration des immigrants.

Le Comité se félicite de la jurisprudence constante des juridictions nationales portant application des dispositions du Pacte dans leurs décisions.

Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Le Comité note avec préoccupation l’absence d’informations sur les mesures concrètes prises par l’État partie pour donner suite aux constations du Comité au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. (art.2 et 14)

L’État partie devrait fournir des informations détaillées sur les mesures concrètes prises pour donner suite aux constations du Comité au tire du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Tout en prenant note de la décision récente de l’Audiencia Nacional d’examiner la question des disparus, le Comité est préoccupé par le maintien en vigueur de la loi d’amnistie de 1977 . Il rappelle que les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles et attire l’attention de l’État partie sur ses observations générales n o 20 (1992) concernant l’article 7, selon laquelle l’amnistie concernant les violations graves des droits de l’homme est incompatible avec le Pacte et n° 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte. Tout en notant avec satisfaction l’assurance donnée par l’État partie que la loi sur la mémoire historique ( Ley de la Memoria Histórica ) prévoit que la lumière soit faite sur le sort des disparus, le Comité prend note avec préoccupation des informations faisant état des obstacles rencontrés par les familles dans leurs démarches judiciaires er administratives pour obtenir l’exhumation des dépouilles et l’identification des personnes disparues.

L'État partie devrait : a) envisager d’abroger  la loi d’amnistie de 1977 ; b) prendre les mesures législatives nécessaires pour garantir la reconnaissance de l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité par les juridictions nationales ; c) envisager la création d’une Commission composée d’ experts indépendants chargée de rétablir la vérité historique sur les violations des droits de l’homme commises durant la guerre civile et la dictature ; et d) permettre aux familles l’identification et l’exhumation des corps des victimes, et leur fournir, le cas échéant, des indemnisations.

Le Comité se déclare préoccupé par la portée potentiellement trop extensive des définitions du terrorisme en droit interne, telles qu’elles figurent dans les articles 572 à 580 du Code pénal espagnol, qui pourrait mener à des violations de plusieurs droits consacrés par le Pacte.

L’État partie devrait définir le terrorisme de manière restrictive et faire en sorte que les mesures de lutte contre le terrorisme soient pleinement conformes au Pacte. Il devrait notamment envisager de modifier les articles 572 à 580 du Code pénal afin de limiter leur application aux seules infractions qui sont indiscutablement des infractions de terrorisme méritant d’être traitées en tant que telles.

Tout en prenant note de l’adoption de la loi organique 15/1999 relative à la protection des données à caractère personnel, le Comité s’inquiète du fait que ces données ne soient pas suffisamment protégées, compte tenue des excès qui peuvent entacher la lutte contre le terrorisme (art. 2 et 17).

L’État partie devrait protéger les données personnelles et garantir pleinement le droit à la vie privée en conformité avec le Pacte.

Tout en notant les mesures prises par l’État partie pour combattre la violence contre les femmes, ainsi que son intention d’augmenter le nombre de tribunaux spécialisés en la matière, le Comité note avec préoccupation la persistance de la violence dans la famille en Espagne, en dépit des efforts importants déployés par l’État partie. Il note également avec regret le manque de mesures efficaces pour encourager les femmes à dénoncer les faits ainsi que le manque d’une assistance adéquate de la part du ministère public. (art. 3 et 7)

L’État partie devrait renforcer ses efforts de prévention et de lutte contre la violence contre les femmes et en particulier la violence dans la famille et à cet égard, rassembler des statistiques adéquates pour mieux saisir l’ampleur du phénomène. Les autorités publiques, y compris le ministère public, devraient également octroyer aux victimes toute l’assistance nécessaire.

Le Comité note avec préoccupation que des cas de torture continuent à être dénoncés et que l’État partie ne semble pas avoir élaboré une stratégie globale et pris de mesures suffisantes pour assurer l’éradication définitive de cette pratique. L’État partie ne s’est pas encore doté d’un mécanisme efficace de prévention de la torture, malgré les recommandations à cet effet de différents organes et experts internationaux. (art.7)

L’État partie devrait accélérer le processus d’adoption d’un mécanisme national de prévention de la torture conformément au Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, tenant compte des recommandations des différents organes et experts internationaux ainsi que de l’avis de la société civile et de toutes les organisations non gouvernementales travaillant dans le domaine de la lute contre la torture.

Tout en prenant note de la loi organique 13/2003 qui introduit le droit du détenu à un deuxième examen médical, ainsi que de la possibilité d’obtenir la décision judiciaire requérant l’enregistrement vidéo lors de certains interrogatoires, le Comité reste préoccupé, s’agissant des infractions de terrorisme et de banditisme, par la persistance du régime de détention au secret ( incomunicación ), pouvant aller jusqu’à 13 jours, et par le fait que les personnes concernées n’ont pas le droit à un avocat de leur choix. Le Comité ne partage pas l’avis de l’État partie quant à la nécessité de maintenir le régime de détention au secret ( incomunicación ) justifié par « l’intérêt de la justice ». Il considère que ce régime peut être propice aux mauvais traitements et regrette son maintien, en dépit des recommandations de plusieurs organes et experts internationaux en vue de sa suppression. (art. 7, 9 et 14)

Le Comité recommande de nouveau que les mesures nécessaires, y compris législatives, soient prises pour supprimer définitivement le régime de détention au secret ( incomunicación ) et que le droit au libre choix d’un avocat qui puisse être consulté en toute confidentialité par les détenus et  être présent lors des interrogatoires, soit garanti à tous les détenus. L’État partie devrait aussi rendre systématique l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires dans tous les postes de police et les lieux de détention.

Tout en notant les sauvegardes introduites par la loi organique 13/2003 ( Ley Orgánica de la ley de Enjuiciamiento Criminal en materia de prisión provisional ), le Comité demeure préoccupé par le fait que la durée de la détention provisoire est fixée en fonction de la durée de la peine encourue et peut être prolongée jusqu’à quatre ans, ce qui est manifestement incompatible avec le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

L’État partie devrait veiller à ce que la durée de la garde à vue et de la détention provisoire soit limitée de façon à être compatible avec l’article 9 du Pacte. Le Comité réitère sa recommandation à l’État partie de renoncer à fixer la durée maximale de la détention provisoire en fonction de la durée de la peine encourue.

Tout en tenant compte des efforts de l’État partie visant à garantir les droits des étrangers, et dont témoignent notamment les dispositions du décret royal 2393/2004 ( Real Decreto ) prévoyant l’octroi d’une assistance juridique aux étrangers, le Comité demeure préoccupé par les informations selon lesquelles le contrôle judiciaire relatif aux demandes d’asile se limiterait à une simple formalité et par le fait que certaines décisions en matière de détention et d’expulsion des étrangers seraient arbitraires. (art. 13)

L’État partie devrait veiller à ce que le processus de prise de décision en matière de détention et d’expulsion des étrangers respecte pleinement la procédure prévue par la loi et que les raisons humanitaires puissent toujours être invoquées dans les procédures d’asile. L’État partie devrait également veiller à ce que la nouvelle loi sur l’asile soit pleinement en conformité avec le Pacte.

Tout en prenant note de l’évolution de la jurisprudence du Tribunal suprême ainsi que de la reforme entamée par l’État partie concernant le recours en cassation, le Comité note avec préoccupation que les mesures provisoires et partielles actuellement en vigueur et celles envisagées dans le cadre de la réforme, sont insuffisants pour assurer la conformité au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. (art. 2 et 14, par. 5)

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires et efficaces pour garantir le droit de toute personne déclarée coupable d’une infraction à faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de sa culpabilité et sa condamnation. Il devrait veiller à ce que la loi organique 19/2003 garantisse pleinement le double degré de juridiction au pénal. 

Tout en tenant compte des explications données par l’État partie, le Comité est préoccupé par la règle du «  secreto de sumario  » selon laquelle, dans le cadre d’une enquête pénale, le juge peut interdire totalement ou partiellement l’accès de la défense à l’information résultant de l’enquête. (art. 14)

L’État partie devrait envisager la suppression de la règle du «  secreto de sumario  », de façon à se conformer à la jurisprudence réitérée du Comité selon laquelle le principe de l’égalité des armes signifie que les parties doivent disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur argumentation, ce qui implique l’accès aux documents nécessaires à cette fin.

Le Comité prend note des informations selon lesquelles la liberté d’expression et d’association pourrait être entravée d’une manière injustifiée par les poursuites devant l’Audiencia Nacional pour les délits d’association ou de collaboration avec des groupes terroristes. (art. 19)

L’État partie devrait veiller à ce que toute restriction de la liberté d’expression et association soit nécessaire, proportionnelle et justifiée, en conformité avec les articles 19, paragraphe 3, et 22 du Pacte.

Tout en prenant note des mesures prises par l’État partie pour lutter contre les tendances racistes et xénophobes, et notamment la loi 19/2007 contre la violence, le racisme, la xénophobie et l’intolérance dans le sport, le Comité est préoccupé par les actes violents commis contre des personnes appartenant à des minorités, et notamment contre les Rom et les immigrés d’Afrique du Nord et d’Amérique Latine. (art.20)

L’État partie devrait veiller à ce que sa législation contre l’incitation à la haine raciale et la discrimination raciale soit strictement appliquée. Il devrait également envisager d’élargir le mandat de l’Observatoire espagnol du racisme et de la xénophobie pour le rendre plus efficace.

Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de la situation des enfants non accompagnés qui arrivent sur le territoire espagnol et sont rapatriés sans que l’intérêt supérieur de l’enfant soit pris en compte. Ces enfants seraient victimes de mauvais traitements dans les centres d’accueil et parfois détenus dans les locaux de la police et de la Guardia Civil sans bénéficier de l’assistance d’un avocat et sans être présentés rapidement à un juge.

L’État partie devrait veiller à ce que les droits des enfants non accompagnés entrés sur le territoire espagnol soient respectés. Il devrait notamment : a) s’assurer que tout enfant non accompagné bénéficie d’une assistance juridique gratuite pendant la procédure administrative et plus généralement d’expulsion ; b) prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant dans telles procédures ; et c) créer un mécanisme de surveillance des centres d’accueil pour s’assurer que les mineurs ne sont pas sujets à des abus.

L’État partie devrait faire largement connaître le texte du cinquième rapport périodique, les réponses écrites qu’il a apportées à la liste de questions à traiter établie par le Comité et les présentes observations finales.

Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait adresser, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 13, 15 et 16 ci-dessus.

Le Comité fixe au 1er novembre 2012 la date à laquelle le sixième rapport périodique de l’Espagne devra lui être soumis. Il demande à l’État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements concrets à jour sur toutes ses recommandations et sur le Pacte dans son ensemble Le Comité demande également à l’État partie d’élaborer le sixième rapport périodique avec la participation de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans l’État partie.

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