Observations finales concernant le huitième rapport périodique de la Türkiye *

Le Comité a examiné le huitième rapport périodique de la Türkiye (CEDAW/C/TUR/8) à ses 1882e et 1884e séances (voir CEDAW/C/SR.1882 et CEDAW/C/SR.1884), les 14 et 15 juin 2022. La liste de points et de questions établie par le groupe de travail de présession figure dans le document CEDAW/C/TUR/Q/8 et les réponses de la Türkiye, dans le document CEDAW/C/TUR/RQ/8.

A.Introduction

Le Comité accueille avec satisfaction le huitième rapport périodique de l’État partie. Il remercie l’État partie du rapport sur la suite donnée aux précédentes observations finales du Comité (CEDAW/C/TUR/CO/7/Add.1) et des réponses écrites apportées à la liste de points et de questions établie par le groupe de travail de présession au sujet du huitième rapport périodique. Il le remercie également pour l’exposé oral de sa délégation et les éclaircissements complémentaires donnés en réponse aux questions posées oralement par le Comité au cours du dialogue.

Le Comité félicite l’État partie d’avoir envoyé une délégation de haut niveau, conduite par la Ministre de la famille et des services sociaux, Derya Yanik, et composée notamment de représentantes et représentants du Ministère des affaires étrangères, du Ministère de la famille et des services sociaux, du Ministère de la justice, du Ministère de l’intérieur, du Ministère de la santé, du Ministère de l’éducation, du Ministère du travail et de la sécurité sociale et de la Mission permanente de la Türkiye auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève.

B.Aspects positifs

Le Comité se félicite des progrès que l’État partie a accomplis depuis l’examen, en 2016, de son septième rapport périodique (CEDAW/C/TUR/7) pour ce qui est d’améliorer son cadre institutionnel et politique en vue d’accélérer l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et de promouvoir l’égalité des genres et salue notamment l’adoption ou la mise en place de ce qui suit :

a)Le Onzième plan de développement (2019-2023), qui comprend des dispositions sur l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes ;

b)Le programme national de lutte contre le VIH/sida (2019-2024) ;

c)Le document stratégique pour l’autonomisation des femmes et son plan d’action (2018-2023) ;

d)Le plan d’action sur les droits de l’homme (2021-2023).

Le Comité se félicite qu’en 2017, soit durant la période écoulée depuis l’examen du rapport précédent, l’État partie ait ratifié le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications.

C.Objectifs de développement durable

Le Comité se félicite du soutien apporté par la communauté internationale aux objectifs de développement durable et préconise le respect de l ’ égalité des genres en droit ( de jure ) et dans les faits ( de facto ), conformément aux dispositions de la Convention, dans tous les aspects de la mise en œuvre du Programme de développement durable à l ’ horizon 2030. Il souligne l ’ importance de l ’ objectif 5 et de la prise en compte systématique des principes d ’ égalité et de non-discrimination dans la réalisation des 17 objectifs. Il encourage vivement l ’ État partie à reconnaître le rôle moteur des femmes dans le développement durable de la Türkiye et à adopter des politiques et des stratégies en conséquence.

D.Parlement

Le Comité souligne le rôle essentiel du pouvoir législatif s ’ agissant de garantir la pleine mise en œuvre de la Convention (voir A/65/38 , deuxième partie, annexe VI). Il invite la Grande Assemblée nationale de Türkiye, dans le cadre de son mandat, à prendre les mesures nécessaires en vue de mettre en œuvre les présentes observations finales avant la soumission du prochain rapport périodique, en application de la Convention.

E.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Contexte général

Le Comité se déclare profondément préoccupé par les mesures que l’État partie a prises pendant les deux années d’état d’urgence déclarées à la suite de la tentative de coup d’État de 2016 contre le Gouvernement, qui ont en principe pris fin le 18 juillet 2018. Il est particulièrement préoccupé par les effets que les diverses mesures répressives contre le terrorisme ont eus sur les droits fondamentaux des femmes et la primauté du droit dans l’État partie. Le Comité est également préoccupé par plusieurs mesures que l’État partie a adoptées pendant l’état d’urgence, qui ont conduit au licenciement de milliers de femmes, notamment de fonctionnaires, de juges, de militaires et d’universitaires. Enfin, le Comité note avec préoccupation que ces mesures continuent d’avoir des effets néfastes importants sur les droits fondamentaux des femmes et la primauté du droit dans l’État partie aujourd’hui.

Rappelant ses recommandations précédentes ( CEDAW/C/TUR/CO/7 , par. 8), le Comité exhorte l ’ État partie à respecter son engagement en faveur des droits humains, de la primauté du droit, de l ’ indépendance du pouvoir judiciaire et du respect de la liberté d ’ expression. Il demande à l ’ État partie de respecter et de protéger les droits fondamentaux des femmes et d ’ en garantir l ’ exercice, et de préserver l ’ ordre constitutionnel, y compris ses garanties en matière de droits humains. Le Comité lui demande également de donner pleinement effet à la Convention en tant que cadre important pour la paix, la sécurité et le développement durable, comme l ’ a réaffirmé le Conseil de sécurité dans ses résolutions 1325 (2000) et 1820 (2008) , ainsi que le Comité dans sa recommandation générale n o  30 (2013) sur les femmes dans la prévention des conflits, les conflits et les situations d ’ après conflit, et en gardant à l ’ esprit que l ’ égalité des genres est une condition de l ’ ordre démocratique et pacifique.

Retrait de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique

Se référant à la déclaration de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme du 23 mars 2021 et à la déclaration du Comité du 1er juillet 2021 sur le retrait de l’État partie de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), le Comité réaffirme que c’est avec un profond regret et une vive inquiétude qu’il a pris note de la décision de l’État partie de se retirer de la Convention d’Istanbul, ce dont le Conseil de l’Europe a été informé le 20 mars 2021. En outre, il regrette que la décision de se retirer de la Convention d’Istanbul ait été prise sans débat parlementaire et, semble-t-il, sans consultation plus large de la société civile, notamment des groupes de femmes et des défenseuses des droits humains. Le Comité considère que la dénonciation de la Convention d’Istanbul par l’État partie constitue une mesure rétrograde qui réduit la portée de la protection des droits fondamentaux des femmes et est incompatible avec l’obligation de diligence voulue mise à la charge de l’État partie par la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, qui consiste à faire respecter les normes les plus élevées en matière de droits fondamentaux des femmes et des filles.

Le Comité rappelle le principe de l ’ indivisibilité et de l ’ universalité des droits de l ’ homme consacré par la Déclaration et le Programme d ’ action de Vienne de 1993, et ancré dans la Convention, et invite l ’ État partie à réexaminer sa décision de se retirer de la Convention d ’ Istanbul, qui affaiblit davantage la protection des femmes et des filles, les prive de droits acquis et va à l ’ encontre des normes et principes susmentionnés du droit international des droits de l ’ homme.

Droits des femmes et égalité des genres dans le contexte de la pandémie et des mesures de relèvement

Le Comité prend note des mesures que l’État partie a prises pour mettre en œuvre des stratégies de relèvement tenant compte du genre comme suite à la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19) et des mesures ciblées visant à atténuer les effets économiques et sociaux néfastes de la pandémie sur les femmes et les filles. Le Comité est néanmoins préoccupé par l’ampleur de la violence fondée sur le genre à l’égard des femmes, y compris de la violence domestique, dans l’État partie, par la fermeture d’établissements d’enseignement la plus longue au monde visant à faire face à la pandémie et par la féminisation de la pauvreté, qui touche de manière disproportionnée les femmes et les filles appartenant à des groupes défavorisés et marginalisés, qui se heurtent à des formes multiples et croisées de discrimination et dont la situation s’est encore dégradée pendant la pandémie.

Le Comité, conformément à sa note d ’ orientation sur les obligations des États parties à la Convention dans le contexte de la COVID-19, publiée le 22 avril 2020, recommande à l ’ État partie de  :

a) Mettre en œuvre des mesures visant à corriger les inégalités de longue date entre les femmes et les hommes en plaçant les femmes au centre des stratégies de relèvement de la COVID-19, conformément au Programme de développement durable à l ’ horizon 2030, et en accordant une attention particulière aux femmes sans emploi, aux femmes qui vivent dans la pauvreté, aux femmes qui appartiennent à des minorités ethniques et nationales, aux femmes qui se trouvent dans des situations de crise humanitaire, aux femmes âgées, aux femmes handicapées et aux femmes migrantes, réfugiées et demandeuses d ’ asile  ;

b) Revoir ses stratégies afin que toutes les initiatives de relèvement, y compris les mesures d ’ urgence, visent à prévenir efficacement la violence à l ’ égard des femmes et des filles fondée sur le genre et permettent aux femmes et aux filles, dans des conditions d ’ égalité, de participer à la vie politique et à la vie publique, de prendre des décisions concernant le relèvement, de devenir économiquement autonomes et d ’ avoir accès aux services  ; veiller à ce que ces stratégies soient conçues de manière à ce que les femmes et les filles bénéficient, dans des conditions d ’ égalité avec les hommes et les garçons, des plans de relance destinés à atténuer les effets socioéconomiques de la pandémie, notamment d ’ aides financières pour la prestation de soins non rémunérés.

Visibilité de la Convention, du Protocole facultatif et des recommandations générales du Comité

Le Comité constate avec satisfaction que l’État partie a réaffirmé sa volonté de collaborer à la mise en œuvre de la Convention. Il prend note des efforts que l’État partie déploie pour faire mieux connaître la Convention et du fait que, selon l’article 90 de la Constitution, les traités internationaux ratifiés par l’État partie font partie intégrante du droit national et que les citoyens peuvent saisir la Cour constitutionnelle en cas de violation des droits consacrés par la Convention. Il constate toutefois avec préoccupation que les femmes, en particulier les femmes rurales, les femmes issues de minorités ethniques et nationales, les migrantes, les réfugiées et les demandeuses d’asile, ainsi que les femmes handicapées, ignorent souvent les droits que leur reconnaît la Convention et les recours dont elles disposent pour les faire valoir.

Le Comité rappelle ses précédentes recommandations ( CEDAW/C/TUR/CO/7 , par. 17) et recommande à l ’ État partie  :

a) de diffuser la Convention, les observations finales et les recommandations générales du Comité, ainsi que sa jurisprudence au titre du Protocole facultatif, et de leur donner plus de visibilité  ;

b) d ’ envisager de mettre en place un mécanisme global chargé de donner suite aux présentes observations finales et d ’ associer les organisations non gouvernementales de défense des droits des femmes et de promotion de l ’ égalité des genres aux travaux de ce mécanisme, en tenant compte des quatre capacités essentielles d ’ un mécanisme national d ’ établissement de rapports et de suivi, à savoir la capacité de collaborer, la capacité d ’ assurer la coordination, la capacité de mener des consultations et la capacité de gérer l ’ information  ;

c) de sensibiliser les femmes aux droits que leur reconnaît la Convention et aux recours juridiques dont elles disposent en cas de violations et de veiller à ce que toutes les femmes puissent avoir accès à des informations sur la Convention, la jurisprudence du Comité au titre du Protocole facultatif et les recommandations générales du Comité  ;

d) d ’ établir systématiquement à l ’ intention des fonctionnaires, des juges, des procureurs, des policiers et autres membres des forces de l ’ ordre, ainsi que des avocats, des programmes de renforcement des capacités sur la Convention.

Cadre constitutionnel et législatif et lois discriminatoires

Le Comité constate que le principe de non-discrimination, y compris de non-discrimination fondée sur le sexe, est inscrit dans la Constitution. Toutefois, il reste préoccupé par les formes croisées de discrimination à l’égard des groupes de femmes défavorisées et marginalisées dans l’État partie, en particulier les femmes kurdes, les femmes réfugiées et demandeuses d’asile et les femmes handicapées.

Le Comité recommande à l ’ État partie  :

a) d ’ adopter une loi qui interdise toutes les formes de discrimination à l ’ égard des femmes et couvre la discrimination directe et indirecte dans les sphères publique et privée, ainsi que les formes de discrimination croisée, conformément à l ’ article premier de la Convention  ;

b) d ’ assurer l ’ application effective de l ’ interdiction constitutionnelle de la discrimination fondée sur le sexe  ;

c) de concevoir un système complet de collecte de données sur la discrimination, ventilées par sexe, âge, nationalité, appartenance ethnique, handicap et situation socioéconomique.

Accès des femmes à la justice

Le Comité est préoccupé par les effets préjudiciables que l’adoption des modifications constitutionnelles de 2017 a eus sur le système judiciaire de l’État partie, qui sapent encore davantage la capacité du système judiciaire de s’acquitter de son mandat en toute indépendance. Il constate aussi avec préoccupation que les modifications apportées à la structure de la Cour constitutionnelle turque et du Conseil des juges et des procureurs, organe chargé de garantir l’autonomie du pouvoir judiciaire, compromettent gravement l’indépendance de l’appareil judiciaire en le plaçant sous la surveillance étroite du pouvoir exécutif. Le Comité prend note des informations fournies par la délégation selon lesquelles les procédures et les conditions de sélection des candidates et candidats aux postes de juge et de procureur sont explicitement réglementées par les articles 8 et 9 de la loi no 2802 relative aux juges et aux procureurs. Il est toutefois préoccupé par les points suivants :

a)La révocation d’environ 20 % des juges et procureurs en activité pendant l’état d’urgence pour cause d’« association avec le terrorisme » et le fait que l’État partie n’a pas réintégré les juges, y compris les femmes, révoqués à la suite de la tentative de coup d’État bien qu’ils aient été acquittés des charges pénales retenues contre eux ;

b)Le climat de peur de représailles que ces révocations ont créé parmi les juges et les procureurs en place ;

c)Le remplacement des juges et des procureurs révoqués par des juges et des procureurs qui seraient souvent inexpérimentés et qui font face à une charge de travail déjà lourde et qui s’est encore accrue en raison du nombre élevé d’affaires supplémentaires résultant des mesures d’urgence ;

d)L’absence signalée de critères objectifs, fondés sur le mérite, prédéfinis et uniformes pour la sélection et la nomination des juges ;

e)Le fait que la loi no 2802 relative aux juges et aux procureurs exclut de nommer des femmes handicapées aux postes de juges et de procureurs ;

f)Le rejet manifeste des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme par l’État partie, notamment dans le cadre d’actions intentées par des femmes, et le fait qu’il n’y ait pas donné suite.

En référence à sa recommandation générale n o 33 (2015) sur l ’ accès des femmes à la justice, le Comité recommande à l ’ État partie  :

a) de réintégrer sans délai tous les juges, y compris les femmes, révoqués comme suite à la tentative de coup d ’ État contre le Gouvernement et acquittés des charges pénales retenues contre eux, et leur accorder une réparation appropriée  ;

b) d ’ accélérer les enquêtes et les poursuites concernant tous les actes de harcèlement, d ’ intimidation et de représailles commis contre des femmes juges et procureurs, offrir des recours et des réparations aux victimes, et d ’ établir un registre de ces actes, avec des indicateurs tenant compte du genre, des données ventilées et des statistiques accessibles au public  ;

c) d ’ apprendre aux membres de l ’ appareil judiciaire, aux procureurs, aux policiers et autres membres des forces de l ’ ordre à tenir compte des questions de genre dans le cadre de l ’ administration de la justice, notamment en ayant systématiquement recours au manuel de formation sur la violence à l ’ égard des femmes fondée sur le genre élaboré par les institutions chargées de la justice et de l ’ ordre public  ;

d) d ’ adopter une procédure transparente, inclusive et fondée sur le mérite pour la sélection et la nomination des juges et prévoir des garanties contre les conflits d ’ intérêts réels ou perçus dans le cadre de la procédure de sélection et de nomination  ;

e) de modifier la loi n o 2802 relative aux juges et aux procureurs et adopter des mesures juridiques pour permettre et faciliter la participation effective des femmes handicapées au système de justice, y compris en qualité de juges, de témoins, de plaignants ou de défendeurs.

Le Comité demeure préoccupé par les obstacles que les femmes continuent de rencontrer dans leur accès à la justice, en particulier :

a)Le manque de connaissances juridiques de nombreuses femmes et filles ;

b)Le champ d’application limité de l’aide juridictionnelle, tant du point de vue économique que du point de vue pratique, qui fait que des femmes gagnant le salaire minimum ne remplissent pas les conditions pour en bénéficier, la lourdeur de la procédure pour prouver que l’on remplit les conditions, et les barrières linguistiques auxquelles se heurtent les femmes qui cherchent à obtenir justice, en particulier les femmes kurdes, les femmes appartenant à d’autres minorités et les réfugiées ;

c)Le fait que les membres des forces de l’ordre et les praticiens du droit connaissent peu les droits des femmes.

Le Comité rappelle ses précédentes recommandations ( CEDAW/C/TUR/CO/7 , par. 23) et recommande à l ’ État partie  :

a) de mieux informer les femmes de leurs droits et des moyens à leur disposition pour les faire respecter, en mettant particulièrement l ’ accent sur l ’ intégration des questions relatives aux droits des femmes et à l ’ égalité des genres dans les programmes scolaires, à tous les niveaux, y compris dans des programmes de vulgarisation juridique, et en insistant sur l ’ importance cruciale de l ’ accès des femmes à la justice  ;

b) de veiller à ce qu ’ une aide juridictionnelle gratuite et des services d ’ interprétation en kurde et en arabe soient mis à la disposition des femmes ne disposant pas de moyens suffisants, y compris celles qui gagnent le salaire minimum, par exemple en créant des centres d ’ aide juridictionnelle dans les zones rurales et reculées, et de développer le projet visant à financer la fourniture d ’ une aide juridictionnelle par l ’ Union des associations du barreau turc, en partenariat avec le Programme des Nations Unies pour le développement  ;

c) de développer les programmes de renforcement des capacités et de sensibilisation du pouvoir judiciaire afin d ’ éliminer les préjugés et les stéréotypes fondés sur le genre et d ’ intégrer une perspective de genre dans l ’ ensemble du système judiciaire.

Institution nationale des droits de l’homme

Le Comité salue la création par la loi no 6701 de l’Institution pour les droits de l’homme et l’égalité. Il demeure toutefois préoccupé par le statut actuel de cette institution et craint que la procédure de nomination de ses membres n’ait pas été impartiale et que les ressources humaines et financières qui lui ont été allouées ne soient pas suffisantes.

Conformément aux engagements pris durant l ’ Examen périodique universel ( A/HRC/44/14/Add.1 , par. 45.31), le Comité recommande à l ’ État partie de garantir la pleine indépendance de l ’ Institution pour les droits de l ’ homme et l ’ égalité, conformément aux principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme (Principes de Paris), et de renforcer sa capacité d ’ enquêter et de faire rapport sur les violations des droits humains, y compris les violations des droits des femmes, et de collaborer activement avec les mécanismes de l ’ ONU relatifs aux droits de l ’ homme, notamment le Comité.

Stéréotypes discriminatoires et pratiques préjudiciables

Le Comité est préoccupé par la persistance de stéréotypes discriminatoires profondément ancrés et par les déclarations officielles de l’État partie concernant les rôles et les responsabilités des femmes et des hommes dans la famille et dans la société, qui mettent trop en avant le rôle traditionnel des femmes en tant que mères et épouses et, partant, portent atteinte à la condition sociale et à l’autonomie des femmes, entravent leurs parcours scolaires et leurs carrières professionnelles, et constituent une cause sous-jacente de la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre. Il constate avec inquiétude que des attitudes patriarcales persistent au sein des autorités de l’État et de la société, et que le principe de l’égalité des genres est de plus en plus remplacé par une notion très vague de « justice de genre ».

Le Comité rappelle ses recommandations précédentes ( CEDAW/C/TUR/CO/7 , par. 29) et recommande à l ’ État partie d ’ adopter une stratégie globale fondée sur les droits et l ’ autonomisation des femmes visant à éliminer les attitudes patriarcales et les stéréotypes discriminatoires à l ’ égard des femmes. Cette stratégie devrait comprendre l ’ adoption de mesures à tous les niveaux, en collaboration avec la société civile, visant à sensibiliser l ’ opinion publique aux effets néfastes des stéréotypes discriminatoires sur l ’ exercice par les femmes de leurs droits fondamentaux.

Le Comité reste préoccupé par :

a)La pratique persistante, en particulier dans les zones rurales et reculées, consistant à donner des filles en mariage pour régler des querelles de sang, et le maintien du paiement du « prix de la fiancée » dans certaines régions ;

b)Le nombre élevé de mariages d’enfants, en particulier dans les zones rurales défavorisées, le fait que ces mariages soient en grande partie acceptés dans la société et l’insuffisance des efforts que l’État partie déploie pour prévenir ces mariages et punir ceux qui les pratiquent.

Le Comité rappelle ses recommandations précédentes ( CEDAW/C/TUR/CO/7 , par. 31) et appelle l ’ attention sur la recommandation générale n o 31 du Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes et observation générale n o 18 du Comité des droits de l ’ enfant sur les pratiques préjudiciables, adoptées conjointement (2019), et il recommande à l ’ État partie  :

a) de veiller à ce que toute forme de vente ou d ’ échange de femmes et de filles aux fins du règlement de différends soit incriminée et donne lieu à des enquêtes et à des poursuites, et que les auteurs de telles pratiques soient dûment sanctionnés  ;

b) de faire appliquer l ’ interdiction du mariage des enfants et de mieux sensibiliser l ’ opinion publique aux effets néfastes du mariage d ’ enfants sur la santé et le développement des filles.

Violence à l’égard des femmes fondée sur le genre

Le Comité salue l’adoption du quatrième plan d’action national sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes (2021-2025). Il prend note des réformes importantes que l’État partie a adoptées pour renforcer le cadre juridique de la lutte contre la violence domestique et la violence à l’égard des femmes et constate que la loi no 6284/2012 sur la protection de la famille et la prévention de la violence à l’égard des femmes constitue un cadre important pour prévenir la violence et protéger les victimes. Le Comité relève toutefois avec préoccupation que des lacunes subsistent tant dans le champ d’application de la législation existante que dans sa mise en œuvre. Il appelle l’attention de l’État partie sur la décision de la Cour constitutionnelle de 2021 concernant l’affaire no 2017/32972, dans laquelle la Cour a estimé que les agents de l’État, les procureurs et les juges n’avaient pas pris les mesures nécessaires pour protéger une femme qui avait déposé de multiples plaintes auprès des autorités, avant d’être tuée par son ancien mari. Le Comité reste en outre préoccupé par le fait que la législation turque n’érige pas expressément en infraction la violence domestique et ne comprend aucune disposition relative aux poursuites ou aux sanctions à l’encontre des auteurs de tels actes de violence. Le Comité se déclare à nouveau préoccupé par la persistance de la violence systématique et généralisée à l’égard des femmes dans l’État partie, y compris la violence sexuelle, et par les éléments suivants :

a)Au moins 3 175 féminicides ont été signalés dans l’État partie entre 2010 et 2020 et plus de 300 femmes ont été assassinées en 2021, la plupart par leur partenaire ou ancien partenaire, leur mari ou des membres de leur famille ;

b)Il ressort des données officielles sur les violences faites aux femmes que dans 8,5 % des affaires impliquant le meurtre d’une femme entre 2016 et 2021, la victime avait obtenu une ordonnance de protection qui restait applicable au moment où elle a été tuée. En 2021, ce pourcentage était passé à 12 % ;

c)La violence à l’égard des femmes et des filles fondée sur le genre est considérablement sous-déclarée en raison de la stigmatisation des victimes, de la peur des représailles, de la dépendance économique des victimes vis-à-vis de leur bourreau, de l’ignorance du droit, des barrières linguistiques ou du manque de confiance dans les autorités chargées de faire respecter la loi ;

d)Les femmes qui cherchent à échapper à des relations violentes ne bénéficient pas d’une assistance et de recours adéquats, ce dont témoignent notamment le nombre insuffisant de foyers dans l’État partie, la médiocrité des conditions de vie dans ces foyers et la pratique fréquente consistant à renvoyer les victimes chez leur partenaire violent ou à les obliger à se séparer de leurs enfants ;

e)Les femmes lesbiennes, bisexuelles et transgenres font toujours l’objet de violence et de discrimination fondées sur le genre. La violence est exacerbée par l’impunité généralisée dont bénéficient les auteurs de crimes de haine, notamment d’actes de violence fondée sur le genre à l’égard de femmes lesbiennes, bisexuelles et transgenres, voire de meurtres, et par l’application comme circonstance atténuante de l’article 29 du Code pénal sur la « provocation injuste » dans les affaires de meurtres de femmes lesbiennes, bisexuelles et transgenres.

Le Comité rappelle ses recommandations précédentes ( CEDAW/C/TUR/CO/7 , par. 33) et, conformément à sa recommandation générale n o 35 (2017) sur la violence à l ’ égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale n o 19, et à la cible 5.2 associée aux objectifs de développement durable, relative à l ’ élimination de la vie publique et de la vie privée de toutes les formes de violence faite aux femmes et aux filles, recommande à l ’ État partie de renforcer les mécanismes permettant de suivre l ’ application des lois qui répriment la violence fondée sur le genre à l ’ égard des femmes. Il recommande également à l ’ État partie  :

a) de modifier sa législation de façon à ériger expressément en infraction pénale la violence domestique et le féminicide  ;

b) de faire strictement appliquer les ordonnances de protection, d ’ assurer leur suivi et de punir les contrevenants, et d ’ enquêter sur les responsables de l ’ application des lois et le personnel judiciaire et de tenir ceux-ci responsables de tout défaut d ’ enregistrer les plaintes et de publier et de faire appliquer les ordonnances de protection  ;

c) d ’ encourager le signalement de la violence domestique à l ’ égard des femmes et des filles en sensibilisant les femmes et les hommes au caractère criminel de la violence fondée sur le genre à l ’ égard des femmes, notamment au moyen de campagnes éducatives et médiatiques et avec la participation active des organisations de femmes et des défenseuses des droits humains, afin de remettre en cause l ’ acceptation sociale de cette violence et de déstigmatiser les femmes et de les protéger contre les représailles auxquelles elles s ’ exposent lorsqu ’ elles signalent des actes de violence fondée sur le genre  ;

d) de faire en sorte qu ’ une ligne d ’ assistance téléphonique multilingue spécialisée soit disponible 24 heures sur 24 pour les victimes de violences domestiques et sexuelles, d ’ étendre le réseau de foyers spécialisés, inclusifs et accessibles pour les femmes et les filles victimes de violences fondées sur le genre, tout en tenant compte de leurs besoins particuliers, et de fournir une aide aux femmes qui ne peuvent pas rentrer chez elles en toute sécurité pour leur permettre de vivre de manière autonome, laquelle aide peut prendre la forme d ’ un soutien psychosocial, d ’ une formation professionnelle permettant à ces femmes d ’ exercer des activités génératrices de revenus et, si cela s ’ avère nécessaire pour assurer leur sécurité, d ’ un changement d ’ identité  ;

e) conformément à ses recommandations générales n o 19 (1992) sur la violence à l ’ égard des femmes et n o 28 (2010) sur les obligations fondamentales des États parties découlant de l ’ article 2 de la Convention, de faire preuve de la diligence voulue pour protéger les femmes lesbiennes, bisexuelles et transgenres de la discrimination et de la violence fondée sur le genre, en veillant à ce que les auteurs de telles violences à leur égard ne bénéficient pas des circonstances atténuantes prévues à l ’ article 29 du Code pénal  ;

f) de recueillir des données complètes, ventilées par âge, sexe, relation entre la victime et l ’ auteur et autres caractéristiques sociodémographiques, telles que le handicap, afin de mieux éclairer les politiques et les stratégies visant à lutter contre la violence à l ’ égard des femmes et des filles fondée sur le genre, y compris la violence domestique et sexuelle.

Meurtres et suicides forcés au nom de « l’honneur »

Le Comité est préoccupé par la persistance des crimes, y compris les meurtres, commis au nom du prétendu « honneur », et par le nombre relativement élevé de suicides forcés ou de meurtres déguisés de femmes dans l’État partie. Il constate avec préoccupation que l’État partie n’a pas fait tout son possible pour faire comprendre au public que les crimes dits « d’honneurs » étaient des infractions pénales et que le concept même était trompeur. Il prend note de l’information que lui a communiquée l’État partie au cours du dialogue précédent, à savoir que l’article 29 du Code pénal, qui prévoit des circonstances atténuantes en cas de « provocation injuste », ne s’applique pas aux meurtres commis au nom de l’« honneur ». Il reste toutefois préoccupé par le fait que cela ne constitue pas une garantie juridique suffisante, étant donné que la disposition interdisant explicitement l’application de l’article 29 ne concerne que les meurtres commis au nom de la « coutume » (töre), ce qui pourrait ne pas systématiquement inclure les meurtres commis au nom de l’« honneur » (namus).

Le Comité rappelle ses précédentes recommandations ( CEDAW/C/TUR/CO/7 , par. 35) recommande à nouveau à l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour poursuivre et sanctionner comme il convient tous les crimes commis au nom du prétendu « honneur » et  :

a) de modifier le Code pénal de manière à exclure explicitement les crimes commis au nom du prétendu « honneur » de l ’ application de l ’ article 29  ;

b) de veiller à ce que les suicides, les accidents et autres morts violentes de femmes et de filles fassent l ’ objet d ’ enquêtes approfondies, reposant notamment sur des preuves scientifiques, issues par exemple d ’ autopsies médicales ou psychologiques  ;

c) de veiller à ce que les procureurs et les juges appliquent strictement l ’ article 84 du Code pénal, qui dispose que toute personne qui incite ou encourage une autre personne à se suicider, ou la conforte dans sa décision de se suicider, ou, de quelque manière que ce soit, l ’ aide à commettre l ’ acte par lequel elle se donne la mort, sera condamnée à une peine d ’ emprisonnement de deux à cinq ans  ;

d) de réfuter l ’ idée selon laquelle l ’ honneur et le prestige d ’ un homme ou d ’ une famille sont étroitement associés à la conduite ou au comportement présumé de leurs parentes féminines, qui est fondée sur des comportements patriarcaux, sert à contrôler les femmes et à restreindre leur autonomie personnelle et est incompatible avec les dispositions de la Convention.

Les femmes et la paix et la sécurité

Le Comité se déclare à nouveau préoccupé par le fait qu’un nombre élevé de civils, kurdes pour l’essentiel, dont beaucoup de femmes, auraient été tués ou auraient subi des violences, notamment des violences sexuelles, commises dans le contexte des opérations antiterroristes menées par les forces de sécurité turques contre le Parti des travailleurs du Kurdistan, considéré comme une organisation terroriste par l’État partie ainsi que par d’autres États et des organisations internationales – comme les États-Unis d’Amérique et l’Union européenne – et les factions de jeunes qui lui sont affiliées, dans le sud-est de l’État partie. Selon les informations dont dispose le Comité, le conflit persistant entre les forces de sécurité turques et le Parti des travailleurs du Kurdistan a fait plus de 5 850 morts depuis qu’un cessez-le-feu qui avait duré deux ans et demi a pris fin en juillet 2015. En 2021, il y a eu en moyenne 209 incidents par mois dans l’État partie et le nord de l’Iraq. Le Comité rappelle qu’il convient de protéger les droits humains en toutes circonstances, y compris dans le cadre de mesures de lutte contre le terrorisme. Le Comité reste particulièrement préoccupé par :

a)Les allégations circonstanciées selon lesquelles des femmes kurdes subissent des violences sexuelles, du harcèlement et des menaces ;

b)Le grand nombre de personnes qui ont été expulsées de leur foyer, dont de nombreuses femmes, qui sont souvent soumises à des formes de discrimination croisée et qui sont exposées à des risques accrus de violence sexuelle et d’autres formes de violence fondée sur le genre lorsqu’elles sont contraintes de dormir dans la rue ;

c)Le retard pris dans l’adoption du projet de plan d’action national visant à mettre en œuvre de la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité sur les femmes et la paix et la sécurité.

Conformément à l ’ article 2 de la Convention, et compte tenu de ses recommandations générales n o 19, n o 28 et n o 30, le Comité renouvelle ses précédentes recommandations ( CEDAW/C/TUR/CO/7 , para. 37) et recommande à l ’ État partie  :

a) de prendre toutes les mesures possibles dans le cadre des opérations militaires intérieures et extérieures pour établir la paix avec les différentes factions et veiller à ce que les femmes et leurs organisations participent à toutes les négociations de paix et à toutes les activités de relèvement et de reconstruction  ;

b) d ’ enquêter sur tous les actes de violence sexuelle et de violence fondée sur le genre perpétrés par les forces de sécurité et de défense turques ainsi que par tout autre groupe armé, notamment à l ’ encontre des femmes et des filles kurdes, et poursuivre leurs auteurs et les punir comme il se doit  ;

c) de créer un mécanisme d ’ enquête indépendant et impartial, avec l ’ aide de la communauté internationale, chargé de mener des enquêtes efficaces, impartiales et transparentes sur ces violations  ;

d) de prendre des mesures immédiates pour lutter contre l ’ impunité en lien avec la violence sexuelle et les autres formes de violence fondées sur le genre et apporter une assistance médicale, psychologique et autre aux femmes qui en sont victimes, accorder une réparation appropriée aux femmes et aux filles victimes de violations des droits humains commises dans le contexte de conflits armés et d ’ opérations de lutte contre le terrorisme se déroulant dans l ’ État partie, et œuvrer à la réadaptation de ces femmes et ces filles  ;

e) d ’ améliorer l ’ accès des femmes et des filles déplacées à l ’ intérieur du pays à l ’ éducation , aux services de santé et au logement et faire en sorte qu ’ elles puissent rapidement réintégrer leur foyer et que leur logement soit remis dans un état décent.

Le Comité engage par ailleurs l ’ État partie à établir un calendrier précis pour finaliser et adopter le projet de plan d ’ action national visant à mettre en œuvre la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité sur les femmes et la paix et la sécurité, en coopération avec des représentantes d ’ organisations de femmes, à veiller à ce qu ’ il tienne compte de l ’ ensemble du programme du Conseil de sécurité pour les femmes et la paix et la sécurité et à en assurer sans tarder la mise en œuvre.

Traite et exploitation de la prostitution

Le Comité se félicite des efforts que l’État partie déploie pour prévenir et combattre la traite des femmes et des filles, notamment en collaborant à l’échelle internationale et en menant des campagnes de sensibilisation. Toutefois, il note avec préoccupation :

a)que l’État partie n’a pas encore adopté de législation complète visant à lutter contre la traite des personnes, alors même qu’il demeure un pays d’origine, de transit et de destination pour la traite des femmes et des filles, et que les données statistiques sur l’ampleur de la traite et ses causes profondes sont insuffisantes, notamment dans les contextes humanitaires ;

b)que les femmes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile risquent fortement de devenir victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle ou d’exploitation par le travail ;

c)que les cas de traite sont trop rarement signalés et que les taux de condamnation pour les affaires relatives à la traite sont bas ;

d)que ce sont très majoritairement des filles qui sont exploitées à des fins de prostitution ou de servitude domestique ;

e)que, selon certaines informations, des victimes de la traite, y compris des femmes prostituées, ont été arrêtées, détenues et expulsées du pays pour des infractions administratives, telles que des violations de droit de l’immigration ;

f)qu’il n’existe que deux foyers d’accueil gérés par le Gouvernement pour les victimes de la traite et que plusieurs foyers gérés par des organisations non gouvernementales ont été fermés en 2016 faute de financement.

À la lumière de sa recommandation générale n o 38 (2020) sur la traite des femmes et des filles dans le contexte des migrations internationales, et rappelant ses précédentes recommandations ( CEDAW/C/TUR/CO/7 , par. 40), le Comité recommande à l ’ État partie  :

a) d ’ adopter une législation complète contre la traite des êtres humains et de collecter de manière systématique des données relatives à la traite, ventilées par sexe, âge, nationalité, appartenance ethnique, handicap et situation socioéconomique  ;

b) d ’ intensifier les activités de formation et de renforcement des capacités destinées aux responsables de l ’ application des lois et aux agents chargés des services frontaliers pour qu ’ ils soient mieux à même de repérer les victimes de la traite et de les référer aux services compétents  ;

c) de veiller à ce que les personnes qui se livrent à la traite et les fonctionnaires qui s ’ en rendent complices soient poursuivis et sanctionnés comme il se doit, et de communiquer des informations sur les taux de poursuites et de condamnations dans les affaires de traite d ’ êtres humains dans son prochain rapport périodique  ;

d) de continuer de lutter contre l ’ exploitation des femmes et des filles à des fins de prostitution et d ’ esclavage domestique et de poursuivre et punir les auteurs de ces actes, de s ’ attacher à réduire la demande de sexe tarifé et de mettre en place des programmes de soutien visant à aider celles qui souhaitent sortir de la prostitution, notamment en leur donnant accès à d ’ autres sources de revenus  ;

e) de veiller à ce que les femmes victimes de la traite et de l ’ exploitation de la prostitution soient exemptées de toute responsabilité et puissent bénéficier de programmes de protection des témoins et de permis de séjour temporaires, indépendamment de leur capacité ou de leur disposition à coopérer avec les autorités chargées des poursuites judiciaires  ;

f) d ’ augmenter de manière sensible le nombre de foyers pour les victimes de la traite dans les zones urbaines comme rurales et de fournir aux femmes et filles victimes de la traite une assistance juridique gratuite, des soins médicaux adéquats, des conseils psychosociaux, un soutien financier, une éducation, une formation professionnelle et un accès à des sources de revenus  ;

g) de fournir un financement adéquat aux organisations de la société civile qui gèrent des foyers d ’ accueil et fournissent des services de soutien aux victimes.

Participation égale à la vie politique et à la vie publique

Le Comité constate avec préoccupation :

a)La persistance d’obstacles structurels, notamment les stéréotypes discriminatoires fondés sur le genre, qui empêchent les femmes, en particulier les femmes kurdes, les femmes lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes et les femmes handicapées, de participer à la vie politique et publique ;

b)Le fait qu’il n’y a qu’une seule femme parmi les 17 ministres et que seules 104 candidates ont été élues aux élections législatives de 2018, représentant 17,4 % des parlementaires ;

c)La faible représentation des femmes aux postes de décision dans la fonction publique et les services diplomatiques de l’État partie ;

d)Les discours haineux et le harcèlement dont les femmes sont victimes sur la scène politique, qui entravent leur participation à la vie politique et publique ;

e)Le fait que les lois et règlements discriminatoires de l’État partie ont pour effet de priver de leurs droits les femmes qui présentent un handicap intellectuel ou psychosocial.

38. Rappelant sa recommandation générale n o 23 (1997) sur la participation des femmes à la vie politique et publique et la cible 5.5 associée aux objectifs de développement durable, le Comité recommande à l ’ État partie  :

a) d ’ adopter des mesures temporaires spéciales, telles que des quotas statutaires et un système de parité des genres, conformément au paragraphe 1 de l ’ article 4 de la Convention et à la recommandation générale n o 25 (2004) du Comité sur les mesures temporaires spéciales, pour assurer l ’ égale représentation des femmes, en particulier des femmes appartenant à des minorités ethniques et des femmes handicapées, au sein de la Grande Assemblée nationale, des organes délibérants provinciaux et municipaux, du Gouvernement, de la fonction publique et des services diplomatiques, notamment aux niveaux de décision  ;

b) de renforcer les capacités des candidates en matière de leadership politique et de conduite de campagne et de faire en sorte qu ’ elles aient accès à des fonds de campagne  ;

c) de sensibiliser les dirigeants politiques et le grand public au fait que la participation pleine, égale, libre et démocratique des femmes à la vie politique et à la vie publique, sur un pied d ’ égalité avec les hommes, est une condition essentielle du développement durable et de la pleine application de la Convention  ;

d) de renforcer les mécanismes visant à prévenir les discours de haine prenant pour cible des femmes politiques, des défenseuses des droits humains et des candidates dans le débat politique et public, y compris en ligne, et de protéger les intéressées contre le harcèlement et les menaces notamment en renforçant les mécanismes de suivi et d ’ établissement des rapports, en exigeant de tous les partis politiques qu ’ ils mettent en place des stratégies de promotion de l ’ égalité des genres et de lutte contre le harcèlement, et en tenant les médias sociaux responsables des contenus discriminatoires générés par leurs utilisateurs  ;

e) d ’ abroger les dispositions législatives discriminatoires qui empêchent les femmes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial ou les femmes qui n ’ ont pas d ’ adresse permanente d ’ exercer leur droit de vote et de se présenter aux élections.

Défenseuses des droits humains et femmes journalistes

Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie selon lesquelles les droits à la liberté d’opinion, d’expression, d’association et de réunion pacifique sont garantis par la Constitution. Il est toutefois préoccupé par le fait que l’article 314 du Code pénal et l’article 7 de la loi antiterroriste concernant les chefs et membres d’organisations armées sont appliqués pour déclarer coupables des défenseuses des droits humains et les condamner à de longues peines de prison. Il est également préoccupé par le fait que des défenseuses et militantes des droits humains, notamment celles qui défendent les droits des femmes lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes, ainsi que des femmes journalistes, sont souvent soumises à des arrestations, des agressions physiques, des menaces, de l’intimidation, du harcèlement et des gels des avoirs. Il note également avec inquiétude les informations indiquant que des organisations de la société civile subissent des violences, du harcèlement et de la répression légale car elles auraient mené des « activités contraires à la loi et à la morale ».

Le Comité recommande à l ’ État partie  :

a) de faire en sorte que les défenseuses des droits humains, les avocates et les femmes journalistes puissent mener librement leurs activités légitimes et de créer des conditions qui leur permettent de défendre les droits fondamentaux des femmes  ;

b) de prévenir la discrimination à l ’ égard des défenseuses des droits humains, des militantes et des femmes journalistes, de les protéger contre les actes de violence et d ’ intimidation, d ’ ouvrir des enquêtes sur tout mauvais traitement qu ’ elles auraient subi et d ’ engager des poursuites contre les responsables et de les punir, y compris s ’ il s ’ agit d ’ agents publics  ;

c) de modifier les dispositions qui restreignent l ’ espace civique et le financement des organisations de la société civile, notamment des organisations de femmes, au motif que celles-ci auraient mené des « activités contraires à la loi et à la morale ».

Nationalité

Le Comité se félicite de ce que l’État partie accueille la plus grande population de réfugiés au monde, à savoir 3,7 millions de Syriens sous protection temporaire et plus de 320 000 réfugiés et demandeurs d’asile sous protection internationale, en majorité des femmes et des filles, leur garantit le droit à l’enregistrement des naissances et permet aux femmes étrangères de transmettre leur nationalité à leurs enfants. Toutefois, il note avec préoccupation :

a)L’absence d’informations concernant les mesures prises pour réduire les cas d’apatridie ;

b)Les informations selon lesquelles des citoyens turcs, notamment des femmes, feraient l’objet d’une notice rouge Interpol et se verraient annuler leur passeport lors de voyages à l’étranger, le but étant de les faire expulser vers la Türkiye.

Le Comité rappelle sa recommandation générale n o 32 (2014) relative aux aspects liés au genre des questions touchant les réfugiées, les demandeuses d ’ asile et la nationalité et l ’ apatridie des femmes, et recommande à l ’ État partie  :

a) de recueillir des données sur les femmes et les filles apatrides, ventilées par âge, origine ethnique et handicap, et de faire figurer ces données dans son prochain rapport périodique  ;

b) de veiller à ce que toutes les citoyennes et tous les citoyens turcs dont le passeport est susceptible d ’ être annulé ou révoqué en soient informés au préalable de sorte qu ’ ils puissent contester cette décision devant les tribunaux  ;

c) de ratifier la Convention sur la réduction des cas d ’ apatridie de 1961.

Éducation

Le Comité se félicite de l’augmentation du taux d’inscription des filles dans l’enseignement secondaire, qui est passé de 45 % en 2002 à 87 % en 2021. Il se félicite également que l’éducation à la santé sexuelle et reproductive et aux droits connexes ait été intégrée aux programmes scolaires et que les adolescentes enceintes puissent bénéficier de formations professionnelles en ligne ou en présentiel. Néanmoins, il note avec préoccupation :

a)Le fait que l’enseignement n’est obligatoire pour les filles et les garçons que jusqu’à l’âge de 12 ans ;

b)Les taux élevés d’analphabétisme dans certaines parties de la région sud-est de l’État partie, dus à la pauvreté et aux barrières linguistiques ;

c)Les taux de scolarisation plus faibles pour les femmes et les filles que pour les hommes et les garçons ;

d)Les taux relativement élevés de grossesse précoce et d’abandon scolaire chez les filles, dus en partie au mariage d’enfants ;

e)La persistance de stéréotypes de genre discriminatoires dans le système éducatif, notamment concernant les rôles traditionnels des femmes, mis en avant dans les manuels scolaires ;

f)L’absence d’éducation sexuelle traitant des relations sociales en lien avec le genre et des conséquences des attitudes patriarcales et des stéréotypes discriminatoires sur la sexualité des femmes et des filles ;

g)Le harcèlement, les châtiments corporels et l’intimidation dont sont victimes les filles et les femmes en milieu scolaire et le peu d’informations sur le nombre de plaintes et d’enquêtes y relatives et sur les sanctions imposées.

À la lumière de sa recommandation générale n o 36 (2017) sur le droit des filles et des femmes à l ’ éducation, et rappelant ses précédentes recommandations ( CEDAW/C/TUR/CO/7 , par. 44), le Comité recommande à l ’ État partie de sensibiliser l ’ opinion publique à l ’ importance de l ’ éducation des filles à tous les niveaux comme fondement de leur autonomisation, et  :

a) de relever l ’ âge de la scolarité obligatoire à 16 ans pour les filles et les garçons  ;

b) de réduire le taux d ’ analphabétisme élevé chez les femmes et les filles, en particulier chez les filles pauvres, les filles vivant dans les zones rurales, les filles kurdes, les femmes et les filles enceintes et les jeunes mères, les femmes et les filles en situation de handicap et les réfugiées et demandeuses d ’ asile, en prenant des mesures temporaires spéciales telles que l ’ application de quotas suivant des objectifs assortis de délais, dans le but d ’ augmenter le taux de scolarisation, le taux de maintien scolaire et le taux d ’ achèvement des études chez les filles au niveau de l ’ enseignement secondaire et supérieur  ;

c) de maintenir et renforcer les mesures temporaires spéciales, y compris les incitations financières et les bourses, visant à encourager l ’ inscription des femmes et des filles à tous les niveaux d ’ enseignement, et particulièrement dans des filières non traditionnelles, notamment les sciences, la technologie, l ’ ingénierie et les mathématiques et le numérique  ;

d) d ’ encourager la scolarisation, l ’ assiduité à l ’ école et le maintien scolaire des filles et des femmes, ainsi que la reprise des études après un décrochage scolaire, notamment aux niveaux secondaire et supérieur, en particulier en ce qui concerne les filles et les femmes vivant dans la pauvreté, les filles et les femmes rurales, les filles et les femmes enceintes et les mères adolescentes, notamment en sensibilisant les parents, les dirigeants communautaires et les filles et les femmes elles-mêmes à l ’ importance de l ’ éducation pour leur développement personnel et leurs perspectives de carrière  ;

e) d ’ éliminer les stéréotypes discriminatoires concernant le rôle des femmes et des filles dans la société et de sensibiliser les enseignants afin qu ’ ils ne renforcent pas les stéréotypes de genre dans les environnements éducatifs  ;

f) d ’ intégrer à tous les programmes scolaires, y compris dans les contextes humanitaires, une éducation sur la santé sexuelle et reproductive et les droits connexes tenant compte des questions de genre, accessible et adaptée à l ’ âge des élèves afin d ’ encourager un comportement sexuel responsable pour prévenir les grossesses précoces et les infections sexuellement transmissibles, de s ’ attaquer aux stéréotypes discriminatoires et de fournir une formation systématique sur les droits des femmes et des filles en matière de santé sexuelle et reproductive aux enseignants à tous les niveaux du système éducatif  ;

g) d ’ élaborer une politique nationale de lutte contre l ’ intimidation pour faire en sorte que les milieux éducatifs soient sûrs et inclusifs, exempts de discrimination, de harcèlement et de violence fondée sur le genre à l ’ égard des femmes et des filles, notamment en assurant des services de transport scolaire sûrs dans les contextes humanitaires, et d ’ enquêter sur tous les actes de harcèlement et de violence commis sur des filles et des femmes à l ’ intérieur des établissements d ’ enseignement, de poursuivre les auteurs de ces actes et de leur imposer des peines appropriées.

Emploi

Le Comité note avec préoccupation que, d’après le Rapport sur l’écart entre les sexes dans le monde (2021) du Forum économique mondial, l’État partie se classe 140e sur 156 pays en ce qui concerne la participation des femmes à l’économie et l’égalité des chances. De même, il note :

a)Le faible taux d’activité des femmes (33,3 % en 2021), qui s’explique par le fait que traditionnellement, les femmes ont la charge des tâches ménagères et du travail domestique, qui ne sont pas rémunérés, et par la suspension des contrats pendant la pandémie de COVID-19 ;

b)La ségrégation horizontale et verticale sur le marché du travail, notamment dans les zones rurales et reculées ;

c)L’écart de rémunération persistant entre les femmes et les hommes ;

d)Le taux de chômage élevé chez les femmes en situation de handicap ;

e)L’absence de mesures visant à lutter contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, en particulier à l’égard des jeunes femmes et des femmes lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes, et notamment le faible nombre d’enquêtes menées pour des cas de harcèlement sexuel.

Conformément à la cible 8.5 associée aux objectifs de développement durable sur la promotion du plein emploi productif et du travail décent pour toutes les femmes et tous les hommes, et rappelant ses précédentes recommandations ( CEDAW/C/TUR/CO/7 , par. 46) le Comité recommande à l ’ État partie  :

a) de s ’ attaquer au taux de chômage élevé chez les femmes en prenant des mesures temporaires spéciales pour promouvoir leur accès à l ’ emploi formel, en particulier pour les réfugiées et les femmes issues de groupes marginalisés, et de faire en sorte que les femmes occupant un emploi informel bénéficient d ’ une protection sociale  ;

b) de renforcer les mesures visant à mettre un terme à la ségrégation verticale et horizontale des emplois et à améliorer l ’ accès des femmes au marché du travail formel, d ’ encourager les femmes et les filles à choisir des parcours professionnels non traditionnels, notamment dans les sciences, la technologie, l ’ ingénierie et les mathématiques, le numérique et l ’ intelligence artificielle, et de s ’ attacher en priorité à ce que les femmes passent d ’ emplois à temps partiel à des emplois à temps plein en les faisant bénéficier de structures de garde d ’ enfants adéquates et accessibles  ;

c) de faire respecter dans les faits le principe de l ’ égalité de rémunération pour un travail de valeur égale, afin de réduire et, à terme, combler l ’ écart de rémunération entre les femmes et les hommes, et pour ce faire: i) mener régulièrement des inspections du travail  ; ii) utiliser des méthodes analytiques non genrées de classement et d ’ évaluation des emplois  ; iii) réaliser régulièrement des enquêtes sur les rémunérations  ; iv) inciter les employeurs à publier une analyse contenant des données sur l ’ écart de rémunération entre les femmes et les hommes, afin de mieux cerner les causes de cet écart salarial femmes-hommes et de prendre les mesures correctives appropriées  ;

d) de faire en sorte que les femmes en situation de handicap puissent accéder à l ’ emploi et bénéficient de services de transports accessibles pour promouvoir leur inclusion dans les emplois des secteurs public et privé  ;

e) de modifier la loi sur le travail et le Code pénal afin d ’ ériger expressément en infraction le harcèlement sexuel sur le lieu de travail et de garantir que les personnes qui en sont victimes aient accès à des procédures de plainte efficaces, indépendantes et confidentielles et que toutes les plaintes fassent l ’ objet d ’ enquêtes efficaces, que les auteurs soient poursuivis et dûment sanctionnés et que les victimes soient protégées contre les représailles  ;

f) de ratifier la Convention de 2000 sur la protection de la maternité (n o 183), la Convention de 2011 sur les travailleuses et travailleurs domestiques (n o 189) et la Convention de 2019 sur la violence et le harcèlement (n o 190) de l ’ Organisation internationale du Travail.

Santé

Le Comité se déclare à nouveau préoccupé par le fait :

a) que l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive, notamment les moyens de contraception modernes, est très limité, en particulier pour les femmes appartenant à des minorités ethniques et les femmes rurales, ce qui entraîne un nombre important de grossesses précoces et non désirées ;

b)que la politique de gratuité des contraceptifs et le cadre juridique qui réglemente l’avortement sont critiqués par des représentants de haut niveau du Gouvernement, et qu’un grand nombre d’hôpitaux publics refusent de pratiquer des avortements même si l’interruption de grossesse est légale jusqu’à la dixième semaine de la grossesse, ce qui oblige beaucoup de femmes à recourir à des cliniques privées onéreuses ou à des avortements pratiqués dans des conditions dangereuses.

Rappelant sa recommandation générale n o 24 (1999) sur les femmes et la santé, le Comité renouvelle ses précédentes recommandations ( CEDAW/C/TUR/CO/7 , par. 48) et recommande à l ’ État partie  :

a) de garantir à toutes les femmes et toutes les filles – notamment celles qui appartiennent à des minorités ethniques ou qui vivent dans des zones rurales – un accès abordable à des informations et des services adéquats en matière de santé sexuelle et reproductive, notamment des contraceptifs modernes et des contraceptifs d ’ urgence, dans le plein respect des choix sexuels et reproductifs des femmes, de leur autonomie, de leur vie privée et des principes de confidentialité et de consentement éclairé, dans toutes les régions de l ’ État partie  ;

b) de faire respecter le droit des femmes à un avortement sécurisé et à des formes modernes de contraception, de surveiller les hôpitaux et de veiller à ce qu ’ ils respectent leur obligation légale d ’ interrompre les grossesses jusqu ’ à la dixième semaine, de garantir la légalité de l ’ avortement au moins dans les cas de viol, d ’ inceste, de menaces pour la vie ou la santé de la femme enceinte et de malformation grave du fœtus, et de le dépénaliser dans tous les autres cas.

Autonomisation économique

Le Comité prend note avec satisfaction des différents programmes d’autonomisation économique lancés par l’État partie, notamment le document stratégique pour l’autonomisation des femmes et son plan d’action (2018-2023). Il constate toutefois avec préoccupation que des femmes en situation de handicap et des femmes qui s’occupent de membres de leur famille en situation de handicap ainsi que des femmes rurales, migrantes et réfugiées se trouvent en situation de pauvreté et de privation, notamment d’insécurité alimentaire.

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter et de mettre en œuvre une stratégie d ’ élimination de la pauvreté centrée, entre autres, sur les femmes en situation de handicap, les femmes qui s ’ occupent de membres de leur famille qui présentent un handicap et les femmes rurales, migrantes et réfugiées, visant à leur permettre d ’ accéder plus facilement à des initiatives entrepreneuriales et d ’ acquérir des compétences professionnelles indispensables.

Femmes rurales

Le Comité prend note des efforts déployés par l’État partie pour améliorer l’accès des femmes rurales aux services de base et aux avantages sociaux, notamment le lancement du projet d’autonomisation des femmes par les coopératives (2022), qui a permis la création de 862 nouvelles coopératives de femmes dans les zones rurales. Toutefois, il reste préoccupé par le fait que les femmes et les filles vivant en milieu rural ont un accès limité à l’éducation, à l’emploi et aux services de santé. Il note également avec inquiétude que les femmes rurales sont sous-représentées aux postes de décision et de direction.

Rappelant sa recommandation générale n o 34 (2016) sur les droits des femmes rurales, le Comité recommande à l ’ État partie de lutter contre la pauvreté des femmes et des filles rurales en améliorant leur accès à l ’ éducation, à l ’ emploi formel, aux prêts à faible taux d ’ intérêt sans garantie, ainsi qu ’ à la propriété et à l ’ exploitation foncière. Il recommande également à l ’ État partie de promouvoir la participation égale des femmes rurales à la prise de décisions.

Femmes kurdes

Le Comité reste préoccupé par le fait que des femmes et des filles kurdes subissent des formes de discrimination croisée en raison de leur identité ethnique et linguistique, qu’elles sont marginalisées dans la société et qu’elles ne jouissent pas pleinement de leurs droits fondamentaux.

Le Comité renouvelle ses précédentes recommandations ( CEDAW/C/TUR/CO/7 , par. 13) et demande à l ’ État partie de s ’ attaquer aux formes de discrimination croisée à l ’ égard des femmes et des filles kurdes et de veiller à ce qu ’ elles puissent jouir pleinement des droits fondamentaux que leur confère la Convention.

Mariage et rapports familiaux

Le Comité constate que la stratégie nationale et le plan d’action sur la prévention du mariage précoce et forcé, rédigés en 2018 et révisés en 2020, n’ont pas encore été officiellement approuvés. Il note également que le Onzième plan de développement, le programme présidentiel annuel pour 2022 et les plans d’action nationaux relatifs à l’autonomisation des femmes et à la lutte contre les violences faites aux femmes prévoient des mesures visant à lutter contre le mariage précoce et le mariage forcé. Il observe aussi que l’État partie a encouragé l’élaboration de plans d’action provinciaux de lutte contre le mariage précoce et forcé, mais que ces plans d’action ne bénéficient pas toujours d’un financement et d’un suivi suffisants. Le Comité note avec préoccupation que, même si le Code civil fixe l’âge légal du mariage à 18 ans, le mariage peut être autorisé à titre exceptionnel avec l’accord des parents à 17 ans, et, dans des circonstances exceptionnelles, à 16 ans avec l’accord d’un juge. Il note également avec préoccupation que :

a)L’arrêt de la Cour constitutionnelle de 2015, qui a pour effet de dépénaliser les mariages religieux n’ayant pas été précédés par un mariage civil, peut entraîner une augmentation du nombre de mariages polygames et de mariages d’enfants et constituer un risque important pour les femmes, étant donné que les mariages religieux non enregistrés les privent des protections économiques garanties par le droit civil ;

b)En dépit de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme de 2013 ordonnant à l’État partie d’autoriser les femmes mariées à conserver leur nom de famille si elles le souhaitent, l’article 187 du Code civil est toujours en vigueur et les femmes mariées doivent recourir à des procédures judiciaires pour faire valoir leur droit de conserver leur propre nom de famille ;

c)L’article 183 du Code civil exige qu’en cas de divorce les femmes qui avaient pris le nom de famille de leur mari reprennent leur nom de jeune fille.

Le Comité recommande à l ’ État partie de fixer un calendrier précis pour l ’ adoption de la stratégie nationale et du plan d ’ action sur la prévention du mariage précoce et forcé. Il rappelle ses précédentes recommandations ( CEDAW/C/TUR/CO/7 , par. 54) et recommande à l ’ État partie  :

a) d ’ adopter une législation interdisant le mariage d ’ enfants et fixant l ’ âge minimum du mariage à 18 ans pour les femmes et les hommes, de continuer de prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer les mariages polygames et les mariages d ’ enfants, notamment les mariages religieux non enregistrés, et d ’ exiger l ’ enregistrement de tous les mariages à l ’ état civil  ;

b) de modifier l ’ article 187 du Code civil pour permettre aux femmes de conserver leur propre nom de famille après le mariage et de le transmettre à leurs enfants si elles le souhaitent, conformément à l ’ article 16 de la Convention et à la décision de la Cour européenne des droits de l ’ homme  ;

c) de modifier l ’ article 183 du Code civil pour permettre aux femmes qui avaient pris le nom de famille de leur mari de conserver ce nom en cas de divorce si elles le souhaitent, au lieu de les obliger à reprendre leur nom de jeune fille.

Le Comité note qu’en 2018, le Ministère de la justice a annoncé son intention de trouver des moyens d’échapper au système dit de « pension alimentaire indéfinie », en particulier pour les couples divorcés dont le mariage n’avait pas duré longtemps. Il prend également note des recherches qui indiquent qu’en 2019, la pension alimentaire moyenne versée aux personnes tombées dans la pauvreté sur ordre des tribunaux de l’État partie était de 370 livres turques, alors que le seuil de pauvreté était de 2 058 livres turques en octobre 2019, et que si les femmes sont les seules à recevoir des pensions alimentaires, c’est à cause des rôles de genre traditionnels qui leur sont assignés, de l’écart de rémunération entre elles et les hommes et de leur accès limité au marché du travail, ce qui les rend économiquement dépendantes de leur partenaire. En outre, le Comité observe que le fait de limiter le versement de la pension alimentaire en fonction de la durée du mariage obligerait les femmes rescapées de violences domestiques à rester dans la relation en question.

Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à la stricte application des obligations alimentaires, notamment en renforçant les sanctions en cas de non-respect, conformément à sa recommandation générale n o 29 (2013) sur les conséquences économiques du mariage, et des liens familiaux et de leur dissolution.

Diffusion

Le Comité prie l ’ État partie de veiller à diffuser rapidement les présentes observations finales, dans les langues officielles de l ’ État partie, aux institutions publiques concernées à tous les niveaux (national, régional et local), en particulier au Gouvernement, à la Grande Assemblée nationale et au corps judiciaire, afin d ’ en permettre la pleine application.

Assistance technique

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ établir un lien entre l ’ application de la Convention et l ’ action qu ’ il mène en faveur du développement, et de faire appel à cette fin à l ’ assistance technique régionale ou internationale.

Ratification d’autres instruments

Le Comité constate que l ’ adhésion de l ’ État partie aux neuf principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l ’ homme contribuerait à favoriser l ’ exercice effectif par les femmes de leurs droits et de leurs libertés fondamentales dans tous les aspects de la vie. Il l ’ invite donc à ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Suite donnée aux observations finales

Le Comité prie l ’ État partie de lui communiquer par écrit, dans un délai de deux ans, des informations sur les mesures qu ’ il aura prises pour appliquer les recommandations énoncées aux paragraphes 31 a), 38 a) et 40 a) ci-dessus.

Établissement du prochain rapport

Le Comité prie l ’ État partie de soumettre son neuvième rapport périodique, attendu en juillet 2026. Le rapport devra être présenté dans les délais et couvrir toute la période écoulée, jusqu ’ à la date à laquelle il sera soumis.

Le Comité invite l ’ État partie à se conformer aux directives harmonisées pour l ’ établissement de rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l ’ homme, englobant le document de base commun et les rapports pour chaque instrument ( HRI/GEN/2/Rev.6 , chap. I).