CCPR

Pacte international relatif aux droits civilset politiquesDistr.

RESTREINTE*

CCPR/C/69/D/770/1997

21 août 2000

FRANÇAIS

Original : ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME

Soixante‑neuvième session

10‑28 juillet 2000

CONSTATATIONS

Communication No 770/1997

Présentée par :Dimitry L. Gridin

(Représenté par M. A. Manov du Centre d'assistance à la protection internationale)

Au nom de :L'auteur

État partie :Fédération de Russie

Date de la communication :27 juin 1996

Décisions antérieures :Décision du Rapporteur spécial prise en application de l'article 91, communiquée à l'État partie le 9 avril 1998 (non publiée sous forme de document)

Date de l'adoption

des constatations :20 juillet 2000

Le 20 juillet 2000 le Comité des droits de l'homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif, en ce qui concerne la communication No 770/1997. Le texte des constatations est annexé au présent document.

[ANNEXE]

Annexe

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME AU TITRE

DU PARAGRAPHE 4 DE L'ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF

SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF

AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

- Soixante-neuvième session -

concernant la

Communication No 770/1997*

Présentée par :Dimitry L. Gridin(Représenté par M. A. Manov du Centre d'assistance à la protection internationale)

Au nom de :L'auteur

État partie : Fédération de Russie

Date de la communication :27 juin 1996

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 juillet 2000,

Ayant achevé l'examen de la communication No 770/1997, présentée au nom de Dimitry L. Gridin, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5

du Protocole facultatif

1.L'auteur de la communication est M. Dimitry Leonidovitch Gridin, étudiant russe né le 4 mars 1968. Il affirme être victime d'une violation par la Russie des paragraphes 1, 2, 3 b), e) et g) de l'article 14 du Pacte. L'affaire semble soulever également des questions au titre des articles 9 et 10 du Pacte. M. Gridin est représenté par M. A. Manov du Centre d'assistance à la protection internationale.

Rappel des faits présentés par l'auteur

2.L'auteur a été arrêté le 25 novembre 1989 pour tentative de viol et de meurtre sur la personne d'une certaine Mme Zykina. Une fois en détention, il a aussi été inculpé de six autres actes d'agression. Le 3 octobre 1990, le tribunal régional de Tchelyabinsk l'a reconnu coupable de tous ces chefs d'inculpation et l'a condamné à mort. Il a fait appel de ce jugement devant la Cour suprême qui l'a débouté le 21 juin 1991. Il a formé d'autres recours, mais a été débouté le 21 octobre 1991 et le 1er juillet 1992. Des recours formés auprès du Bureau du Procureur ont de même été rejetés, respectivement le 12 décembre 1991, le 16 janvier 1992 et le 11 mars de la même année. Le 3 décembre 1993, la condamnation à mort a été commuée en réclusion à perpétuité.

Teneur de la plainte

3.1L'auteur affirme que le mandat pour son arrestation n'a été délivré que le 29 novembre 1989, plus de trois jours après sa mise en détention. Il déclare en outre qu'on lui a refusé les services d'un avocat, malgré ses instances, jusqu'au 6 décembre 1989.

3.2L'auteur affirme qu'il a été interrogé pendant 48 heures, au cours desquelles il a été privé de nourriture et de sommeil. Ses lunettes lui ayant été confisquées, il ne pouvait pas voir grand‑chose parce qu'il était myope. Pendant l'interrogatoire, il a été battu. Il déclare qu'on lui a dit que sa famille l'avait abandonné et que le seul moyen d'éviter la peine de mort serait de passer aux aveux. Il a donc avoué avoir commis les six infractions dont il était accusé ainsi que trois autres.

3.3L'avocat de l'auteur n'aurait pas été informé par le magistrat instructeur des audiences prévues. Il y a en particulier le fait qu'en janvier 1990, l'auteur a été présenté pour une expertise médicale sans que son avocat en ait été informé.

3.4L'auteur déclare que les éléments de preuve ont été manipulés ce qui va à l'encontre des dispositions du Code de procédure pénale. Ses vêtements auraient été transportés au laboratoire dans le même sac que ceux des victimes et l'on ne pouvait donc ajouter foi aux résultats de l'analyse selon lesquels des fibres de ses vêtements avaient été retrouvées sur ceux des victimes. Il y aurait eu également des irrégularités dans la procédure d'identification. L'auteur déclare qu'on lui a fait traverser la salle où les victimes étaient assises le jour de l'identification. L'une des victimes ne l'ayant pas reconnu, le magistrat instructeur lui aurait pris la main pour lui faire pointer l'index en direction de l'auteur. En outre, selon l'auteur la description de l'agresseur donnée par les victimes ne correspondait en rien au physique de l'auteur.

3.5L'auteur affirme que son droit à la présomption d'innocence a été violé. Du 26 au 30 novembre 1989, des stations de radio et des journaux ont annoncé qu'il était l'assassin redouté, surnommé le "garçon d'ascenseur", qui avait violé plusieurs jeunes filles et assassiné trois d'entre elles. De même, le 9 décembre 1989, le chef de la police a annoncé qu'il était sûr que l'auteur était le meurtrier, et cette déclaration a été diffusée à la télévision. En outre, l'auteur affirme que le magistrat instructeur a déclaré l'auteur coupable dans des réunions publiques avant sa comparution devant le tribunal et a invité le public à envoyer des accusateurs à son procès. En conséquence, d'après l'auteur, il y a eu à son procès une dizaine d'accusateurs populaires alors que lui‑même n'était défendu que par un seul défenseur populaire, lequel a ultérieurement été contraint de quitter la salle du tribunal. D'après l'auteur, la salle du tribunal était pleine de personnes qui criaient qu'il devait être condamné à mort. Selon lui, les accusateurs populaires et les victimes menaçaient les témoins et la défense et le juge n'a rien fait pour les en empêcher. C'est pourquoi les principaux témoins n'ont pas pu être entendus par le tribunal.

3.6Le premier jour du procès, l'auteur a plaidé non coupable. Il a alors été mis à l'isolement. Il se plaint de n'avoir jamais été autorisé à discuter de son affaire avec son avocat en privé.

3.7L'auteur se plaint aussi de ce que les témoins qui auraient pu confirmer son alibi n'ont pas été interrogés au tribunal. En outre, certaines déclarations faites au cours de l'enquête préliminaire ont disparu du dossier.

3.8De surcroît, en violation de la législation russe, le dossier de l'affaire n'a été collationné et signé que le 25 février 1991, alors que le procès s'était terminé le 3 octobre 1990. Trois témoins ont porté plainte devant la Cour suprême en raison des divergences entre le dossier et leur déposition effective.

3.9Il est affirmé que tous ces faits constituent des violations des paragraphes 1, 2, 3 b), e) et g) de l'article 14 du Pacte.

Observations de l'État partie et commentaires de l'auteur

4.1Dans une lettre datée du 16 février 1998, l'État partie affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif qu'elle n'a pas été soumise par l'auteur lui‑même mais par un conseil agissant en son nom.

4.2Dans une autre lettre, datée du 26 février 1999, l'État partie examine la communication quant au fond. Il fait savoir que pour répondre à la demande d'information du Comité, le Bureau du Procureur de la Fédération de Russie a examiné toutes les pièces de l'affaire. Il a vérifié les dépositions des victimes et des témoins, l'inspection des lieux où les faits s'étaient produits et les conditions dans lesquelles l'auteur avait été identifié. À ce sujet, l'État partie indique que l'argument selon lequel l'auteur était innocent de tous les chefs d'inculpation et que les méthodes d'enquête utilisées étaient contraires aux droits de la défense, ainsi que la question des pressions du public, avaient tous été examinés par la Cour suprême agissant en tant que cour d'appel, qui avait considéré qu'ils étaient dénués de fondement.

4.3L'État partie fait valoir que ni l'auteur ni son avocat n'ont jamais soulevé devant les tribunaux la question de la contrainte que la police aurait exercée. Il soutient en outre que l'auteur a été représenté par un avocat pendant toute l'enquête préliminaire, au cours de laquelle il a donné des informations circonstanciées sur les crimes. D'après l'État partie, l'auteur n'est revenu sur ses déclarations qu'au tribunal, à cause de la pression exercée par sa famille.

4.4En ce qui concerne l'allégation selon laquelle l'auteur ne pouvait pas lire les déclarations parce qu'on lui avait confisqué ses lunettes, l'État partie note qu'il ressort des dossiers du tribunal que l'auteur avait affirmé qu'il arrivait à lire à une distance de 10 à 15 cm sans lunettes et que, de plus, les enquêteurs lui avaient fourni des lunettes. L'État partie nie en conséquence toute violation du Pacte à cet égard.

4.5Enfin, l'État partie précise que M. Gridin a été interrogé en présence de l'avocat qui lui avait été commis conformément à la loi. Il note que M. Gridin a été arrêté le 25 novembre 1989 et que le 1er décembre sa mère, V. V. Gridina, a écrit pour demander que l'avocat soit invité à participer aux enquêtes. Le 5 décembre 1989, un accord est intervenu entre les parents de Gridin et l'avocat, et à partir de ce moment-là, ce dernier a été autorisé à prendre part à l'enquête.

5.Dans une lettre datée du 14 septembre 1999, le conseil de l'auteur réitère les allégations avancées dans la communication initiale et fait remarquer que, de l'aveu même de l'État partie, l'auteur n'a pas été représenté du 25 novembre au 1er décembre 1989.

Délibérations du Comité

6.1Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité a vérifié, comme il y est tenu par le paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas en cours d'examen dans une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

6.3Le Comité relève que l'État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif qu'elle avait été soumise par un conseil et non par l'auteur lui-même. Il fait remarquer que, conformément à son règlement intérieur et à sa pratique, l'auteur peut être représenté

par un conseil. Le Comité n'est pas empêché d'examiner la communication quant au fond, et rejette l'argument de l'État partie selon lequel la communication doit être déclarée irrecevable pour ce motif.

6.4Pour ce qui est des allégations concernant les mauvais traitements et la contrainte exercée par la police pendant l'enquête, notamment la confiscation des lunettes de l'auteur, il ressort des éléments dont dispose le Comité que la plupart de ces allégations n'ont pas été formulées devant la juridiction de jugement. Tous ces arguments ont été présentés en appel, mais la Cour suprême les a jugés non fondés. Dans ces conditions, le Comité conclut que l'auteur n'a pas étayé son allégation au sens de l'article 2 du Protocole facultatif.

6.5En ce qui concerne l'allégation selon laquelle l'avocat n'a pas été informé des dates de l'audience consacrée aux questions médicales, le Comité note que cette question a été examinée par la Cour suprême qui l'a jugée conforme à la loi; il estime en conséquence que cette partie de la communication n'est pas étayée aux fins de la recevabilité.

7.Le Comité déclare les autres allégations recevables et procède à leur examen quant au fond compte tenu des renseignements qui lui ont été présentés par les parties conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.

8.1Pour ce qui est de l'allégation selon laquelle l'auteur a été arrêté sans mandat et un mandat n'a été délivré que plus de trois jours plus tard, en infraction à la législation nationale qui stipule qu'un mandat doit être délivré dans les 72 heures suivant l'arrestation, le Comité note que l'État partie n'a pas abordé la question. À cet égard, le Comité estime qu'en l'espèce l'auteur a été privé de sa liberté en violation d'une procédure prévue par la loi; il estime donc que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l'article 9.

8.2Pour ce qui est de l'allégation selon laquelle l'auteur n'a pas eu droit à un procès équitable en violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, notamment parce que le tribunal n'a pas contrôlé l'atmosphère hostile et les pressions exercées par le public dans la salle d'audience, qui ont mis l'avocat dans l'impossibilité de procéder dûment au contre‑interrogatoire des témoins et de présenter convenablement sa défense, le Comité note que la Cour suprême a évoqué la question mais ne s'est pas expressément prononcée à son sujet lorsqu'elle a entendu le recours de l'auteur. Le Comité considère que la manière dont le procès a été conduit, telle qu'elle est décrite plus haut, a porté atteinte au droit de l'auteur à un procès équitable au sens du paragraphe 1 de l'article 14.

8.3S'agissant de l'argument selon lequel il y a eu violation du droit à la présomption d'innocence en raison notamment des déclarations publiques faites par de hauts responsables de l'application des lois qui ont présenté l'auteur comme coupable et qui ont fait l'objet d'une large couverture médiatique, le Comité note que la Cour suprême a évoqué la question mais ne l'a pas dûment examinée lorsqu'elle a entendu le recours de l'auteur. Le Comité renvoie à son Observation générale No 13 concernant l'article 14, où il est dit que : "C'est donc un devoir pour toutes les autorités publiques de s'abstenir de préjuger de l'issue d'un procès". En l'espèce, le Comité estime que les autorités n'ont pas agi avec la retenue requise par le paragraphe 2 de l'article 14 et que les droits de l'auteur ont donc été violés.

8.4Pour ce qui est des autres allégations figurant aux paragraphes 3.4 et 3.7 ci‑dessus, le Comité note que la Cour suprême a examiné les allégations précises faites par l'auteur (les éléments de preuve ont été manipulés, l'auteur n'a pas été dûment identifié par les témoins et il y avait des divergences entre le procès et les actes de celui‑ci). Toutefois, le fait que la cour a rejeté ces allégations précises ne signifie pas qu'elle a examiné la question de l'équité du procès et ne modifie donc en rien la conclusion du Comité selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.

8.5Quant à l'allégation selon laquelle l'auteur n'a pas disposé d'un avocat pendant les cinq premiers jours qui ont suivi son arrestation, le Comité note que l'État partie a répondu que l'auteur avait été représenté d'une façon conforme à la loi. L'État partie n'a toutefois pas réfuté l'allégation de l'auteur qui affirme qu'il a demandé les services d'un avocat peu après son arrestation et que cette requête a été ignorée. L'État partie n'a pas non plus réfuté l'allégation de l'auteur selon laquelle celui‑ci a été interrogé sans avoir la possibilité de consulter un avocat malgré ses demandes réitérées. Le Comité conclut que le fait d'avoir refusé à l'auteur l'accès à un conseil juridique après qu'il l'ait demandé, et de l'avoir interrogé pendant cette période, constitue une violation des droits de l'auteur au regard du paragraphe 3 b) de l'article 14 du Pacte. En outre, le Comité considère que le fait que l'auteur n'a pas eu la possibilité de consulter son avocat en privé, allégation que l'État partie n'a pas réfutée, constitue également une violation du paragraphe 3 b) de l'article 14 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi fait apparaître une violation des paragraphes 2 et 3 b) de l'article 14 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu d'assurer à M. Gridin un recours utile, sous la forme d'une indemnisation et d'une libération immédiate. L'État partie est dans l'obligation de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.

11.Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation est établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ces constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]

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