Nations Unies

CRC/C/83/D/23/2017

Convention relative aux droits de l ’ enfant

Distr. générale

16 mars 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ enfant

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 23/2017 * , ** , ***

Communication présentée par :

M. H. (représenté par un conseil, Marjo Rantala)

Au nom de :

M. H.

État partie :

Finlande

Date de la communication :

29 mars 2017 (date de la lettre initiale)

Date de la décision :

3 février 2020

Objet :

Circoncision d’un bébé de sexe masculin pour des raisons non médicales

Question(s) de procédure :

Examen de la même question ; incompatibilité ratione temporis et ratione materiae ; épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Intérêt supérieur de l’enfant ; discrimination fondée sur le genre, la race et l’appartenance ethnique ; liberté d’opinion ; immixtion dans la vie privée ; protection de l’enfant contre toute forme de violence ou de mauvais traitement ; droit à la santé

Article(s) de la Convention :

2, 3, 16, 19 et 24 (par. 3)

Article(s) du Protocole facultatif :

7 c) à g)

1.L’auteur de la communication est M. H., binational finnois et nigérian, né le 16 juin 2009. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2, 3, 16, 19 et 24 (par. 3) de la Convention. Il est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 12 février 2016.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est né en Finlande, d’une mère finnoise et d’un père nigérian de confession catholique. Il est élevé en Finlande. Ses parents ont été mariés de 2005 à 2011. Pendant cette période, ils avaient la garde partagée de l’auteur.

2.2Le père de l’auteur, pour des raisons liées à son milieu culturel d’origine, voulait circoncire l’auteur, alors que sa mère était fermement opposée à ce rite. Le 7 novembre 2009, le père de l’auteur, alors que celui-ci était âgé de 4 mois et que sa mère était absente, a fait venir un médecin, le docteur A., chez eux pour qu’il pratique une ablation génitale sur l’auteur. Le docteur A. n’aurait pas demandé de confirmation écrite du consentement de la mère de l’auteur, n’aurait pas été au courant de l’état de santé de l’auteur, n’aurait pas expliqué au père les risques que comportait l’ablation génitale ou les conséquences qu’elle pouvait entraîner et n’aurait pas établi de document médical après l’intervention. De plus, aucun moyen de réanimation n’avait été préparé pour le cas où l’intervention tournerait mal. L’ablation génitale a été effectuée sur la table de la salle à manger. Pendant l’intervention, le père de l’auteur maintenait celui-ci par les jambes tandis que le docteur A. faisait une anesthésie locale et procédait à l’ablation. Lorsque la mère est rentrée ce soir-là et a appris ce qu’il s’était passé, elle a quitté l’appartement avec l’auteur. Elle a appelé un numéro d’urgence et l’auteur a été conduit à l’hôpital. Le médecin qui l’a examiné a constaté que le pansement autour du pénis de l’auteur était trop serré et que la blessure était irrégulière et présentait des lambeaux de peau, et que quelques points de suture avaient été faits. Des analgésiques ont été administrés à l’auteur, qui est resté à l’hôpital sous observation jusqu’au 9 novembre 2009.

2.3La mère et l’auteur ont déposé plainte contre le père et le docteur A. Le procureur les a tous deux inculpés de violences graves, car l’ablation génitale avait été pratiquée avec un couteau tranchant, était considérée comme irréversible et avait causé des lésions corporelles permanentes à un enfant sans défense. De surcroît, l’ablation avait été pratiquée sans le consentement de l’autre gardien de l’auteur.

2.4Le procureur a saisi le tribunal de district d’Helsinki de l’affaire, et a demandé une indemnisation de 8 200 euros. Le 2 mars 2012, le tribunal de district a reconnu le père coupable de violences commises par l’intermédiaire d’un tiers et l’a condamné à une amende de 168 euros et à verser 200 euros à l’auteur à titre de dommages-intérêts. Le tribunal de district a relevé l’absence de législation nationale régissant la circoncision. Il a estimé que, bien qu’il n’y ait pas de raison médicale justifiant la circoncision, celle-ci faisait partie de la culture et de la religion du père, ce qui constituaient des raisons acceptables selon la jurisprudence de la Cour suprême de Finlande. Le tribunal de district a entendu le docteur A., ainsi que deux experts médicaux. Il a pris note du fait que la circoncision avait été effectuée sur une table, qu’une anesthésie locale avait été pratiquée et que de l’ibuprofène avait été administré. Il a également pris note du fait que le docteur A. pratiquait des interventions similaires depuis plus de trente ans, car de telles interventions n’étaient pas pratiquées dans les centres de soins publics ou privés. Les experts médicaux ont déclaré dans leur déposition que l’intervention avait été effectuée de manière adéquate mais que le cadre dans lequel elle avait été pratiquée (à la maison) n’était pas adapté à l’accomplissement de tels actes médicaux. L’anesthésiste a déclaré que l’on ignorait si la circoncision causerait un handicap ou une absence de sensibilité. Un représentant de l’Autorité nationale de supervision des secteurs de la protection sociale et de la santé a également déclaré que, bien qu’il y ait eu « des insuffisances mineures dans le suivi et le traitement de la douleur, le résultat de l’intervention n’était pas inadéquat ». Le tribunal de district a conclu que l’intervention avait été effectuée de manière adéquate mais que le père avait agi sans le consentement de la mère et avait porté atteinte à l’intégrité physique de l’enfant. Quant au docteur A., le tribunal de district a conclu qu’il n’avait pas eu d’intention criminelle et a abandonné les poursuites contre lui. Le tribunal de district a indiqué qu’un acte ne pouvait être punissable en tant qu’acte de violence que s’il était intentionnel. Il a également souligné qu’il avait été dit au docteur A. que l’autre parent avait donné son consentement. Comme la circoncision avait été pratiquée de manière adéquate sur le plan médical, l’acte n’était illégal que dans la seule mesure où l’autre parent n’y avait pas consenti.

2.5Toutes les parties, y compris le père, ont fait appel de la décision du tribunal de district. Le procureur a fait valoir que la religion catholique, dont le père est adepte, n’exigeait pas la circoncision et que le milieu culturel d’origine de celui-ci ne sauraient justifier la circoncision de l’auteur, qui était né et avait grandi en Finlande et n’avait aucun lien avec la culture de son père. Au contraire, la circoncision lui causerait du tort plus tard dans la vie car il serait différent de la majorité des hommes finlandais. Le procureur a également soutenu que les actions du docteur A. étaient intentionnelles et qu’il devrait être puni en tant qu’auteur des faits. Par une décision en date du 10 janvier 2014, la cour d’appel d’Helsinki a acquitté le père et le docteur A. Elle a fait observer que l’auteur avait été baptisé catholique et que la tradition n’exigeait pas la circoncision et ne l’appuyait pas non plus. Cependant, la circoncision restait une tradition courante en Afrique subsaharienne, y compris au Nigéria, où 90 % des hommes continuaient d’être circoncis. La cour d’appel a également souligné que l’enfant appartenait à deux cultures, c’est-à-dire aux cultures de ses deux parents. La circoncision avait été pratiquée pour des raisons liées à la culture du père (ce qui, selon la Cour suprême, était acceptable), et le père n’avait pas eu l’intention de causer à l’enfant de la douleur, un préjudice ou des lésions. L’intervention n’avait pas été contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant car elle avait, en fait, renforcé l’appartenance de celui-ci à la culture et à la communauté de son père. La cour d’appel a en outre indiqué que, bien qu’il ne soit pas contesté que la mère de l’auteur n’avait pas consenti à l’intervention comme l’exige la loi relative à la garde des enfants et au droit de visite (no 361/1983), l’acte n’était pas punissable en tant que violences car il ne constituait qu’une atteinte mineure à l’intégrité physique de l’enfant et il avait été accompli de manière adéquate sur le plan médical et pour des raisons acceptables.

2.6Le procureur, l’auteur et sa mère ont fait appel de la décision. La Cour suprême leur a accordé l’autorisation d’interjeter appel. Dans une décision en date du 31 mars 2016, la Cour suprême a mis en relief que la circoncision à des fins non médicales était une question qui « devait faire l’objet d’un processus législatif et qui ne pouvait pas être traitée de manière approfondie au cas par cas ». Elle a aussi souligné que la décision de procéder à une circoncision à des fins non médicales devait être prise conjointement par les deux gardiens et qu’elle ne pouvait en aucun cas être contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. Citant sa propre jurisprudence, la Cour suprême a indiqué que, lorsqu’elle était pratiquée de manière adéquate sur le plan médical, la circoncision non médicale d’un garçon devait être considérée comme une atteinte relativement mineure à l’intégrité physique de l’enfant. Bien qu’elle ait des effets permanents, l’intervention n’était ni visible ni stigmatisante aux yeux de la société finlandaise. Cela étant, cette intervention portait sur la partie la plus intime du corps et était irréversible. Commettre ce type d’atteinte à l’intégrité physique d’un enfant pour des raisons non médicales n’était justifiable que si celle-ci était dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Comme ce type d’intervention non médicale pouvait également être pratiquée ultérieurement, une importance particulière devait être accordée à la volonté de l’enfant et à la possibilité pour celui-ci de prendre ses propres décisions. Avant que l’enfant ne soit assez âgé pour exprimer sa propre volonté concernant la circoncision et, partant, sa volonté de renforcer ses liens avec la communauté religieuse et culturelle d’un seul de ses parents, la circoncision ne saurait se justifier clairement par l’intérêt supérieur de l’enfant si les parents étaient en désaccord sur la question. La Cour suprême a conclu que la circoncision de l’auteur n’avait pas été dans l’intérêt supérieur de celui-ci car elle n’avait été pratiquée que pour des raisons culturelles se rapportant à l’un des parents et contre la volonté expresse de l’autre parent. La Cour suprême a déclaré le père coupable de violences. Elle a estimé que les violences ne pouvaient être qualifiées de graves car l’intervention avait été pratiquée par un médecin compétent et de manière adéquate sur le plan médical, et avait était motivée par des raisons compréhensibles liées au milieu culturel d’origine du père et, donc, à celui de l’enfant. La Cour suprême a condamné le père à une peine de quarante jours-amende, soit le montant qui avait été fixé par le tribunal de district d’Helsinki. La Cour suprême a également confirmé l’acquittement du docteur A. prononcé par le tribunal de district, pour les mêmes motifs que ceux indiqués par le tribunal.

2.7L’auteur et sa mère ont présenté une requête à la Cour européenne des droits de l’homme. Le 28 septembre 2016, la Cour européenne, siégeant en formation à juge unique, a déclaré leur requête irrecevable.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2, 3, 12, 16, 19 et 24 (par. 3) de la Convention.

3.2L’auteur soutient que l’État partie n’a pas pris les mesures législatives voulues pour le protéger contre des violences ou atteintes physiques ou psychologiques et pour le protéger contre des immixtions dans sa vie privée, en violation des articles 16 et 19 de la Convention. La circoncision, à savoir l’ablation chirurgicale du prépuce ou tissu recouvrant le gland, nécessite l’utilisation d’une lame tranchante et touche la partie la plus intime du corps masculin, a des effets physiques et psychologiques irréversibles et permanents et inflige des douleurs considérables et inutiles, surtout pendant la période de cicatrisation qui suit l’intervention. La douleur est inévitable, même si des analgésiques sont administrés. L’auteur affirme que le rite de l’ablation génitale masculine est comparable à la chirurgie génitale « normalisante » non consentie pratiquée sur des enfants nés avec des caractéristiques sexuelles atypiques. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a expressément fait référence à la circoncision des jeunes garçons pour des motifs religieux en tant que violation de l’intégrité physique des enfants. Les médiateurs pour les enfants des pays nordiques se sont également opposés à l’ablation génitale pour des raisons non médicales et ont demandé que les garçons aient le droit de décider par eux-mêmes, quand ils atteignent l’âge de la maturité, s’ils consentent à la circoncision rituelle.

3.3L’auteur affirme également que l’État partie ne lui a pas accordé de réparation suffisante, étant donné que le docteur A. a été acquitté et que le père a été condamné à une amende minimale de 168 euros et au versement de 200 euros à titre de dommages-intérêts. Il estime que les violences auraient dû être qualifiées de graves, compte tenu des circonstances dans lesquelles elles ont été commises.

3.4L’auteur se dit victime d’une violation de l’article 2, lu en parallèle avec les articles 16 et 19 de la Convention. Il souligne qu’il n’y a pas de loi spécifique qui régisse l’ablation génitale masculine motivée par des raisons non médicales. En Finlande, la circoncision n’est pas considérée comme bénéfique pour la santé et ne peut pas être pratiquée dans le cadre du système de santé publique. Les cliniques privées ne pratiquent pas non plus cette intervention car son statut juridique n’est pas clair. L’Association médicale finlandaise a déclaré que le fait de pratiquer une circoncision rituelle sur de jeunes garçons était contraire à la déontologie médicale. L’auteur indique aussi que, dans la pratique, les circoncisions sont pratiquées hors des établissements médicaux et sont discrètement autorisées malgré l’absence d’une législation spécifique ou de supervision d’une autorité. Le statut juridique de la circoncision non médicale des garçons n’est donc pas clair, celle-ci n’étant pas toujours considérée comme une infraction. Cette situation diffère de celle de la mutilation génitale féminine, qui est punissable en tant que violences graves. L’auteur fait observer que les deux pratiques (en particulier la circoncision sans ablation du prépuce) sont comparables dans une certaine mesure, car elles consistent à enlever des tissus sains d’une partie intime et extrêmement sensible du corps. Cependant, la Cour suprême de Finlande considère que la mutilation génitale féminine correspond toujours aux éléments essentiels de l’infraction de violences graves et qu’elle ne saurait se justifier quelles que soient les circonstances.

3.5L’auteur indique que la majorité de la population finlandaise ne pratique pas la circoncision rituelle des garçons, même si l’on estime que 200 garçons y sont soumis chaque année. Son père est un Nigérian chrétien pour qui la circoncision est un élément important de l’identité culturelle. De ce fait, les tribunaux finlandais ont conclu que la circoncision de l’auteur aurait été justifiée si sa mère y avait également consenti. Par conséquent, les garçons qui, comme l’auteur, appartiennent à des milieux culturels où la circoncision rituelle est pratiquée ne bénéficient pas de la même protection de l’intégrité de leur personne que celle dont bénéficient les autres garçons finlandais ou les filles nigérianes.

3.6L’auteur affirme être victime d’une violation des droits qu’il tient du paragraphe 3 de l’article 24, lu en parallèle avec les articles 3 et 12 de la Convention. L’État partie n’a pris aucune mesure efficace pour abolir le rituel de la circoncision des nourrissons. Bien que le Ministère des affaires sociales et de la santé travaille à l’élaboration de dispositions législatives spécifiques depuis des années, ses travaux n’ont débouché sur aucun résultat concret, probablement en raison d’un manque de volonté politique. Le 20 janvier 2015, le Ministère a émis des directives sur la circoncision non médicale, dans lesquelles il a indiqué, entre autres, que l’intervention ne devait être pratiquée que par un médecin autorisé à exercer, avec le consentement des deux gardiens, et en veillant à ce que l’opinion du garçon soit entendue. Cependant, ces directives ne sont pas juridiquement contraignantes et ne sont pas respectées dans la pratique. L’auteur ajoute que, bien que sa mère, craignant qu’il coure le risque d’être circoncis, ait demandé de l’aide à un centre de soins, et qu’on lui ait assuré qu’une telle intervention ne pouvait pas être pratiquée sans son consentement, il n’y avait aucun recours officiel qui aurait permis de garantir que la circoncision ne soit pas pratiquée contre sa volonté. La Cour suprême aussi a souligné que l’absence de législation était problématique. L’auteur estime toutefois que la Cour suprême a ajouté au flou en déclarant que les directives « constituaient des règles non contraignantes dont le respect ne pouvait pas être imposé », en laissant entendre que le consentement des deux parents n’était pas strictement nécessaire, en acquittant le docteur A. et en déclarant que les circoncisions pouvaient être effectuées par des personnes qui n’étaient pas médecins, sans que l’avis de l’enfant ait été entendu. L’auteur conclut que la Cour suprême estime que la considération primordiale doit être le droit des adultes de se livrer à des pratiques religieuses ou culturelle, sans qu’il soit procédé à un examen séparé de la question du droit des enfants à l’intégrité physique.

3.7L’auteur affirme enfin que l’État partie, en ne régissant pas par la loi la pratique de la circoncision, ne tient pas compte de l’intérêt supérieur de l’enfant en tant que considération primordiale. Il n’a pas pris de mesures législatives et administratives efficaces pour offrir aux enfants dans le même cas que lui la protection et l’assistance nécessaires à leur bien-être. Au contraire, l’auteur a été exposé au risque de subir des atteintes physiques ou psychologiques causées par des pratiques traditionnelles, sans qu’on lui ait donné la possibilité, s’agissant d’une question ayant des conséquences aussi graves pour lui, de se former sa propre opinion et de l’exprimer librement. Bien qu’il n’y ait aucune raison pour que la circoncision ne puisse pas attendre que l’enfant soit assez âgé pour se faire une opinion sur la question, on permet que de telles interventions soient pratiquées sur des enfants qui, comme c’était le cas de l’auteur au moment des faits, sont âgés d’à peine 4 mois.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans des observations en date du 26 septembre 2017, l’État partie fait valoir que la communication est irrecevable au regard de l’article 7 d) du Protocole facultatif, puisque la question a déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, à savoir la Cour européenne des droits de l’homme, qui a déclaré la requête de l’auteur irrecevable.

4.2L’État partie fait aussi valoir que la communication est irrecevable ratione temporis au regard de l’article 7 g) du Protocole facultatif, étant donné que les faits qui font l’objet de la communication se sont produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, soit le 12 février 2016. La circoncision a été pratiquée le 7 novembre 2009 et les décisions judiciaires ultérieures visant à remédier à la violation ont été rendues le 2 mars 2012 (tribunal de district), le 10 janvier 2014 (cour d’appel) et le 31 mars 2016 (Cour suprême). Il n’y a aucune raison de considérer que les violations alléguées ont persisté au‑delà de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. L’État partie souligne que, comme l’a établi la Cour européenne des droits de l’homme, des actes instantanés tels que le fait de priver une personne de son domicile ou de ses biens ne produisent pas, en principe, une situation continue. De la même manière, l’acte instantané que constitue une circoncision ne devrait pas non plus être considéré comme produisant une telle situation. Le fait que les recours intentés ultérieurement pour obtenir réparation de la violation alléguée n’ont pas abouti ne saurait pas non plus relever de la compétence du Comité.

4.3L’État partie affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés, contrairement à ce qu’exige l’article 7 e) du Protocole facultatif, car il ne ressort pas clairement des recours formés par l’auteur devant la cour d’appel d’Helsinki et la Cour suprême qu’il a invoqué devant ces juridictions tous les articles de la Convention qu’il invoque devant le Comité. En particulier, le grief de discrimination aurait pu être soulevé dans le cadre des procédures pénales.

4.4Enfin, l’État partie affirme que la communication est irrecevable car incompatible avec les dispositions de la Convention, et qu’elle est manifestement mal fondée ou insuffisamment étayée.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans des commentaires en date du 17 novembre 2017, l’auteur fait observer que la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité sont deux organes sensiblement différents, ayant chacun leurs propres règles de procédures et critères de recevabilité. Le fait que la Cour européenne ait déclaré une requête irrecevable ne devrait pas empêcher le Comité d’examiner les violations alléguées de la Convention. En outre, la Cour européenne n’a pas examiné le fond de l’affaire, de sorte que la même question n’a pas été dûment examinée.

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel les faits se sont produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour lui, l’auteur souligne que la Cour suprême a rendu son arrêt le 31 mars 2016, à savoir après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Il explique qu’il ne prétend pas que sa circoncision constitue en soi une violation des droits de l’homme par l’État partie, mais plutôt que le fait que les autorités nationales ne l’ont pas protégé et n’ont pas puni les auteurs comme il se doit constitue une telle violation. Les faits de l’affaire se rapportent en particulier à la procédure judiciaire interne. En outre, l’absence de toute législation sur l’ablation génitale masculine rituelle persiste. L’ensemble de ces éléments font que la violation commise par l’État partie revêt un caractère continu.

5.3Enfin, l’auteur affirme qu’en dépit des recours formés par le procureur, par l’auteur et par sa mère au motif qu’il y avait une discrimination fondée sur le genre, la race et l’origine ethnique, ni la cour d’appel ni la Cour suprême n’ont examiné l’affaire à la lumière des dispositions constitutionnelles interdisant la discrimination.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Dans des observations en date du 4 janvier 2018, l’État partie affirme que la communication devrait être considérée comme irrecevable ratione personae car il n’apparaît pas clairement que l’auteur a qualité pour agir. L’État partie cite la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, de laquelle il ressort qu’une personne dépourvue de capacité juridique devrait être représentée par son gardien légal. L’État partie fait valoir qu’il conviendrait d’examiner attentivement la question de savoir si l’auteur, qui avait 7 ans au moment de la soumission de sa communication, pouvait donner son consentement, ou si celui-ci devrait être donné par ses représentants ou gardiens désignés par la loi, à savoir ses parents. L’État partie ajoute que l’auteur n’a plus la qualité de victime en ce qui concerne les griefs qu’il tire des articles 16 et 19 de la Convention, puisqu’il y a été remédié de manière appropriée au niveau national. En outre, les griefs que l’auteur tire du paragraphe 3 de l’article 24, lu en parallèle avec les articles 3 et 12 de la Convention, relèvent de l’action populaire, de sorte que l’auteur n’a pas qualité de victime. Enfin, l’État partie fait valoir que la communication de l’auteur est fondée sur le fait que le docteur A. n’a pas été condamné par les tribunaux nationaux. Étant donné que la communication vise un individu, elle devrait également être considérée comme irrecevable ratione personae.

6.2L’État partie reprend ses observations précédentes sur la recevabilité de la communication. S’agissant de la compétence ratione temporis, il renvoie à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, selon laquelle une violation persistante s’entend de la perpétuation, par des actes ou de manière implicite, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, de violations commises antérieurement par l’État partie. En ce qui concerne l’obligation positive de mener une enquête efficace, l’État partie fait observer que seuls les actes de procédures et/ou les manquements à la procédure intervenus après la date critique peuvent relever de la compétence ratione temporis. Il ajoute que la procédure menée devant la Cour suprême a débuté deux ans avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Aussi, le fait que la décision définitive ait été rendue un mois seulement après cette entrée en vigueur n’est qu’une coïncidence. Si le Comité devait considérer la communication comme recevable ratione temporis, seuls les éléments de l’affaire qui sont de nature procédurale et uniquement dans la mesure où ils se rapportent à la période postérieure à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif devraient être pris en considération.

6.3Sur le fond, l’État partie souligne qu’en règle générale, la mutilation génitale correspond aux éléments essentiels de l’infraction de violences. Selon la gravité de l’infraction, elle peut être qualifiée de violences graves ou de violences légères. La Cour suprême de Finlande a conclu, dans une affaire concernant une mère qui était la seule gardienne d’un fils circoncis pour des raisons religieuses (KKO 2008:93), que les actes de la mère n’étaient pas punissables car la circoncision avait été pratiquée pour des raisons acceptables et de manière adéquate sur le plan médical, sans causer de douleur inutile. Il doit être présumé que les personnes qui ont la garde d’un enfant ont le droit de décider d’une telle intervention au nom de leur enfant, à condition que celle-ci vise à promouvoir le bien-être et l’épanouissement de l’enfant. La Cour suprême considère que la circoncision est une intervention relativement bénigne qui, lorsqu’elle est pratiquée de manière adéquate, n’entraîne aucun risque pour la santé ni ne cause aucun préjudice permanent, et n’est associée à aucune stigmatisation pendant l’enfance ou à l’âge adulte. Une circoncision pratiquée pour des raisons religieuses peut avoir une signification positive, en particulier pour le garçon circoncis, notamment pour la construction de son identité et son intégration dans sa communauté. Bien que la circoncision constitue toujours une atteinte à l’intégrité physique de l’enfant, elle peut se justifier par l’intérêt supérieur de l’enfant, notamment par son attachement à sa famille et à son groupe ethnique.

6.4L’État partie fait valoir que l’auteur n’a soulevé aucun grief concernant l’enquête sur les violations alléguées ou les éléments procéduraux des procédures internes. Il a été statué sur la légalité des actes du médecin et du père dans le cadre d’un procès pénal, et le père a été reconnu coupable de violences. La cour d’appel et la Cour suprême ont toutes deux estimé que la circoncision avait été pratiquée de manière médicalement adéquate, et constaté que le médecin avait consigné des informations dans la fiche patient de l’enfant, même si celles-ci étaient insuffisantes. L’affaire a fait l’objet d’une enquête appropriée dans le cadre du système de justice pénale, et l’auteur a obtenu une protection efficace contre les atteintes à son intégrité physique alléguées. L’auteur soutient que son père aurait dû être reconnu coupable de violences graves et souligne que le médecin n’a pas été condamné. Or il n’y a pas de droit absolu d’obtenir l’engagement de poursuites ou une déclaration de culpabilité. Le Comité ne saurait se substituer aux tribunaux nationaux pour ce qui est de l’appréciation des éléments de preuve dans cette affaire et ne peut pas servir de quatrième instance. L’État partie conclut qu’il a été satisfait aux obligations découlant de l’article 19 de la Convention car des mesures législatives appropriées en vertu desquelles les violences sont punissables ont été adoptées et les responsabilités pénales ont été mises en cause en l’espèce. L’auteur a pu se prévaloir de recours juridiques efficaces, notamment auprès de la Cour suprême. Par conséquent, ce grief est mal fondé ou dénué de fondement.

6.5En ce qui concerne les griefs que l’auteur tire de l’article 16 de la Convention, l’État partie fait valoir que cet article n’est pas pertinent dans la présente affaire, puisque la circoncision a été organisée par la personne qui avait la garde de l’auteur. L’État partie ajoute que les griefs que l’auteur tire de l’article 16 concernent les mêmes faits que ceux qu’il tire de l’article 19, et qu’ils ne soulèvent pas de question distincte de celles examinées au regard de l’article 19.

6.6Pour ce qui est du grief que l’auteur tire de l’article 2 de la Convention, l’État partie souligne que pour qu’un traitement soit discriminatoire, il doit se rapporter à des situations similaires et n’avoir aucune justification objective et raisonnable, à savoir ne viser aucun but légitime, et il doit y avoir une disproportion entre les moyens employés et le but recherché. L’État partie indique que le droit pénal finlandais établit les mêmes critères pour la mutilation génitale masculine et la mutilation génitale féminine, lesquels sont fondés sur la gravité de l’infraction et non sur le sexe ou la race de la victime. La mutilation génitale féminine peut être qualifiée de violence ou de violence grave et, compte tenu de ce qu’elle constitue une atteinte à l’intégrité physique d’une plus grande gravité, elle ne peut en aucun cas être justifiée par des raisons religieuses et sociales, selon l’interprétation de la Cour suprême. Par conséquent, les griefs que l’auteur tire de l’article 2, lu en parallèle avec les articles 16 et 19, doivent être considérés comme mal fondés ou sans fondement.

6.7En ce qui concerne les griefs que l’auteur tire du paragraphe 3 de l’article 24 de la Convention, l’État partie indique qu’aucun accord international liant la Finlande ne comporte de disposition expresse sur la circoncision non médicale. La circoncision non médicale est une pratique largement acceptée dans le monde entier, et ses risques pour la santé sont minimes lorsqu’elle est pratiquée de manière adéquate. L’État partie renvoie aux directives adoptées par le Ministère des affaires sociales et de la santé (voir par. 3.6 ci‑dessus) et souligne que les autorités de contrôle surveillent le respect de ces directives. L’État partie ajoute que la résolution 1952 (2013) de l’Assemblée parlementaire, qui a été citée par l’auteur, ne contient pas d’appel à l’interdiction de la circoncision des garçons pour raisons religieuses. Elle invite plutôt les États membres à définir clairement les conditions médicales, sanitaires et autres à respecter pour de telles pratiques.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

7.1Dans des commentaires en date du 19 mars 2018, l’auteur fait observer que, depuis l’entrée en vigueur de la Convention pour l’État partie, les tribunaux finlandais ont la possibilité d’examiner la question de la circoncision rituelle des enfants à la lumière de la Convention. Dans son cas, la Cour suprême ne s’est pas du tout référé à la Convention. En particulier, elle n’a pas pris en considération l’observation générale no 13 (2011) du Comité sur le droit de l’enfant d’être protégé contre toutes les formes de violence. L’auteur ajoute que la question de l’ablation génitale rituelle est loin d’être réglée dans l’État partie, et indique qu’en Finlande, un bébé de 2 mois qui avait été soumis récemment à une circoncision rituelle a souffert de complications et subi des lésions permanentes provoquées par cette intervention.

7.2L’auteur conteste la position de l’État partie sur la gravité de l’ablation génitale masculine. Il souligne que comme cette intervention n’est pas pratiquée dans des centres de soins mais par des personnes privées, dans des locaux privés et dans des conditions non stériles, l’ablation génitale peut constituer une réelle menace pour la vie et le bien-être. L’intervention, le cadre dans lequel elle a lieu et la qualité en laquelle intervient la personne qui la pratique varient. Même dans un cas comme le sien, où la personne qui a pratiqué la circoncision était un médecin, la législation sur les soins de santé ne s’applique pas parce que le médecin n’agissait pas à titre professionnel.

7.3L’auteur rappelle que l’État partie comme la Cour suprême ont déclaré qu’en règle générale, la circoncision non médicale correspondait aux éléments essentiels de l’infraction de violences. Cependant, des facteurs tels que la religion peuvent servir de justification. Cela conduit à une situation dans laquelle des violences peut être commises légalement contre des garçons de certaines confessions ou ethnies alors que le même acte serait qualifié de violences graves, en violation de l’article 2 de la Convention, s’il était commis contre le garçon d’une famille finlandaise blanche.

7.4L’auteur conteste l’argument de l’État partie selon lequel les griefs qu’il tire du paragraphe 3 de l’article 24 de la Convention, lu en parallèle avec les articles 3 et 12 de la Convention, relèvent de l’action populaire. Ces griefs sont fondés sur des faits réels et concrets qui ont eu pour résultat qu’il a subi une ablation génitale illégale.

Observations complémentaires de l’État partie

8.1Dans des observations complémentaires en date du 31 août 2018, l’État partie indique que dans le cas, cité par l’auteur, du garçon qui a connu des complications suite à sa circoncision rituelle, celui-ci a eu accès à des recours juridiques, comme cela a été le cas pour l’auteur.

8.2L’État partie reprend ses précédentes observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il conteste les affirmations de l’auteur et souligne que la loi relative aux professionnels de la santé (no 559/1994) s’applique indépendamment du fait qu’un tel professionnel intervienne dans un centre de soins ou dans un cadre privé. De plus, selon les directives du Ministère des affaires sociales et de la santé (voir par. 3.6 ci-dessus), seuls les médecins autorisés à exercer peuvent pratiquer une circoncision, l’intervention doit être effectuée dans des conditions stériles et des antalgiques doivent être utilisés.

Intervention de tiers

9.1Dans une note en date du 31 décembre 2018, le Conseil de l’autonomie génitale, une organisation non gouvernementale, a soumis une intervention de tiers. Dans son courrier, le Conseil met en relief la prise de conscience croissante, ces dernières décennies, du fait que toute ablation génitale inutile sur le plan médical pratiquée sur un enfant porte atteinte aux droits de cet enfant. Il ajoute que, le 7 mai 2012, le tribunal de district de Cologne (Allemagne) a conclu que le consentement des parents ne satisfaisait pas au critère de l’intérêt supérieur de l’enfant. Eu égard au paragraphe 3 de l’article 14 de la Convention et au paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la liberté de conscience et de religion des parents doit être soumise à des restrictions lorsque l’exercice de cette liberté entraîne une atteinte aux droits et libertés fondamentaux d’autrui.

9.2Le Conseil de l’autonomie génitale indique que, selon des estimations prudentes, 650 millions d’hommes et 100 millions de femmes qui sont vivants aujourd’hui ont été soumis, dans leur enfance, à une forme ou une autre d’ablation génitale et que ces chiffres représentent 25 % de l’ensemble des hommes et 5 % de l’ensemble des femmes. Le taux de complication des circoncisions médicalisées est estimé à environ 5 %. Une étude de 2018 portant sur plus de 9 millions de circoncisions pratiquées dans des hôpitaux américains fait état d’un décès pour 50 000 circoncisions pendant la période 2001-2010. Cela signifie que l’ablation génitale médicalisée, qui est considérée comme le « meilleur cas de figure » pour ces interventions, entraînerait chaque année le décès de 13 000 garçons.

9.3Le Conseil de l’autonomie génitale note que le prépuce est constitué d’un tissu extrêmement sensible et qu’il remplit des fonctions sexuelles, immunologiques et protectrices. Il écarte les contaminants et fournit une couche de protection immunologique. Une chirurgie inutile altère le pénis de façon permanente, laissant généralement une cicatrice visible sur sa circonférence, et expose inutilement un enfant en bonne santé à un risque de blessure. L’idée historiquement défendue selon laquelle la circoncision prophylactique comporte des avantages médicaux est devenue obsolète au regard des progrès contemporains de la prévention et du traitement non invasifs des pathologies du prépuce. Des complications de la circoncision surviennent même lorsqu’elle est pratiquée dans un établissement médical, dans des conditions stériles. Les saignements postcirconcision chez les patients souffrant de troubles de la coagulation peuvent être importants, et parfois même fatals. Parmi les autres complications précoces graves pouvant survenir figurent la chordée, l’hypospadias iatrogène, la nécrose du gland et l’amputation du gland. Les complications tardives possibles comprennent le kyste d’inclusion épidermique, le névrome douloureux, la fistule, la chordée, l’ablation inadéquate de la peau entraînant un prépuce redondant, l’adhérence pénienne, le phimosis, le pénis enfoui, la fistule uréthrocutanée, la méatite et la sténose méatique. Comme la circoncision consiste à retirer entre un tiers et la moitié du prépuce, le gland peut devenir plus dur, avec une sensibilité moindre ou modifiée en raison d’une exposition chronique à la sécheresse et aux tissus, ce qui a une incidence sur les sensations sexuelles. Elle a aussi des conséquences d’ordre affectif et, chez certains hommes, des conséquences négatives sur l’estime de soi. Elle porte atteinte à l’autonomie du patient. La déontologie médicale interdit généralement le consentement par procuration à des interventions chirurgicales inutiles sur le plan médical. La circoncision est également contraire aux principes de non-malfaisance et de bienfaisance. L’enfant souhaite vivre selon ses propres valeurs, qui pourront ne pas être celles de ses parents. Seul l’enfant lui-même, lorsqu’il sera plus âgé, pourra être certain de ses valeurs. Enfin, les médecins ont l’obligation déontologique de traiter les patients de façon juste et équitable. Les médecins ne sauraient pratiquer une intervention sur un enfant en bonne santé tout en satisfaisant à cette obligation.

9.4Le Conseil de l’autonomie génitale soutient que toutes les ablations génitales médicalement inutiles d’hommes, de femmes et de personnes intersexes pratiquées pendant l’enfance violent plusieurs dispositions de la Convention (art. 2, 6 (par. 2), 12, 14, 16, 19 (par. 1), 24 (par. 1 et 3), 34, 36 et 37 a) et b)), entre autres dispositions relatives aux droits de l’homme. Il souligne que le Comité lui-même a exprimé à plusieurs reprises sa préoccupation au sujet des risques pour la santé liés à la circoncision.

Observations de l’État partie sur l’intervention de tiers

10.Dans des observations en date du 11 janvier 2019, l’État partie dit que l’intervention du tiers ne conduit pas à une appréciation de la communication différente de celle déjà faite par lui. Il soutient que le Comité ne peut pas examiner des allégations de violations de la Convention autres que celles formulées par l’auteur. L’État partie ajoute que les sources utilisées par le tiers sont sélectives, ont été présentées dans un but particulier et ne sont pas nécessairement représentatives. Enfin, il réaffirme que des mesures législatives appropriées ont été adoptées au niveau national et que l’auteur s’est vu accorder une réparation appropriée.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

11.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au titre du Protocole facultatif.

11.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable ratione temporis au motif que les faits qui font l’objet de la communication se sont produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, c’est‑à‑dire avant le 12 février 2016, à moins que ces faits ne persistent après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Le Comité considère que les actes ou omissions allégués de l’État partie en l’espèce ne constituent pas une violation continue et déclare par conséquent ces griefs irrecevables ratione temporis au regard de l’article 7 g) du Protocole facultatif.

12.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 7 g) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

Annexe

Opinion conjointe (dissidente) d’Ann Marie Skelton et de Luis Ernesto Pedernera Reyes

1.Nous nous permettons de présenter notre opinion dissidente sur l’irrecevabilité ratione temporis au regard de l’article 7 g) du Protocole facultatif au motif que les fait se sont produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, c’est-à-dire avant le 12 février 2016. Nous estimons que les décisions judiciaires des autorités nationales peuvent être considérées comme faisant partie des faits de la cause lorsqu’elles résultent des procédures directement liées aux faits initiaux qui ont donné lieu à la violation, pour autant que ces décisions soient en mesure de remédier à la violation présumée. Par conséquent, si ces décisions sont adoptées après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, l’article 7 g) ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication, puisque les tribunaux nationaux ont eu la possibilité d’examiner les plaintes et d’accorder des réparations pour les violations.

2.En l’espèce, nous notons que, si les décisions rendues en première et deuxième instances ont précédé l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, la décision de la Cour suprême est datée du 31 mars 2016. Après mûre réflexion, nous estimons que le réexamen par la Cour suprême semble avoir été un moyen approprié de remédier aux violations présumées dont l’auteur fait état. En conséquence, nous aurions conclu que le Comité n’était pas empêché par l’article 7 g) du Protocole facultatif d’examiner les griefs de l’auteur sur la base de l’appréciation de l’affaire faite par la Cour suprême.

3.Ayant jugé l’affaire recevable, nous aurions ensuite examiné la question de savoir s’il y avait eu une violation. Nous aurions suivi la règle générale selon laquelle il appartient aux organes des autorités nationales d’examiner les faits et les éléments de preuve et d’interpréter les lois nationales, à moins que cet examen ou cette interprétation ne soient de toute évidence arbitraires ou constituent un déni de justice. En l’espèce, nous aurions fait observer qu’en établissant la responsabilité pénale du père pour la circoncision de l’auteur, la Cour suprême a dûment apprécié les faits de la cause et les éléments de preuve présentés par les plaignants et le procureur. Dans sa décision, la Cour suprême a expressément pris en considération l’intérêt supérieur de l’enfant et a souligné qu’avant qu’un enfant soit suffisamment âgé pour exprimer sa propre volonté au sujet de la circoncision et, par conséquent, sa volonté de renforcer son lien avec la communauté religieuse et culturelle d’un seul de ses parents, la circoncision ne pouvait pas être manifestement justifiée comme étant dans l’intérêt supérieur de l’enfant si les parents n’étaient pas d’accord au sujet de l’intervention. La Cour suprême a conclu que la circoncision de l’auteur ne servait pas l’intérêt supérieur de celui-ci car elle avait été pratiquée uniquement pour les motivations culturelles de l’un des parents et contre le souhait exprimé par l’autre parent. La Cour suprême a aussi donné des raisons convaincantes justifiant le fait que les violences exercées sur l’auteur ne pouvaient pas être considérées comme des « violences graves » au regard de la législation nationale. En ce qui concerne le docteur A., la Cour suprême a estimé qu’il n’avait pas été établi qu’il avait agi avec l’intention d’aller à l’encontre de la volonté de la mère. Si l’auteur peut ne pas adhérer aux conclusions de la Cour suprême, il n’a pas été démontré que l’examen des faits et des éléments de preuve qu’a fait la Cour suprême ou l’interprétation qu’elle a donné de la législation nationale étaient de toute évidence arbitraires ou constituaient un déni de justice, ou que l’intérêt supérieur de l’auteur n’a pas été une considération primordiale dans ces délibérations.

4.En conséquence, nous aurions conclu que les faits dont le Comité avait été saisi ne faisaient pas apparaître de violations de la Convention.