Nations Unies

CRC/C/83/D/60/2018

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

10 mars 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’enfant

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no60/2018 * , * *

Communication présentée par :

D. C. (représenté par un conseil, Kurt-Peter Merk)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Allemagne

Date de la plainte :

27 août 2018 (date de la lettre initiale)

Date de la décision :

4 février 2020

Objet :

Exclusion du droit de vote fondée sur l’âge

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes

Questions de fond :

Intérêt supérieur de l’enfant ; droit de vote

Article(s) de la Convention :

2 (par. 1), 3 (par. 1), 4 et 12 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

7 e)

1.1L’auteur de la communication est D. C., de nationalité espagnole, né le 12 avril 1999. L’auteur, qui avait 16 ans au moment des faits en question, affirme que les droits qu’il tient des articles 2 (par. 1), 3 (par. 1), 4 et 12 (par. 1) de la Convention ont été violés par l’État partie, qui l’a privé de son droit de vote lors d’élections locales, en raison de son âge. L’auteur est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril 2014.

1.2Le 7 mai 2019, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son groupe de travail des communications, a décidé d’examiner la recevabilité de la communication séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En 2015, l’auteur vivait depuis plus de trois mois avec ses parents dans la commune de Perl (Sarre), en Allemagne. L’auteur voulait participer à l’élection du maire, qui devait avoir lieu le 28 juin 2015.

2.2Le 7 avril 2015, l’auteur a déposé une demande auprès du bureau de vote de la commune de Perl tendant à ce qu’il puisse exercer son droit de vote aux élections. Le 8 avril 2015, la commune a décidé de rejeter sa demande.

2.3Le 15 mai 2015, l’auteur a présenté un recours à la commune, affirmant qu’il avait le droit de voter aux élections municipales dans son pays de résidence, en tant que citoyen d’un État membre de l’Union européenne. Le recours a été rejeté le 24 juin 2015 au motif que le demandeur ne répondait pas à la condition de l’âge minimum prévue par la loi de la Sarre relative aux élections locales.

2.4Les élections ont eu lieu le 28 juin 2015 et l’auteur n’a pas pu voter.

2.5Le 29 juillet 2015, l’auteur a intenté une action devant le Tribunal administratif de la Sarre et a été débouté par une décision en date du 4 novembre 2016. Le Tribunal a conclu qu’il était tout à fait justifié de priver les enfants du droit de vote, car il n’avaient pas la maturité politique et le discernement nécessaires à l’exercice de ce droit.

2.6L’auteur a demandé à interjeter appel devant la Haute Cour administrative de la Sarre, mais la Cour a rejeté sa demande le 7 novembre 2017.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les droits qu’il tient de l’article 12 (par. 1) de la Convention ont été violés car l’actuelle législation de la Sarre prive les enfants de moins de 18 ans du droit d’exprimer librement leurs opinions politiques sur des questions qui les concernent. L’auteur soutient que les élections locales le concernent et qu’à 16 ans, il a la maturité suffisante pour voter, puisque cette maturité est reconnue aux jeunes de 16 ans dans d’autres États fédérés.

3.2L’auteur affirme aussi que les arguments avancés par le Tribunal administratif selon lesquels, pour pouvoir exercer le droit de vote, il faut avoir un minimum de capacité de discernement et de maturité politique, ne peuvent plus se justifier sur le plan juridique, puisque l’absence d’une certaine capacité de discernement politique ne peut pas, par exemple, être invoquée pour empêcher des personnes handicapées d’exercer leur droit de vote. L’auteur renvoie en particulier à l’article 29 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, qui énonce l’obligation pour les États parties de veiller à ce que les personnes handicapées puissent exercer leurs droits politiques, y compris le droit de voter et d’être élues.

3.3L’auteur ajoute que le fait de priver les personnes de moins de 18 ans du droit de vote, qui est un droit politique fondamental et une base de la démocratie, viole le principe de non‑discrimination énoncé à l’article 2 de la Convention. À ce sujet, l’auteur affirme qu’au moment des faits un grand nombre d’États fédérés d’Allemagne et d’États membres de l’Union européenne avaient décidé d’abaisser à 16 ans l’âge auquel il est possible d’exercer le droit de vote. La situation actuelle entraîne par conséquent une discrimination arbitraire fondée sur l’âge, le lieu de résidence ou la nationalité de l’enfant.

3.4L’auteur avance que le fait qu’il soit privé du droit de voter est contraire au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré par l’article 3 (par. 1) de la Convention. Le fait de priver du droit de vote les personnes de moins de 18 ans constitue une restriction législative qui ne peut pas être dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

3.5L’auteur conclut que, dans la Sarre, une mesure législative devrait être prise immédiatement en vue d’abaisser l’âge minimum du droit de vote à 16 ans au moins, conformément à l’article 4 de la Convention.

3.6L’auteur affirme que tous les recours internes disponibles et utiles ont été épuisés après le rejet de sa demande par la Haute Cour administrative de la Sarre. L’auteur aurait pu introduire un recours devant la Cour constitutionnelle de la Sarre, mais ce recours aurait été voué à l’échec dès le départ, car la Cour constitutionnelle est en faveur de l’exclusion catégorique des mineurs du droit de vote et aurait fondé sa décision sur la jurisprudence permanente de la Cour constitutionnelle fédérale qui, depuis des décennies, justifie l’exclusion des mineurs du droit de vote sans aucun débat et sans solliciter le point de vue des mineurs. La dernière décision des autorités nationales ayant été notifiée à l’auteur le 7 décembre 2017, la présente communication a été soumise dans les délais prévus à l’article 7 h) du Protocole facultatif établissant une procédure de présentation de communications.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations soumises le 15 janvier 2019, l’État partie affirme que la communication est irrecevable parce que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, comme prévu par l’article 7 e) du Protocole facultatif. L’État partie fait observer que l’auteur n’a pas introduit de recours devant la Cour constitutionnelle de la Sarre et n’a pas soulevé la question soumise au Comité devant les tribunaux nationaux. L’État partie affirme qu’en portant immédiatement l’affaire devant le Comité, l’auteur a privé la Cour constitutionnelle de la possibilité de commenter les relations découlant de la loi de la Sarre relative aux élections locales et leurs conséquences sur l’application de la Convention.

4.2L’État partie souligne également que, comme prévu par l’article 7 d) du Protocole facultatif, la communication devrait être jugée irrecevable si la même question a déjà été examinée par le Comité ou a été ou est examinée au titre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement. À ce propos, l’État partie fait observer que l’auteur ne fournit aucune information sur la question de savoir s’il a porté l’affaire devant d’autres instances internationales.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans les commentaires qu’il a soumis le 15 avril 2019 relatifs à l’épuisement des recours internes prévu par l’article 7 e) du Protocole facultatif, l’auteur note que, dans la législation allemande, la procédure judiciaire ne concerne que les juridictions civiles, pénales et administratives et pas la Cour constitutionnelle.

5.2L’auteur avance que, même si l’introduction d’un recours devant la Cour constitutionnelle était requise pour que soit remplie la condition de l’épuisement des recours internes au titre de l’article 7 e) du Protocole facultatif, un tel recours n’avait aucune chance d’aboutir dans son affaire. L’auteur attire l’attention sur l’article 64 de la Constitution de la Sarre, qui dispose que tous les Allemands âgés de plus de 18 ans ont le droit de voter, et avance que l’interprétation de la Cour constitutionnelle de la Sarre serait conforme à cette disposition. Il soutient également que la Cour se fonderait sur la Loi fondamentale de l’Allemagne et sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale, qui ne protègent ni l’une ni l’autre le droit de vote des mineurs.

5.3L’auteur affirme que la présente communication a été soumise au Comité uniquement et n’a été portée devant aucune autre instance internationale.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2En ce qui concerne la question de savoir si la même affaire a été ou est examinée au titre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, le Comité note que, dans ses observations en date du 15 janvier 2019, l’État partie affirme que l’on ne sait pas si l’affaire de l’auteur a été ou est examinée au titre d’une autre procédure et que, dans ses commentaires du 15 avril 2019, l’auteur indique que la même affaire n’a pas été examinée au titre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En conséquence, le Comité considère que la présente communication est recevable au regard de l’article 7 d) du Protocole facultatif.

6.4Le Comité note que, dans ses observations en date du 15 janvier 2019, l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, car il n’a pas introduit de recours devant la Cour constitutionnelle. À ce sujet, le Comité prend note du courrier du 15 avril 2019, dans lequel l’auteur indique que la Cour constitutionnelle n’aurait pas constitué un recours utile puisqu’elle aurait d’emblée rendu une décision conforme à la disposition constitutionnelle qui prévoit clairement que seules les personnes de plus de 18 ans ont le droit de voter, et aurait tranché en sa défaveur.

6.5Le Comité rappelle qu’un auteur doit avoir exercé toutes les voies de recours judiciaires et administratives qui peuvent lui offrir une perspective raisonnable de réparation. De plus, le Comité considère qu’il n’est pas nécessaire d’avoir épuisé les recours internes si ceux-ci n’ont objectivement aucune chance d’aboutir, par exemple dans les cas où, en vertu de la législation interne applicable, la demande serait immanquablement rejetée ou lorsque la jurisprudence établie des plus hautes instances judiciaires nationales exclurait une issue positive. Le Comité note toutefois que de simples doutes ou supputations quant à l’utilité des recours internes ou leurs chances d’aboutir ne dispensent pas les auteurs de les épuiser.

6.6En l’espèce, le Comité considère que, pour porter ses griefs au niveau national, l’auteur aurait logiquement pu soumettre un recours en inconstitutionnalité, possibilité qui lui était ouverte au moment des faits en question. Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui affirme qu’un recours constitutionnel n’a aucune chance d’aboutir, mais il note également que l’auteur n’a pas étayé ses allégations en citant la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la Sarre ou celle de la Cour constitutionnelle fédérale. Le Comité estime qu’un recours en inconstitutionnalité ne devrait pas être considéré comme voué à l’échec simplement au vu des textes constitutionnels en vigueur et de quelques précédents généraux. Le Comité considère également qu’il aurait fallu donner à la Cour constitutionnelle de la Sarre l’occasion d’interpréter la Constitution de la Sarre à la lumière des allégations de l’auteur et des dispositions de la Convention qu’il a invoquées. L’auteur n’ayant fourni, pour expliquer le fait qu’il n’avait pas tenté d’exercer un recours constitutionnel, aucun motif allant au-delà des simples doutes quant aux chances de succès, le Comité considère que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes dont il disposait raisonnablement pour demander réparation de la violation présumée des droits qu’il tient des articles 2 (par. 1), 3 (par. 1), 4 et 12 (par. 1) de la Convention.

6.7En conséquence, le Comité déclare que la communication est irrecevable au regard de l’article 7 e) du Protocole facultatif au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés.

7.Le Comité des droits de l’enfant décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 7 e) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et, pour information, à l’État partie.