Communication présentée par :

L. R. (représentée par un conseil, Alexandru Postica, Promo-LEX)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

République de Moldova

Date de la communication  :

1er septembre 2011 (date de la lettre initiale)

Références :

Communiquée à l’État partie le 3 septembre 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations  :

28 février 2017

Le Groupe de travail des communications présentées en vertu du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes recommande au Comité d’examiner le projet ci-après en vue de son adoption en tant que constatations du Comité.

L’auteure de la communication est L. R., de nationalité moldove, née en 1959. Elle fait valoir que la République de Moldova a violé les articles 1er, 2, 5 et 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. L’auteure est représentée par Alexandru Postica, de l’organisation non gouvernementale Promo-LEX. Le Protocole facultatif est entré en vigueur en République de Moldova le 28 février 2006.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure s’est mariée avec V. R. en 1985. Ils ont eu deux filles, nées en 1986 et 1988. V. R. buvait beaucoup et était violent envers l’auteure et leurs filles. La violence était d’ordre physique, psychologique et économique. L’auteure a déposé plusieurs plaintes auprès de la police, mais le comportement de V. R. n’a pas changé.

2.2L’auteure a divorcé de V. R. le 28 octobre 2003, mais le tribunal de district de Ciocana a statué le 29 décembre que l’appartement devait être partagé entre l’auteure et lui. Étant donné qu’ils étaient forcés de continuer à vivre ensemble, la violence a persisté. La police a répondu aux plaintes de l’auteure en l’accusant d’avoir une conduite répréhensible, en la plaçant sous surveillance et en la qualifiant de « fautrice de troubles au sein de la famille » à l’encontre de qui des mesures préventives devaient être prises.

2.3Le 3 juin 2010, V. R. a tenté d’étrangler l’auteure, ce qui lui a fait perdre connaissance. Des ambulances et des services de police ont été appelés et une enquête administrative a été ouverte. L’auteure n’ayant pas été informée de l’état d’avancement de l’enquête en dépit de ses nombreuses demandes d’information, elle a contacté Promo-LEX pour obtenir de l’aide.

2.4Les 4 et 9 juin 2010, des plaintes ont été adressées au nom de l’auteure par Promo-LEX à l’Inspection de la police du district de Ciocana, en vertu de la loi no 45 portant prévention et répression de la violence familiale et de l’ordonnance no 350 du 2 octobre 2008 du Ministère de l’intérieur, et au commissariat no 4 du district de Ciocana, leur demandant d’agir immédiatement pour faire cesser les violences contre l’auteure. Le 11 juin 2010, une demande d’ordonnance de protection a été déposée auprès du tribunal de district de Ciocana afin d’empêcher V. R. de commettre des actes de violence familiale et de le contraindre à se tenir à l’écart des pièces occupées par l’auteure, à cesser d’endommager ses biens, à s’abstenir d’inviter des personnes pour s’enivrer avec elles à la maison et à cesser de se livrer à d’autres agissements rendant la vie de l’auteure insupportable, ainsi qu’à contribuer financièrement à l’entretien de manière régulière. La requête portait sur une période de 30 jours. Bien que la loi no 45 lui impose de se prononcer sur de telles demandes dans un délai de 24 heures, le tribunal de district n’a répondu que le 15 juin 2010, en rejetant la demande, au motif que les mesures demandées n’étaient pas prévues par la loi et qu’il existait un litige civil entre les parties. L’auteure n’en a été informée que lorsqu’elle a contacté le tribunal de district le 16 juin 2010.

2.5Le 21 juin 2010, l’auteure a présenté une nouvelle demande d’ordonnance de protection au tribunal de district de Ciocana. La demande était accompagnée d’une requête au juge en chef. Le 22 juin 2010, le tribunal de district a déclaré la demande partiellement recevable et ordonné des mesures de protection pour une période de 30 jours, ordonnant à V. R. de quitter l’appartement et de se tenir à l’écart de la victime.

2.6Le 23 juin 2010, en réponse à la plainte initiale du 3 juin 2010, la police a adressé un avertissement officiel à V. R. concernant tout acte de violence contre l’auteure et l’a placé sous contrôle.

2.7L’ordonnance de protection étant restée sans effet et V. R. se trouvant toujours dans l’appartement, des requêtes demandant l’exécution de la décision du tribunal de district de Ciocana ont été adressées à l’Inspection de la police du district de Ciocana. Le 28 juin 2010, l’Inspection a rappelé à V. R. l’ordonnance de protection, mais a refusé de l’expulser de l’appartement.

2.8Le 13 août 2010, l’auteure s’est plainte auprès du chef du commissariat no 4, en expliquant qu’elle subissait les intimidations de V. R. En septembre 2010, V. R. a commis un certain nombre d’actes de violence contre l’auteure. Les 18 et 27 septembre 2010, lorsque l’auteure a déposé deux plaintes auprès du commissariat no 4 à la suite de menaces de V. R., on lui a dit qu’elle ne devait pas déposer de nouvelle plainte parce que ses déclarations ne correspondaient pas aux dires de V. R.

2.9Le 22 septembre 2010, l’auteure a déposé une requête auprès du Bureau du Procureur du district de Ciocana en vertu de l’article 262 du Code de procédure pénale demandant l’engagement d’une action pénale contre V. R. pour violence familiale et non-respect de l’ordonnance de protection émise le 22 juin 2010. Le 21 janvier 2011, le Bureau du Procureur a notifié à l’auteure sa décision du 19 novembre 2010 de ne pas engager d’action pénale contre son ex-mari au motif qu’il n’y avait aucune preuve médicale ni aucune preuve de souffrance mentale et que son témoignage contredisait les dires de son mari. Il a également indiqué que des sanctions disciplinaires avaient été prises à l’encontre d’un policier du commissariat no 4 qui l’avait menacée. Le 27 septembre et le 6 octobre 2010, l’auteure a interjeté appel auprès du Bureau du Procureur général et du Ministère des affaires sociales, demandant l’application de la législation relative à la violence familiale. Le 13 octobre 2010, elle s’est plainte à la police du comportement antisocial de V. R. et des dégâts qu’il causait à la propriété, en mentionnant notamment qu’il était constamment ivre et agité et qu’il avait condamné une fenêtre.

2.10Tout au long de la procédure, l’auteure a été intimidée par la police parce qu’un policier a été sanctionné comme suite à sa plainte. Elle a été placée sous surveillance comme « fautrice de troubles au sein de la famille » le 11 novembre 2010. Le 29 novembre 2010, après avoir été insultée et intimidée par V. R., l’auteure a appelé la police. Le policier visé par des mesures disciplinaires a pris son appel et l’a menacée de représailles, en présence de son avocat. Il lui a dit que ses nombreuses plaintes, restées sans suite, avaient entraîné la réduction de son salaire. C’était le deuxième incident du genre avec le même policier.

2.11Le 7 décembre 2010, le même policier l’a accusée de « trouble modéré à l’ordre public » en vertu de l’article 354 du Code des infractions administratives et une amende a été imposée. Trois autres accusations administratives ont également été retenues contre elle par le même policier. Elles ont toutes été annulées par la suite. L’auteure affirme que les accusations visaient à l’intimider afin qu’elle ne porte plus plainte contre V. R.

2.12Le 8 décembre 2010, l’auteure a déposé une nouvelle requête auprès du Bureau du Procureur du district de Ciocana comme suite aux actes de violence familiale qu’elle continuait de subir.

2.13Le même jour, l’auteure a également déposé une plainte auprès du Ministère de l’intérieur concernant le comportement abusif du policier en date du 29 novembre 2010.

2.14Le 10 décembre 2010, l’auteure a adressé une nouvelle demande au tribunal de district de Ciocana réclamant une ordonnance de protection dans les 24 heures en vertu de la loi no 45.Le 13 décembre 2010, n’ayant reçu aucune réponse, son avocat a appris que la plainte n’avait pas été enregistrée. Une plainte a été déposée auprès du juge en chef du tribunal de district, du Ministère de la justice et du Conseil supérieur de la magistrature. Après 54 jours, le 2 février 2011, le tribunal de district a refusé d’accorder la protection à l’auteure faute de preuve de la violence exercée sur elle par V. R.

2.15Le 16 février 2011, l’auteure a fait appel de la décision du tribunal de district de Ciocana auprès de la Cour d’appel de Chisinau, mais l’appel a été rejeté le 24 mai 2011, aux motifs que le conflit entre les parties concernait dans un premier temps la division de l’appartement partagé, que V. R. jouissait de bonnes références de l’Union des vétérans de la guerre d’Afghanistan et qu’il n’avait fait l’objet d’aucune condamnation administrative ou pénale. La Cour d’appel a douté de la crédibilité de l’auteure en raison de sa mise sous surveillance en tant que « fautrice de troubles au sein de la famille » du 11 novembre 2010 et de son amende du 7 décembre 2010 pour trouble modéré à l’ordre public, alors même que ces poursuites avaient été annulées par le tribunal de district le 12 janvier 2011. Le 3 février 2011, d’autres procédures administratives ont été engagées contre l’auteure, comme suite à une plainte fondée sur de fausses accusations que V. R. a montées contre elle sur les conseils du policier qui voulait la discréditer à son profit, a-t-elle dit. Elle a été condamnée pour « insulte » envers son mari, alors même qu’elle ne vivait pas dans la propriété. Cette décision a été annulée en appel, le 2 mars 2011.

2.16L’auteure a intenté une action pour diviser l’appartement par la vente de parts. En dépit d’une décision du tribunal de district de Ciocana en sa faveur le 11 mars 2011, l’arrêt a été annulé par la Cour d’appel de Chisinau le 25 mai 2011, qui a jugé que V. R., en sa qualité d’ancien combattant souffrant d’une invalidité, n’aurait pas assez d’argent pour acheter un autre logement avec sa part. L’affaire a été renvoyée au tribunal de district pour réexamen.

2.17Une fois la présente communication soumise au Comité, le Procureur général adjoint a annulé l’ordonnance émise le 13 avril 2012 par le Procureur du district de Ciocana de ne pas engager d’action pénale et ordonné l’ouverture d’une procédure pour violence familiale contre V. R. le 24 octobre 2013.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure fait valoir que l’État partie a violé les articles 1er, 2 a), c), d) et e), 5 et 16 de la Convention en ne la protégeant pas effectivement contre la violence familiale. Elle affirme que la violence familiale touche de manière disproportionnée les femmes dans l’État partie et constitue, par conséquent, une discrimination à l’égard des femmes, en contradiction avec l’article premier de la Convention, conformément à la recommandation générale no 19 (1992) sur la violence à l’égard des femmes.

3.2L’auteure fait valoir que dans l’État partie, les femmes, à la différence des hommes, se heurtent à l’indifférence des forces de l’ordre, qui souvent n’agissent pas à dessein pour les protéger. Les femmes pâtissent davantage de l’attitude des procureurs, qui choisissent de ne pas poursuivre les actes de violence familiale, sauf s’ils impliquent des blessures moyennes ou graves, une tentative de meurtre ou un meurtre. De tels scénarios se produisent en dépit de l’existence de dispositions légales prescrivant expressément la poursuite de tels actes. De plus, les femmes pâtissent de manière disproportionnée du manque de coordination entre les policiers, les procureurs et les tribunaux, qui résulte d’une mauvaise formation sur la façon de bien mettre en œuvre la législation. Cela signifie que, même lorsqu’une ordonnance de protection est émise, les femmes continuent d’être exposées à des risques, vu que, souvent, la police n’exécute pas ces ordonnances. La police n’agit souvent pas dans les affaires où l’ordonnance prévoit l’expulsion de l’agresseur du domicile partagé, invoquant une pénurie de logements.

3.3En ce qui concerne l’article 2 a), c), d) et e), l’auteure soutient que les autorités n’ont pas protégé une victime de violence familiale et ont, par conséquent, failli à leurs obligations en vertu de la Convention. V. R. n’a pas été poursuivi ni condamné et rien n’a été fait pour empêcher la poursuite des actes de violence. Les autorités n’ont pas renoncé à la pratique discriminatoire consistant à remettre en question la crédibilité de la femme victime, alors qu’elles n’ont pas mis en doute la déclaration de son agresseur. Les autorités n’ont pas traité ponctuellement les demandes de protection. Considérant la violence familiale comme une affaire personnelle appartenant à la sphère privée, elles se sont contentées de rappeler à V. R. les conditions de l’ordonnance de protection de juin 2010 qui est restée sans effet. Les tentatives ultérieures de renouvellement de l’ordonnance ont été rejetées parce que la crédibilité de l’auteure a été mise en doute. Les demandes n’ont pas été traitées dans les meilleurs délais, en violation des dispositions légales nationales.

3.4En ce qui concerne l’article 5, lu conjointement avec l’article 16, l’auteure fait valoir que les autorités n’assurent pas une poursuite diligente ou adéquate des auteurs de violence familiale. Les forces de l’ordre et les professionnels de la santé et de l’assistance sociale ne sont pas parfaitement au fait des dispositions légales pertinentes et de toutes les formes de violence familiale et ne réagissent donc pas aux plaintes comme il le faudrait. L’auteure affirme qu’elle a été victime de discrimination en raison des préjugés prévalant dans la société, selon lesquels il est inapproprié pour une femme de rendre public ce qui se passe dans son ménage, et que cette attitude est omniprésente chez les forces de l’ordre. L’auteure fait référence aux conclusions du Comité de 2006 concernant la prévalence de la violence familiale à l’égard des femmes dans l’État partie et l’attitude des fonctionnaires qui continuent de considérer qu’il s’agit d’une affaire relevant du domaine privé (voir CEDAW/C/MDA/CO/3) et note qu’elles sont toujours valables. Parce qu’elle s’est heurtée à des attitudes hostiles de la part des forces de l’ordre lorsqu’elle a demandé une protection, sa crédibilité ayant été systématiquement mise en doute, l’auteure soutient que l’État partie n’a pas éliminé les préjugés à l’égard des femmes dans le système judiciaire, en violation de ses obligations en vertu de l’article 5 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par note verbale en date du 12 mai 2014, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il a affirmé que les institutions nationales compétentes avaient enquêté sur les plaintes de l’auteure pour violence familiale, intimidation et harcèlement.

4.2Le 24 octobre 2013, le Bureau du Procureur général a engagé une action pénale en vertu de l’article 201 du Code pénal, sur la violence familiale, qui a été soumise à l’organe d’enquête criminelle de l’Inspection de la police du district de Ciocana. Le 5 décembre 2013, l’auteure a été reconnue et entendue en tant que victime. Au cours de l’enquête criminelle, les forces de l’ordre ont pris des mesures pour identifier et entendre la victime et le suspect, des témoins ont été interrogés et des documents se rapportant à l’affaire ont été rassemblés.

4.3Le 20 février 2014, V. R. a été reconnu comme suspect en vertu de l’article 201 du Code pénal. Le 10 mars 2014, V. R. a fait appel de la décision, qui a été ultérieurement rejetée par une ordonnance émise par un procureur. En outre, des expertises psychiatriques et psychologiques ont été ordonnées pour les deux parties. L’État partie a indiqué que l’enquête criminelle avait été rendue difficile en raison de sa complexité et du comportement des parties, ce qui a retardé la procédure.

4.4En ce qui concerne les mesures de protection et les indemnisations envisageables pour assurer la protection de l’auteure, l’État partie affirme que le Ministère du travail, de la protection sociale et de la famille et la Direction de l’assistance sociale et de la protection de la famille ont mené une enquête conjointe, indiquant que l’auteure était une personne présentant un degré moyen d’invalidité et bénéficiant d’une pension de 18 dollars par mois et d’un soutien financier de l’État de 2,50 dollars par mois.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernantla recevabilité et le fond

5.1Le 4 août 2014, le conseil de l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2L’auteure réaffirme que les actions de l’État partie constituent une violation des articles 1er, 2 a), c), d) et e), 5 et 16 de la Convention.

5.3L’auteure rappelle le contexte factuel et procédural, mettant en avant l’incapacité des autorités à appliquer la loi no 45, l’incapacité à donner suite aux demandes de protection en temps opportun, l’incapacité à exécuter les ordonnances de protection et le fait que sa parole était mise en doute, qu’elle n’était pas considérée comme une victime, et qu’elle a été poursuivie en justice sur la base d’accusations mensongères et intimidée par la police.

5.4En ce qui concerne les affirmations de l’État partie selon lesquelles son affaire a été instruite en 2013, l’auteure note que, bien qu’une ordonnance la reconnaissant en tant que victime ait été émise le 5 décembre, seuls deux de ses témoins ont été entendus et les organes d’enquête criminelle n’ont pas commenté les documents joints comme éléments de preuve par son avocat, qui comprenaient les ordonnances de protection, un rapport médico-légal et des décisions de justice. Une expertise psychiatrique et psychologique externe a été ordonnée pour les deux parties. L’auteure et V. R. y ont tous deux pris part. Le résultat n’était pas concluant en ce qui concerne l’auteure. Le 29 avril 2014, une nouvelle expertise psychiatrique a été ordonnée, imposant à l’auteure un séjour de 10 jours à l’hôpital psychiatrique de Chisinau. V. R. n’a pas été soumis au même examen. Craignant de graves abus, l’auteure a refusé d’être admise. L’enquêteur n’ayant proposé aucun autre établissement pour les expertises, aucune n’a été effectuée.

5.5L’auteure ajoute que, le 19 mai 2014, le Procureur du district de Ciocana a ordonné la cessation des poursuites pénales contre V. R. pour absence du corps du délit. Le 3 juin 2014, un appel a été adressé au Procureur général, dans lequel le conseil de l’auteure a contesté la décision de cessation des poursuites pénales et demandé leur reprise. Le 10 juin 2014, l’appel a été rejeté par le Procureur adjoint du district de Ciocana au motif qu’il n’était pas fondé et l’ordonnance de cessation des poursuites a été confirmée.

5.6L’auteure a déposé plusieurs plaintes mais, le 14 juillet 2014, le tribunal de district de Ciocana en a ordonné le rejet, en indiquant que tous les actes de violence avaient eu lieu entre 2003 et le 3 juin 2010, et qu’après le 3 juin 2010, V. R. n’avait plus commis d’acte de violence autre que des agressions verbales. La prescription légale de la responsabilité pénale pour des infractions mineures comme celles-ci est de deux ans et avait donc expiré. Le tribunal de district a également estimé qu’il n’était pas établi que l’auteure ait souffert de détresse ou de préjudice moral ou matériel. De plus, l’auteure a refusé son hospitalisation pour passer des examens psychiatriques, empêchant ainsi les enquêteurs d’établir la cause réelle de sa souffrance morale. Le 15 juillet 2014, l’auteure a contesté cette décision auprès de la Cour d’appel. Elle affirme par conséquent que tous les recours nationaux ont été épuisés, au moment du dépôt de la plainte et après la reprise par l’État partie de la procédure et sa clôture.

5.7L’auteure rappelle les faits en indiquant que, même après avoir déposé plusieurs plaintes, une accusation formelle par le Procureur du district de Ciocana contre V. R. n’avait été formulée que le 22 septembre 2010. Après examen de l’accusation, il a été décidé de ne pas engager de poursuites. L’ordonnance du Procureur général adjoint du 24 octobre 2013, par laquelle il a été décidé de rouvrir l’enquête, a noté que la précédente enquête par le parquet avait été superficielle. Ainsi, trois ans après la notification du délit et trois ans après sa perpétration, le parquet a admis n’avoir examiné les allégations de violence familiale que superficiellement.

5.8L’auteure fait référence aux ordonnances de cessation des poursuites pénales du 19 mai et du 10 juin et à la conclusion du tribunal de district de Ciocana du 14 juillet 2014, affirmant que l’on peut constater que ses arguments et preuves ont été ignorés et jugés insuffisants, bien que des témoins aient confirmé les actes de violence. Elle qualifie d’inacceptable la démarche des autorités, qui ont ordonné une expertise psychiatrique pour déterminer si elle souffrait de problèmes de santé mentale, dans la mesure où V. R. n’a pas été soumis à la même expertise. Elle fait référence aux rapports où il est clairement indiqué que le placement d’une personne en bonne santé dans une unité psychiatrique sans droit de sortie constitue un traitement inhumain et dégradant et à un autre qui fustige la manière dont des expertises de ce type sont menées dans l’État partie. L’auteure affirme que le fait de laisser entendre qu’elle souffrait de déficience mentale est révélateur du parti pris contre la victime dans de telles affaires.

5.9L’auteure note également l’absence d’enquête diligente, d’autant que le délai de prescription pour de telles infractions n’est que de deux ans. Ainsi, au moment où le cas serait examiné par le Comité, il ne pourrait pas y avoir de responsabilité pénale si une violation était constatée. Elle fait référence à des rapports d’organisations non gouvernementales mettant en évidence de telles lacunes de procédure, qui assurent l’impunité aux agresseurs.

5.10L’auteure rappelle que le délai de 24 heures pour l’examen d’une ordonnance de protection n’a pas été respecté par le parquet dans son affaire, ses demandes ayant été examinées dans des délais de 11 et 54 jours. De plus, la manière dont de telles demandes sont examinées a également été critiquée à maintes reprises par la Cour européenne des droits de l’homme.

5.11L’auteure fait valoir également que des ordonnances de protection devraient être émises lorsqu’il existe un minimum de preuves directes indiquant un acte de violence. Elle affirme que, dans son cas, elle a été victime de discrimination, par rapport au traitement réservé à V. R., dans la mesure où les déclarations de celui-ci avaient plus d’importance que les siennes aux yeux du parquet, en dépit de l’existence d’un certain nombre de témoins oculaires de l’agression verbale de V. R. à son égard, que le tribunal de district de Ciocana a jugé insuffisante.

5.12L’auteure affirme que, en 2011, un rapport du Bureau national des statistiques de la République de Moldova sur la violence familiale à l’égard des femmes a montré que les préjugés à l’égard des femmes étaient courants dans l’État partie et que les autorités admettaient que les femmes étaient confrontées à une attitude discriminatoire à leur encontre. En outre, elle cite deux rapports sur la violence familiale, indiquant qu’une femme moldove sur quatre est victime de violence familiale et que le comportement répandu de la police décourage et victimise à nouveau les femmes qui demandent de l’aide. De plus, l’auteure soutient que les tribunaux refusent, dans bien des cas, d’émettre des ordonnances de protection et qu’il existe des problèmes importants en ce qui concerne le suivi et l’exécution des ordonnances.

5.13L’auteure ajoute que l’État partie ne lui a pas assuré de conditions de vie décentes suite aux actes de violence subis. Alors que V. R. est resté dans l’appartement, elle n’était pas protégée. Les autorités ne lui ont pas assuré des conditions de vie convenables ni ne l’ont informée sur les services sociaux, notamment ceux offrant un hébergement ou de la nourriture. Bien qu’il existe des centres d’accueil dans certaines régions, ils n’ont pas la capacité requise pour porter assistance au grand nombre de victimes. Qui plus est, l’État partie n’a pas réussi à protéger l’auteure. En fait, la police l’a même menacée de représailles et sommée de ne plus se plaindre.

5.14En ce qui concerne sa pension d’invalidité, l’auteure affirme qu’elle ne saurait en aucun cas être considérée comme une compensation pour le manque de protection et de sécurité ou pour le traitement discriminatoire subi. En revanche, les données fournies par les autorités font ressortir qu’une somme de 20,50 dollars ne suffit pas pour survivre et encore moins pour couvrir des dommages de quelque nature que ce soit.

5.15L’auteur fait valoir que la réouverture de la procédure pénale après l’expiration du délai de prescription pour ce crime et la clôture ultérieure de l’affaire ne sauraient être assimilées à une enquête diligente et effective dans la mesure où cela n’est intervenu qu’en réaction à l’enregistrement de son affaire par le Comité.

5.16Bien que les lois sur la violence familiale soient en vigueur depuis six ans, aucune mesure, telle que la création de foyers d’accueil et de services adéquats pour les victimes et de centres de réadaptation pour les auteurs de violence, n’a été prise pour les mettre en œuvre. De plus, les centres d’accueil pour enfants font défaut. L’auteure demande au Comité de déclarer sa communication recevable et de constater la violation des dispositions des articles 1er, 2 a), c), d) et e), 5 et 16 de la Convention.

5.17L’auteure demande également expressément au Comité d’ordonner qu’elle soit indemnisée et, en général, que l’État partie prenne des mesures pour assurer une protection effective aux femmes victimes de violence familiale, notamment par l’adaptation de la pratique à la législation nationale et à la Convention, la formation des forces de l’ordre et des juges, la fourniture de services et l’organisation de campagnes de sensibilisation du public.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Par note verbale du 11 novembre 2014, l’État partie a fourni des observations supplémentaires. Il relève que selon l’auteure, la procédure pénale a été rejetée par le Bureau du Procureur de Ciocana le 19 mai pour absence du corps du délit dans les actions de V. R. L’auteure a interjeté appel et, le 2 octobre, la Cour d’appel de Chisinau a annulé la décision antérieure rejetant la procédure pénale. Elle rédigeait une décision au moment où les commentaires ont été présentés. L’État partie a affirmé que, conformément à cette décision, la procédure pénale se poursuivrait et que le retard était dû à la complexité de l’affaire et au comportement des deux parties.

6.2Le 4 juillet 2014, le tribunal de district de Ciocana a ordonné la vente de l’appartement familial. L’auteure a reçu les trois quarts du produit de la vente et V. R. un quart.

Commentaires de l’auteure sur les observations supplémentaires de l’État partie

7.1Le 21 novembre 2014, l’auteure a présenté des observations supplémentaires. Elle cite un passage de la décision de la Cour d’appel de Chisinau en date du 2 octobre, qui dispose que « le tribunal n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour examiner l’affaire objectivement et sous tous les angles, et a prononcé une décision non motivée ».De plus, la Cour d’appel a statué que le parquet n’avait pas correctement évalué les preuves établissant la culpabilité, en dépit d’une décision du tribunal de district de Ciocana en date du 22 juin 2010 constatant que V. R. avait été violent envers elle, citant des exemples de violence physique, psychologique et économique. Elle a également estimé que le Bureau du Procureur de Ciocana n’avait pas bien instruit l’affaire et a reproché au juge instructeur d’avoir examiné l’affaire superficiellement.

7.2Le 7 novembre 2014, la première audience a eu lieu au tribunal de district de Ciocana. L’auteure a toutefois demandé que le juge soit récusé pour manque d’impartialité, étant donné qu’il s’agissait du juge qui avait rejeté sa demande le 15 juin 2010. En réponse aux observations de l’État partie, l’auteure note que l’affaire n’a pas été retardée de son fait ou de celui de son agresseur, mais plutôt en raison de l’inefficacité du parquet.

7.3En réponse aux observations de l’État partie sur les recherches menées par le Ministère du travail, de la protection sociale et de la famille et par la Direction de l’assistance sociale et de la protection de la famille de Ciocana, l’auteure fait valoir qu’aucune preuve écrite n’a été présentée à cette fin. En outre, elle réaffirme que l’obligation de payer l’allocation d’invalidité ne devrait pas être confondue avec celle de fournir une assistance sociale aux femmes qui sont victimes de violence familiale. Elle affirme qu’il n’existe pas de cadre juridique garantissant une telle assistance.

7.4En ce qui concerne la copropriété de l’appartement, l’auteure indique qu’aucune décision de la sorte n’a été prise. Elle ne figure pas dans la base de données du tribunal de district de Ciocana et il n’y a pas eu d’audience en juillet sur ce sujet. En ce qui concerne l’assistance judiciaire évoquée par l’État partie, l’auteure affirme que le Centre juridique pour les femmes est une organisation non gouvernementale et non pas une institution publique.

7.5L’auteure fait valoir que les nouveaux arguments fournis par l’État partie ne modifient pas la position initiale exprimée dans sa communication du 4 août 2014.

Observations supplémentaires de l’État partie

8.1Le 4 février 2015, l’État partie a présenté des observations supplémentaires. Il reconnaît que le phénomène de la violence familiale est un problème social de nature criminelle et une violation grave des droits de l’homme. Les autorités nationales sont déterminées à adapter les dispositions nationales aux normes internationales et européennes. De plus, en 2014, le Ministère du travail, de la protection sociale et de la famille, le Bureau du Procureur général, l’Inspection générale de la police et la société civile ont élaboré de concert un projet de loi pour modifier et compléter certaines lois portant prévention et répression de la violence familiale conformément à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Le projet de loi a été soumis à l’approbation des ministères compétents et des organisations non gouvernementales concernées. Il contient des dispositions sur l’indemnisation, l’assistance juridique gratuite aux victimes, la lutte contre la persécution des victimes, le non-respect des ordonnances de protection et l’exécution des ordonnances de protection d’urgence. Selon l’État partie, l’adoption de cette législation permettra d’aligner la politique nationale sur les recommandations formulées par le Comité en 2013.

8.2En ce qui concerne la présente communication, l’État partie note que les institutions nationales compétentes suivent l’évolution de l’affaire et apportent toute l’assistance nécessaire conformément à la loi.

Commentaires de l’auteure

9.1Le 9 septembre 2015, l’auteure a présenté des commentaires supplémentaires sur les observations de l’État partie. Elle indique que, le 16 janvier, le tribunal de district de Ciocana a ordonné le retrait de sa plainte, vu que les enquêtes requises sur sa souffrance mentale et morale ne pouvaient être menées qu’au moyen d’une expertise, à laquelle elle a refusé de se soumettre. L’auteure a interjeté un deuxième appel en mettant en avant le fait qu’aucune autre solution que l’internement en hôpital psychiatrique pendant 10 jours ne lui avait été proposée aux fins de l’expertise.

9.2Le 30 mars 2015, la Cour d’appel de Chisinau a annulé la décision du tribunal de district de Ciocana, obligeant le Procureur adjoint du district de Ciocana à remédier aux violations et à reprendre les poursuites pénales. Le 12 août, l’auteure a été citée à comparaître mais l’audience a été reportée afin que l’évaluation psychologique puisse être réalisée.

9.3L’auteure fournit également des statistiques faisant ressortir que 90 % des victimes de violence familiale au niveau national sont des femmes, ainsi que trois études de cas montrant les problèmes systémiques liés à l’obtention et à l’exécution d’ordonnances de protection et l’incapacité des autorités à agir dans les graves affaires de violence familiale. Elle rappelle que les femmes sont touchées de manière disproportionnée par l’inapplication des dispositions pénales et administratives en vigueur pour protéger les victimes de violence familiale.

Observations de l’État partie

10.1Par note verbale en date du 6 janvier 2016, l’État partie a présenté des observations supplémentaires. Il réaffirme que des modifications sont apportées au droit interne et aux procédures nationales afin d’améliorer la situation des victimes de violence familiale, tout en reconnaissant que cela reste un problème important à régler. Il fournit également des statistiques sur les enquêtes criminelles sur la violence familiale. Il réaffirme que la législation est actualisée afin d’être conforme à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique et qu’une formation est dispensée aux procureurs.

10.2L’État partie note que, le 24 avril 2015, l’enquête criminelle relative à l’affaire de l’auteure a repris pour établir et prouver la violence familiale, notamment en soumettant l’auteure à un examen psychiatrique pour assurer la bonne appréciation du crime qu’elle a signalé.

Commentaires de l’auteure

11.1Le 11 février 2016, l’auteure a présenté des commentaires supplémentaires. Elle approuve les données statistiques fournies par l’État partie et son explication des progrès accomplis, mais indique que cela est insuffisant. Elle fait valoir que la procédure de plaintes au titre du Protocole facultatif n’est pas le mécanisme adéquat pour débattre des progrès réalisés en général dans le pays. Il devrait être utilisé pour expliquer les progrès spécifiques concernant son affaire.

11.2L’auteure confirme que, le 24 avril 2015, l’affaire a été rouverte pour un nouvel examen par le même procureur. Depuis lors, plus de six ordonnances prolongeant la durée des poursuites ont été émises, de même que des ordonnances pour des examens psychologiques et au détecteur de mensonges à l’hôpital et un examen psychologique sous la forme d’une évaluation de 30 jours en milieu hospitalier. Lorsque l’auteure a refusé et proposé d’être vue par un autre conseil de médecins, l’État partie a demandé au Centre médico-légal national de fournir un rapport sur l’auteure en réponse à une série de questions. Le Centre a refusé d’élaborer un tel rapport, indiquant qu’il n’avait aucune expertise en psychiatrie. Par conséquent, l’affaire se trouvait dans une impasse.

11.3L’auteure note également que la période d’enquête criminelle avait déjà dépassé le délai de prescription pour l’établissement de la responsabilité pénale en vertu du paragraphe 1 de l’article 201 du Code pénal. Il est dès lors inutile de continuer les poursuites.

11.4L’auteure affirme également que la demande d’examen psychologique ou psychiatrique pour déterminer son état mental lui a causé une souffrance injustifiée et un nouveau traumatisme.

11.5L’auteure partage la synthèse faite par l’État partie concernant les modifications apportées à la législation et à la procédure. Elle convient que le cadre juridique et les modifications sont assez complets, mais note que l’adoption des modifications a été retardée par les autorités. Les décisions expéditives et l’application inégale de la loi par les tribunaux nationaux sont des questions qui restent à régler par l’harmonisation de la jurisprudence.

11.6L’auteure renvoie le Comité aux recommandations formulées dans son courrier du 4 août 2014 et prie le Comité de recommander à l’État partie de revoir et d’adopter l’ensemble des modifications législatives et de les intégrer dans le droit national, de trouver d’autres solutions aux examens psychiatriques, qui devraient être couverts financièrement par l’État, et de normaliser la pratique judiciaire, pour trouver un juste équilibre entre les intérêts de la société et de l’individu tout en offrant une sécurité juridique à la victime.

11.7En ce qui concerne son courrier du 13 juin 2016, l’auteure ajoute que, le 29 février 2016, la procédure pénale, qui avait repris le 24 avril 2015, a été interrompue et elle n’a été notifiée qu’à la fin d’avril 2016. Aucune autre solution n’a été proposée pour les examens psychologiques et aucun autre témoin de l’auteure n’a été entendu. Cela étant, la décision finale n’a pas été contestée par l’auteure puisque, en tout état de cause, la responsabilité pénale de V. R. ne pouvait être engagée en raison de la prescription.

11.8L’auteure réaffirme que l’État partie a manqué à son obligation positive en vertu de la Convention de la protéger contre la violence familiale et d’en empêcher la répétition. L’État partie n’a pas non plus assuré l’application de la législation dans les meilleurs délais, a continué à considérer son affaire comme dépourvue d’importance et l’a blâmée pour son incapacité à produire d’autres preuves. L’incapacité à comprendre l’intimidation dont l’auteure était victime et les répercussions d’une enquête inefficace était synonyme d’impunité pour V. R. De plus, le Bureau du Procureur du district de Ciocana n’a pas respecté ses obligations en ce qui concerne l’ouverture et la conduite de ses enquêtes en temps opportun.

11.9L’auteure relève que les actions des autorités de l’État partie, notamment le fait de permettre à l’accusé de rester dans la même maison que sa victime et l’interruption de la procédure, n’ont à aucun moment protégé la victime. L’État partie l’a donc traitée de façon discriminatoire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

12.1Le Comité doit, conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif. Il est tenu de le faire, conformément au paragraphe 4 de l’article 72 du règlement, avant d’examiner la communication quant au fond.

12.2S’agissant du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité constate que l’État partie ne soulève aucune objection préliminaire au sujet de la recevabilité de la communication. Notant que l’auteur n’a pas fait appel de la décision du 29 février 2016 de classer l’affaire, le Comité rappelle que l’obligation d’épuiser les recours internes ne s’applique pas dans les cas où la procédure de recours excède des délais raisonnables ou n’est pas susceptible de donner lieu à une réparation effective. Le Comité est d’avis que, dans le cas d’espèce, le fait de se prévaloir de ce recours ne pouvait pas apporter une réparation effective à l’auteur, étant donné que le délai de prescription de deux ans pour engager des poursuites pénales avait expiré. Le Comité estime donc que le paragraphe 1 de l’article 4 ne lui interdit pas d’examiner la communication.

12.3Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

12.4Le Comité note qu’en ce qui concerne l’alinéa e) du paragraphe 2 de l’article 4, les actes de violence contre l’auteure ont commencé avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, en février 2006, mais après l’entrée en vigueur de la Convention en 1981. Cela étant, ces actes ayant continué après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie (et, compte tenu du fait que l’incident du 3 juin 2010, ainsi que l’épuisement des recours nationaux, sont intervenus après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie), le Comité estime qu’il n’est pas exclu d’examiner la communication sur la base de l’alinéa e) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif.

12.5Le Comité ne voit aucune raison de considérer la communication irrecevable et la juge donc recevable en vertu des articles 1er, 2 a), c), d) et e), 5 a) et 16 de la Convention.

Examen au fond

13.1Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l’auteure et l’État partie.

13.2L’auteure affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 1er, 2 a), c), d) et e), 5 et 16. Il s’agit donc de déterminer si l’État partie, par l’intermédiaire de ses autorités et de ses institutions publiques, a traité les plaintes répétées de l’auteure de manière adéquate et lui a assuré une protection juridictionnelle effective, et s’il a rempli les obligations positives qui lui incombent en vertu de la Convention.

13.3Le Comité prend note des affirmations de l’auteure concernant les antécédents de violence de V. R. avant et après leur divorce et les nombreuses plaintes qu’elle a déposées auprès de la police et du parquet pour que des poursuites pénales soient engagées contre lui, qui n’ont pas été suivies d’effet. L’auteure affirme en outre que les forces de l’ordre l’ont soumise à des intimidations sous la forme d’accusations administratives pour s’être plainte du manque de progrès dans son affaire. Le Comité note également que l’auteure a demandé à maintes reprises aux autorités d’émettre des ordonnances de protection et que l’État partie n’a pas traité ces demandes avec diligence, au mépris de la législation nationale, ne l’a pas tenue informée de l’évolution de son affaire, a rejeté des demandes sur la base de critères qui ne sont pas conformes à la Convention et n’a pas exécuté l’unique ordonnance de protection qui a finalement été mise en place.

13.4Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle, lorsque la procédure a finalement été rouverte, après que le Comité a été saisi de la question, l’État partie n’a pas procédé à une enquête diligente et efficace, n’a pas accordé suffisamment de crédit aux déclarations de l’auteure, par rapport à celles de son ex-mari, n’a pas entendu tous ses témoins et n’a pas évalué les pièces justificatives à l’appui, et fait également référence à l’apparente fixation du parquet sur l’état mental de l’auteure plutôt que sur celui de l’accusé, ledit parquet ayant tenté de la soumettre à de longues expertises psychiatriques dans des hôpitaux, ce qui dénotait un parti pris à l’égard des victimes de violence familiale.

13.5Le Comité prend en outre note des observations de l’État partie selon lesquelles les plaintes de l’auteure ont fait l’objet d’une enquête, conformément aux obligations qui lui incombent en vertu de la loi, que l’auteure a été dûment traitée comme une victime et que des témoins ont été entendus en son nom. Il a également expliqué que des améliorations étaient apportées pour faire en sorte que la législation cadre pleinement avec les normes énoncées dans la Convention. Le Comité accueille à cet égard avec satisfaction les informations détaillées fournies par l’État partie selon lesquelles différentes parties prenantes, dont la société civile, ont élaboré de concert en 2014 un projet de loi pour mieux prévenir et combattre la violence familiale et aligner la législation et la politique nationales sur la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique et les recommandations formulées dans ses observations finales par le Comité en 2013. Il note avec satisfaction que le projet de loi, qui a été soumis à l’approbation des ministères compétents et des organisations non gouvernementales concernées, comprend des dispositions particulières concernant l’indemnisation, garantit l’aide juridictionnelle pour les victimes, cherche à remédier à la persécution des victimes, et traite du problème de l’inapplication des injonctions et des ordonnances de protection en cas d’urgence.

13.6S’agissant de l’affirmation de l’auteure selon laquelle les décisions des autorités se fondaient sur des stéréotypes sexistes, en violation des articles 5 et 16 1) de la Convention, le Comité réaffirme que la Convention impose des obligations à tous les organes nationaux et que les États parties peuvent être tenus responsables des décisions judiciaires qui vont à l’encontre des dispositions de la Convention. Il rappelle en outre que les articles 2 a), c), d) et e) et 5 a) font obligation à l’État partie de modifier ou d’abroger toute loi et disposition réglementaire, mais également toute coutume et pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes, tandis que le paragraphe 1 de l’article 16 lui impose de prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux. Le Comité souligne à cet égard que les stéréotypes portent atteinte au droit des femmes à un procès équitable et impartial et que l’appareil judiciaire doit se garder d’instaurer des normes rigides sur la base uniquement d’idées préconçues de ce qui constitue la violence familiale ou sexiste, comme indiqué dans la recommandation générale no 33 (2015) sur l’accès des femmes à la justice.

13.7En l’espèce, il convient d’examiner si l’État partie a bien fait ce qu’il devait faire pour abolir les stéréotypes sexistes selon l’article 2 a), c), d) et e) et de déterminer ce faisant la mesure dans laquelle les problèmes d’égalité des sexes ont été pris en compte dans le traitement judiciaire de l’affaire de l’auteure. Le Comité note avec préoccupation que le jugement de divorce ne prévoyait pas la vente du domicile conjugal et que, en dépit des actes de violence familiale signalés, les tribunaux semblent avoir privilégié le droit du mari à la propriété, en raison de sa situation financière, au détriment du droit de l’auteure à l’intégrité physique et au bien-être. Le Comité note en outre les motifs de rejet par les juges des demandes d’ordonnance de protection déposées par l’auteure, notamment ce qui suit : il existait un litige civil entre les parties; l’absence de preuve médicale ou médico-légale ou de preuve de la souffrance morale de l’auteure; son témoignage contredisait les dires de V. R.; l’absence de preuve de la violence de V. R.; le conflit entre les parties avait pour origine la division de l’appartement partagé; l’ex-mari de l’auteure jouissait de bonnes références fournies par l’Union des vétérans de la guerre d’Afghanistan et n’avait fait l’objet d’aucune condamnation administrative ou pénale; l’auteure a été placée sous surveillance en tant que « fautrice de troubles au sein de la famille » le 11 novembre 2010, et l’auteure a été condamnée à une amende le 7 décembre 2010 pour trouble modéré à l’ordre public, même si ces poursuites ont été annulées par le tribunal de district de Ciocana le 12 janvier 2011.

13.8Le Comité constate que ces motifs ont été avancés en dépit de l’émission d’une ordonnance de protection contre V. R. sur la base de son comportement violent, de témoignages sur son comportement agressif et de l’existence d’un registre des ambulances et des services de police qui se sont rendus au domicile partagé après que V. R. a tenté d’étrangler l’auteure. Il note avec préoccupation la tactique d’intimidation utilisée contre l’auteure; le fait qu’elle a été qualifiée de « fautrice de troubles au sein de la famille »; le fait que, en dépit des plaintes de l’auteure, le même policier a été en mesure de déposer à plusieurs reprises des accusations administratives arbitraires contre elle, outre l’incapacité à traiter les demandes d’ordonnance de protection dans les meilleurs délais; et l’incapacité à mettre effectivement en œuvre l’ordonnance de protection après qu’elle a enfin été émise. Le Comité est préoccupé par la pratique dérangeante consistant à soumettre les victimes de violence familiale à un examen psychiatrique pour procéder à une « évaluation en bonne et due forme de l’infraction signalée » et comme dans le cas présent, à ordonner un séjour obligatoire de 10 jours en hôpital psychiatrique pour déterminer si l’auteure avait souffert d’angoisse, séjour que celle-ci a refusé de faire.

13.9Le Comité note en outre que le Procureur général adjoint, dans sa décision de rouvrir l’enquête criminelle le 24 octobre 2013, a admis que les procédures engagées initialement par l’auteure contre V. R. avaient été rejetées après un simple examen superficiel par le parquet, et que le 2 octobre 2014, la Cour d’appel de Chisinau a jugé que « la juridiction [inférieure] n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires pour examiner l’affaire objectivement et sous tous les angles, et avait prononcé une décision non motivée ». Elle a également considéré que le parquet n’avait pas correctement évalué la preuve attestant la culpabilité, en dépit d’une décision du tribunal de district de Ciocana en date du 22 juin 2010 de délivrer une ordonnance de protection, constatant que V. R. avait été violent envers l’auteure et citant des exemples de violence physique, psychologique et économique.

13.10Le Comité note avec préoccupation que même si la Cour d’appel de Chisinau a également estimé que le Bureau du Procureur du district de Ciocana n’avait pas bien instruit l’affaire et a lourdement reproché au juge instructeur d’avoir examiné l’affaire superficiellement, le même juge a été invité à instruire l’affaire lorsqu’elle a été renvoyée à la juridiction inférieure et l’affaire a été interrompue en raison d’une impasse due à l’insistance de l’État partie à soumettre l’auteure à une expertise médicale en milieu hospitalier.

13.11Le Comité note qu’aucun de ces faits n’a été contesté par l’État partie et que, dans l’ensemble, ils font ressortir que les décisions rendues par le Procureur du district de Ciocana, le juge du tribunal de district de Ciocana et la police étaient fondées sur des préjugés et, par conséquent, des notions discriminatoires de ce qui constitue la violence familiale. Le Comité conclut donc que les autorités de l’État partie n’ont pas agi en temps voulu et de manière adéquate et n’ont pas protégé l’auteure contre la violence et l’intimidation contrairement aux obligations qui leur incombent en vertu de la Convention.

13.12À la lumière de ce qui précède, le Comité considère que la manière dont l’affaire de l’auteure a été traitée par les autorités de l’État partie constitue une violation de ses droits en vertu des articles 1er, 2 a), c), d) et e), 5 a) et 16 de la Convention. Concrètement, le Comité reconnaît que l’auteure a subi des dommages et préjudices sur le plan moral et pécuniaire. Elle a éprouvé une peur et une anxiété considérables lorsqu’elle a été laissée sans protection de l’État et forcée de vivre avec son agresseur et elle a subi un nouveau traumatisme considérable lorsqu’elle a été brimée et persécutée par l’organe d’État qui aurait dû la protéger, à savoir la police.

14.En application du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif à la Convention, le Comité considère que l’État partie ne s’est pas acquitté de ses obligations et qu’il a ainsi violé les droits que l’auteure tient des articles 1er, 2 a), c), d) et e), 5 a) et 16 de la Convention, et, tout en saluant les efforts que l’État partie a consentis pour procéder à un ensemble complet de modifications d’ordre législatif et politique en vue de réprimer la violence familiale, lui adresse les recommandations suivantes :

a)En ce qui concerne l’auteure de la communication :

i)Prendre des mesures immédiates et efficaces pour garantir l’intégrité physique et mentale de L. R.;

ii)Faire en sorte que L. R. reçoive une réparation proportionnée au préjudice physique et moral subi et à la gravité de la violation de ses droits;

b)En général :

i)S’acquitter de ses obligations de respecter, de protéger, de promouvoir et d’honorer les droits fondamentaux des femmes, y compris le droit de vivre à l’abri de toutes formes de violence sexuelle et sexiste, notamment la violence familiale, l’intimidation et les menaces de violence;

ii)Accélérer l’adoption de la loi pour prévenir et combattre la violence familiale en vue de mettre la législation nationale en pleine conformité avec la Convention et la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique;

iii)Modifier les dispositions pertinentes du paragraphe 1 de l’article 60 du Code pénal afin que les délais de prescription dans les affaires de violence familiale soient proportionnels à la gravité de chaque cas;

iv)Enquêter de manière rapide, approfondie, impartiale et sérieuse sur toutes les allégations de violence familiale, veiller à ce que des poursuites pénales soient engagées dans tous les cas de violence familiale, traduire les agresseurs présumés en justice de manière juste, impartiale, prompte et efficace et imposer les sanctions appropriées;

v)Donner aux victimes de la violence familiale un accès sûr et rapide à la justice, y compris une aide juridictionnelle gratuite au besoin, pour qu’elles disposent de recours et de moyens de réinsertion efficaces et suffisants conformément à la recommandation générale no 33;

vi)Fournir aux délinquants des programmes de réinsertion et des programmes sur les méthodes de règlement non violent des conflits et donner la priorité aux options de logement pour les agresseurs faisant l’objet d’ordonnances de protection;

vii)Organiser des activités obligatoires et efficaces de renforcement des capacités, d’éducation et de formation à l’intention des magistrats, des avocats et des agents des forces de l’ordre, notamment la police, les procureurs et les professionnels de la santé sur les effets des stéréotypes sexistes et des préjugés inconscients, notamment sur le fait qu’ils contribuent à la violence à l’encontre des femmes et sapent la lutte menée contre ce fléau, en vue de leur donner de meilleurs moyens pour prévenir et combattre la violence familiale à l’encontre des femmes;

viii)Élaborer et appliquer des mesures efficaces, avec la participation active de toutes les parties prenantes concernées, telles que les organisations de femmes, pour lutter contre les stéréotypes, les préjugés, les coutumes et les pratiques qui tolèrent ou promeuvent la violence familiale;

ix)Mettre un terme à la pratique consistant à soumettre les victimes de violence familiale ou de violence sexuelle à un examen psychiatrique obligatoire en milieu hospitalier;

x)Prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que la stratégie nationale visant à prévenir la violence dans la famille et à y remédier efficacement soit mise en œuvre et évaluée dans les meilleurs délais;

xi)Donner suite rapidement et sans délai aux observations finales que le Comité a formulées en octobre 2013 concernant le rapport valant quatrième et cinquième rapports périodiques de la République de Moldova au sujet de la violence à l’égard des femmes et des filles. Le Comité recommande en particulier à l’État partie :

a.De renforcer l’application du Code pénal, de la loi no 45-XVI portant prévention et répression de la violence familiale et d’autres lois nationales pertinentes; de faire en sorte que l’ensemble des femmes et des filles, en particulier les femmes âgées, les femmes et filles roms, ou encore les femmes et filles handicapées, soient protégées contre la violence et disposent d’un accès immédiat à des voies de recours; de lancer d’office des enquêtes sur toute infraction de ce type et veiller à ce que leurs auteurs soient poursuivis et condamnés à des peines à la mesure de la gravité de l’infraction commise;

b.D’accélérer l’action menée pour modifier la loi no 45-XVI afin de compléter la protection offerte par les ordonnances judiciaires par un système de protection policière, et de permettre ainsi la délivrance d’ordonnances de protection policière d’urgence; et

c.D’éliminer tous les obstacles auxquels se heurtent les femmes pour avoir accès à la justice; de faire en sorte que l’aide juridictionnelle soit disponible pour toutes les victimes de violence; d’encourager les femmes à dénoncer les incidents de violence familiale ou sexuelle en faisant mieux comprendre le caractère criminel d’une telle violence; de fournir une assistance et une protection adéquates aux femmes victimes de violence, y compris aux femmes roms; d’augmenter le nombre de foyers d’hébergement, en améliorer le financement et de veiller à ce qu’ils couvrent l’ensemble du territoire national, y compris les zones rurales et la Transnistrie.

15.Conformément au paragraphe 4 de l’article 7, l’État partie tiendra dûment compte des constatations et des recommandations du Comité, auquel il soumettra dans les six mois une réponse écrite contenant des informations sur toute mesure prise pour donner effet aux présentes constatations et recommandations. L’État partie est également invité à publier les constatations et recommandations du Comité et à les faire traduire dans la langue officielle de l’État partie et à les diffuser largement afin de toucher tous les secteurs concernés de la société.