Présentée par :

A. (représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Danemark

Date de la communication :

11 avril 2013 (lettre initiale)

Références :

Communiquées à l’État partie le 12 avril 2013 (non publiées sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations :

19 novembre 2015

Annexe

Constatations du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes au titre du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (soixante-deuxième session)

Concernant la

Communication no 53/2013 *

Présentée par :

A. (représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Danemark

Date de la communication :

11 avril 2013 (lettre initiale)

* Les membres du Comité ci-après ont pris part à l ’ examen de la présente communication : Ayse Feride Acar, Gladys Acosta Vargas, Bakhita Al-Dosari, Nicole Ameline, Barbara Bailey, Niklas Bruun, N á ela Gabr, Hilary Gbedemah, Nahla Haidar, Ruth Halperin-Kaddari, Yoko Hayashi, Lilian Hofmeister, Ismat Jahan, Lia Nadaraia, Theodora Nwankwo, Pramila Patten, Silvia Pimentel, Biancamaria Pomeranzi, Patricia Schulz et Xiaoqiao Zou.

Le Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes, institué en vertu de l’article 17 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,

Réuni le 19 novembre 2015,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif

1.1L’auteure de la communication est A., de nationalité pakistanaise, née en 1983. Elle se déclare victime d’une violation, par le Danemark, des droits qui lui sont reconnus par les articles 1, 2 c) et d), 3, 12, 15 et 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. L’auteure est représentée par un conseil. La Convention et son Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour le Danemark le 21 mai 1983 et le 22 décembre 2000, respectivement.

1.2Le 8 janvier 2014, l’État partie a été informé que le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Groupe de travail des communications, a décidé d’examiner la recevabilité de la communication en même temps que le fond.

Faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est une femme illettrée de la minorité chrétienne du Punjab. Elle a été élevée dans un village pakistanais où elle a vécu jusqu’à son mariage avec un Pakistanais titulaire d’un permis de séjour permanent au Danemark. L’auteure et son mari ont eu deux enfants, nés en 2009 et 2011. Ils se sont rencontrés lorsque son mari s’est rendu au Pakistan en 2007. En 2008, ils se sont mariés dans une église du Pakistan sans le consentement de leurs familles respectives et à l’insu de ces dernières, parce que l’époux était censé se marier avec une autre femme. Après le mariage, l’auteure et son conjoint ont vécu ensemble pendant environ deux mois dans un autre village. L’époux est ensuite reparti au Danemark. Avant son départ, il a trouvé un logement pour l’auteure, qui a dû y vivre seule parce que rejetée par les deux familles. Depuis cette époque, l’auteure a été financièrement soutenue par son conjoint. Ce dernier a ensuite décidé d’emmener l’auteure au Danemark. En 2009, elle a obtenu un visa de tourisme qui lui a permis de se rendre au Danemark, mais a dû retourner au Pakistan en mai 2009 après que sa demande d’un permis de séjour permanent ait été rejetée. De retour au Pakistan, elle a commencé à travailler dans un salon de beauté en juin 2009.

2.2En juillet 2009, trois hommes ont fait irruption dans le domicile de l’auteure, l’ont frappé et roué de coups de pied et l’ont aspergé d’un liquide inflammable avant de mettre le feu à ses vêtements, lui causant de graves brûlures au tronc et aux bras. Les hommes l’ont accusée de se livrer à un « sale métier », se référant à la prostitution. L’agression s’est produite six jours après qu’un autre groupe d’hommes se soient introduits dans le salon de beauté qu’ils ont vandalisé, accusant les employés de pratiquer un « sale métier » et de travailler dans une « clinique du sexe ». Après l’agression, l’auteure n’est jamais retournée au salon. À la suite de l’attaque perpétrée contre son domicile, l’auteure est restée hospitalisée pendant environ sept ou huit mois pour le traitement de ses brûlures, période au cours de laquelle elle a donné naissance à son premier enfant. L’auteure estime que les deux agressions sont liées et qu’elles ont été organisées par la famille de son conjoint. Elle dit n’avoir pas porté plainte auprès de la police, une de ses connaissances lui ayant dit que la police n’avait pris aucune mesure lorsque ses voisins avaient signalé l’incident, parce qu’elle était considérée comme une prostituée.

2.3L’auteur affirme en outre qu’alors qu’elle emmenait son fils à l’hôpital en taxi, des motocyclistes inconnus ont tiré sur eux. Elle estime qu’il s’agit d’un acte délibéré, dans la mesure où les hommes se sont rapprochés du véhicule pour tirer sur elle. Elle n’a pas été blessée, contrairement au chauffeur du taxi. Là encore, l’auteure n’a pas signalé l’incident à la police parce qu’elle savait que cette dernière n’interviendrait pas en raison des rumeurs selon lesquelles elle se livrait à la prostitution.

2.4L’auteure est arrivée au Danemark le 8 juin 2010, porteuse d’un visa qui était valide jusqu’au 20 septembre 2010. Le 19 juillet 2010, elle a soumis une demande de regroupement familial qui a été rejetée, le 12 janvier 2011, par le Service danois de l’immigration. Elle a fait appel de cette décision auprès du Ministère chargé des réfugiés, de l’immigration et de l’intégration. Le 17 juin 2011, le Ministère a confirmé la décision du Service de l’immigration. Le 15 septembre 2012, l’auteure a été arrêtée par la police pour séjour illégal au Danemark. Elle est restée en détention jusqu’au 15 octobre 2012. Le 16 septembre 2012, elle a soumis une demande d’asile, affirmant que sa vie serait menacée si elle était renvoyée au Pakistan. Le Service de l’immigration a rejeté sa demande d’asile le 22 janvier 2013, estimant que, d’après les renseignements disponibles, les hommes exerçaient une mainmise sur les femmes dans les familles pakistanaises et il était donc peu probable que l’auteure ait pu décider de se marier sans le consentement de sa famille ou celui de la famille de son mari. Le Service de l’immigration a également considéré que l’argument de l’auteure avait été forgé à l’appui de sa demande. Il a estimé en outre que la famille du conjoint de l’auteure ne l’avait jamais menacée et que ses craintes étaient donc infondées. Les évènements cités par l’auteure à titre de preuves (les agressions perpétrées au salon de beauté, au domicile de l’auteure et contre le taxi) ne revêtaient pas un caractère particulier; il s’agissait de délits passés, qui restaient isolés. Le Service de l’immigration a également conclu que les allégations de l’auteure n’étaient pas crédibles, dans la mesure où il lui avait fallu deux ans, après son arrivée au Danemark, pour demander l’asile et puisque, à supposer que ses craintes aient été justifiées, elle aurait pu porter plainte auprès des autorités pakistanaises même si elle était réellement considérée comme une prostituée.

2.5La Commission de recours pour les réfugiés a rejeté l’appel de l’auteure le 5 avril 2013. D’après l’auteur, la Commission a admis qu’elle avait été agressée à son domicile, qu’elle avait été brûlée et qu’elle avait été victime, quelques jours plus tard, d’une nouvelle agression à son lieu de travail. Elle a également admis que les mêmes personnes étaient responsables des deux agressions, dans la mesure où elles avaient justifié leurs actes en faisant état de la pratique de la prostitution. La Commission a toutefois estimé que l’auteure n’avait pas démontré, d’une part, que les agressions avaient été perpétrées par la famille de son conjoint en raison de leur mariage et, d’autre part, que ces agressions la visaient personnellement. La Commission a donc conclu que l’auteure ne pouvait pas démontrer l’existence d’un risque de persécution si elle était renvoyée au Pakistan et que le fait d’être une femme chrétienne isolée dans le pays ne constituait pas un motif pouvant justifier l’octroi de l’asile.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme être victime d’une violation, par l’État partie, des droits qui lui sont reconnus par les articles 1, 2 c) et d), 3, 12, 15 et 16 de la Convention. Selon elle, l’État partie semble soutenir que si les agressions avaient été perpétrées par un groupe d’hommes se réclamant d’une « police des mœurs », elles ne constitueraient pas des actes de violence à l’égard des femmes. L’auteur estime qu’une telle interprétation équivaut à une violation des droits que lui reconnaît la Convention, dans la mesure où ces agressions consistent en une persécution fondée sur le sexe, quels qu’en soient les auteurs.

3.2L’auteure affirme également avoir été victime d’une tentative de meurtre dit d’honneur, soit parce qu’elle s’est mariée sans le consentement de la famille de son conjoint, soit parce que le métier qu’elle exerçait était considéré comme étant immoral. Elle déclare qu’elle n’a pas demandé justice ou cherché à obtenir réparation parce que les actes dont elle a été victime ne font guère l’objet de poursuites et de sanctions dans le pays. Elle estime donc que son expulsion vers le Pakistan constituerait une violation des droits qui lui sont reconnus par les articles susmentionnés de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 12 juin 2013, l’État partie a fait parvenir ses observations sur la recevabilité de la communication. Il a fait savoir que le conjoint de l’auteure avait obtenu un permis de séjour au Danemark en mai 2005 à la suite de son mariage avec une ressortissante danoise en mai 2002. Le conjoint de l’auteure avait divorcé d’avec cette épouse en mars 2007 et s’était marié avec l’auteur au Pakistan en 2008. L’État partie a indiqué que les enfants que l’auteur avait eus avec son conjoint disposaient de permis de séjour au Danemark en vertu des dispositions de la Loi sur les étrangers relatives au regroupement familial. La demande de regroupement familial présentée par l’auteure le 19 juillet 2010 avait été rejetée le 12 janvier 2011 par le Service danois de l’immigration. Le 17 juin 2011, cette décision avait été confirmée par le Ministère chargé des réfugiés, de l’immigration et de l’intégration, qui avait prié l’auteure de quitter le pays. Le 15 septembre 2012, la police nationale avait rencontré l’auteure et l’avait détenue, l’accusant de séjourner irrégulièrement au Danemark. Le Service de l’immigration ayant décidé, le 16 septembre 2012, d’expulser l’auteure, celle-ci avait présenté une demande d’asile.

4.2L’État a déclaré que l’auteure avait justifié sa demande d’asile par la peur de subir, de la part de sa famille et de la famille de son conjoint, des violences motivées par le fait que le mariage n’avait pas reçu le consentement de ces familles. Le 22 janvier 2013, le Service danois de l’immigration avait rejeté la demande d’asile de l’auteure. Le 5 avril 2013, la Commission de recours pour les réfugiés avait confirmé cette décision, estimant que les agressions mentionnées par l’auteure et reconnues comme telles par les autorités danoises ne visaient pas particulièrement l’auteure. Pour l’État partie, l’affirmation de l’auteure selon laquelle les agressions provenaient de la famille de son conjoint n’était pas prouvée puisque cette dernière ne l’avait jamais menacée et que les agressions avaient débuté immédiatement après qu’elle ait commencé à travailler au salon de beauté et non après le mariage. La Commission a conclu que l’auteure n’avait pas pu démontrer qu’elle courrait un risque réel de persécution si elle était renvoyée au Pakistan. Pour l’État partie, le fait que l’auteure soit une chrétienne isolée au Pakistan ne suffisait pas à modifier la position de la Commission.

4.3L’État partie a fourni des renseignements détaillés sur les fonctions et la composition de la Commission de recours pour les réfugiés, ainsi que sur la base juridique de ses décisions, à savoir la Loi sur les étrangers. Il a rappelé que la Commission était un organe quasi judiciaire, dont les membres ne pouvaient recevoir ou solliciter des instructions des autorités de nomination. Conformément au paragraphe 1 de l’article 31 de la loi susmentionnée, aucun étranger ne peut être renvoyé dans un pays où il ou elle risque de se voir imposer la peine de mort ou d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou encore dans un pays où l’intéressé ne sera pas protégé contre le risque d’être renvoyé dans un tel pays (non-refoulement). Cette disposition, qui ne souffre aucune exception, s’applique à tous les étrangers, conformément aux obligations internationales du Danemark. L’État partie a également indiqué que les décisions de la Commission de recours pour les réfugiés étaient fondées sur l’évaluation concrète et individuelle de l’affaire. Les affirmations d’une demandeuse d’asile sont appréciées à la lumière de tous les éléments d’information disponibles et leur examen prend en compte les renseignements concernant le pays vers lequel la demandeuse d’asile pourrait être expulsée.

4.4L’État partie a fait valoir que la communication devait être déclarée irrecevable ratione loci et ratione materiae en vertu des articles 2 et 4 2) b) du Protocole facultatif, puisque le Danemark n’était pas responsable, en vertu de la Convention, des actes qui étaient censés étayer la communication de la requérante. Il a relevé que, si la Convention ne contenait pas de clause expresse limitant la portée de son application, l’article 2 du Protocole facultatif disposait clairement que les communications « peuvent être présentées par des particuliers ou groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou groupes de particuliers … relevant de la juridiction d’un État partie, qui affirment être victimes d’une violation par cet État partie d’un des droits énoncés dans la Convention ». Par conséquent, le droit individuel de soumettre des communications est clairement limité par une clause de compétence. Pour l’État partie, s’il était vrai que la requérante se trouvait donc sous la juridiction danoise, ses griefs ne s’appuyaient pas sur le traitement dont elle était victime dans ce pays mais plutôt sur les conséquences éventuelles de son renvoi au Pakistan. La seule chose que la requérante reprochait aux autorités danoises était donc leur décision de la renvoyer dans un pays où elle risquait d’être victime d’un traitement discriminatoire contraire à la Convention. La décision de la renvoyer au Pakistan ne pouvait toutefois engager la responsabilité de l’État partie en vertu des articles 1, 2 c) et d), 3, 12, 15 et 16 de la Convention.

4.5L’État partie a fait valoir que la notion de « juridiction » aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif devait être considérée dans son acception générale en droit international public. De ce point de vue, la compétence juridictionnelle d’un État est essentiellement territoriale. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que les actes d’un État partie qui produisent des effets dans d’autres pays peuvent engager sa responsabilité − il s’agit de la portée extraterritoriale. L’État partie a estimé que le cas à l’examen ne comportait pas de telles circonstances exceptionnelles et que le Danemark ne pouvait être tenu responsable à raison d’une violation de la Convention qui pourrait être commise par un autre État partie, en dehors du territoire danois et de la juridiction danoise.

4.6L’État partie a soutenu en outre que la question de la portée extraterritoriale n’avait pas été expressément traitée par le Comité dans sa jurisprudence publiée et que rien dans cette jurisprudence n’indiquait que les dispositions de la Convention aient une portée extraterritoriale. En revanche, la Cour européenne des droits de l’homme a clairement insisté dans sa jurisprudence sur le caractère exceptionnel de la protection extraterritoriale des droits consacrés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

4.7L’État partie a fait également valoir que l’article 2 du Protocole facultatif à la Convention prévoit que le Comité des droits de l’homme peut recevoir des communications émanant d’individus relevant de la juridiction d’un État partie, qui affirment être victimes d’une violation, par ledit État partie, de l’un quelconque des droits énoncés dans la Convention. À cet égard, cet égard, l’État partie a fait état de la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, aux termes de laquelle le renvoi d’un individu par un État partie vers un pays, pouvant aboutir à la violation du droit à la vie ou du droit de ne pas être soumis à la torture, constituerait une violation. Il a fait observer toutefois que le Comité des droits de l’homme n’avait jamais examiné quant au fond une communication concernant le renvoi d’une personne craignant des violations des droits de l’homme de moindre gravité (par exemple la violation d’un droit susceptible de dérogation) dans l’État de destination.

4.8L’État partie a relevé que la violence sexiste était définie comme étant « une forme de discrimination qui compromet ou empêche la jouissance, par les femmes, de leurs droits fondamentaux, dont le droit à la vie, le droit à la sécurité de la personne et le droit de ne pas être soumis à la torture ou à de mauvais traitements ». Il a fait valoir que les États parties n’avaient d’obligations qu’à l’égard des individus placés sous leur juridiction et ne pouvaient être tenus responsables d’actes de discrimination commis dans un autre pays, et ce, même si la requérante parvenait à établir qu’elle pourrait être victime, au Pakistan, d’une discrimination visée par la Convention, à savoir d’une forme de violence fondée sur le sexe. Par conséquent, le renvoi d’une personne venue au Danemark simplement pour échapper à un traitement discriminatoire dans son propre pays, pour condamnable que soit ce traitement, ne pouvait constituer une violation de la Convention. L’État partie a fait donc valoir qu’il ne pouvait être tenu pour responsable, en vertu de la Convention, des violations alléguées par la requérante et que la communication devait être déclarée irrecevable ratione loci et ratione materiae, conformément à l’article 4 b) du Protocole facultatif, lu conjointement avec l’article 2.

4.9L’État partie a affirmé en outre que la communication devait être jugée irrecevable conformément à l’article 4 2) c) du Protocole facultatif, faute d’être suffisamment étayée, étant donné que la requérante n’avait pas clairement identifié ou précisé les droits inscrits dans la Convention qui seraient violés si elle était renvoyée au Pakistan, se contentant de se référer de manière générale aux articles 1, 2 c) et d), 3, 12, 15 et 16 de la Convention et aux recommandations générales no 12 (1989) et n° 19 (1992) sur la violence contre les femmes. Enfin, l’État partie a fait valoir que les demandes d’asile étaient examinées de la même manière et selon la même procédure, qu’elles concernent des hommes ou des femmes, ce qui signifiait que les demandeuses d’asile n’étaient pas soumises à un traitement discriminatoire au Danemark.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 18 juillet et le 8 août 2013, l’auteure a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie. Tout en confirmant l’exactitude des informations relatives à l’arrivée et au statut de résidence de son conjoint, elle s’est interrogée sur la pertinence de ces renseignements par rapport à sa communication. Par ailleurs, elle a souligné que les violences qu’elle avait subies s’étaient produites après que le Danemark ait rejeté sa demande de regroupement familial, l’obligeant à repartir au Pakistan en 2009, alors qu’elle était déjà mariée et qu’elle était enceinte (voir par. 2.1).

5.2L’auteure a réaffirmé que la famille de son conjoint avait orchestré les deux premières agressions, qui s’étaient produites de manière rapprochée (voir par. 2.2). Elle a toutefois précisé qu’elle n’avait jamais affirmé pouvoir en dire autant de l’agression qui s’était produite lorsqu’elle se trouvait dans un taxi (voir par. 2.3). Elle considérait que les agressions qui l’avaient visée correspondaient à des actes de violence fondée sur le sexe et qu’elle ne serait pas en mesure de bénéficier de mesures de protection si elle était renvoyée au Pakistan.

5.3Quant à la position de l’État partie selon laquelle elle n’avait pas étayé ses allégations, l’auteure a affirmé qu’elle avait fourni des informations claires sur la violence sexiste à laquelle elle serait soumise si elle était renvoyée au Pakistan. Elle a évoqué la jurisprudence du Comité aux termes de laquelle les crimes dits d’honneur sont visés par la Convention et les États sont tenus de protéger les femmes contre ces pratiques.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Dans des observations supplémentaires transmises le 14 décembre et le 20 décembre 2013, l’État partie a réaffirmé que la communication devait être jugée irrecevable en vertu de l’article 4 2) c) du Protocole facultatif, faute d’être suffisamment étayée. L’État partie a rappelé la position récemment adoptée par le Comité concernant l’application extraterritoriale de la Convention, qui affirme que les États parties sont tenus de protéger les femmes contre l’exposition à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence fondée sur le sexe, que de telles conséquences aient lieu ou non dans les limites territoriales de l’État partie qui procède à une expulsion. Il s’ensuit qu’un État partie qui renverrait une personne vers un autre État où il est prévisible que de graves actes de violence sexiste se produiront commettrait une violation de la Convention. L’État partie a néanmoins jugé que cette jurisprudence conférait un caractère extraterritorial à la Convention uniquement dans des circonstances exceptionnelles - lorsque le renvoi d’une personne exposait celle-ci au risque de perdre la vie ou de subir des tortures ou de mauvais traitements.

6.2L’État partie a estimé que les faits, tels que présentés par l’auteure, n’apportaient pas, de prime abord, la preuve de ses allégations. Elle avait seulement déclaré que les personnes responsables des agressions qu’elle avait subies étaient probablement des membres de sa famille ou de la famille de son conjoint du fait de leur objection au mariage. Cependant, aucun élément n’étayait ses allégations selon lesquelles le caractère des agressions était tel que, si elle était renvoyée au Pakistan, elle risquerait la persécution, remplissant ainsi les conditions requises pour bénéficier d’une protection en vertu de l’article 7 de la Loi sur les étrangers, ou qu’elle serait exposée à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence fondée sur le sexe.

6.3L’État partie a considéré en outre que la communication devait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 4 du Protocole facultatif, comme étant incompatible avec les dispositions de la Convention. Il a affirmé que les obligations positives découlant de l’article 2 d) n’incluaient pas l’obligation pour les États parties de ne pas expulser une personne qui risquerait de se voir infliger des tourments ou des souffrances par des particuliers, sans le consentement exprès ou tacite de l’État concerné. L’État partie se référait à la position du Comité contre la torture, selon laquelle, pour qu’il y ait la torture, l’acte doit être infligé par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. L’État partie a également invoqué la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle un État partie ne peut être tenu responsable des actes commis à l’encontre d’une personne qu’il a expulsée vers son pays d’origine que si l’intéressé parvient à démontrer que les autorités de l’État de destination n’étaient pas en mesure de parer le risque couru en fournissant une protection appropriée. L’État partie a estimé que cette condition n’avait pas été remplie en l’occurrence puisque l’auteure n’avait jamais sollicité la protection des autorités pakistanaises. Elle avait seulement déclaré que ses voisins avaient pris contact avec la police parce qu’elle n’était pas en mesure de le faire elle-même; la police avait répondu qu’ayant été informée qu’il s’agissait d’une prostituée, elle n’avait pris aucune mesure. Pour l’État partie, l’auteure n’avait pas suffisamment démontré que les autorités pakistanaises ne pouvaient pas lui assurer une sécurité appropriée et ses affirmations en la matière devaient être jugées irrecevables.

6.4Le 10 mars et le 18 août 2014, l’État partie a présenté ses observations sur le fond de la communication, réaffirmant que l’auteure n’avait pas démontré le risque qu’elle courrait si elle était renvoyée au Pakistan. Il a indiqué que la Commission de recours pour les réfugiés avait admis la réalité des agressions dont elle avait été victime au salon de beauté, à son domicile et dans un taxi; il a cependant jugé que l’auteure n’avait pas démontré que ces agressions la visaient personnellement et qu’elle n’avait en rien fourni la preuve que son renvoi au Pakistan l’exposerait à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence fondée sur le sexe.

Autres commentaires de l’auteure

7.1Le 23 décembre 2013, l’auteure a présenté des observations additionnelles. Elle a indiqué qu’elle s’était référée à la Convention dans le cadre de sa demande d’asile, notamment devant la Commission de recours pour les réfugiés. Les autorités de l’État partie avaient cependant estimé qu’elles n’étaient pas tenues de protéger des femmes qui pourraient subir des violences sexistes si elles étaient renvoyées dans leur pays d’origine. L’auteure s’est donc félicitée de la communication dans laquelle l’État partie admettait que la Convention avait une portée extraterritoriale en présence du principe de non-refoulement.

7.2L’auteure a indiqué qu’elle avait suffisamment étayé son cas et qu’elle avait démontré avoir été victime d’actes de violence fondée sur le sexe. Elle a affirmé par ailleurs que les attaques consistant à brûler constituaient une forme usuelle de violence fondée sur le sexe dans certaines régions de l’Inde et du Pakistan et touchaient principalement les femmes. Elle a soutenu qu’elle avait subi ces attaques parce qu’elle était une femme dont le comportement n’était pas admis par certains secteurs de la société. L’auteure a réaffirmé que le fait de s’être mariée contre la volonté de ses parents et de la famille de son mari pouvait également expliquer les agressions qu’elle avait subies, mais qu’elle ne disposait pas, à ce sujet, d’autres éléments de preuve. Enfin, elle a jugé que le fait d’être une femme chrétienne, de vivre seule et de travailler dans un salon de beauté l’exposait aussi à ces attaques. À cet égard, l’auteure s’est référée aux critères retenus par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) concernant l’évaluation des besoins en protection internationale des minorités religieuses du Pakistan; il était ressorti de l’évaluation du HCR que les chrétiens subissaient de violentes agressions dans tout le pays et que, très souvent, les autorités étaient soit incapables soit peu désireuses de protéger la vie des chrétiens ou de traduire les auteurs de ces actes en justice.

7.3L’auteure a également affirmé qu’elle n’avait pas pu se rendre elle-même auprès de la police après les agressions parce qu’elle se trouvait à l’hôpital pour le traitement de ses brûlures. À sa sortie de l’hôpital, elle ne s’était pas risquée à entreprendre cette démarche dans la mesure où ses voisins lui avaient fait savoir que, bien qu’ils aient signalé les faits, la police n’avait pas mené d’enquête parce que l’auteure était considérée comme une prostituée.

7.4Le 10 juin 2014, l’auteure a présenté des observations sur le fond de la communication. Elle s’est référée aux observations finales du Comité sur le quatrième rapport périodique du Pakistan (CEDAW/C/PAK/CO/4, par. 21). Dans ces observations, le Comité s’est inquiété de la persistance de pratiques telles que le mariage d’enfants et les mariages forcés, le karo-kari, les brûlures domestiques et les jets d’acide, le mariage selon le Coran, la polygamie et les crimes dits d’honneur. Il a souligné que, malgré les dispositions de la loi de 2004 portant modification de la législation pénale, qui érigeaient en infractions les crimes dits d’honneur, les lois du qisas et du diyat continuaient d’être appliquées en pareils cas, ce qui faisait que les auteurs de tels actes bénéficiaient d’arrangements ou étaient graciés au lieu d’être jugés et condamnés. Le Comité s’est également dit préoccupé par le manque d’information sur la mise en œuvre des procédures opérationnelles normalisées vis-à-vis des femmes victimes de violence et par le faible nombre de foyers pour les victimes. L’auteure s’est référée à d’autres sources selon lesquelles, au Pakistan, les parents privilégiaient l’honneur de la famille par rapport au droit des filles de choisir leur mari.

7.5Pour l’auteure, les attaques qu’elle a subies et dont la réalité a été reconnue par l’État partie la visaient directement parce qu’elle était une femme et que son comportement différait du rôle dévolu à une femme au Pakistan. Elle a donc jugé qu’il était impossible de conclure qu’elle ne s’exposerait pas à des actes similaires si elle était renvoyée dans son pays et estimé qu’elle ne pourrait pas solliciter la protection des autorités pakistanaises. L’auteure a par ailleurs déclaré que la Commission de recours pour les réfugiés n’avait pas fourni de justification quant à la non-prise en compte du fait qu’elle était une femme isolée n’appartenant à aucun groupe organisé au Pakistan.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit décider si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif. Conformément à l’article 66, le Comité peut décider d’examiner séparément la question de la recevabilité d’une communication et la communication elle-même quant au fond.

8.2Le Comité prend note des affirmations de la requérante selon lesquelles son expulsion vers le Pakistan constituerait une violation par le Danemark des articles 1er, 2 c) et d), 3, 12, 15 et 16 de la Convention. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la Convention n’a une portée extraterritoriale que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque la personne qui doit être renvoyée court un risque réel, personnel et prévisible d’être victime de formes graves de violence sexiste.

8.3Le Comité rappelle qu’il a souligné dans sa recommandation générale no 28 concernant les obligations fondamentales des États parties au titre de l’article 2 de la Convention que les obligations des États parties s’appliquent sans discrimination aux citoyens et aux non-citoyens, y compris les réfugiés, les demandeurs d’asile, les travailleurs migrants et les apatrides, qui se trouvent sur leur territoire ou qui, sans y être, sont placés sous leur juridiction effective. Les États parties sont « responsables de tous leurs actes ayant une incidence sur les droits de l’homme, que les personnes touchées soient ou non présentes sur leur territoire » (par. 12). Le Comité rappelle également que l’article premier de la Convention définit la discrimination à l’égard des femmes comme étant « toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes [...] des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine ». Dans sa recommandation générale no 19, le Comité a indiqué que la violence fondée sur le sexe englobait les actes qui infligent des tourments ou des souffrances d’ordre physique, mental ou sexuel, la menace de tels actes, la contrainte ou autres privations de liberté (par. 6).

8.4Le Comité rappelle que, comme il l’a souligné au paragraphe 10 de sa recommandation générale n° 32 sur les femmes et les situations de réfugiés, d’asile, de nationalité et d’apatridie, les dispositions de la Convention renforcent et complètent le régime international de protection légale applicable dans de nombreux contextes aux femmes et aux filles réfugiées, déplacées et apatrides, d’autant que les accords internationaux pertinents, notamment la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole de 1967, la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, ne prévoient pas de dispositions établissant explicitement l’égalité des sexes. Le Comité note en outre qu’en vertu du droit international des droits de l’homme le principe de non-refoulement impose aux États l’obligation de ne pas renvoyer une personne vers une juridiction dans laquelle elle risque d’être soumise à des violations graves des droits de l’homme, notamment la privation arbitraire de la vie ou la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le principe de non-refoulement constitue aussi une composante essentielle du droit d’asile et de la protection internationale des réfugiés. L’essence de ce principe est qu’un État ne peut obliger une personne à regagner un territoire où elle peut être exposée à la persécution, y compris à des formes et des motifs de persécution liés au sexe.

8.5L’interdiction absolue de la torture, qui relève du droit international coutumier, comprend l’interdiction du refoulement vers un risque de torture, ce qui implique l’interdiction de toute expulsion d’une personne vers un endroit où elle serait exposée à un risque de torture. Il en va de même de l’interdiction de la privation arbitraire de la vie. La proscription de la violence sexiste par le droit des droits de l’homme se fonde essentiellement sur l’interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Au paragraphe 18 de son observation générale no 2, le Comité contre la Torture a expressément indiqué que la violence et les brutalités à motivation sexiste entraient dans le champ d’application de la Convention contre la Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

8.6Le Comité rappelle que l’alinéa d) de l’article 2 de la Convention prévoit que les États parties s’engagent à s’abstenir de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes et à faire en sorte que les autorités et les institutions publiques se conforment à cette obligation. Cette obligation impose aux États parties de protéger les femmes contre l’exposition à un risque réel, personnel et prévisible d’être victimes de formes graves de violence fondée sur le sexe, indépendamment du fait de savoir si ces conséquences se produiraient en dehors des frontières territoriales de l’État partie d’envoi : si un État partie prend une décision concernant une personne sous sa juridiction, dont la conséquence nécessaire et prévisible est que les droits de cette personne consacrés par la Convention seront gravement compromis sous une autre juridiction, cela signifie que l’État partie lui-même a peut-être agi en violation de la Convention. Il s’ensuit qu’un État partie qui renverrait une personne vers un autre État où il est prévisible que de graves actes de violence sexiste se produiront commettrait une violation de la Convention. Il se produit également une violation lorsque, face aux actes de violence sexiste, il n’est prévu aucune protection de la part de l’État vers lequel a lieu l’expulsion. Ce qui peut constituer des formes graves de violence sexiste dépend des circonstances propres à chaque cas et doit être déterminé par le Comité au cas par cas au stade de l’examen au fond, à condition que l’auteure d’une communication ait établi qu’à première vue celle-ci est fondée en étayant suffisamment ses griefs.

8.7En l’espèce, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas démontré que les attaques qu’elle a subies au Pakistan étaient de telle nature que, si elle y était renvoyée, elle courrait un risque réel, personnel et prévisible d’être victime de formes graves de violence sexiste. Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle a apporté un commencement de preuve du fait qu’elle a été victime d’actes de violence sexiste au Pakistan et de ce qu’elle craint d’être victime d’actes analogues si elle y était renvoyée. Enfin, il relève qu’aucun des actes de violence décrits par l’auteure n’a été contesté par l’État partie. Au vu des informations fournies, le Comité considère que l’auteure a suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité. En conséquence, il procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l’auteure et l’État partie.

9.2Le Comité relève que si l’État partie ne conteste pas la réalité des trois agressions, commises respectivement au salon de beauté où travaillait l’auteure, à son domicile et pendant qu’elle était dans un taxi avec son fils, il considère que l’auteure n’a pas fourni suffisamment d’éléments pour démontrer que ces agressions la visaient directement. Le Comité relève en outre que l’État partie n’a pas contesté non plus la réalité des insultes proférées à l’encontre de l’auteure par les deux groupes d’hommes qui ont vandalisé le salon de beauté, l’ont agressée à son domicile et mis le feu à ses vêtements, à savoir que le salon de beauté était une « clinique du sexe », qu’elle pratiquait un « sale métier » et qu’elle était une prostituée. Le Comité note que bien que l’auteure ait fourni toutes les informations utiles concernant les tensions entre elle et ses parents ainsi que ceux de son mari, qui s’opposaient tous à leur mariage, et qu’elle ait déclaré qu’elle « supposait » que les agressions avaient été commises à l’instigation de sa belle-famille, sa demande a été rejetée pour la simple raison que le Service danois de l’immigration estimait que son affirmation selon laquelle ces agressions avaient été perpétrées à l’instigation de la famille de son mari n’était pas étayée par des faits puisqu’elle n’avait jamais fait l’objet de menaces de la part de sa belle-famille et que les agressions s’étaient produites immédiatement après qu’elle ait commencé à travailler à l’institut de beauté et non après le mariage.

9.3Le Comité prend acte en outre de la nature et de la gravité de l’agression commise par trois hommes au domicile de l’auteure en juillet 2009, au cours de laquelle elle a été victime de brûlures graves et qui lui a valu d’être hospitalisée pendant sept à huit mois, de l’attaque menée contre le salon de beauté où l’auteure travaillait et des coups de feu tirés en mars 2010 par des hommes non identifiés circulant en motocyclette, qui auraient également pu causer de graves blessures à l’auteure et à son fils. Le Comité est d’avis que la nature et les circonstances de ces agressions indiquent que celles-ci visaient l’auteure et étaient donc « personnelles ». Le Comité considère également que le fait que l’auteure ne soit pas en mesure de donner des informations précises sur l’identité exacte des responsables des trois agressions ne justifiait pas que l’on mette sa crédibilité en doute et que, par conséquent, le rejet de sa demande d’asile par l’État partie était manifestement arbitraire. Même si les agressions n’avaient pas été commises à l’instigation des parents de l’époux de l’auteure, comme celle-ci le « supposait », elle courait quand même le risque de subir d’autres préjudices graves et avait des motifs sérieux de craindre d’autres actes de violence sexiste. À cet égard, le Comité rappelle sa recommandation générale no 32, dans laquelle il souligne que les États parties doivent tenir compte du fait que les demandes d’asile sont acceptées non pas à l’aune du critère de probabilité mais à celui de l’éventualité raisonnable qu’une demandeuse a des craintes bien fondées d’être persécutée ou exposée à la persécution à son retour.

9.4Le Comité a dûment pris en considération l’argument de l’État partie qui fait valoir que l’auteure n’a pas suffisamment étayé son affirmation selon laquelle les autorités pakistanaises ne seraient pas en mesure de lui offrir la protection nécessaire pour éviter les risques allégués. Le Comité prend également note de l’argument de l’auteure selon lequel, d’une part, elle ne s’est pas adressée à la police parce qu’elle était hospitalisée en raison de brûlures graves et, d’autre part elle n’a pas osé le faire par la suite parce qu’elle a été informée par ses voisins qu’en dépit du fait qu’ils avaient signalé à la police les graves agressions dont elle avait été victime, celle-ci a refusé d’ouvrir une enquête car elle la considérait comme une prostituée. Le Comité a dûment pris en considération la déclaration, non contestée, de l’auteure selon laquelle elle n’avait déposé plainte auprès de la police. À ce sujet, le Comité rappelle qu’il est indiqué ce qui suit au paragraphe 29 de sa recommandation générale no 32 : « [l]e Comité est conscient qu’au regard du droit international, ce sont les autorités du pays d’origine qui sont responsables au premier chef de la protection des citoyens, notamment de veiller à ce que les femmes jouissent pleinement des droits que leur confère la Convention et que c’est seulement faute d’une telle protection que l’on invoque la protection internationale, qui a pour but de préserver les droits fondamentaux de l’homme lorsqu’ils sont en danger ». En l’espèce, le Comité souligne que le fait que l’auteure n’ait pas sollicité la protection de l’État ou déposé plainte auprès des autorités avant de quitter son pays d’origine ne devrait pas préjuger de la suite à réserver à sa demande d’asile, notamment lorsque la violence à l’égard des femmes y est tolérée ou que les autorités de ce pays ignorent souvent les plaintes déposées par des femmes à ce sujet; en raison de cette situation, dépeinte dans les informations fournies par l’auteure, il n’est pas réaliste d’exiger de cette dernière qu’elle ait sollicité une protection avant son départ.

9.5Le Comité estime également que l’État partie n’a pas dûment pris en considération le fait que l’auteure était une Punjabi de souche, illettrée, de confession chrétienne, n’ayant pas de soutien familial, vivant dans un village au Pakistan loin de son mari et qui était traitée comme une « prostituée » par la société dans son ensemble, y compris les services de police. Le Comité rappelle à ce sujet les lignes directrices du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) pour l’évaluation des besoins de protection des membres de minorités religieuses pakistanais, dans lesquelles il est souligné que les femmes appartenant à la minorité chrétienne sont exposées au risque de subir des violences fondées sur le sexe et que « des informations indiquent que des agressions violentes contre des chrétiens sont perpétrées dans tout le pays et que, dans bien des cas, les autorités sont incapables de protéger la vie des chrétiens ou de traduire en justice les auteurs de ce type d’acte de violence ou ne seraient pas disposées à le faire ». Le Comité rappelle en outre que les demandes d’asile fondées sur des considérations liées au sexe peuvent recouper d’autres motifs de discrimination tels que l’appartenance ethnique et la religion.

9.6En l’espèce, le Comité considère que l’auteure a été victime de violence sexiste au Pakistan, celle-ci ayant été agressée, soit parce qu’elle était une femme célibataire travaillant dans un salon de beauté considéré comme étant « immoral » par la collectivité, soit parce qu’elle s’est mariée contre la volonté de la famille de son mari ou de la sienne, ou pour ces ceux motifs. À ce sujet, le Comité rappelle sa recommandation générale no 32, dans laquelle il met en relief le fait que les États parties doivent instituer des garanties procédurales tenant compte de la situation particulière des femmes, afin que les demandeuses d’asile puissent présenter leurs arguments sur une base d’égalité avec les hommes et de non-discrimination. Les États parties doivent tenir compte du fait que les demandes d’asile sont acceptées non pas à l’aune du critère de probabilité mais à celui de l’éventualité raisonnable qu’une demandeuse a des craintes bien fondées d’être persécutée ou exposée à la persécution à son retour. En l’espèce, le Comité considère donc que l’auteure a suffisamment étayé son affirmation selon laquelle, si elle était renvoyée au Pakistan, elle courrait le risque d’être victime de formes graves de violence sexiste.

9.7Le Comité rappelle aussi ses observations finales concernant le Pakistan, dans lesquelles il s’est déclaré préoccupé par la persistance d’attitudes patriarcales et de stéréotypes profondément ancrés concernant le rôle et les responsabilités des femmes, qui constituent une discrimination à leur égard et perpétuent leur subordination au sein de la famille et de la société, et qui, sous l’influence d’acteurs non étatiques, ont tous été récemment exacerbés dans l’État partie. Le Comité rappelle à ce propos que les lois du qisas et du diyat continuent d’être appliquées à des crimes dits d’honneur, de sorte que les auteurs de tels actes bénéficient d’arrangements ou sont graciés au lieu d’être jugés et condamnés (CEDAW/C/PAK/CO/4, par. 21), conformément aux dispositions du Code pénal. Selon certaines informations, 70 % des auteurs de ce type de crime restent impunis.

9.8En conclusion, le Comité rappelle qu’en vertu du droit international des droits de l’homme, le principe de non-refoulement fait obligation aux États de ne pas renvoyer une personne là où elle risque de subir de graves violations des droits de l’homme, que le droit à la vie et celui de ne pas être soumis à la torture ou à de mauvais traitements sont visés de manière implicite par la Convention, et que les États parties sont dans l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser ou transférer une personne par d’autres moyens de leur territoire vers le territoire d’un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il existe un risque réel et significatif de préjudice irréparable. En l’espèce, le Comité est d’avis qu’il existe des motifs sérieux de penser que l’auteure serait exposée à un risque réel, personnel et prévisible d’être victime de formes graves de violence sexiste en cas de retour au Pakistan.

Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs de l’auteure tirés des articles 3, 12, 15 et 16 de la Convention.

Agissant en vertu du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif à la Convention, et compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le Comité est d’avis que l’État partie ne s’est pas acquitté des obligations qui lui incombent et a donc violé les droits que l’auteure tient des alinéas c) et d) de l’article 2 de la Convention, et adresse à l’État partie les recommandations suivantes :

a)En ce qui concerne l’auteure de la communication : s’abstenir de renvoyer l’auteure de force au Pakistan, où elle courrait un risque réel, personnel et prévisible d’être victime de formes graves de violence fondée sur le sexe, compte tenu également de ce que son mari et ses deux enfants mineurs ont le statut de résidents permanents au Danemark;

b)De manière générale et conformément à sa recommandation générale no 32, le Comité demande à l’État partie de :

i)Prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir;

ii)Prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que les victimes de formes sexistes de persécution qui ont besoin de protection ne soient en aucun cas et quel que soit leur statut de résidence refoulées vers un pays où leur vie serait mise en danger ou dans lequel elles pourraient être victimes de violence sexiste ou de torture ou de mauvais traitements;

iii)Instituer des garanties procédurales tenant compte de la situation particulière des femmes, afin que les demandeuses d’asile puissent présenter leurs arguments sur une base d’égalité et de non-discrimination. Faire en sorte, notamment : que les fonctionnaires qui conduisent les entretiens avec les demandeuses d’asile recourent à des techniques et à des procédures qui tiennent compte du sexe, de l’âge et d’autres motifs croisés de discrimination et de désavantage qui accentuent les violations des droits fondamentaux dont sont victimes les femmes réfugiées et demandeuses d’asile; que les demandeuses d’asile soient placées dans des conditions favorables lors de l’entretien afin qu’elles puissent rendre compte de leur situation, y compris d’informations sensibles et personnelles, notamment dans le cas de personnes qui ont survécu à des traumatismes, à la torture ou à de mauvais traitements et à des violences sexuelles, et qu’elles disposent de suffisamment de temps pour

témoigner; et que des mécanismes d’orientation vers une assistance psychosociale et d’autres services de soutien soient disponibles avant et après l’entretien;

iv)Veiller à ce que les demandes d’asile soient acceptées non pas à l’aune du critère de probabilité, mais à celui de l’éventualité raisonnable que la demandeuse a des craintes bien fondées d’être persécutée ou exposée à la persécution à son retour;

v)Veiller à ce que, chaque fois que nécessaire, les examinateurs utilisent tous les moyens dont ils disposent pour produire les éléments de preuve nécessaires en appui à la demande, y compris en cherchant à recueillir des informations auprès de sources gouvernementales ou non gouvernementales fiables sur la situation des droits de l’homme dans le pays d’origine;

vi)Faire en sorte qu’il soit tenu compte de la situation particulière des femmes dans l’interprétation de l’ensemble des motifs d’octroi de l’asile prévus par la loi; classer les demandes fondées sur l’appartenance sexuelle dans la catégorie de l’appartenance à un groupe social particulier si nécessaire; envisager d’ajouter dans la législation relative à l’asile les notions d’appartenance sexuelle ou de sexe ou le fait d’avoir un autre statut à la liste des motifs d’octroi du statut de réfugié;

vii)Adopter un système d’identification adapté pour les femmes demandeuses d’asile et réfugiées, qui ne soit pas fondé sur des préjugés et des conceptions stéréotypées de la femme;

viii)Veiller à ce que les policiers et les agents de l’immigration soient suffisamment formés, supervisés et surveillés afin qu’ils tiennent compte des spécificités liées à l’appartenance sexuelle et s’interdisent toute pratique discriminatoire dans leurs rapports avec les demandeuses d’asile et les réfugiées.

Conformément au paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole facultatif, l’État partie examinera dûment les constatations et les recommandations du Comité, auquel il soumettra, dans un délai de six mois, une réponse écrite, l’informant de toute action menée à la lumière de ses constatations et recommandations. L’État partie est également prié de publier les constatations et les recommandations du Comité et de les distribuer largement, de façon à ce qu’elles parviennent à tous les secteurs concernés de la société.