Annexe
Décision du Comité pour l’élimination de la discriminationà l’égard des femmes au titre du Protocole facultatifà la Convention sur l’élimination de toutes les formesde discrimination à l’égard des femmes(soixantième session)
concernant
* Les membres du Comité ci-après ont participé à l’examen de la présente communication : Ayse Feride Acar, Gladys Acosta Vargas, Magalys Arocha Dominguez, Barbara Bailey, Niklas Bruun, Louiza Chalal, Náela Gabr, Hilary Gbedemah, Nahla Haidar, Ruth Halperin-Kaddari, Yoko Hayashi, Lilian Hofmeister, Ismat Jahan, Dalia Leinarte, Lia Nadaraia, Pramila Patten, Silvia Pimentel, Biancamaria Pomeranzi et Patricia Schulz.
Communication no 51/2013 *
Présenté par : |
Y. W. (représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen) |
Victime présumée : |
L’auteur |
État partie : |
Danemark |
Date de la communic a tion : |
2 janvier 2013 (date de la lettre initiale) |
Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, institué en vertu de l’article 17 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,
Réuni le 2 mars 2015,
Adopte ce qui suit :
Décision sur la recevabilité
1.1L’auteur de la communication est Y. W., de nationalité chinoise, née en 1967. Elle a demandé l’asile au Danemark; sa demande a été rejetée et, au moment de la présentation de la communication, elle était en attente d’expulsion vers la Chine. Elle affirme que son expulsion constituerait une violation, par le Danemark, des articles 1 à 3, 12 et 15 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, lus conjointement avec la recommandation générale no 19 du Comité. L’auteur est représenté par un conseil, Niels-Erik Hansen. La Convention et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour le Danemark le 21 mai 1983 et le 22 décembre 2000, respectivement.
1.2Le 20 juin 2014, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Groupe de travail sur les communications présentées en vertu du Protocole facultatif, a décidé, en vertu de l’article 66 de son règlement intérieur, d’examiner la question de la recevabilité séparément de celle du fond.
Rappel des faits
2.1L’auteur affirme, sans donner de dates ni de détails, avoir fait l’objet de menaces de la part de malfrats en Chine, qui l’auraient violée, lui auraient infligé des brûlures en l’aspergeant d’huile bouillante et l’auraient obligée à se livrer à la prostitution. Son époux, joueur impénitent, aurait emprunté de l’argent à ces individus et elle aurait été contrainte de signer un document qui la désignait comme débitrice de ses dettes. L’auteur affirme qu’elle n’a pu solliciter la protection de la police en Chine car les autorités de ce pays ne considèrent pas la violence fondée sur le sexe comme un problème, s’appuyant dans ses dires sur les observations finales du Comité concernant le sixième rapport périodique de la Chine.
2.2La requérante affirme avoir fui la Chine avant 2006 et voyagé dans plusieurs pays sans indiquer les dates de son départ de Chine et de son arrivée au Danemark. Elle indique qu’elle a dû fuir la Chine et demander l’asile au Danemark pour échapper aux menaces de violence qu’elle ne cessait de subir et à la pression croissante qu’elle devait endurer dans son pays d’origine. Elle craint qu’à son retour en Chine ce même réseau de malfrats ne la retrouve et ne la tue pour se venger, ou qu’elle subisse viols et exploitation sexuelle jusqu’à ce qu’elle règle les dettes de son époux.
2.3Le 31 mai 2010, le Service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile déposée par l’auteur, l’estimant manifestement infondée au regard du paragraphe 2 de l’article 53 b) de la loi danoise sur les étrangers. L’auteur assure qu’aucun avocat ne lui a été assigné au cours de l’examen de son dossier et qu’elle n’a bénéficié d’aucune assistance judiciaire jusqu’à sa détention, en janvier 2010. C’est là ce qui explique qu’elle n’ait pas elle-même fait directement référence aux dispositions de la Convention dans ses demandes, même si la question de la violence fondée sur le sexe a bien été soulevée lors de l’examen du dossier. Aucune autre précision ne figure dans la demande de l’auteur.
2.4L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes puisque la décision du Service danois de l’immigration est devenue définitive et n’est plus susceptible d’appel ni devant la Commission de recours pour les réfugiés ni devant une autre instance judiciaire. Elle dit être toujours détenue dans un camp de réfugiés pour demandeurs d’asile en tant que « demandeur d’asile débouté », en attente d’expulsion.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur soutient que son expulsion vers la Chine constituerait une violation de ses droits au regard des articles 1 à 3, 12 et 15 de la Convention, lus conjointement avec la recommandation générale no 19 du Comité.
3.2L’auteur affirme avoir été victime de discrimination en tant que femme du fait du rejet de sa demande d’asile, sans qu’un droit de recours lui soit accordé, pour défaut manifeste de fondement puisqu’elle n’a pu avoir accès à la justice dans les mêmes conditions que les hommes. Elle précise que les femmes qui demandent l’asile ne peuvent bénéficier d’un procès équitable avec l’assistance d’un avocat et que le droit de recours dont elles disposent est restreint en comparaison avec les hommes. Elle considère comme fondée sur le sexe la pratique consistant à juger manifestement non étayées et non fondées les allégations émanant de femmes seules. Elle affirme par conséquent que le système judiciaire danois ne tient pas compte de la problématique hommes-femmes, comme le démontre le fait que les femmes seules sont comparativement plus nombreuses que les hommes à voir leur demande d’asile rejetée pour défaut manifeste de fondement et à être expulsées sans possibilité de recours. L’auteur fait valoir par conséquent que les droits qu’elle tire des articles 1à 3 et 15 de la Convention ont été violés par l’État partie.
3.3L’auteur affirme par ailleurs qu’en rejetant sa demande d’asile, l’État partie ne lui a pas accordé la protection qu’elle était en droit d’attendre et, en particulier, n’a pas pris toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes, lui garantir l’exercice et la jouissance des droits humains et des libertés fondamentales sur un pied d’égalité avec les hommes, et la protéger contre des actes de violence mettant en danger sa vie et sa santé, en violation des articles 1 à 3 et 12 de la Convention.
3.4L’auteur indique avoir subi des violences, avoir été contrainte à la prostitution et avoir été physiquement maltraitée au motif qu’elle était une femme. Elle se réfère à la recommandation générale no 19 du Comité, selon laquelle la violence fondée sur le sexe entre dans le champ d’application de la Convention. Elle affirme que, dans la mesure où la Convention s’applique à toutes les femmes présentes sur le territoire de l’État partie, elle est également applicable aux femmes des pays tiers qui demandent l’asile. Elle estime que l’État partie est tenu de protéger ces femmes contre la discrimination dont elles sont victimes dans leur pays d’origine et de les autoriser à rester sur le territoire national si besoin est. L’auteur se réfère également à la conclusion du Comité selon laquelle l’article 4 2) de la Convention impose aux États parties l’obligation positive de protéger efficacement le droit à la sécurité de la personne.
3.5L’auteur rappelle également que l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont tous deux une portée extraterritoriale. Elle demande par conséquent au Comité d’adopter des constatations en vue d’établir si l’État partie a l’obligation extraterritoriale positive de protéger efficacement le droit des femmes à la sécurité de la personne et, plus précisément, si l’expulsion susceptible de donner lieu à de nouveaux faits de viol et de prostitution forcée peut constituer une violation de la Convention.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Le 13 mai 2013, l’État partie a présenté ses observations concernant la recevabilité de l’affaire. Il fait observer que l’auteur est entrée au Danemark en novembre 2008, qu’elle a été arrêtée le 1er janvier 2010 et qu’elle est accusée de séjourner illégalement dans le pays depuis 2008. Il indique en outre que l’auteur a quitté la Chine parce qu’elle craignait d’être tuée par des individus appartenant au crime organisé, son ex-époux ayant contracté de lourdes dettes au jeu en son nom. Il affirme également que, le 2 janvier 2010, le Service danois de l’immigration a décidé de l’expulser du pays, conformément aux articles 52 b) et 34 de la loi danoise sur les étrangers. Le 3 janvier 2010, le tribunal d’instance de Copenhague a décidé que l’auteur devrait être maintenue en détention jusqu’au 15 janvier 2010. À l’audience, le conseil de l’auteur a déclaré que celle-ci sollicitait l’asile au Danemark. L’auteur a été libérée le 12 janvier 2010 et a déposé une demande d’asile le 11 février 2010, dans laquelle elle disait craindre pour sa vie dans l’hypothèse où elle serait renvoyée en Chine. Au cours d’un entretien mené par le Service danois de l’immigration le 29 avril 2010, l’auteur a affirmé qu’elle était recherchée par des usuriers, qui l’avaient menacée, l’avaient violée, lui avaient infligé des brûlures en l’aspergeant d’huile bouillante et l’avaient forcée à se prostituer. De plus, elle a indiqué n’avoir aucune famille en Chine et ne pas y être en mesure de gagner sa vie en raison de son manque d’instruction.
4.2L’État partie indique que, le 18 mai 2010, le Service danois de l’immigration a transmis la demande d’asile de l’auteur au Conseil danois pour les réfugiés, conformément au paragraphe 2 de l’article 53 b) de la loi sur les étrangers, car il estimait cette requête manifestement infondée. Le 26 mai 2010, le Conseil a approuvé cette opinion et conclu que le renvoi de l’auteur en Chine ne serait pas contraire à l’article 31 de cette loi. Dans une décision en date du 31 mai 2010, le Service danois de l’immigration a rejeté sa demande d’asile, déclarant que son conflit avec des membres du crime organisé ne pouvait justifier l’octroi du statut de réfugié dans la mesure où les actes commis à son encontre étaient des infractions pénales sans aucun rapport avec le droit d’asile et qu’elle pourrait solliciter la protection des autorités chinoises. Il a souligné qu’à sa connaissance, l’auteur n’avait jamais été membre d’un parti politique ni eu aucun différend avec les autorités chinoises. Il a donc jugé la demande manifestement infondée et décidé que l’auteur serait renvoyée en Chine si elle refusait de quitter le pays de son plein gré.
4.3L’État partie fournit des informations détaillées sur le fondement juridique des décisions prises en application de la loi sur les étrangers. En vertu des articles 7 et 31 de ladite loi, un étranger se verra délivrer un titre de séjour au Danemark s’il risque la peine de mort ou de subir des actes de torture ou une peine ou un traitement inhumain ou dégradant en cas de renvoi dans son pays d’origine ou dans un pays où il ne serait pas protégé contre un tel risque (non-refoulement). Les dispositions ci-dessus s’appliquent à tous les étrangers et doivent être mises en œuvre conformément aux obligations juridiques internationales du Danemark. Les décisions prises au titre de l’article 7 de la loi sur les étrangers sont prises par le Service danois de l’immigration et sont normalement susceptibles d’appel devant la Commission de recours pour les réfugiés, sauf si la demande est jugée manifestement infondée. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 53 b) de la loi précitée, une demande est considérée comme manifestement infondée si elle tombe sous le coup des critères énoncés aux alinéas i) à vi), en particulier lorsqu’il appert que les circonstances invoquées par le requérant ne peuvent de toute évidence donner lieu à la délivrance d’un permis de séjour au titre de l’article 7 de la loi. En cas de décision négative, le Service danois de l’immigration transmet le dossier au Conseil danois pour les réfugiés qui peut, soit souscrire à la décision et renvoyer l’affaire au Service de l’immigration, soit s’y opposer, auquel cas la décision fait automatiquement l’objet d’un appel devant la Commission de recours pour les réfugiés.
4.4L’État partie soutient que la communication doit être déclarée irrecevable au regard du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, car l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes. Il fait observer qu’en vertu de l’article 63 de la Constitution, les étrangers peuvent former un recours devant les tribunaux ordinaires, qui ont compétence pour se prononcer sur toutes les questions concernant l’étendue des attributions des autorités publiques. L’État partie considère donc qu’il est incorrect d’affirmer, comme le fait l’auteur, qu’elle n’a pas pu faire appel de la décision rendue dans son cas. Il fait par ailleurs observer à ce sujet que rien n’empêche les tribunaux d’autoriser qu’une procédure judiciaire concernant le bien-fondé d’une décision administrative puisse suspendre l’exécution d’une telle décision. L’État partie affirme en outre que, s’agissant de la question de savoir si une action en justice doit suspendre l’exécution de la décision contestée, il convient de mettre en balance, d’une part, l’intérêt général qui exige de ne pas retarder l’exécution de la décision et, d’autre part, la nature et l’ampleur du préjudice dont peut pâtir le requérant, tout en tenant compte de l’existence ou non, au vu d’une première évaluation, d’un fondement raisonnable justifiant la demande d’invalidation. L’État partie estime par conséquent que l’auteur a, en l’espèce, eu accès à un recours effectif. Il rappelle en outre que, selon la jurisprudence du Comité, l’auteur aurait dû présenter ses griefs sur le fond dans le cadre de la procédure interne au fond avant de les soumettre au Comité. L’État partie note que l’auteur n’a présenté aux autorités danoises aucun grief quant à l’existence d’une discrimination fondée sur le sexe, et que les autorités nationales n’ont donc à ce jour pas eu la possibilité d’examiner cette allégation. Il affirme que l’auteur aurait dû au moins invoquer les droits fondamentaux en cause visés dans la Convention devant les autorités nationales pour que la communication puisse être déclarée recevable.
4.5L’État partie fait en outre valoir que la communication devrait également être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif, car il estime que l’affirmation faisant état d’une discrimination à l’égard des femmes qui demandent l’asile au Danemark n’est à l’évidence pas suffisamment étayée.
4.6L’État partie estime aussi que la communication devrait être déclarée irrecevable ratione materiae et ratione loci au titre du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, car le Danemark n’est pas responsable au regard de la Convention pour les actes de violence fondée sur le sexe subis par l’auteur, en sorte que le renvoi de l’auteur en Chine ne saurait engager la responsabilité de l’État partie. Celui-ci relève que l’auteur recherche une application extraterritoriale des obligations prévues par la Convention. Or, il considère que les allégations de l’auteur faisant état de violation d’un droit inscrit dans la Convention concernent principalement la Chine, et non le Danemark. Il estime donc que le Comité n’a pas compétence pour examiner la violation invoquée en ce qui concerne le Danemark et que la communication est incompatible avec les dispositions de la Convention. L’État partie observe que, aux termes de l’article 2 du Protocole facultatif, les communications adressées au Comité peuvent être présentées par des personnes ou au nom des personnes victimes d’une violation, par un État partie, d’un des droits énoncés dans la Convention; par conséquent, il considère que le droit individuel de soumettre des communications est limité par une clause de compétence. Il estime donc que l’auteur ne peut présenter contre le Danemark qu’une communication concernant des violations qui auraient été commises par l’État partie et sous sa juridiction. L’État partie note que les allégations de violence fondée sur le sexe formulées par l’auteur ne portent pas sur des actes commis par des agents de l’État danois ou des particuliers relevant de la juridiction du Danemark, mais reposent en fait sur les conséquences auxquelles elle pourrait être exposée si elle était renvoyée en Chine. L’État partie insiste sur le fait que la décision de renvoyer l’intéressée en Chine ne peut engager sa responsabilité au regard des articles 1 à 3, 12 ou 15 de la Convention. Il fait en outre valoir que la notion de « juridiction » aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif doit être considérée dans son acception générale en droit international public, selon laquelle la compétence juridictionnelle d’un État partie est essentiellement territoriale. Selon l’État partie, seules des circonstances exceptionnelles peuvent faire que des actes commis sur le territoire d’un État partie et susceptibles de produire dans le territoire d’un autre État un effet indirect sur un droit consacré par la Convention engagent la responsabilité de cet autre État. Il affirme qu’il n’y a pas en l’espèce de circonstances de ce type qui justifieraient que le Danemark soit tenu responsable de violations de la Convention qui pourraient être commises en dehors de son territoire et de sa juridiction par un autre État partie. L’État partie pense qu’il n’existe aucune jurisprudence établissant que les dispositions concernées de la Convention ont une portée extraterritoriale.
4.7L’État partie estime que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme apporte un éclairage en la matière, en ce qu’elle a considéré que la Convention européenne pour la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) avait une portée extraterritoriale dans le contexte de son l’article 3, une norme impérative relative à la torture et au non-refoulement, mais que tel n’était pas le cas pour d’autres dispositions de ladite Convention au motif que, sur un plan purement pragmatique, on ne saurait exiger d’un État qui expulse un étranger qu’il ne le renvoie que vers un pays respectant et appliquant pleinement et effectivement tous les droits de l’homme. L’État partie, renvoyant en outre à la jurisprudence du Comité et du Comité des droits de l’homme, fait valoir que ce dernier n’a jamais examiné sur le fond un recours concernant l’expulsion d’un individu redoutant une violation d’un droit de « moindre importance » ou d’un droit auquel l’État de destination peut déroger. L’État partie renvoie également de manière spécifique aux dispositions pertinentes de la Convention contre la torture, ainsi qu’aux articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en faisant observer que ces dispositions avaient été interprétées comme offrant implicitement une protection contre l’expulsion à toute personne qui risque d’être condamnée à mort ou torturée ou qui est exposée à d’autres menaces graves pour sa vie et sa sécurité, tout en précisant qu’il ne considère pas que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes traite directement (ou indirectement) d’expulsions susceptibles d’aboutir à des actes de torture ou d’autres menaces graves pour la vie et la sécurité de la personne.
4.8L’État partie dit ne pas ignorer que, dans sa recommandation générale no 19, le Comité a insisté sur le fait que la violence fondée sur le sexe était une forme de discrimination pouvant compromettre ou empêcher la jouissance des droits individuels et des libertés fondamentales par les femmes, notamment le droit à la vie, le droit à la sécurité de la personne et le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il estime néanmoins qu’en tout état de cause, les États parties n’ont d’obligations qu’à l’égard des individus placés sous leur juridiction et ne peuvent être tenus responsables d’actes de discrimination commis sous la juridiction d’un autre État, et ce, même si l’auteur parvenait à établir qu’elle pourrait être victime en Chine d’une discrimination visée par la Convention, sous la forme d’actes de violence fondée sur le sexe. L’État partie se réfère à deux décisions rendues récemment par le Comité, dans lesquelles ce problème particulier de recevabilité n’a pas été examiné, les deux affaires ayant été déclarées irrecevables pour d’autres motifs. L’État partie partage par conséquent l’avis de l’auteur selon lequel il serait préférable que le Comité se prononce sur la question de l’extraterritorialité de la Convention. Il note toutefois que le renvoi de femmes venues au Danemark simplement pour échapper à un traitement discriminatoire dans leur propre pays, pour contestable que ce traitement puisse paraître, ne saurait constituer en soi une violation de la Convention par l’État partie. Il fait valoir que si l’on admettait le contraire, les États parties ne pourraient renvoyer des étrangers que vers des pays qui respectent pleinement et effectivement toutes les garanties des droits consacrés par la Convention, ce qu’il juge inacceptable.
4.9L’État partie fait également valoir que, dans sa communication au Comité, l’auteur n’a pas indiqué clairement sur quels droits précis consacrés par la Convention elle se fondait, se contentant de renvoyer aux articles 1 à 3, 12 et 15 de la Convention. Pour ces motifs, l’État partie estime que la communication, faute d’être suffisamment étayée, devrait aussi être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Le 22 juillet 2013, l’auteur a fourni de nouvelles informations sur d’autres violations de la Convention commises par l’État partie et est revenue sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité.
5.2L’auteur rappelle avoir été arrêtée en octobre 2012 et placée en détention dans l’attente de son expulsion. Le 26 février 2013, le tribunal d’instance a prolongé sa détention, malgré l’objection de son conseil, qui arguait qu’elle était incarcérée depuis plus de cinq mois et n’avait pas bénéficié du moindre traitement pour faire face aux séquelles de son traumatisme. Le 27 février 2013, l’auteur a saisi la Haute Cour de la région Est du Danemark, faisant valoir que son maintien en détention dans de telles conditions constituerait une violation de la Convention et/ou de la Convention contre la torture. Le 4 mars 2013, la Haute Cour a confirmé la décision du tribunal d’instance. L’auteur a déposé un recours auprès de la Cour suprême, qui l’a rejeté le 5 avril 2013. De ce fait, l’auteur affirme que tous les recours internes ont été épuisés en ce qui concerne le préjudice qu’elle a subi durant sa détention.
5.3L’auteur estime qu’en tant que victime d’actes de violence fondée sur le sexe, son incarcération dans une prison danoise pendant plusieurs mois, sans qu’elle puisse bénéficier d’un traitement pour faire face aux séquelles de son traumatisme, constitue une violation supplémentaire de la Convention par l’État partie. Elle considère que les États parties à la Convention doivent offrir des recours effectifs et rapidement accessibles aux victimes d’actes de violence fondée sur le sexe, ainsi que la possibilité de recevoir un traitement et de demander réparation. Elle concède que dans la mesure où les actes de violence fondée sur le sexe en cause ont eu lieu en Chine, les autorités danoises ne seraient en mesure de poursuivre leurs auteurs que s’ils pénétraient sur le territoire danois. Toutefois, elle estime que les autorités danoises ont eu un comportement qui jure avec l’obligation de réparer le préjudice subi. L’auteur fait valoir que ce problème n’a pas été soulevé devant le Comité dans sa communication initiale car elle n’avait pas encore épuisé les recours internes mais que, son appel devant la Cour suprême ayant été rejeté, cette nouvelle allégation devrait être rajoutée à sa communication. Elle estime que, puisqu’il s’agit de décisions concernant son traitement sur le territoire danois, de telles questions ne peuvent être jugées irrecevables même si l’argument de l’État partie selon lequel la Convention n’a pas de portée extraterritoriale est accepté par le Comité.
5.4L’auteur relève que les observations de l’État partie se limitent à la question de la recevabilité et que rien n’a été dit quant au fond de l’affaire. Elle constate néanmoins que l’État partie mentionne les « faits de la cause », en se référant aux conclusions du Service de l’immigration selon lesquelles le différend qu’elle a avec des membres du crime organisé en Chine ne saurait justifier l’octroi de l’asile, ces actes constituant des infractions pénales sans rapport avec le droit d’asile.
5.5L’auteur partage l’avis de l’État partie sur le fait que les demandes d’asile doivent pouvoir faire l’objet d’un recours devant les juridictions nationales, mais affirme qu’il n’en est rien et soutient que le droit constitutionnel de former un recours ne s’applique pas aux demandeurs d’asile dans la mesure où, à ses yeux, les décisions du Conseil danois pour les réfugiés ne peuvent être attaquées devant les tribunaux. L’auteur affirme qu’il en va de même pour les demandeurs d’asile dont le dossier a été rejeté pour défaut manifeste de fondement. Elle affirme en outre qu’il n’existe pas de précédent ni de doctrine à l’appui de l’opinion selon laquelle un demandeur d’asile peut faire appel devant les juridictions danoises d’une décision de rejet pour « défaut manifeste de fondement ». L’auteur conteste en outre la déclaration selon laquelle les tribunaux danois ont la capacité réelle et effective de suspendre un arrêté d’expulsion, et soutient qu’au regard de la jurisprudence nationale actuelle, les tribunaux ne peuvent suspendre une telle mesure qu’à titre exceptionnel. L’auteur s’inscrit par conséquent en faux contre l’observation de l’État partie selon laquelle il existe un recours « réel et effectif » ouvert aux demandeurs d’asile dans sa situation.
5.6L’auteur de la communication reconnaît ne pas avoir cité les dispositions de la Convention applicables en la matière, mais affirme avoir fait état des actes de violence fondée sur le sexe, tels que le viol et la prostitution forcée. En outre, sa requête ayant été déclarée manifestement infondée, elle n’a pu bénéficier de l’assistance d’un avocat qui aurait été en mesure d’invoquer les dispositions pertinentes. Aussi considère-t-elle que la référence à la communication no 8/2005 n’a pas raison d’être en l’espèce, étant donné que, dans l’affaire citée, le requérant était assisté d’un conseil qui aurait pu soulever la question comme il se devait. L’auteur insiste sur le fait qu’elle a été interrogée par le Service de l’immigration le 29 avril 2010 sans l’assistance d’un avocat et considère par conséquent qu’il est inacceptable d’assujettir la recevabilité de sa communication à la mention des dispositions pertinentes de la Convention. Elle fait valoir qu’il incombait aux autorités danoises de déterminer que les actes de violence fondée sur le sexe qu’elle avait subis avaient un lien avec la Convention et de traiter sa demande d’asile en conséquence. Elle affirme en outre que son cas est comparable à celui des victimes de traite et aurait dû faire l’objet d’un traitement similaire. Elle estime dès lors que sa communication est conforme aux prescriptions du Protocole facultatif et doit être déclarée recevable.
5.7L’auteur note que, dans ses observations, l’État partie allègue que la référence qu’elle fait à une affaire similaire examinée par le Comité des droits de l’homme ne démontre pas l’existence d’une discrimination à l’égard des femmes qui demandent l’asile. Elle explique qu’elle a évoqué cette affaire parce qu’elle concernait elle aussi une femme qui demandait l’asile et qui n’avait pas été traitée sur le même pied d’égalité que des hommes se trouvant dans une situation similaire. L’auteur explique que l’affaire en question avait, là encore, été jugée manifestement infondée et que ce n’était qu’après que la communication eut été transmise au Comité des droits de l’homme que les autorités danoises ont rouvert le dossier, fourni un avocat à l’auteur et autorisé le transfert du dossier à la Commission de recours pour les réfugiés, qui lui a finalement accordé l’asile. À son avis, cela démontre très clairement l’importance que revêtent le droit de faire appel des décisions de justice et le droit de se faire assister par un avocat.
5.8L’auteur admet que, d’un point de vue statistique, une seule affaire ne peut être considérée suffisante pour prouver l’existence d’une discrimination fondée sur le sexe. Elle appelle l’attention sur plusieurs autres affaires comme autant de preuves supplémentaires à l’appui de son allégation. L’auteur signale que les communications nos 33/2011 (M. N. N. c. Danemark)et 40/2012 (M. S. c. Danemark) adressées au Comité avaient également été considérées dans un premier temps comme des demandes d’asile manifestement infondées. Cela montre que les questions relatives à l’égalité entre les sexes sont traitées avec moins de sérieux que les « questions qui concernent les hommes », comme la répression politique. De plus, l’auteur affirme que seules les autorités danoises seraient en mesure de fournir des statistiques, ventilées par sexe, sur le nombre de demandeurs d’asile qui voient leur demande rejetée pour défaut manifeste de fondement.
5.9L’auteur considère comme troublant le fait que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à voir leur demande d’asile rejetée alors que leurs motivations sont similaires, et cite ici plusieurs dossiers où des hommes demandeurs d’asile ont été représentés par son conseil. Elle affirme donc avoir subi une discrimination en tant que femme en ce qui concerne son droit à un procès équitable et à des recours effectifs, s’estimant lésée par rapport aux hommes demandeurs d’asile en situation comparable. De ce fait, elle considère que sa communication est suffisamment étayée et devrait être déclarée recevable.
Observations additionnelles de l’État partie concernant la recevabilité
6.1Le 13 septembre 2013, l’État partie a présenté des observations supplémentaires sur la recevabilité.
6.2L’État partie relève une nouvelle fois que l’auteur cherche à obtenir une application extraterritoriale des obligations issues de la Convention. Il rappelle que, dans sa décision concernant la communication no 33/2011 (M. N. N. c. Danemark), le Comité a formulé des observations d’ordre général sur la portée extraterritoriale de la Convention sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Aux paragraphes 8.7 et 8.8 de cette décision, le Comité a évoqué le principe de non-refoulement et fait référence à la recommandation générale no 19, dans laquelle il est dit que la violence fondée sur le sexe, qui empêche partiellement ou totalement les femmes de jouir des droits humains et des libertés fondamentales en vertu du droit international général ou d’autres instruments relatifs aux droits de l’homme, constitue une discrimination au sens de l’article 1 de la Convention. L’État partie attire l’attention sur la déclaration faite par le Comité au paragraphe 8.10 de ladite décision en ce qui concerne les obligations positives des États parties au regard de l’article 2 d) de la Convention. Dans ce paragraphe, le Comité rappelle que, en vertu de l’article 2 d) de la Convention, les États sont tenus de protéger les femmes contre l’exposition à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence fondée sur le sexe, que de telles conséquences aient lieu ou non dans les limites territoriales de l’État partie d’envoi : si un État partie prend une décision concernant une personne qui se trouve dans sa juridiction et que la conséquence nécessaire et prévisible est que les droits de cette personne au titre de la Convention seront violés dans une autre juridiction, il se peut qu’il y ait violation de la Convention par cet État partie lui-même. Au vu de cette décision, l’État partie conclut que la Convention n’a de portée extraterritoriale que lorsque les femmes que l’on entend expulser courent un risque réel, personnel et prévisible d’être victime de formes graves de violence fondée sur le sexe, avec une condition supplémentaire, à savoir que la conséquence nécessaire et prévisible est que les droits de l’individu au titre de la Convention seront violés dans une autre juridiction. L’État partie affirme qu’à ses yeux cela signifie que les actes des États parties qui peuvent produire dans d’autres pays un effet indirect sur les droits consacrés par la Convention ne peuvent engager la responsabilité de l’État partie (avoir une portée extraterritoriale) que dans des circonstances exceptionnelles, dans le cas où le refoulement d’une personne l’expose au risque de perdre la vie ou de subir des tortures ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
6.3L’État partie rappelle que l’auteur affirme avoir été violée, brûlée par aspersion d’huile bouillante et contrainte à se prostituer par des malfrats en Chine. Il fait toutefois valoir qu’aucun commencement de preuve ne vient appuyer ces allégations. De l’avis de l’État partie, l’auteur n’a pas suffisamment étayé son affirmation selon laquelle son renvoi en Chine l’exposerait à un risque réel, personnel et prévisible d’être victime de graves violences fondées sur le sexe.
6.4L’État partie fait en outre valoir que les allégations de l’auteur sont également irrecevables au motif qu’elles sont incompatibles avec le paragraphe 2 b) de l’article 4 du Protocole facultatif. Il affirme que les obligations positives découlant de l’article 2 d) de la Convention n’incluent pas l’obligation pour les État parties de ne pas expulser une personne qui risque de se voir infliger une douleur ou des souffrances par un particulier, sans le consentement exprès ou tacite de l’État concerné. Selon l’État partie, cette limitation a été mise en place par le Comité contre la torture lorsqu’il a conclu que la question de savoir si un État partie a l’obligation de ne pas procéder à une telle expulsion était en dehors du champ d’application de l’article 3 de la Convention contre la torture.
6.5L’État partie invoque la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, selon laquelle un État partie ne peut être tenu responsable des actes commis à l’encontre d’une personne qu’il a expulsée vers son pays d’origine que si l’intéressé parvient à démontrer que les autorités de l’État de destination ne sont pas en mesure de parer le risque couru en fournissant une protection appropriée.
6.6L’État partie fait observer par ailleurs que l’auteur renvoie aux observations finales du Comité concernant la situation générale qui prévaut en Chine. Or, ces observations remontent au mois d’août 2006 et ne décrivent pas la situation actuelle. De plus, l’auteur n’a fourni aucun commencement de preuve indiquant que les autorités chinoises ne seraient pas en mesure de lui offrir une protection appropriée. L’État partie rappelle que, lors de son entretien avec le Service danois de l’immigration, le 29 avril 2010, l’intéressée a explicitement déclaré n’avoir jamais contacté la police ni d’autres autorités chinoises pour obtenir de l’aide.
6.7En conséquence, l’État partie soutient que, pour les raisons exposées aux points 4.1 à 4.6 ci-dessus, la communication devrait être déclarée irrecevable. De plus, conformément à l’article 66 du règlement intérieur du Comité, l’État partie demande au Comité d’examiner la question de la recevabilité de la communication séparément de celle du fond.
Nouveaux commentaires de l’auteur
7.1Le 18 novembre 2013, l’auteur a déclaré rejeter l’affirmation de l’État partie selon laquelle aucun commencement de preuve ne vient appuyer ses allégations. Elle rappelle avoir informé les autorités danoises que ses assaillants l’avaient menacée, l’avaient violée, lui avaient infligé des brûlures en l’aspergeant d’huile bouillante et avaient exigé qu’elle se prostitue. Elle rappelle aussi que le Service danois de l’immigration lui avait répondu que même s’il acceptait ses déclarations concernant ses différends avec des usuriers, il estimait que ce type de litige ne saurait justifier l’octroi de l’asile. L’auteur estime donc que le Service de l’immigration considère ces événements comme des faits, bien que l’État partie estime qu’ils ne sont pas pertinents et qu’ils ne justifient pas l’octroi de l’asile. Elle insiste sur le fait que ses souffrances reposent sur des données factuelles et non sur de simples allégations, soulignant que le terme « allégué » est associé à une notion de doute. Elle fait valoir que ce terme a été, soit mal compris, soit mal utilisé par l’État partie.
7.2L’auteur affirme également avoir démontré de manière incontestable que si elle était renvoyée en Chine, elle serait exposée à un risque réel, personnel et prévisible d’être victime de graves violences fondées sur le sexe, dans la mesure où elle a déjà subi de telles violences par le passé. Elle soutient que ses propres déclarations et les traces de brûlures, causées par l’aspersion d’huile bouillante, qu’elle présente sur sa tête constituent bel et bien un commencement de preuve. Elle considère donc que la communication ne peut être déclarée irrecevable pour ce motif.
7.3L’auteur fait valoir que son affirmation selon laquelle les autorités chinoises ne sont pas en mesure de parer le risque qu’elle encourt en lui assurant une protection appropriée est suffisamment étayée pour que sa communication puisse être jugée recevable, étant donné que les informations qu’elle a fournies éclairent parfaitement la situation qui était la sienne en Chine lorsqu’elle a été agressée et expliquent sa décision de ne pas contacter la police chinoise. Par ailleurs, elle dit n’avoir jamais prétendu que les renseignements figurant dans les observations finales de 2006 du Comité seraient toujours valables à l’heure actuelle − elle craint au contraire que la situation soit pire. Toutefois, elle soutient qu’ils pourraient être pris en compte dans le cadre de l’examen de l’affaire sur le fond et se déclare totalement disposée à fournir toutes informations utiles lorsque l’affaire parviendra à ce stade. Elle précise qu’au moment où elle a fait cette déclaration, elle avait cependant toutes les raisons de ne pas tenter d’entrer en contact avec la police chinoise et de chercher une protection ailleurs. Elle fait en outre observer que les hommes demandeurs d’asile mentionnés plus haut ont été autorisés à former un recours alors même qu’ils n’avaient jamais sollicité la protection de la police chinoise contre des usuriers. L’auteur considère par conséquent que sa communication est compatible avec les dispositions de la Convention et devrait être déclarée recevable.
7.4Le 2 janvier 2014, l’auteur a indiqué que son conseil avait une nouvelle fois représenté un demandeur d’asile chinois devant le Conseil danois pour les réfugiés; il s’agissait d’un homme qui craignait des actes de violence pour une dette contractée auprès des usuriers. La demande de cet homme a été rejetée, mais certains membres du Conseil ont déclaré qu’ils lui accorderaient l’asile dans la mesure où il avait quitté la Chine de manière illégale. Selon l’auteur, cette affaire prouve qu’elle a été victime d’une discrimination fondée sur le sexe en matière d’accès à la justice. Elle ajoute que, si elle avait été autorisée à former un recours dans les mêmes conditions que les hommes, elle aurait pu faire valoir sa crainte d’être persécutée par les autorités chinoises pour avoir quitté le pays de manière illégale. Indépendamment du fait que cet argument eût ou non pu aboutir à l’octroi de l’asile, l’auteur affirme que son droit à l’égalité de traitement n’a pas été respecté, en ce sens que les hommes se trouvant dans une situation similaire ont été plus nombreux à pouvoir former un recours. Elle a donc subi une discrimination en tant que femme puisqu’elle n’y a pas été autorisée, contrairement à d’autres demandeurs d’asile de sexe masculin, qui disaient également craindre d’être persécutés par des usuriers. L’auteur ajoute qu’elle n’a trouvé aucun début de réponse sur ce point dans les observations de l’État partie.
7.5L’auteur signale en outre que, en 2013, son conseil a représenté cinq ressortissants chinois dont les demandes d’asile ont été rejetées par le Service de l’immigration et qui ont été autorisés à former un recours. Elle affirme qu’en ce qui concerne son droit à un procès équitable et à des recours effectifs, elle a été victime d’une discrimination fondée sur le sexe par rapport à des demandeurs d’asile de sexe masculin se trouvant dans la même situation. Elle considère donc que sa communication est suffisamment étayée et doit être déclarée recevable au titre de l’article 4 2) du Protocole facultatif.
Délibérations du Comité concernant la recevabilité
8.1Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit décider si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.
8.2Le Comité prend note des affirmations de l’auteur selon lesquelles son expulsion vers la Chine constituerait une violation par le Danemark des articles 1à 3, 12 et 15 de la Convention. Il prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable ratione loci et ratione materiae en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, du fait que le Danemark n’a d’obligations en vertu de la Convention qu’à l’égard des individus placés sous sa juridiction et qu’il ne saurait être tenu responsable de violations de la Convention telles que des actes de violence fondée sur le sexe, qui pourraient être commises dans un autre État, en dehors de la juridiction et du territoire danois. Le Comité relève en outre que l’État partie se réfère à la notion de « juridiction » en droit public international, faisant valoir que la Convention n’a pas de portée extraterritoriale et que, contrairement à d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, elle ne traite ni directement ni indirectement de l’expulsion susceptible d’entraîner des actes de torture ou d’autres menaces graves pour la vie et la sécurité de la personne.
8.3La première question que doit examiner le Comité est donc celle de savoir s’il a compétence au regard de la Convention pour examiner la présente communication, qui a pour objet l’expulsion de l’auteur du Danemark à destination de la Chine, où elle affirme qu’elle serait exposée à un risque de violence fondée sur le sexe, traitement interdit par la Convention. Le Comité doit déterminer si, en cas d’expulsion de l’auteur vers la Chine, la responsabilité de l’État partie serait engagée au regard de la Convention par rapport aux conséquences de cette expulsion, bien que ces conséquences se produiraient en dehors de son territoire.
8.4Le Comité rappelle qu’il a souligné dans sa recommandation générale no 28 concernant les obligations fondamentales des États parties au titre de l’article 2 de la Convention que les obligations des États parties s’appliquaient sans discrimination aux citoyens et aux non-citoyens, y compris les réfugiés, les demandeurs d’asile, les travailleurs migrants et les apatrides, qui se trouvent sur leur territoire ou qui, sans y être, sont placés sous leur juridiction effective. Le Comité a indiqué que les États parties sont responsables de tous leurs actes ayant une incidence sur les droits de l’homme, que les personnes touchées soient ou non présentes sur leur territoire.
8.5Le Comité rappelle que la discrimination à l’égard des femmes est définie à l’article 1 de la Convention comme toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel, civil ou dans tout autre domaine. Le Comité rappelle en outre sa recommandation générale no 19, qui a précisé clairement que la violence à l’égard des femmes faisait partie de la discrimination à leur égard en ce sens que la violence fondée sur le sexe était une forme de discrimination et englobait les actes qui infligeaient des tourments ou des souffrances d’ordre physique, mental ou sexuel, la menace de tels actes, la contrainte ou d’autres privations de liberté. En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel, contrairement à d’autres instruments relatifs aux droits de l’homme, la Convention ne traite ni directement ni indirectement de l’élimination de la torture ou autres menaces graves pour la vie et la sécurité de la personne, le Comité rappelle que, dans la même recommandation, il affirme également qu’une telle violence fondée sur le sexe limite ou supprime la jouissance des droits individuels et des libertés fondamentales par les femmes, dont le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le droit à la liberté et à la sécurité de la personne et le droit à l’égalité de protection de la loi.
8.6Le Comité note en outre que, en vertu du droit international des droits de l’homme, le principe de non-refoulement impose aux États l’obligation de ne pas renvoyer une personne vers une juridiction dans laquelle elle risque d’être soumise à des violations graves des droits de l’homme, notamment la privation arbitraire de la vie ou la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le principe de non-refoulement constitue aussi une composante essentielle du droit d’asile et de la protection internationale des réfugiés. L’essence de ce principe est qu’un État ne peut obliger une personne à regagner un territoire où elle peut être exposée à la persécution, y compris à des formes et des motifs de persécution liés au sexe. Les formes de persécution liées au sexe sont des formes de persécution dirigées contre une femme parce qu’elle est une femme ou qui affectent les femmes de manière disproportionnée.
8.7En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel rien, dans la jurisprudence du Comité, n’indique qu’une disposition de la Convention puisse avoir un effet extraterritorial, le Comité rappelle que, en vertu de l’article 2 d) de la Convention, les États parties s’engagent à s’abstenir de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes et à faire en sorte que les autorités publiques se conforment à cette obligation. Cette obligation positive inclut l’obligation, pour les États parties, de protéger les femmes contre l’exposition à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence fondée sur le sexe, indépendamment du fait que ces conséquences sont subies ou non dans les limites territoriales de l’État partie d’envoi : si un État partie prend une décision concernant une personne qui se trouve sous sa juridiction et que la conséquence nécessaire et prévisible est que les droits de cette personne au titre de la Convention seront violés dans une autre juridiction, l’État partie lui-même pourrait ainsi être coupable de violation de la Convention. Par exemple, un État partie serait lui-même coupable de violation de la Convention s’il renvoyait une personne dans un autre État dans des circonstances où il est prévisible qu’elle sera soumise à des actes de violence fondée sur le sexe. La prévisibilité de la conséquence ferait qu’il y aurait à ce moment-là violation de la part de l’État partie, même si la conséquence ne se produisait qu’ultérieurement. La question de savoir quels actes constituent des formes graves de violence fondée sur le sexe dépendra des circonstances de l’espèce et devra être tranchée au cas par cas par le Comité au stade de l’examen au fond, à condition que l’auteur ait démontré devant le Comité le bien-fondé à première vue de ses allégations en les étayant suffisamment.
8.8Le Comité prend note des déclarations de l’auteur qui dit craindre des actes de violence fondée sur le sexe de la part de membres du crime organisé si elle devait être renvoyée en Chine et qui affirme que les autorités chinoises ne la protégeraient pas contre de tels actes. Le Comité relève également que les autorités de l’État partie ont rejeté son affirmation selon laquelle les autorités chinoises ne seraient pas disposées à la mettre à l’abri des agressions auxquelles elle se dit exposée de la part des usuriers ou ne pourraient pas le faire, dans la mesure où elle n’avait jamais tenté d’obtenir une quelconque protection en Chine. Le Comité constate que, tout en contestant les conclusions factuelles des autorités de l’État partie, l’auteur n’a jamais tenté de demander la protection des autorités chinoises et n’a pas apporté le moindre début de preuve quant à la question de savoir si les autorités chinoises auraient été ou non capables de la protéger des exactions que pourraient lui faire subir des membres des organisations criminelles ou disposées à le faire.
8.9Le Comité prend note en outre de l’argument de l’auteur selon lequel elle est victime d’une discrimination fondée sur le sexe en ce qui concerne le droit d’accès à la justice au motif que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à se voir refuser l’asile par les autorités de l’État partie pour « défaut manifeste de fondement ». Il prend également note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle, en tant que victime de violences fondées sur le sexe, son incarcération durant plusieurs mois dans une prison danoise sans qu’elle ait pu bénéficier d’un traitement pour faire face aux séquelles du traumatisme dont elle souffrait constitue une violation de la Convention par l’État partie et que celui-ci est tenu d’offrir des recours effectifs et rapidement accessibles aux victimes d’actes de violence fondée sur le sexe, ainsi que la possibilité d’obtenir un traitement approprié et de demander réparation. Le Comité rappelle qu’ainsi que cela est indiqué dans sa récente recommandation générale no 32 sur les femmes et les situations de réfugiés, d’asile, de nationalité et d’apatridie, les articles 1 à 3, 5 a) et 15 de la Convention font obligation aux États parties de veiller à ce que les femmes ne subissent pas de discrimination tout au long de la procédure de demande d’asile, c’est-à-dire dès leur arrivée aux frontières. Les droits des femmes qui demandent l’asile, tels que définis dans la Convention, doivent être respectés; elles doivent être traitées loin de toute discrimination et avec respect et dignité tout au long de la procédure d’octroi de l’asile (par. 24). Le Comité rappelle en outre que, à chaque étape de la procédure d’octroi de l’asile, il doit être tenu compte de la situation particulière des femmes et que celles d’entre elles dont les demandes d’asile sont rejetées devraient pouvoir rentrer dans leur pays d’origine sans discrimination et en toute dignité (par. 24 et 25). Le Comité note enfin que l’auteur, qui est représentée par un conseil, ne l’a pas informé de l’endroit où elle se trouve et ne lui a pas fait savoir si elle a été ou non expulsée en Chine. Dans ces circonstances et en l’absence de toute autre information pertinente dans le dossier, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, son affirmation selon laquelle son renvoi du Danemark en Chine l’exposerait à un risque réel personnel et prévisible d’être soumise à une forme grave de violence fondée sur le sexe. Le Comité note qu’en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif, il est tenu de déclarer une communication irrecevable lorsqu’elle n’a pas été suffisamment étayée. En conséquence, le Comité conclut que la présente communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif.
9.En conséquence, le Comité décide :
a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.