Communication présentée par :

N. P. (non représentée par un conseil)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Ukraine

Date de la communication :

24 juin 2015 (date de la lettre initiale)

Références  :

Communiquée à l’État partie le 17 septembre 2015

Date de la décision :

6 novembre 2017

1.L’auteure de la communication est N. P., de nationalité ukrainienne, née en 1970. Elle affirme que l’Ukraine a violé les droits qu’elle tient des articles 2 c), d), et e), 11 1) a), 15 2) et 24 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, pour les raisons suivantes : elle a été licenciée du poste qu’elle occupait dans un hôpital public pour des motifs prétendument discriminatoires, elle n’a pas bénéficié du principe de l’égalité de traitement devant les juridictions nationales et l’État partie n’a pas protégé efficacement ses droits. Le Protocole facultatif à la Convention est entré en vigueur en Ukraine le 26 décembre 2003. L’auteure n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Entre 1997 et 2000, l’auteure a travaillé comme obstétricienne-gynécologue à l’hôpital public d’Ichnya, dans la région de Chernihiv (Ukraine). Au cours de cette période, on lui a confié la direction du département de planification familiale de l’hôpital sans lui verser de rémunération à la hauteur de ses fonctions. Le 12 décembre 1999, l’auteure a reçu un blâme au motif qu’elle n’avait pas examiné un groupe de patientes et qu’elle avait délégué ses fonctions à un membre du personnel peu expérimenté. Le 22 décembre 1999, elle a reçu un autre blâme pour négligence lors de l’examen d’une femme enceinte. Les deux sanctions disciplinaires concernaient son travail au sein du département de planification familiale. On lui a demandé d’améliorer la qualité des services rendus par le département avant la fin de l’année. Le 27 décembre 1999, en réponse aux blâmes, l’auteure a informé le chef de l’hôpital qu’elle refusait d’exercer les fonctions de responsable du département, en faisant valoir qu’elle les avait exercées bénévolement. Le 29 décembre 1999, une évaluation interne a montré que les services du département ne s’étaient pas améliorés. Le 21 janvier 2000, l’auteure a été congédiée de son poste d’obstétricienne-gynécologue pour manquement systématique à ses obligations professionnelles.

2.2En janvier 2000, l’auteure a contesté son licenciement devant le Tribunal de district d’Ichnya en soutenant que, comme les obligations auxquelles elle avait manqué étaient de nature bénévole et ne relevaient pas de ses responsabilités professionnelles, elle n’aurait pas dû faire l’objet de sanctions disciplinaires, tels qu’un licenciement. Le Tribunal de district a rejeté sa demande par une décision du 17 mai 2000. Le 27 juin 2000, le Tribunal régional de Chernihiv a annulé cette décision en appel, après avoir signalé des vices dans l’établissement des circonstances factuelles et juridiques de l’affaire. Il a fait en particulier valoir que le tribunal de première instance devait encore établir si les sanctions disciplinaires appliquées à l’auteure avant son licenciement avaient été licites et justifiées, et si celle‑ci avait commis par la suite une nouvelle faute disciplinaire justifiant son renvoi. La juridiction d’appel a en outre demandé au tribunal de première instance d’examiner comme il se devait l’argument de l’auteure selon lequel l’hôpital ne pouvait la renvoyer, en sa qualité de jeune spécialiste, sans avoir obtenu à cet effet l’approbation préalable de l’organisme gouvernemental compétent. L’affaire a été renvoyée devant le Tribunal de district pour nouvel examen. Au cours de ce dernier, le Tribunal de district s’est conformé aux instructions données par le Tribunal régional. Le 26 février 2001, à la suite de ce nouvel examen, le Tribunal de district a rejeté l’affaire, estimant que l’auteure avait systématiquement manqué à ses obligations professionnelles et que son licenciement pour ces motifs était justifié. L’auteure a à nouveau interjeté appel devant le Tribunal régional de Chernihiv, en invoquant les mêmes arguments que ceux qu’elle avait présentés devant le Tribunal de district. Le 17 avril 2001, le Tribunal régional a rejeté l’appel. L’auteure a déposé une demande de contrôle juridictionnel des décisions susmentionnées. Le 7 mai 2001, le Tribunal régional, agissant en qualité d’organe de contrôle juridictionnel, a confirmé les décisions prises.

2.3Entre 2001 et 2010, l’auteure a déposé de nombreuses demandes auprès de la Cour suprême pour rouvrir la procédure relative à son conflit de travail et obtenir un réexamen de l’affaire pour des motifs exceptionnels. Selon l’auteure, certaines de ses demandes n’ont même pas été enregistrées par la Cour suprême et d’autres lui ont été renvoyées pour des raisons procédurales ou rejetées par des décisions. Ilressort des documents soumis par l’auteure que ces décisions ont été adoptées le 11 novembre 2005, le 13 février, le 9 avril, le 20 juillet et le 9 novembre 2009, et le 11 mars, le 21 mai et le 16 juillet 2010. Le 7 août et le 25 octobre 2010, l’auteure a soumis deux autres demandes de réouverture de la procédure pour des motifs exceptionnels auprès de la Cour suprême. Le 24 novembre 2011, la Cour suprême a rejeté les demandes au motif qu’elles n’étaient pas fondées.

2.4Le 30 juin 2012, l’auteure a déposé une requête administrative devant le Tribunal administratif de circuit de Kiev en faisant valoir que la Cour suprême était sortie du cadre de ses compétences lors de l’examen de sa demande du 25 octobre 2010. Le 8 août 2012, le Tribunal administratif a rejeté la plainte, en soutenant qu’il n’avait pas la compétence juridique pour contester la décision de la Cour suprême du 24 novembre 2011 et que l’affaire ne pouvait pas faire l’objet d’une procédure administrative. Le10 octobre 2012 et le 20 mars 2014, la décision du Tribunal administratif a été confirmée par la Cour administrative d’appel de Kiev et par la Cour administrative suprême d’Ukraine, respectivement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’État partie a violé les droits qui lui sont conférés au titre des articles 2 c), d) et e), 11 1) a), 15 2) et 24 de la Convention.

3.2Elle soutient en particulier que son licenciement de l’hôpital public reposait sur des motifs discriminatoires et était en réalité dû au fait qu’elle était en conflit avec des collègues et refusait d’avoir des relations sexuelles avec le directeur de l’hôpital. L’État partie, de son côté, ne l’a ni protégée de cette discrimination sexiste, ni réintégrée dans ses fonctions, dans le respect de ses droits du travail. Elle affirme ne pas avoir bénéficié d’un traitement égal tout au long des procédures menées devant les juridictions nationales : lors de l’examen de son conflit de travail, celles‑ci ont privilégié les arguments et les preuves falsifiées présentés par le défendeur, représenté par le directeur de l’hôpital, à savoir un homme, et pratiqué ainsi une discrimination envers elle en tant que femme ; les juridictions administratives ont rejeté illégalement sa requête à l’encontre de la Cour suprême et ne l’ont donc pas protégée de la discrimination.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.Dans ses observations du 29 mars 2016, l’État partie considère que la communication présentée par l’auteure au titre de la Convention est irrecevable. Les circonstances factuelles de l’affaire ne révèlent aucune discrimination à l’égard des femmes, et les allégations de l’auteure quant à la violation de ses droits ne sont corroborées par aucun élément de preuve. De plus, les faits présentés par l’auteure remontent à 2000, alors que le Protocole facultatif à la Convention est entré en vigueur dans l’État partie en 2003. L’État partie considère donc que la communication de l’auteure est irrecevable ratione temporis.

Commentaires de l’auteure relatifs aux observations de l’État partie sur la recevabilité

5.Dans ses commentaires du 21 avril 2016, l’auteure réitère ses griefs et affirme que les violations des droits qui lui sont conférés par la Convention persistent, ce qui signifie que le critère de compétence ratione temporis invoqué par l’État partie devrait être considéré comme irrecevable.

Délibérations du Comité concernant la recevabilité

6.1Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit décider si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif. Conformément à l’article 66, le Comité peut décider d’examiner séparément la question de la recevabilité d’une communication et la communication elle-même quant au fond. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà fait l’objet ou ne faisait pas l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité note que la plainte de l’auteure comporte deux éléments principaux. En premier lieu, l’auteure conteste son licenciement de l’hôpital public, en soutenant qu’il repose sur une discrimination sexiste, et l’incapacité des juridictions nationales à protéger efficacement ses droits en la réintégrant à son poste. En deuxième lieu, elle soutient qu’elle a été victime de discrimination par les juridictions nationales tout au long des procédures, notamment celles relatives à ses demandes de réexamen de l’affaire au vu de la découverte de circonstances exceptionnelles et celles engagées devant les juridictions administratives.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la plainte en question est irrecevable ratione temporis. Conformément à l’article 4 2) e) du Protocole facultatif à la Convention, le Comité déclare une communication irrecevable lorsque les faits qui en font l’objet sont survenus avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif dans l’État partie concerné, à moins qu’ils ne se poursuivent après cette date. Le Comité note que les faits relatifs au licenciement de l’auteure et au conflit de travail qui a suivi sont antérieurs à la ratification par l’Ukraine du Protocole facultatif. Sur la base des documents figurant dans le dossier, le Comité note que l’examen le plus récent de l’affaire relative au conflit de travail de l’auteure a été effectué par le Tribunal régional de Chernihiv le 7 mai 2001, alors que le Protocole facultatif est entré en vigueur dans l’État partie le 26 décembre 2003. Dans sa communication, l’auteure n’a pas indiqué quels faits de discrimination avaient continué de se produire après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif ou quels motifs exceptionnels devaient examiner les juridictions nationales pour justifier la réouverture de la procédure en l’espèce. Le Comité conclut donc que les violations alléguées ont été commises avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif dans l’État partie, Protocole qui ne peut être appliqué rétroactivement, et qu’en conséquence, conformément au paragraphe 2 e) de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité est empêché ratione temporis d’examiner la présente communication.

7.Par conséquent, le Comité décide que :

a)La communication est irrecevable au regard de l’alinéa e) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif à la Convention ;

b)La présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure de la communication.