Communication présentée par :

A. S.(représentée par un conseil, Niels‑Erik Hansen)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Danemark

Date de la communication :

28 janvier 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Communiquée à l’État partie le 14 juillet2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

26 février 2018

Décision concernant la recevabilité

L’auteure de la communication est A. S., de nationalité ougandaise, née en 1974. Elle a demandé l’asile au Danemark, mais sa demande a été rejetée. Elle affirme que son expulsion en Ouganda violerait les droits qu’elle tient des articles 1 à 3 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La Convention et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur au Danemark en 1983 et 2000, respectivement. L’auteure est représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen.

Le 31 janvier 2013, l’auteure a été déboutée par le Service danois de l’immigration de la demande d’asile qu’elle avait présentée. Elle s’est pourvue contre cette décision auprès de la Commission des recours des réfugiés, qui a rejeté ses recours le 18 avril 2013, puis le 5 décembre 2014. Elle a alors reçu l’ordre de quitter le Danemark le 20 décembre 2014 au plus tard. Le 30 janvier 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Groupe de travail des communications, a demandé des mesures provisoires de protection, demandant à l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteure tant que sa communication serait à l’examen, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 63 du règlement intérieur du Comité.

Le 6 février 2015, accédant à la demande du Comité, la Commission danoise des recours des réfugiés a suspendu jusqu’à nouvel ordre le délai imparti à l’auteure pour quitter le Danemark.

Le 14 juillet 2015, l’État partie a demandé au Comité d’annuler la demande de mesures provisoires. Le 12 mai 2016, le Comité a rejeté cette demande.

Exposé des faits

L’auteure est d’ethnie muganda, de confession musulmane et originaire de Kayunga. Elle est célibataire et a trois enfants. Elle a demandé l’asile au Danemark au motif qu’étant lesbienne, elle est recherchée en Ouganda et y courrait le risque d’être tuée.

L’auteure indique qu’il lui avait été dit dès son enfance qu’elle ne devait pas avoir de relations sexuelles avec une personne du même sexe. Elle a été forcée à épouser un homme, dont elle a eu trois enfants avant qu’il ne décède en 2005. En tant que mère célibataire, elle a dû gagner elle-même sa vie. Pour la première fois, elle a pu avoir une petite amie, en secret seulement toutefois. Entre 2007 et 2011, elle a travaillé dans un bar de Katwe, fréquenté essentiellement par des lesbiennes. Elle avait une petite amie, qu’elle avait rencontrée au bar. Le 6 novembre 2011, trois hommes lui ont fait des avances dans le bar, lui proposant d’avoir des relations sexuelles. Essuyant un refus, ils en ont conclu que le bar était un lieu pour lesbiennes. Ils sont devenus agressifs et se sont mis à casser des objets. Le même jour, le domicile de l’auteure a été mis à sac et incendié et tous ses effets ont été dérobés. La police, à la recherche de l’auteure, a également perquisitionné le domicile de sa mère.

Le 8 novembre 2011, l’auteure est partie au Rwanda en voiture. Elle est restée huit mois à Kigali, vivant dans la clandestinité avec quatre autres femmes qui projetaient aussi de se rendre en Europe. Une femme (nommée par l’auteure) l’a aidée à organiser son départ. L’auteure a obtenu un visa pour le Danemark auprès de l’ambassade de Norvège à Kampala. Elle est partie pour le Danemark le 22 juillet 2012, via Bruxelles. Elle n’était en possession d’aucun document de voyage.

Le 31 janvier 2013, le Service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile de l’auteure. Il a noté qu’elle était entrée au Danemark munie d’un visa délivré par l’ambassade de Norvège à Kampala au nom d’A. N., née le 12 novembre 1973. Le 18 avril 2013, la Commission des recours des réfugiés a renvoyé l’affaire au Service aux fins d’un nouvel examen et d’une enquête approfondie sur l’identité de l’auteure. Le 28 mai 2014, le Service a de nouveau rejeté sa demande. Le 5 décembre 2014, la Commission a confirmé cette décision. Dans la décision du Service, l’auteure était nommée A. N., car son nom n’avait pas été rectifié dans le fichier des étrangers. Le 8 décembre 2014, la Commission a procédé à la rectification du nom dans la décision.

L’auteure affirme que, la décision de la Commission n’étant pas susceptible de recours, elle a épuisé toutes les voies de recours internes possibles.

L’auteure a été baptisée le 24 février 2013 à l’Église libre d’Horsens (Danemark). Elle a pris part à des activités organisées par la communauté des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, notamment à des manifestations organisées devant l’ambassade de l’Ouganda à Hellerup pour protester contre la loi de ce pays de 2014 sur l’interdiction de l’homosexualité. Elle a aussi donné des conférences dans des instituts de formation continue.

Teneur de la plainte

L’auteure dit craindre qu’en cas de renvoi en Ouganda, la police et les citoyens ordinaires ne menacent sa vie. Elle ajoute qu’elle a fui l’oppression non seulement en tant que lesbienne mais aussi en tant que femme, l’Ouganda étant un pays très fortement patriarcal. Elle souligne également le caractère qu’elle qualifie d’homophobe du pays, comme en atteste un projet de loi visant à interdire la promotion des pratiques sexuelles dites « contre nature », en cours d’examen au Parlement.

L’auteure dit également que la Commission des recours des réfugiés n’a pas dûment examiné son dossier, et lui fait grief de ne pas avoir justifié sa décision sur le point de savoir si son renvoi violerait la Convention. Elle affirme avoir présenté une requête à la Commission afin que sa compagne au Danemark soit entendue comme témoin, et que cette requête a été rejetée.

Eu égard au fait que son nom n’a pas été correctement porté sur la décision définitive de la Commission du 5 décembre 2014, qui n’a ensuite été rectifié qu’à la main, l’auteure soutient que sa demande de protection contre les persécutions qui la menaçaient en tant que femme n’a pas été prise au sérieux. Par ailleurs, la Commission a refusé d’accéder à sa demande de faire citer un témoin à l’audience.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

Dans une note verbale en date du 14 juillet 2015, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication.

L’État partie affirme que l’auteure n’a pas démontré à première vue que sa communication était recevable. Il ajoute que la Commission des recours des réfugiés n’a pu retenir aucune de ses allégations et relève des incohérences dans ses déclarations.

L’État partie donne en outre une description complète de l’organisation, de la composition, des fonctions, des prérogatives et de la compétence de la Commission, ainsi que des garanties en place pour les demandeurs d’asile, à savoir notamment la représentation juridique, la présence d’un interprète et la possibilité pour le demandeur de faire une déclaration en appel. Il précise aussi que la Commission dispose d’un ensemble complet de documents de référence généraux sur la situation dans les différents pays d’origine des personnes qui lui demandent l’asile, actualisés et complétés en permanence à partir de multiples sources reconnues, et que tous ces éléments sont pris en considération lors de l’examen des dossiers.

Renvoyant à l’affaire M. N. N. c. Danemark, l’État partie soutient que la portée extraterritoriale de la Convention ne peut jouer que lorsqu’il est prévisible que l’intéressée serait victime de formes graves de violences sexistes en cas de renvoi. Il affirme donc que le risque que de telles violences se produisent doit être réel, personnel et prévisible. À cet égard, il soutient que l’auteure n’a pas établi à première vue la recevabilité de la communication qu’elle a soumise au Comité au titre du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif, au motif qu’elle n’a pas démontré qu’elle serait exposée au risque réel, personnel et prévisible d’être victime de formes graves de violences sexistes si elle était renvoyée en Ouganda.

Si le Comité devait juger la communication recevable et procéder à son examen au fond, l’État partie fait valoir que l’auteure n’a pas suffisamment démontré qu’elle serait exposée au risque réel, personnel et prévisible d’être victime de formes graves de violences sexistes si elle était renvoyée en Ouganda.

Pour ce qui est de l’identité de l’auteure, l’État partie indique que lorsqu’il a examiné la demande d’asile de l’auteure, le Service danois de l’immigration a déterminé à tort que l’identité de l’intéressée était celle de la ressortissante ougandaise A. N., née le 12 novembre 1973, qui était entrée au Danemark le 6 avril 2012 munie d’un document de voyage et d’un visa d’affaire valides délivrés par l’ambassade de Norvège à Kampala.

Le 31 janvier 2013, le Service de l’immigration a rejeté la demande d’asile présentée par l’auteure au titre de l’article 7 de la loi sur les étrangers. L’auteure a fait appel de cette décision et, le 18 avril 2013, la Commission des recours des réfugiés a renvoyé l’affaire au Service de l’immigration pour réexamen et complément d’enquête sur l’identité de l’auteure. Le 28 mai 2014, le Service a de nouveau rejeté la demande d’asile de l’auteure. La décision a à nouveau été adressée à tort à A. N. car, en raison d’une erreur regrettable, le nom de l’auteure n’avait pas été rectifié dans le registre des étrangers du Service de l’immigration. L’auteure a fait appel de cette décision, et la décision de la Commission des recours des réfugiés du 5 décembre 2014 portait aussi à tort le nom d’A. N. Cependant, la déclaration de l’auteure concernant sa véritable identité a été acceptée comme véridique et la décision a été corrigée trois jours plus tard afin qu’elle porte le vrai nom de l’auteure, à savoir A. S.

L’État partie affirme en outre que la question de l’identité de l’auteure a été suffisamment examinée par les autorités nationales, que les déclarations qu’elle a faites au sujet de son identité ont été considérées comme des faits avérés et qu’elle n’a démontré aucune violation de la Convention en ce qui concerne cette question. Le grief selon lequel le fait que son nom n’ait pas fait l’objet d’un nouvel enregistrement serait discriminatoire à l’égard des femmes est dénué de tout fondement et, de l’avis de l’État partie, manifestement erroné.

En ce qui concerne les motifs de la demande d’asile, l’État partie rappelle que la Commission a rejeté l’ensemble des déclarations de l’auteure les concernant, y compris celles relatives à sa sexualité et à la raison pour laquelle elle avait quitté l’Ouganda. Lorsqu’elle a évalué la crédibilité de l’auteure, la Commission a insisté sur le fait que les déclarations qu’elle avait faites au sujet de certains éléments cruciaux des motifs de sa demande d’asile étaient incohérentes, confuses et sommaires et que certaines parties d’entre elles paraissaient également invraisemblables. Elle a notamment examiné les déclarations de l’auteure concernant le moment où elle avait découvert qu’elle était lesbienne et la manière dont elle l’avait découvert, ainsi que ses relations sexuelles avec d’autres femmes. À cet égard, l’État partie rappelle qu’au cours de la procédure d’asile, l’auteure a fait les déclarations suivantes :

a)Le 7 janvier 2013, l’auteure a dit au Service danois de l’immigration qu’elle avait découvert qu’elle était lesbienne en 2007, lorsque des femmes qui étaient venues au bar lui ont demandé si elle voudrait avoir une relation sexuelle lesbienne. Elle avait d’abord regardé deux des femmes pendant qu’elles avaient des rapports sexuels, avant de se décider elle-même à commencer d’avoir des relations avec des femmes. Elle avait entretenu une relation lesbienne, avec une femme dénommée J. N., qui avait duré de 2007 à 2011 ;

b)Dans un mémoire présenté aux fins de l’audience devant la Commission du 5 décembre 2014, l’auteure a expliqué qu’elle avait eu des relations sexuelles avec une autre fille nommée A. à l’âge de 10 ans et qu’elle avait actuellement une petite amie au Danemark, dénommée I. N. ;

c)À l’audience tenue devant la Commission le 5 décembre 2014, l’auteure a déclaré avoir réalisé qu’elle était lesbienne en 2007, alors qu’elle était avec une femme nommée J., mais également qu’elle avait su qu’elle était lesbienne avant son mariage. Elle a ensuite dit que sa relation avec I., sa petite amie actuelle, avait débuté en septembre ou octobre 2012. Lorsqu’on lui a fait observer qu’elle n’avait aucunement mentionné cette relation à un stade antérieur de la procédure d’asile, elle a répondu que la question ne lui avait pas été posée.

La Commission a également estimé que l’auteure était incapable d’expliquer de manière précise comment était géré le bar qu’elle disait avoir possédé et exploité pendant quatre ans, et qu’il semblait curieux qu’elle ait pu gérer le bar durant cette période sans rencontrer aucun problème avec les clients ou les autorités, alors même qu’à ses dires certaines clientes ne cachaient pas qu’elles étaient lesbiennes.

La Commission a en outre souligné que l’auteure n’avait pas été en mesure de donner des détails au sujet de la préparation et du financement de sa fuite au Rwanda, avant son arrivée au Danemark, pas même le nom des femmes avec lesquelles elle avait fui au Rwanda et avec lesquelles elle avait habité. Elle a considéré comme invraisemblable que le domicile de la mère de l’auteure, qui était éloigné de 80 à 100 kilomètres du bar, ait été fouillé en raison des faits qui s’étaient déroulés au bar le 6 novembre 2011.

En conséquence, la Commission a conclu que l’auteure n’avait pas démontré qu’il était probable qu’en cas de renvoi dans son pays d’origine elle serait personnellement exposée à un risque spécifique de persécution relevant du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi sur les étrangers, ou de peine ou de traitement inhumains relevant du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi. Dans ce contexte, elle a confirmé la décision du 28 mai 2014 par laquelle le Service de l’immigration avait refusé l’asile à l’auteure. L’État partie fait pleinement siennes les conclusions de la Commission, selon lesquelles les déclarations de l’auteure au sujet de certains éléments cruciaux des motifs de sa demande d’asile sont incohérentes, confuses et sommaires et certaines parties en paraissent invraisemblables. Il estime que les motifs invoqués par l’auteure à l’appui de sa demande d’asile ne constituent pas des faits avérés et qu’elle n’est pas lesbienne. Pour ce qui est du grief selon lequel l’auteure fuit l’oppression, non seulement en tant que lesbienne, mais aussi en tant que femme, il est d’avis que la situation générale des femmes en Ouganda ne saurait justifier l’octroi de l’asile.

En ce qui concerne les activités de l’auteure au Danemark et l’argument selon lequel elle aurait été active dans la communauté des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres après son arrivée dans le pays, l’État partie réaffirme que ni la Commission ni le Gouvernement n’admettent que l’auteure est bien lesbienne ou qu’elle aurait eu des différends avec les autorités ou des particuliers en Ouganda du fait de sa sexualité avant son départ en 2012. En outre, on ne saurait admettre l’argument selon lequel la simple participation de l’auteure aux activités susmentionnées, qu’elle n’a pas mentionnées lorsqu’elle était interrogée par le Service de l’immigration le 7 janvier 2013, l’exposerait au risque de subir des persécutions ou des violences en Ouganda.

En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’auteure n’a pas été autorisée à produire un témoin à l’audience tenue le 5 décembre 2014 par la Commission, l’État partie dit que l’auteure n’a pas montré en quoi ce refus aurait entraîné la violation d’une quelconque disposition de la Convention à son égard. L’État partie rappelle en outre qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 54 de la loi sur les étrangers, la Commission peut décider d’entendre les demandeurs d’asile et des témoins, et d’autoriser la production de nouveaux éléments de preuve. Il ressort de la jurisprudence de la Commission que les demandeurs d’asile ne sont généralement autorisés à produire des témoins que dans les cas où les témoins en question ont un lien direct avec les motifs justifiant la demande d’asile. Par conséquent, les témoins ne sont normalement autorisés à déposer que pour attester de la crédibilité générale du demandeur d’asile. En l’espèce, l’auteure souhaitait obtenir l’audition de sa prétendue petite amie pour qu’elle atteste de sa sexualité. La témoin n’aurait pas été en mesure de donner des informations sur la situation de l’auteure en Ouganda avant qu’elle ne quitte le pays, car aux propres dires de l’auteure, elles ne se sont rencontrées qu’après son arrivée au Danemark. Dès lors, la témoin n’avait pas de lien direct avec les motifs de la demande d’asile, et la Commission a rejeté la demande de l’auteure. Cette décision n’était en aucune manière basée sur le sexe de l’auteure, ni sur le sexe de la témoin, car les règles régissant l’audition des témoins ne font pas de différence entre les sexes.

En ce qui concerne les renvois à la Convention, selon l’État partie, le fait que la Commission n’ait pas fait expressément référence à la Convention dans sa décision du 5 décembre 2014 ne signifie en rien qu’elle n’ait pas pris la Convention en considération. La Convention fait, au même titre que d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, partie intégrante de l’évaluation des demandes d’asile auxquelles la Commission procède.

Enfin, l’État partie affirme que la communication soumise par l’auteure au Comité n’est que la traduction du désaccord de celle-ci avec la manière dont la Commission a statué sur son cas. L’auteure n’a toutefois mis en évidence aucune irrégularité dans le processus décisionnel, ni aucun facteur de risque dont la Commission n’aurait pas dûment tenu compte. Elle cherche en réalité à obtenir du Comité qu’il agisse comme un organe d’appel et procède à un nouvel examen des éléments de fait présentés à l’appui de sa demande d’asile. L’État partie fait valoir que le Comité doit accorder un poids déterminant aux conclusions de fait de la Commission, laquelle est mieux à même d’évaluer les faits de l’espèce. En conséquence, il n’y a pas lieu, selon lui, de mettre en doute, ni à plus forte raison d’écarter, l’évaluation réalisée par la Commission, selon laquelle l’auteure n’a pas démontré qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’elle courrait personnellement un risque réel et prévisible de persécution si elle était renvoyée en Ouganda, et que la conséquence nécessaire et prévisible de son renvoi serait la violation des droits qu’elle tient de la Convention. En conséquence, le renvoi de l’auteure en Ouganda ne serait pas constitutif d’une violation des articles 1 à 3 de la Convention.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

Le 29 février 2016, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond.

Répétant ses déclarations antérieures et faisant référence au paragraphe 16 de la recommandation générale no 32 (2014) du Comité sur les femmes et les situations de réfugiés, d’asile, de nationalité et d’apatridie, elle insiste sur le fait qu’étant lesbienne, elle serait exposée à des persécutions sexistes en cas de renvoi en Ouganda.

L’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme concernant d’autres affaires dans lesquelles le Danemark était en cause et réaffirme que le traitement de son dossier par les autorités danoises de l’asile est entaché d’irrégularités, parmi lesquelles le rejet de sa demande concernant l’audition d’un témoin et le fait qu’on lui ait par erreur prêté l’identité d’une autre personne, ce qui a eu une incidence négative sur sa crédibilité générale et montre qu’elle n’a pas été prise au sérieux. Elle rappelle l’absence de mention de la Convention dans la procédure concernant son cas, ajoute que la Convention n’a pas été incorporée dans l’ordre juridique national de l’État partie et affirme que cet État ne considère pas que les constatations du Comité soient juridiquement contraignantes.

L’auteure note que l’État partie, tout en affirmant qu’il se reporte à des documents de référence, n’a donné aucune précision sur la façon dont les homosexuels sont traités en Ouganda. Elle ajoute qu’elle ne bénéficierait d’aucune protection de la part de la police car l’homosexualité n’y est pas acceptée. De plus, elle souligne que le fait qu’elle vive son homosexualité au grand jour au Danemark et participe à des événements organisés par la communauté locale des lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels et transgenres serait porté à l’attention des autorités ougandaises. De surcroît, le critère déterminant est celui de savoir si elle peut retourner dans son pays d’origine et continuer à y vivre ouvertement son homosexualité, de la même manière qu’elle vit au Danemark.

L’État partie conteste la crédibilité de l’auteure quand elle affirme qu’elle est lesbienne. Dans le même temps, il a refusé d’autoriser l’audition d’un témoin qui aurait pu attester de son homosexualité. L’auteure ne prétend pas que le refus d’autoriser l’audition a constitué un cas de discrimination sexiste, mais affirme qu’il s’agit d’une violation de la procédure portant atteinte à son droit à un procès équitable.

En conclusion, l’auteure réaffirme que son expulsion vers l’Ouganda l’exposerait à des formes graves de violence et constituerait une violation des articles 1 à 3 de la Convention. Elle demande à bénéficier d’une nouvelle audience devant la Commission des recours des réfugiés, au cours de laquelle sa compagne devrait être autorisée à témoigner et ses griefs pourraient être réexaminés à la lumière de la Convention.

Observations complémentaires de l’État partie

Le 8 novembre 2016, l’État partie a présenté des observations complémentaires, dans lesquelles il a réitéré l’ensemble de ses précédentes observations. Il réaffirme que la Commission des recours des réfugiés a conclu, sur la base d’une évaluation globale, que les déclarations de l’auteure, notamment celle selon laquelle elle était lesbienne, étaient si peu crédibles qu’elles devaient être intégralement rejetées.

En ce qui concerne les images produites par l’auteure à l’appui de l’affirmation selon laquelle elle serait exposée à un risque supplémentaire de persécution en Ouganda en raison de sa participation à des manifestations liées à la communauté des lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels et transgenres au Danemark, l’État partie observe que ces éléments de preuve ont déjà été soumis à la Commission le 1er décembre 2014 en vue de l’audience du 5 décembre, et que celle-ci a donc rendu sa décision en connaissance de cause.

Pour ce qui est des documents de référence généraux relatifs à la situation des homosexuels en Ouganda, l’État partie souligne qu’à supposer que la Commission ait considéré comme établi le fait que l’auteure soit lesbienne, il n’y aurait pas là, en soi, matière à justifier l’octroi d’un permis de séjour au titre de l’article 7 de la loi sur les étrangers. La Commission a pris en considération les documents de référence disponibles, notamment un rapport sur la situation des lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels et transgenres en Ouganda publié conjointement par le Service danois de l’immigration et le Conseil danois des réfugiés le 6 janvier 2014, le rapport de 2013 sur les pratiques des droits de l’homme consacré à l’Ouganda publié par le Département d’État des États-Unis d’Amérique le 27 février 2014, et un rapport intitulé « Uganda: claims based on sexual orientation », rapport d’information et d’orientation publié par le Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord le 10 avril 2014. Selon l’État partie, il ressort de ces documents que, si la situation en Ouganda est parfois difficile, les lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels et transgenres ne sont pas régulièrement ou systématiquement la cible des autorités. Bien que l’homosexualité soit prohibée en Ouganda par l’article 145 du Code pénal de 1950, personne n’a été condamné pour homosexualité et des réseaux de soutien ont vu le jour. De plus, le 1er août 2014, la Cour constitutionnelle ougandaise a invalidé la loi controversée interdisant l’homosexualité.

En outre, l’État partie s’appuie sur les rapports de référence les plus récents sur la situation en Ouganda, qui selon lui confirment que si les conditions peuvent parfois être difficiles, il n’y a pas de ciblage régulier ou systématique par les autorités ni la population. Rien ne porte à croire que, par ses activités au Danemark, l’auteure se soit exposée au point qu’elle serait persécutée. En conséquence, l’État partie réaffirme que l’auteure ne court pas de risque réel de persécution en Ouganda et que son renvoi ne violerait pas l’article 1, 2 ou 3 de la Convention.

En ce qui concerne l’argument de l’auteure selon lequel la Convention n’a pas été mentionnée dans la procédure nationale, l’État partie souligne que, si dans la grande majorité de ses décisions la Commission ne fait pas expressément référence à la Convention, le Danemark est lié par des instruments internationaux sous-jacents dont découle la protection nationale. À titre d’exemple, il renvoie à la note explicative qui accompagne le projet de loi portant modification du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers, qui prévoit la délivrance de permis de séjour aux étrangers (autres que ceux relevant de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés) qui ont droit à une protection au titre des conventions auxquelles le Danemark est partie. Il est en outre expliqué dans la note que le paragraphe 2 de l’article 7 est libellé sur le modèle de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du sixième Protocole s’y rapportant, ainsi que de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans le cadre de l’analyse des motifs de non‑refoulement, la Commission procède évidemment également à une évaluation de la discrimination sexiste à laquelle les demandeuses d’asile pourraient être exposées en cas de renvoi et toute évaluation réalisée au titre de l’article 7 de la loi prend en considération le risque de violences sexistes.

En conclusion, l’État partie réaffirme qu’il considère que l’auteure n’a pas démontré à première vue la recevabilité de sa communication, laquelle est manifestement dénuée de fondement. Au cas où le Comité jugerait la communication recevable, il affirme qu’il n’a pas été établi qu’il existe des motifs sérieux de croire que le renvoi de l’auteure en Ouganda constituerait une violation de la Convention. Enfin, le Gouvernement tient à appeler l’attention sur les statistiques se rapportant à la jurisprudence des autorités danoises de l’immigration, qui indiquent, entre autres choses, les taux de reconnaissance des demandes d’asile formulées par les 10 principaux groupes nationaux de demandeurs sur lesquelles la Commission a statué entre 2013 et 2015.

Réponses complémentaires des parties

Le 16 mars 2017, l’auteure a soumis des renseignements supplémentaires, dans lesquels elle conteste les informations de référence fournies par l’État partie, notamment, le fait qu’il n’y aurait pas de persécutions régulières ou systématiques. Elle souligne que l’homosexualité est passible de sanctions pénales en Ouganda et mentionne un projet de loi déposé au Parlement sur l’interdiction des pratiques sexuelles dites contre nature. Elle fait aussi état du cas de deux lesbiennes ougandaises qui ont été accueillies dans des pays européens après avoir reçu du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés au Kenya le statut de réfugié.

Le 7 juillet 2017, l’État partie a déclaré qu’il n’entendait pas présenter de nouvelles observations et s’en tenait à celles qu’il avait déjà formulées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Le Comité doit, conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, décider si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif. En application de l’article 66 de son règlement, il peut décider d’examiner séparément la question de la recevabilité d’une communication et la communication elle-même quant au fond.

Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà fait ou ne faisait pas l’objet d’un examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Le Comité note que l’auteure affirme avoir épuisé les recours internes et que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication pour ce motif. Il observe que selon les informations dont il est saisi, les décisions de la Commission des recours des réfugiés ne sont pas susceptibles de recours devant les juridictions nationales. Par conséquent, il considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif d’examiner la question.

Le Comité rappelle l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle craint qu’en cas de renvoi en Ouganda la police, ou même des personnes ordinaires, n’attentent à sa vie, car elles auraient eu connaissance de son orientation sexuelle en raison de faits qui se sont produits en 2011 alors qu’elle travaillait dans un bar en Ouganda, et qui ont été suivis d’une descente de police au domicile de sa mère. Elle fait également valoir qu’elle a attiré l’attention des autorités ougandaises en participant ultérieurement au Danemark à un certain nombre de manifestations publiques liées à des questions touchant les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres. Elle affirme donc que, si l’État partie la renvoyait en Ouganda, elle serait personnellement exposée à un risque de formes graves de violences sexistes, tel que défini aux articles 1 à 3 de la Convention. Elle affirme en outre que l’État partie aurait dû procéder à une enquête indépendante au sujet des risques qu’elle court en Ouganda et mentionner expressément la Convention dans le cadre de la procédure de demande d’asile. Elle met en question l’équité de cette procédure, au motif que l’audition d’un témoin lui a été refusée et que les décisions rendues par les autorités étaient initialement adressées à une autre personne.

Le Comité renvoie à sa recommandation générale no 32 (2014), dans laquelle il déclare que, « en vertu du droit international des droits de l’homme, le principe de non-refoulement fait obligation aux États de ne pas renvoyer une personne là où elle risque de subir de graves violations des droits de l’homme, notamment la privation arbitraire de la vie ou la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (par. 21). Il rappelle, en particulier, que « les demandes d’asile fondées sur des considérations liées au sexe peuvent regrouper d’autres motifs de discrimination tels que l’âge, la race, l’appartenance ethnique, la nationalité, la religion, la santé, la classe, la caste, le fait d’être lesbienne, bisexuelle ou transgenre, ou d’avoir un autre statut » (par. 16). Il renvoie en outre à sa recommandation générale no 19 (1992) sur la violence à l’égard des femmes, dans laquelle il rappelle que « la violence fondée sur le sexe, qui compromet ou rend nulle la jouissance des droits individuels et des libertés fondamentales par les femmes en vertu des principes généraux du droit international ou des conventions particulières relatives aux droits de l’homme, constitue une discrimination au sens de l’article 1er de la Convention, et que l’on peut notamment citer parmi ces droits et libertés le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture » (par. 7). Il a encore précisé son interprétation de la violence à l’égard des femmes en tant que forme de discrimination sexiste dans sa recommandation générale no 35 (2017) sur la violence sexiste à l’égard des femmes, portant actualisation de la recommandation générale no 19, où il réaffirme l’obligation des États parties d’éliminer la discrimination à l’égard des femmes, y compris la violence sexiste, découlant des actes ou omissions de l’État partie ou de ses acteurs, d’une part, et celle découlant des actes ou omissions des acteurs non étatiques, d’autre part (par. 21).

En l’espèce, le Comité constate qu’il n’est pas soutenu que l’État partie a directement violé les dispositions de la Convention, mais plutôt qu’une violation serait commise si l’État partie renvoyait l’auteure en Ouganda, l’exposant ainsi au risque d’être victime de formes graves de violences sexistes de la part de la police ou de particuliers hostiles aux gays.

Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les allégations de l’auteure ont fait l’objet d’un examen approfondi de la part du Service danois de l’immigration et de la Commission des recours des réfugiés, qui les ont rejetées dans leur ensemble en raison de l’évaluation défavorable de la crédibilité de l’auteure qui entachait sa demande (voir par. 4.9 à 4.12). Le Comité rappelle qu’il incombe généralement aux autorités des États parties à la Convention d’apprécier les faits et les éléments de preuve ou l’application qui est faite de la législation nationale dans un cas particulier, à moins qu’il ne puisse être établi que cette appréciation était entachée de partialité ou fondée sur des stéréotypes liés au sexe constituant une discrimination à l’égard des femmes, relevait manifestement de l’arbitraire ou représentait un déni de justice. À cet égard, il note qu’au fond, l’auteure conteste la manière dont les autorités de l’État partie ont évalué les éléments de fait de sa demande et appliqué la législation, ainsi que les conclusions qu’elles en ont tirées. La question que le Comité doit trancher est donc celle de savoir si le processus décisionnel concernant la demande d’asile de l’auteure est entaché d’irrégularités telles que les autorités de l’État partie n’ont pas évalué correctement le risque de graves violences sexistes auquel elle serait exposée si elle était renvoyée en Ouganda.

Le Comité note que les autorités de l’État partie ont estimé que la relation des faits par l’auteure manquait de crédibilité parce qu’elle présentait de nombreuses incohérences factuelles et n’était pas suffisamment étayée, notamment pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle elle était lesbienne et de sa description des faits qui se seraient produits en 2011 dans un bar à Katwe. Il note en outre que, nonobstant la conclusion susmentionnée concernant la crédibilité de l’auteure, l’État partie a aussi examiné la situation des droits de l’homme en Ouganda et, en particulier, celle des homosexuels. L’État partie soutient que, si l’homosexualité est interdite par le Code pénal, cette interdiction n’est pas appliquée et personne n’a été condamné pour homosexualité. Les éléments de preuve disponibles auxquels il s’est référé indiquent en outre que les homosexuels ne sont pas ciblés de manière régulière et systématique. Le Comité note de plus que, le 1er août 2014, la Cour constitutionnelle ougandaise a invalidé la loi sur l’interdiction de l’homosexualité.

À la lumière de ce qui précède, et sans sous-estimer les préoccupations que l’on peut légitimement exprimer au sujet de la discrimination sexiste en Ouganda, compte tenu également de ce qu’elle s’ajoute à celle liée à l’homosexualité, le Comité considère que l’auteure n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, que le fait qu’il n’ait pas été fait référence à la Convention dans la décision relative à sa demande d’asile, ou le refus de faire citer un témoin, découlait d’une discrimination sexiste ou avait entraîné une telle discrimination. En outre, aucun élément du dossier ne permet au Comité de conclure que les autorités de l’État partie n’ont pas procédé à un examen suffisamment approfondi de la demande d’asile de l’auteure, ou que l’examen de sa demande, en tant que femme demandant l’asile, a été par ailleurs entaché de vices de procédure ou d’arbitraire. Le Comité considère également que l’auteure n’a pas suffisamment étayé l’argument selon lequel l’erreur initialement commise concernant le nom de la destinataire des décisions du Service danois de l’immigration et de la Commission des recours des réfugiés, qui avait été rectifiée ultérieurement dans la décision définitive de la Commission du 5 décembre 2014, avait entraîné à son égard une quelconque violation de la Convention.

En conséquence, le Comité décide que :

a)La communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif ;

b)La présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.